Ouattara Watts, le plus américain des artistes ivoriens

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Ouattara Watts, le plus américain des artistes ivoriens
Date : 28/04/2015
Heure : 21:58:34
Journaliste : Roxana Azimi
www.lemonde.fr
Pays : France
Dynamisme : 257
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Ouattara Watts, le plus américain des artistes ivoriens
« Ma vie en Côte d'Ivoire ? You know, j'ai pas grand-chose à dire. » Voilà presque 30 ans que l'artiste ivoirien
Ouattara Watts, 58 ans, vit à New York. Trente ans que son français s'est tavelé de locutions en anglais. Il
s'en excuse dans un éclat de rire. Bonhomme, le peintre que l'on rencontre à la Galerie Boulakia n'a rien
de l'artiste maudit. « Je ne suis pas dans ce type de délires, admet-il. Je ne suis pas angoissé, ce qui ne
veut pas dire que je ne vis pas des choses dures. » Bien qu'il ait figuré à la Documenta d'Okwui Enwezor
à Cassel, en 2002, et à la Biennale de Venise en 1993, il ne prend pas la pose.
S'il prétend en préambule qu'il n'a pas grand-chose à confier, c'est moins par feinte que par pudeur. Ainsi
ne veut-il rien dévoiler des rituels auxquels l'a initié son grand-père chamane. « Il y a des choses qui ne se
disent pas, c'est secret, souffle-t-il. Et puis Marcel Griaule et Michel Leiris l'ont mieux raconté que moi. » Son
aïeul ne lui a pas juste révélé les mystères de la nature et du cosmos. Il lui a donné l'envie d'être artiste. En
bibliothèque, le jeune Ouattara avait déjà avalé quantité de livres sur Mondrian, Picasso, Braque et Derain,
se prenant à rêver de Montparnasse et de Montmartre. Sa décision est prise, il fera ses études à Paris.
Débarqué en 1977, il s'inscrit aux Beaux-arts. Il y observe ses pairs, évite les moules et les clichés. «
Les profs avaient en tête l'art d'aéroport, se souvient-il. Ils pensaient que comme artiste africain, je devais
travailler le marron. Mais en Afrique, il y a des couleurs ! Je connaissais déjà mes racines, ce n'est pas ça
que j'étais venu chercher. » Même s'il ne montre pas encore en galerie, Ouattara Watts est déjà sûr de lui
et de sa ligne. A raison : il développe une petite clientèle privée de haute volée, de Claude Picasso, fils du
peintre andalou, au designer Andrée Putman.
Un protégé de Basquiat
Mais c'est à l'artiste Jean-Michel Basquiat qu'il doit son grand bond. Les deux hommes se rencontrent en
1988, lors d'un vernissage à la galerie Yvon Lambert à Paris. Plébiscité par le Tout-New York, le peintre
d'origine haïtienne est alors au faîte de sa gloire. Coup de foudre amical. Bien que de trois ans son cadet,
Basquiat se montre protecteur envers son nouvel ami. « Jean-Michel cherchait l'Afrique, raconte Ouattara
Watts. Il était allé en Afrique en 1986 et il avait aimé mon village, Korhogo. J'avais l'impression d'avoir grandi
avec lui depuis des années. »
Basquiat presse Ouattara de migrer en Amérique. Le voilà plongé dans le chaudron new-yorkais. Son ami
l'héberge, lui présente son réseau, l'emmène en escapade à la Nouvelle Orléans. « Il ne voulait pas que
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Date : 28/04/2015
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je vive ce qu'il a vécu. » Comprenez : le racisme rampant. « C'était difficile pour les artistes noirs dans
les galeries dans les années 1980, reconnaît-il. Jean-Michel et moi avons ouvert la voie. » Les œuvres de
Ouattara Watts se vendent aujourd'hui entre 27 000 et 60 000 euros.
En à peine quatre mois, Basquiat, qui décèdera en octobre 1988, aura bouleversé la vie de Ouattara Watts.
Même sa peinture semble traversée par cette rencontre électrique. Aux Etats-Unis, le jeune homme voit
soudain grand : ses formats se dilatent. Ses thèmes portent toujours la marque de l'Afrique. Sa palette en
a gardé les stridences. Mais au fil des ans, d'autres codes et images s'y sont greffés. « Je me sens citoyen
du monde, Africain, Français, New-yorkais », résume-t-il. Et c'est ce monde globalisé, fragile et chaotique,
qu'il tente de restituer. Soudain, son ton devient grave, quasi mystique : « le rôle d'un artiste c'est de guérir
le monde qui est malade de la consommation, de la spéculation, du manque de repères. Il faut que tout le
monde fasse des efforts, you know. »
Ouattara Watts, jusqu'au 4 mai, Galerie Boulakia, 10, avenue Matignon, 75008 Paris, www.boulakia.net
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