Article Textiles de santé - IFM

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Article Textiles de santé - IFM
LES MARCHÉS DE LA SANTÉ : DE GRANDS ENJEUX POUR LES TEXTILES TECHNIQUES EUROPÉENS
Un débouché dynamique
La santé constitue un secteur d’application dynamique, porté par une consommation en croissance et bénéficiant
de véritables sauts technologiques, mais confronté à des enjeux majeurs de société.
Incluant les soins longue durée, les dépenses de prévention et les coûts de gestion, les dépenses courantes de
santé françaises sont évaluées à 243 milliards d’euros en 2012, soit 12 % du PIB (contre 10,5 % en 2000). Selon
l’OCDE, la France se situe à la troisième place mondiale quant à la part de ces dépenses dans le PIB, derrière
les Etats-Unis et les Pays-Bas, mais elle n’occupe que la dixième place dans le classement des dépenses
courantes de santé par tête. Avec 8 508 $ par personne, les Etats-Unis sont largement en tête, devant la
Norvège et la Suisse (graphique 1). Avec 4 118 $ par tête, la France se situe juste derrière l’Allemagne (4 495 $).
Le marché mondial des dispositifs médicaux (instruments, appareils, équipements et produits utilisés à des fins
médicales et dont l’action principale n’est pas obtenue par des moyens pharmacologiques), dans lesquels le
matériau textile est très présent à titre principal ou secondaire, était estimé à 307 milliards de $ en 2012 (240
milliards d’euros)1, avec un taux de croissance d’environ 7 % par an en moyenne depuis les années 2000, mais
subissant un ralentissement sensible au début de la crise. Près de 80 % des dispositifs médicaux sont
consommés sur le continent américain et en Europe, et en grande majorité produits dans ces zones.
A l’horizon 2017, les perspectives de croissance restent élevées, avec un rythme moyen de 6,5 % par an : si les
pays émergents bénéficient de progressions annuelles supérieures à 10 %, le marché des pays développés
restera soutenu par le vieillissement des populations et par l’utilisation croissante d’équipements pour le
diagnostic et l’accompagnement de nombreuses maladies. A titre de comparaison, le marché des médicaments
représente 770 milliards d’euros en 20122, soit une taille mondiale plus de trois fois supérieure à celle du marché
des dispositifs médicaux, et s’avère également très dynamique dans les pays émergents. Toutefois, sa
croissance aux Etats-Unis et en Europe apparaît ralentie en valeur, du fait du poids croissant des médicaments
génériques.
Selon les données de l’Observatoire des Textiles Techniques de l’IFM, les marchés de la santé, de l’hygiène et
de la cosmétique draineraient environ 16 % du chiffre d’affaires total des entreprises françaises concevant et/ou
fabricant des textiles techniques. Ceci concerne 83 entreprises spécialisées dans le domaine de la santé, soit 57
spécialistes textiles et 26 entreprises dont le code NAF se réfère au domaine médical (implants, matériel médicochirurgical...). A ce cœur de l’offre, s’ajoutent 97 entreprises textiles déclarant avoir une activité dans le domaine
médical, mais pour une part minoritaire de leur chiffre d’affaires.
Après avoir chuté fortement en 2008, comme l’ensemble du chiffre d’affaires de l’industrie mondiale, le chiffre
d’affaires réalisé par les spécialistes textiles français sur le marché de la santé s’est très vivement redressé en
2009. En 2012, ce chiffre d’affaires était supérieur de 2,6 % au point haut de 2007, alors que le chiffre d’affaires
global des textiles techniques français est en léger recul (-1,7 %) par rapport à la situation d’avant la crise. Le
taux d’exportation des entreprises textiles présentes sur les marchés médicaux atteint 31 %, dont 75 % pour les
1
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Epsicom
IMS Institute for Healthcare Informatics
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spécialistes des non-tissés. Enfin, le taux de rentabilité nette des spécialistes en textiles de santé atteint 2,5 %,
ce qui n’a rien de mirobolant mais apparaît supérieur à celui observé sur l’ensemble des textiles techniques
(1,9 %). En outre, les rentabilités dépassent 5,5 % chez les spécialistes des textiles médicaux en maille.
Un vaste champ de produits et d’applications à forte, moyenne et faible valeur ajoutée
Du fait de leur souplesse, du confort apporté aux patients et de leur réponse à de multiples fonctionnalités (effet
barrière, contention, renfort, biocompatibilité…), les textiles sont présents sur tous les marchés de la santé, pour
soigner, pour assurer l’hygiène et le confort des patients, pour lutter contre les contaminations, protéger les
personnes âgées et handicapées, surveiller les pathologies chroniques et pour favoriser le maintien à domicile…
Ainsi, le marché des textiles pour la santé et le bien-être apparaît vaste et hétérogène, tant en termes de valeur
ajoutée, d’innovations que de durée d’utilisation, de réglementation et de temps de mise sur le marché. Cinq
domaines d’application sont généralement distingués :
- Les dispositifs médicaux textiles stricto sensu : fils de suture, pansements, orthèses et textiles
compressifs, bas de contention, patches, prothèses utilisées dans la chirurgie des tissus mous, implants et
stents à base de textiles…
- Les textiles pour la protection et l’hygiène : linge hospitalier, vêtements et accessoires pour le personnel
médical, matelas anti escarres, produits d’hygiène hospitaliers (non tissés jetables ou lavables)
- Les textiles dans les dispositifs de diagnostic et de surveillance : intégration de capteurs (détection de
signaux physiologiques ou biomécaniques), d’actuateurs (stimulation de certaines fonctions, aide au
mouvement, délivrance de médicaments), communication d’informations
- L’aide à la personne (produits permettant le maintien à domicile en complément des dispositifs de diagnostic
et de surveillance) : lits, fauteuils, tapis anti-chutes, vêtements pour personnes âgées et/ou handicapées…
- Les texticaments ou « drug delivery textiles » : microencapsulation (application médicale des
cosmétotextiles), imprégnation, stents « drug eluting »
Au sein de chaque application, certains segments sont matures en Europe et aux Etats-Unis, avec des prix tirés
vers le bas par une vive concurrence : il en est ainsi pour les non-tissés de grande consommation (produits
d’hygiène, couches, serviettes), pour le linge hospitalier ou pour les pansements courants. A contrario, tous les
domaines d’application développent des produits à haute valeur ajoutée : c’est le cas des pansements de
« nouvelle génération », avec l’encapsulation de principes actifs permettant la délivrance progressive de
molécules médicamenteuses, ou avec l’intégration de polymères bioactifs destinés à résister à la croissance de
micro-organismes potentiellement dangereux.
L’offre de stents, dominée par les produits métalliques, bénéficie également d’une croissance significative de la
demande de stents textiles bioabsorbables.
Le marché français des bas de contention s’avère de son côté très dynamique, avec 7,5 millions de paires
vendues par an et un chiffre d’affaires de 296 millions d’euros (dont 202 millions remboursés). Le marché des
orthèses orthopédiques est également porté par le vieillissement de la population. La concurrence conduit les
acteurs à améliorer les bénéfices clients de leurs produits en améliorant le confort (souplesse, toucher, contact
avec la peau), le design ainsi que les caractéristiques fonctionnelles (encapsulation d’anti-inflammatoires).
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La santé est souvent citée comme particulièrement concernée par le développement des « smart textiles », ou
textiles intelligents : les pathologies liées au vieillissement de la population et à l’évolution des modes de vie
(surpoids, maladies chroniques) ainsi que les menaces de pénurie de personnel soignant nécessitent la mise en
place de dispositifs et d’accessoires de diagnostic et de surveillance. Le marché mondial des textiles intelligents
est aujourd’hui émergent, les estimations les plus optimistes faisant état de 1,8 milliard de dollars en 20153,
(moins de 0,5 % du marché mondial des textiles) et la majorité des produits disponibles restent à l’état de
prototypes. Les principales applications concerneraient les marchés militaires (30 % du CA mondial), les
vêtements de sport (15 %) et les transports (10 %)4. La santé ne représenterait encore que 6 % des utilisations,
mais s’affirme comme l’un des débouchés les plus prometteurs, comme l’atteste l’envolée des publications
mondiales sur le sujet.
Enfin, l’ingénierie tissulaire utilise des textiles à base de polymères biodégradables comme substrat pour
l’implantation de cellules souches humaines mais n’en est encore qu’à ses balbutiements.
Un marché extrêmement réglementé
Comme celui du médicament, le marché des dispositifs médicaux est extrêmement réglementé. Dans la
réglementation européenne, quatre classes sont définies selon le profil de risque du produit (I, IIa, IIb, III) : ainsi
la classe I correspond à des produits non ou peu invasifs (fauteuils roulants, lits d’hôpitaux, bandes de
contention), la classe III à des produits soit en contact avec le système nerveux central, le cœur ou le système
sanguin, soit à effet biologique, soit fabriqués à partir d’un tissu d’origine animale ou avec un médicament (par
exemple certains stents coronaires actifs, ou les prothèses de hanche…).
Obligatoire pour commercialiser un produit en Europe, le marquage CE est obtenu, pour une durée de cinq ans,
après plusieurs étapes selon la classification du produit (études cliniques pour les produits à risque élevé). Pour
commercialiser un produit aux Etats-Unis, tout fabricant ou distributeur doit recevoir l’autorisation de la Food and
Drug Administration (FDA), sachant que la procédure de certification FDA est jugée fréquemment comme plus
coûteuse et plus contraignante que le marquage CE. Enfin, au Japon, le processus réglementaire d’approbation
d’un dispositif médical est souvent décrit comme le plus lent des pays industrialisés.
La domination des acteurs américains au niveau mondial
L’analyse des dépôts de brevets depuis l’année 2008 concernant les textiles de santé5 révèle la large domination
des entreprises américaines, devant les acteurs japonais et allemands qui occupent des positions proches
(graphique 2). La France se situe à la quatrième place, avec cependant un gap important face à l’Allemagne et
au Japon (plus de 2 fois moins de brevets déposés par an). Le Royaume-Uni et la Suisse occupent les cinquième
et sixième places. Concernant l’Asie hors Japon, la Corée et Taiwan devancent la Chine qui occupe la quinzième
place. Les grands acteurs mondiaux de l’hygiène et des produits jetables étant très présents dans ce classement
(Propter & Gamble, Covidien, Unicharm, 3M, Henkel…), les non-tissés s’inscrivent largement en tête des motsclefs et des descriptifs des brevets analysés.
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TKM (TecKnowMetric) rapport Dimetex - 2008
Intertechpira
5 Recherche IFTH – octobre 2013
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Une coexistence de filiales de groupes et de PME en France
Sur la même période 2008-2013, l’analyse des brevets dont le dépôt initial est effectué en France place L’Oréal
largement en tête, devant Sofradim, filiale du groupe américain Covidien. Les autres acteurs reconnus pour leur
spécialisation dans les textiles de santé appartiennent à l’univers des ETI (Urgo, Innothera, Thuasne), et des
PME (Gibaud, Cousin Biotech). Parmi les autres déposants de brevets, il faut citer Millet Innovation, spécialiste
des produits de podologie, et Zodiac Automotive, dont une division est spécialisée dans la conception de
matériaux à base de silicone pour des applications médicales. Le spécialiste des géotextiles MDB Texinov réalise
également certains développements textiles tandis que le groupe chimique Arkema est actif en matière de R&D
sur la plupart des grands marchés utilisant ses produits, dont le secteur médical. Le groupe Oxylane (enseigne
Décathlon) a également déposé deux brevets liés aux textiles médicaux sur la période étudiée. Enfin, la France
se distingue par la présence de centres de recherche institutionnels parmi les détenteurs de brevets, à l’instar du
CNRS, du CEA, de l’INSERM, d’hôpitaux et d’universités.
Les mots-clefs décrivant les brevets dont le dépôt initial est la France reflètent la spécialisation des acteurs
français les plus actifs : « cosmétique », « fibre kératine », « colonisation cellulaire », « bandages »,
« cicatrisation »…
Si les barrières réglementaires et le délai de retour sur investissements rendent les financements difficiles pour
les PME, le secteur n’en est pas moins caractérisé par la création ou l’essaimage de start-up autour d’une
innovation. Certaines entreront par la suite dans le giron d’un groupe, les majors mondiales multipliant les
opérations de croissance externe afin d’acquérir de nouvelles compétences.
La convergence des technologies et le développement de la R&D collaborative
Pour créer les produits du futur, les acteurs des textiles de santé doivent développer les partenariats scientifiques
et industriels associant différentes technologies : chimie et sciences des matériaux, biotechnologies,
électronique, nanotechnologies, informatique… La recherche médicale a été à l’origine de développements
majeurs dans le traitement de gros volumes de données (par exemple pour le décodage du génome humain) et
le secteur de la santé est particulièrement concerné par la collecte et l’exploration des Big Data. A ce titre, les
leaders des équipements numériques et du traitement de l’information (Philips, IBM, Samsung, Apple, Microsoft,
Facebook, Google…) multiplient les initiatives pour pénétrer les marchés de la santé à l’échelle planétaire. Ils
pourraient menacer à ce titre le leadership des majors spécialisées dans la santé.
La R&D collaborative est indispensable pour développer les synergies entre les acteurs. En France, c’est
notamment le rôle des pôles de compétitivité, rassemblant des PME, des groupes et des établissements de
formation. Au sein des 34 plans définissant les priorités de la politique industrielle française, quatre axes offrent
des opportunités pour la conception des textiles de santé du futur : les Textiles techniques et intelligents, l’Hôpital
numérique, les dispositifs médicaux et nouveaux équipements de santé, les Objets connectés. Au niveau
Européen, Horizon 2020, le programme de financement de la recherche et de l'innovation pour la période 20142020, définit « la santé, le bien-être et le vieillissement » comme le premier défi sociétal.
Des défis majeurs à relever
Face au vieillissement des populations et au creusement des déficits des systèmes d’assurance santé, les taux
de remboursement des produits ont tendance à diminuer en Europe comme aux Etats-Unis.
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Traversé par de fortes tensions, l’écosystème de la santé est voué à activer différents leviers :
- L’accroissement de l’efficience du système de soin, en faisant appel aux technologies numériques, en
décloisonnant les approches par spécialités et en faisant pression sur les prix,
- La prévention des pathologies chroniques, en développant des solutions de monitoring,
- Le maintien des personnes à domicile et l’encouragement de la médecine ambulatoire,
- La personnalisation des solutions de soin en fonction des besoins de chaque patient.
Plus généralement, les textiles de santé à valeur ajoutée vont accroître leur part de marché s’ils remplissent la
promesse que le surcoût créé par l’achat initial du produit ou du dispositif médical innovant sera largement
compensé ensuite par une baisse des coûts de suivi des patients et par une diminution des risques d’aggravation
des pathologies, tout en améliorant le bien-être des populations concernées.
Pour les textiliens désirant développer une offre dans le domaine de la santé, il s’agit de faire le pont entre les
contraintes industrielles et le milieu médical en pleine évolution. La réussite impose de s’en donner les moyens
dès le départ. Trop souvent des PME textiles abordent les marchés de la santé pour se diversifier face au déclin
de certains de leurs débouchés historiques, mais peuvent rapidement griller leurs premières cartouches faute de
préparation aux exigences du secteur médical. A contrario, les entreprises qui développent des produits ou
process innovants, s’inscrivant dans une « stratégie thérapeutique » en liaison avec la demande, pourront
conquérir des marchés de taille petite ou moyenne mais à haute valeur ajoutée, avec une bonne profitabilité.
Evelyne Chaballier – IFM
[email protected]
Article tiré de l’étude réalisée par l’Observatoire des Textiles Techniques « Le marché des textiles de santé :
Panorama et perspectives ». Cette étude s’appuie sur la réalisation par l’IFTH d’une veille et d’un diagnostic sur
les tendances marchés et les innovations (Maurice Calonnier - [email protected])
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Graphique 1 : Les dépenses de santé par pays - 2011 (source OCDE)
Graphique 2 : la propriété intellectuelle (extraction Monde et calculs IFTH)
Dépôts de brevets 2008-2013 concernant les textiles de santé
Nombre de brevets selon la nationalité du déposant
1252
Etats-Unis
356
339
Japon
Allemagne
144
99
88
60
52
46
41
41
40
33
30
28
France
Grande-Bretagne
Suisse
Suède
Corée
Pays-Bas
Canada
Italie
Taïwan
Israêl
Danemark
Chine
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200
400
600
800
1000
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