MICK par Vincent DULUC page 3
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MICK par Vincent DULUC page 3
IL RÉGNAIT SUR LA TRIBUNE OFFICIELLE ET SERRAIT DES MAINS QUI N’EN SORTAIENT PAS INDEMNES Septembre 1949 (en haut à g.), Pomathios (tout à droite) et les Français rentrent d’une première tournée débridée en Argentine. Janvier 1950 (ci-contre), Pomathios face aux Irlandais (3-3). Maurice Terreau, ses vingt-quatre sélections en vingt-sept matches, de 1948 à 1954, disent tout de sa domination sur l’époque. « Le meilleur ailier des cinq pays », écrivait le Times, en 1951. C’était une belle jeunesse. Les repas à midi le jour du match, comme l’année où ils ont essayé de faire boirelesAnglais,etlesbanquetslesoir.AprèsFranceÉcosseen1951,lemenudécritlaplacedeladiététique dans le sport de l’époque : suprême de sole à l’américaine, jambon de France sous la cendre, velouté de mousserons à la crème, poulet de Bresse rôti au feu de bois, pommes fondantes, salade Lorette, plateau de fromage, bombe plombière, petits fours, corbeille de fruits, café et liqueurs. C’était une belle vie, mais après un passage au LOU, puis un retour à Bourg, le rugby s’arrêtait et il fallait vivre. René Crabos, le sélectionneur de l’époque, le patron du quinze de France avec Adolphe Jauréguy, l’avait aiguillé vers le textile. Il était dans la plume, le matelas, le tissu, achetait des fins de séries au kilo et les revendait au mètre, aux Russes notamment. Les frères Peugeot l’avaient également dirigé vers la récupération de métaux. Le rugby reviendrait dans sa vie au milieu des années 1980, le temps d’une présidence de l’US Bressane, entre 1983 et 1985, juste après les années Michel Greffe. Jeune journaliste local, on lui disait «vous», mais ses joueurs lui disaient «tu». Il régnait sur la tribune officielle et serrait des mains qui n’en sortaient pas toujours indemnes. Tenait table au Français, la brasserie de la ville où, jeune joueur, il avait été pris à fumer en terrasse et privé du match du dimanche par son coach. Lequel lui faisait passer, le dimanche matin, le test du verre d’eau rempli à ras bord : aucune goutte ne devait en tomber. Alors il avait le droit de jouer, aux côtés de Julot Gerra, par exemple, le grand-père de Laurent. Dansunevillederugbyoùtoutlemondeseconnaît,et toutlemondeseretrouve,legrandMickétaitprésident du club quand le soigneur de l’équipe première était encore Marcel Cochet, le prof de gym qui l’avait mis au rugby au lycée Lalande, en 1944. Cesontceshistoires-làquel’onvisiteauprèsdeMichel Pomathios. L’heure tourne, et il a gardé le sens des priorités.«Onvaboireunverre,non?»Safillemonte chercher le champagne. Il est servi frais, bu à petites gorgées, avec plaisir. Le grand Mick sait vivre. n [email protected] AFP Février 1951 (en bas), victoire historique de Pomathios et du quinze de France dans la boue de Twickenham (11-3). et les sauts dans l’athlétisme régional, été approché pour s’essayer au foot à l’AS Saint-Étienne. Mais le grand Mick était revenu jouer au rugby à Bourg et faire sa terminale au lycée Lalande, le seul lycée civil qui ait reçu la médaille de la Résistance. Il étaitdanslacourd’honneurlejourdelarafle,le5juin 1944, en pleine épreuve du bac, lorsque les miliciens ont arrêté dix élèves, dénoncés, pour les déporter. Peu après, un jour qu’il était en panne avec sa moto et qu’il transportait un document compromettant, il avait été pris par les Allemands, emmené en voiture, mais avait pu s’échapper en courant à travers champ. Ses deux gardiens n’avaient pas tiré. Alors, international après la guerre, vive la vie et les copains ! Parmi eux, il y avait Francis Lopez, basque et dentiste, amateur de rugby et compositeur d’opérettes, du Chanteur de Mexico à la Route fleurie, de la Belle de Cadix à Méditerranée. Ils seront amis pour la vie. Ensemble, ils composent une parodie du Cid, l’apothéose de leurs soirées parisiennes et des fêtes familiales ou amicales dans la propriété du grand Mick, à Laizé, à côté de Mâcon. Ce matin-là, dans son blazer des Baabaas, il assure qu’il ne s’en souvient pas, que c’est trop loin, mais sa fille lance le premier couplet, et tout revient, dans un sourire ému : « Enfin vous l’emportez… » La suite faisait rougir les jeunes filles avant de les faire rire aux éclats. LegrandMickétaitunjoueurrare,unailierplusgrand que ses avants, un sprinteur sur deux ailes, qui valait 11 secondes sur 100 mètres et moins de 50 secondes sur 400 mètres, et qui n’était jamais vraiment là où on l’attendait. Vraiment jamais : en 1945, après la guerre, son diplôme de prof de gym en poche, il se rend à Auch, sa première affectation. Le train s’arrête à Agen. Face à la longueur de la correspondance, il va boire un verre au seul endroit qu’il connaisse : le siège du SU Agen, auquel il a inscrit deux essais, avec Bourg, la saison précédente. Là-bas, on le reconnaît. Là-bas,iltombesurGuyBasquet,sonfuturcapitaine enéquipedeFrance,quidevientinstantanémentson ami et son conseiller d’orientation : il n’ira jamais à Auch,signeraàAgen,enseigneraaulycéeBernard-Palissy, et vivra près de la famille Basquet. Il sourit : « Chez les beaux-parents de Guy, qui étaient pâtissiers, on faisait des concours de choux à la crème. » Ils remplaçaient aisément les topinambours. Régulièrement appelé avec un autre Bressan, L’ÉQUIPE MAGAZINE | 51