Le SME
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Le SME
1 Chapitre 6 : L’intégration monétaire de l’Europe Introduction : Les liens généraux entre intégration commerciale, monétaire et politique. Chronologie : 1958 : Accord monétaire européen : marges de fluctuation de +/- 0.75% vis à vis du $ 1961 : Robert MUNDELL développe la théorie des ZMO 1969 : plan BARRE 1970 : rapport WERNER 1972 : création du serpent monétaire européen et du FECOM 1976 : le franc quitte définitivement le serpent monétaire européen 1979 : entrée en vigueur du SME avec 8 monnaies 1987 : Accords de NYBORG : les interventions infra marginales deviennent multilatérales 1989 : adoption du plan DELORS sur l’Union Economique et Monétaire en 3 étapes ; entrée de la peseta dans le SME 1990 : rapport EMERSON sur les gains potentiels de la monnaie unique ; libéralisation des mouvements de capitaux en Europe ; réunification allemande ; entrée de la livre dans le SME 1992 : signature du traité de MAASTRICHT ; la lire et la livre quittent le SME 1993 : crise du SME et élargissement des bandes de fluctuations à +/- 15% 1995 : entrée du schilling autrichien dans le SME ; nom d’euro officiellement adopté 1996 : entrée du mark finlandais dans le SME, retour de la lire italienne 1997 : adoption du Pacte de stabilité et de croissance ; retour de la lire dans le SME 1999 : création de l’euro 2001 : entrée de la Grèce dans la zone euro 2002-2003 : la France et l’Allemagne affichent un déficit public supérieur à 3% du PIB 2007 : entrée de la Slovénie dans la zone euro 2008 : entrée de Chypre et Malte dans la zone euro 2009 : entrée de la Slovaquie dans la zone euro 2011 : entrée de l’Estonie dans la zone euro 2011 : décote de 50% de la dette grecque 2012 : le taux de chômage en Espagne atteint 25% I – L’échec du serpent monétaire européen : 1972-1978 A – Les origines : les plans Barre et Werner B – La raison immédiate de sa mise en place : éviter la désorganisation de la PAC C – Le fonctionnement : mécanismes, causes de l’échec, enseignements II – Le succès relatif du Système Monétaire Européen : 1979-1999 A – Les mécanismes du SME : des taux de change fixes mais ajustables, l’écu, les interventions des banques centrales, les mécanismes de solidarité B – Le bilan : désinflation, baisse relative de l’instabilité des changes, domination monétaire de l’Allemagne, faible croissance III – La marche vers l’Union Economique et Monétaire A – Pourquoi passer du SME à la monnaie unique ? B – Les 3 étapes de l’accession à la monnaie unique C – Les avantages et les coûts potentiels de la monnaie unique IV – La zone euro : une zone monétaire optimale ? A – Les critères des ZMO appliqués à la zone euro B – Les leçons de l’histoire : l’union politique précède l’union monétaire C – La tentative de coordination des politiques budgétaires par le Pacte de stabilité V - L’euro : notre monnaie et notre problème A – Un premier bilan de l’euro B - La crise en zone euro : les origines C – La gestion de la crise de la zone euro Conclusion L’élargissement de la zone euro 1 2 Bibliographie: • ElieCOHEN,Latentationhexagonale,Fayard,1996,chapitre7. • AlainCOTTA,Sortirdel’eurooumouriràpetitfeu,Plon,2010. • MichelDEVOLUY,L’Europemonétaire,Hachette,1996. • PaulKRUGMAN,Economieinternationale,DeBoeck,1995,chapitre21. • Jean-PierrePATAT,L’Europemonétaire,Ladécouverte,1990. • PascalRICHEetCharlesWIPLOSZ,L’unionmonétairedel’Europe,Seuil,1993. • Jean-JacquesROSA,L’erreureuropéenne,Grasset,1998. • Jean-MarcSIROEN,Larégionalisationdel’économiemondiale,Ladécouverte,2004, chapitreV. • JérômeTROTIGNON,Economieeuropéenne,Hachette,1997. Date d’entrée des pays dans la zone euro : 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 Allemagne Autriche Belgique Espagne Finlande France Irlande Italie Luxembourg Pays-Bas Portugal 1999 1999 1999 1999 1999 1999 1999 1999 1999 1999 1999 12 13 14 15 16 17 Grèce Slovénie Chypre Malte Slovaquie Estonie 2001 2007 2008 2008 2009 2011 Membres du MCE II : Danemark, Estonie, Lettonie, Lituanie. Non membres du MCE II : Royaume-Uni, Suède, Hongrie, Pologne, République tchèque, Bulgarie, Roumanie. 2 3 Citations : Une monnaie continentale ayant pour point d’appui le capital Europe tout entier et pour moteur l’activité libre de 200 millions d’habitants. Cette monnaie unique remplacerait et résorberait toutes les absurdes variétés monétaires d’aujourd’hui, effigies de princes, figures de misères, variétés, qui sont autant de cause d’appauvrissement. Victor Hugo, 1855. « L’Europe se fera par la monnaie ou ne se fera pas » Jacques Rueff, 1951 Ce qui est utile aux citoyens, ce n’est pas une monnaie unique, ce sont de bonnes monnaies, c'est-à-dire essentiellement des monnaies non inflationnistes. Pascal Salin. La vérité sur la monnaie, 1990. « Il y a une chose dont je suis sûr : une monnaie unique (…) remplaçant toutes les autres monnaies européennes n’existera pas encore à la fin du vingtième siècle ». Milton Friedman, La monnaie et ses pièges, 1992 « Traité de Maastricht ou non, le climat économique et politique en Europe au milieu des années 1990 rend peu vraisemblable la réalisation de l’Union au cours de ce siècle ». Paul Krugman, 1994. Nous aurons davantage de croissance, davantage d’emplois et nous lutterons mieux contre le chômage grâce à la monnaie unique Jean-Claude Trichet, 1996. Des parités immuables sont dangereuses si les conditions économiques divergent entre pays membres, ce qui se produit un jour ou l’autre. Jean-Jacques Rosa, 1998 En fin de compte, cette construction à l’allure technocratique et progressant sous l’égide d’une sorte de despotisme doux et éclairé, doit se transformer dans un projet porteur de sens. Jacques Delors, Cathédrale de Strasbourg, 1999. « Une union monétaire bien gérée, incluant aujourd’hui la plupart des pays de l’Union européenne, demain la plupart des pays européens, engendrera un énorme bénéfice non seulement pour les Européens, mais aussi pour le reste du monde, y compris les Etats-Unis1 ». « Soyez sûrs que l’introduction de l’euro aura un impact extraordinaire bénéfique sur le développement des transactions commerciales en Europe. Et donc sur vos économies2. » Robert Mundell Je sais très bien que le Pacte de stabilité est stupide, comme toutes les décisions qui sont rigides. Romano Prodi, Président de la Commission européenne, 2002. On ne peut pas faire coexister dans un système de taux de changes fixes des pays qui ont des productivités différentes. Charles Gave, JDF, 1/12/2010 La bataille menée par le gouvernement pour tenter de sauver l’euro est une bataille perdue, il faut avoir l’honnêteté de le reconnaître. A force de nier la réalité, de vivre dans le déni, on ne s’est résolu que sur des montants trop faibles, engagés tardivement. Jacques Sapir, US Magazine, supplément au n°714 du 14 novembre 2011. Les premiers pays qui quitteront l’euro s’en sortiront le mieux. Joseph Stiglitz, 31/01/2012. 1 2 Wall Street Journal, mars 1998. Capital, janvier 2000, p. 147. 3 4 Introduction : Le lien entre intégration commerciale et intégration monétaire - l’intégration commerciale et l’intégration monétaire de l’Europe apparaissent comme des phénomènes complémentaires : en effet, l’intensification du commerce appelle une certaine stabilité des taux de change - l’intégration commerciale semble précéder l’intégration monétaire : au départ, l’Europe s’est d’abord construite en délaissant la dimension monétaire. Le traité de la CEE en 1957 organisait la libre circulation des marchandises mais ne prévoyait pas la création d’une union monétaire. Celle-ci ne paraissait pas indispensable car la stabilité monétaire était vérifiée dans les faits en raison des accords de Bretton Woods. Seule exception : l’Accord monétaire européen mis en place en 1958 prévoyait que les fluctuations des monnaies européennes vis à vis du $ ne dépassent pas +/-0.75%. Le lien entre intégration monétaire et intégration politique L’histoire économique nous propose des exemples d’union monétaire (EU, Allemagne au 19ème siècle) mais dans les deux cas l’union politique précède l’union monétaire. Différent est le cas de l’UEM (Union économique et monétaire) en Europe car il n’y pas de gouvernement européen. D’où de multiples interrogations sur le succès de l’UEM. Comment alors expliquer l’intégration monétaire européenne ? Quelles sont ses origines historiques ? Quelle est son mode de fonctionnement ? sa pertinence ? I) L’échec du serpent monétaire européen (1972-1978) A) L’intégration monétaire, une idée dans l’air du temps à la fin des années 1960 : le plan Barre et le rapport Werner A la fin des années 1960, le système monétaire international devient instable, certains pays devant dévaluer ou réévaluer leur monnaie. Dans ce contexte, les pays européens souhaitent une plus grande stabilité des taux de change pour faciliter les échanges commerciaux dans la CEE et pour se détacher de l’influence du dollar. En 1969, la Commission européenne a présenté un plan (le « Plan Barre ») concrétisant l’idée d’une monnaie unique, car le système de Bretton Woods montrait des signes de tensions croissantes. Les chefs d’État ou de gouvernement ont demandé au Conseil des ministres de définir, sur la base du Plan Barre, une stratégie en vue de la réalisation d’une Union économique et monétaire (UEM). Le plan Barre propose d’ajouter une coordination monétaire à la coordination économique. Le Rapport Werner qui s’en est suivi et qui fut publié en 1970 proposait la création d’une UEM en plusieurs phases à l’horizon de 1980. Il préconise la mise en place d’une union économique et monétaire en trois étapes, le remplacement des monnaies nationales par une monnaie unique, l’harmonisation des politiques économiques, la création d’un fonds européen de coopération monétaire, la libération des mouvements de capitaux. Ce rapport Werner fut accepté comme base de travail par les 6 pays de la CEE, mais il suscita des craintes et des réserves du côté français (le gouvernement français préfère accepter l’entrée du RU que la monnaie commune) et du côté allemand (peur d’importer de l’inflation). 4 5 Deux points de vus s’affrontent : la RFA considère que la lutte contre l’inflation est un préalable à l’union monétaire, redoutant un système qui exonérerait les pays laxistes de toute sanction ; la France pense qu’en progressant dans la voie d’une union monétaire les politiques pourront s’harmoniser. Ces 2 conceptions se retrouveront en permanence dans tous les débats sur la question. Seule la volonté politique de progresser vers l’union monétaire parviendra à surmonter les divergences. La crise du SMI va obliger à tout repenser. B – La raison immédiate de sa mise en place : éviter la désorganisation de la PAC En décembre 1971, les accords de Washington augmentent les marges de fluctuation entre le dollar et les autres monnaies du système de Bretton Woods à +/- 2,25%. Cet élargissement des écarts présente un inconvénient : l’écart instantané entre deux monnaies européennes peut aller jusqu’à 4,5% si une monnaie est au plancher et l’autre au plafond, et en cas d’inversion des positions l’écart peut atteindre 9% (phénomène du cumul des marges). Or ces fluctuations de taux de change portent préjudice au fonctionnement de la PAC (Politique Agricole Commune). La PAC garantit aux agriculteurs de la CEE un prix minimum pour leurs produits. Les débuts de la PAC s’inscrivent dans une période de stabilité internationale des changes. Après la dévaluation de franc le 10 août 1969, l’agriculture française devient plus compétitive que l’agriculture allemande. Ainsi sont institués en 1969 des MCM (Montants compensatoires monétaires) destinés à compenser cet effet en créant une taxe à l’exportation pour les produits français et une subvention à l’importation pour les produits allemands. Après la réévaluation du DM le 27 octobre 1969, un mécanisme symétrique est mis en place : une taxe à l’importation et une subvention à l’exportation. Cet instrument devait être transitoire. Il sera utilisé plus de 20 ans. Résumons : les montants compensatoires permettent d’assurer l’unicité des prix agricoles européens en contrepartie d’une neutralisation des effets des dévaluations et réévaluations. Schéma des montants compensatoires Ajustement monétaire Type de MC Rétablissement de l’unicité des prix France Dévaluation MCM négatifs Taxe à l’exportation + Subvention à l’importation RFA Réévaluation MCM positifs Subvention à l’exportation + Taxe à l’importation La crise du SMI conduit à développer ces MCM et les généraliser à l’ensemble des pays. Mais ces mesures sont complexes, coûteuses. Et aussi inéquitables : les prix des consommations intermédiaires évoluent sans mécanisme correcteur, les agriculteurs français connaissent l’inconvénient de la dévaluation (la hausse des prix des inputs) sans ses avantages (la baisse du prix des exportations), ce qui attise la rancœur des agriculteurs français. Pour diminuer ces MCM, les pays de la CEE ont décidé de diminuer les variations de change. Comme m’indique Paul Krugman, la solution de 1er ordre eut été d’abandonner la PAC. 5 6 C – Le fonctionnement : mécanismes, causes de l’échec, enseignements Les accords de Bâle du 10 avril 1972 mettent en place le serpent monétaire européen entre les pays membres de la CEE, rejoints pour quelques semaines seulement par le RU, l’Irlande et le Danemark. L’entrée en vigueur aura lieu le 24 avril. Il est décidé que l’écart instantané entre 2 monnaies de la CEE, par rapport à la grille des cours officiels bilatéraux, ne peut excéder 2,25% (donc la marge est de +/-1.125%). Cela réduit de moitié la variation possible des taux de change. En même temps, les monnaies participantes doivent respecter individuellement la marge fixée au niveau mondial par rapport au $ de +/-2,25%, soit 4,5% au total.. C’est cette double contrainte qui fait évoquer l’image du « serpent dans le tunnel » : le serpent d’une épaisseur de 2.25% se déplace à l’intérieur d’un tunnel d’une largeur de 4.5%. - le tunnel représente la première contrainte : chaque monnaie doit rester dans le cadre de +/-2,25% par rapport à sa parité officielle avec le $ - le serpent illustre la deuxième contrainte : deux monnaies européennes sont tenues de respecter la marge maximum de 2,25%. Le système repose sur l’action des banques centrales de la CEE, qui ont l’obligation d’intervenir sur le marché des changes. Des crédits à court terme entre les banques centrales sont prévus pour permettre le soutien des cours. Ces interventions menées dans le cadre du fonctionnement du serpent sont coordonnées par le Fonds Européen de Coopération Monétaire (FECOM) créé en octobre 1972 et en activité à partir de juin 1973. Cours en dollar = nombre de dollars par franc ou par mark Le serpent monétaire européen PLAFOND Mark +2.25% Axe du tunnel -2.25% Le franc sort du serpent PLANCHER Franc Avril 1972 Mars 1973 6 7 Les causes de l’échec : A partir de mars 1973, suite à une nouvelle dévaluation du $ en février 1973, les pays européens décident de laisser flotter leur monnaie vis à vis du $. Inconvénient : il n’y a plus de tunnel ni d’axe de parités. Le serpent sort du tunnel. Dès lors, le serpent devient tributaire de la monnaie la plus forte : le DM. Or, le flottement du dollar et sa dépréciation tirent le DM vers le haut (il est en permanence sur le dos du serpent comme le montre le schéma précédent) et la RFA refuse d’aider les monnaies les plus faibles. De plus, le 1er choc pétrolier accentue les divergences de taux d’inflation et de déficit extérieur : la RFA s’en sort mieux que France. En outre, des politiques économiques divergentes nuisent au maintien de parités stables. Comme on lie les monnaies et non le reste de la politique économique, les taux d’inflation diffèrent. Entre 1974 et 1979, le taux d’inflation moyen en France a été de 11% par an, celui de la RFA de 4,6%. La £ anglaise et la lire s’en retirent dès 1972. Le franc le quitte en janvier 1974, pour le rejoindre en juillet 1975 et s’en écarter définitivement en mars 1976 (relance Chirac en 1975). Fin 1978, le serpent se limite à une zone DM qui regroupe la RFA, les 3 pays du Bénélux et le Danemark. Le flottement du franc provoqua la réaction suivante de F. Mitterrand : « La politique française vient de s’aligner sur la politique américaine, on est retourné à la jungle monétaire ». Les enseignements de l’échec du serpent : • l’incapacité des pays européens à harmoniser leur politique économique. • l’asymétrie des interventions : ce sont les pays dont la monnaie se déprécie qui sont tenues de réagir. Exemple : c’est la France qui devait intervenir pour défendre un franc trop faible et non la RFA pour contenir un mark trop fort => épuisement des réserves de la Banque de France. Malgré des débuts très hésitants, cette coopération monétaire sera poursuivie par le SME à partir de 1979 qui modifiera le fonctionnement du serpent sur 2 points essentiels : l’asymétrie des charges de l’ajustement et l’absence d’axe de parité (ECU). L’histoire nous enseigne donc que l’intégration monétaire ne se fait pas en un jour et passe par des échecs. 7 8 II) Le succès relatif du système monétaire européen : 1979-1999 Le SME fut conjointement proposé aux pays européens pas le Chancelier H. SCHMIDT et le Président GISCARD. Il fut approuvé au sommet de Brême en juillet 1978 et entrera en application le 13 mars 1979. C’est une étape cruciale dans la construction européenne : il succède au serpent monétaire et il précède la monnaie unique. Il a été conçu sous l’impulsion du couple franco-allemand dans un contexte de flottement des monnaies et de forte inflation. La coopération monétaire a pour but d’établir une zone de stabilité en Europe. Son succès n’était pas du tout assuré au départ : en 1979, les taux d’inflation allaient de 2.7% en RFA à 12.1% en Italie. Son existence est le résultat d’une volonté politique : la France accepte de se rapprocher des conceptions allemandes en matière de politique économique et de faire rentrer le franc dans une zone mark alors que la RFA se résignait à la coopération monétaire. Les politiques monétaires adhéraient à « l’ardente obligation » européenne. En combinant les politiques de coopération et les réalignements, le SME à réussit à survivre et même à s’étendre, s’adjoignant l’Espagne en 1989, le RU en 1990, le Portugal en 1992. Il a survécu à la grave crise monétaire de 1992/1993 qui a vu la sortie du RU et de l’Italie, puis l’élargissement des marges de fluctuation. Sa disparition semble être plutôt la preuve de son succès puisqu’il s’effacera devant la monnaie unique, aboutissement de la logique de coopération. Le SME peut être considéré comme l’antichambre de l’euro. A) Les mécanismes du SME : Le SME en bref : Le SME comporte une grille de parités dans laquelle la valeur de chaque monnaie est exprimée en chacune des autres. Une monnaie peut s’éloigner de son taux pivot à condition que l’écart ne dépasse pas 2,5%. Quand une monnaie s’affaiblit au point de descendre à son cours plancher, la Banque centrale est obligée d’intervenir en la rachetant sur le marché, en principe en utilisant une autre monnaie du SME, mais dans la réalité le plus souvent en vendant du dollar, ce qui est normal puisque les perturbations ont souvent pour origine les mouvements de la devise américaine. La Banque centrale d’une monnaie forte a l’obligation inverse d’empêcher sa devise de crever son plafond. Mais vendre sa propre monnaie, pour racheter celle qui s’affaiblit, consiste à faire crédit à la Banque centrale émettant cette dernière. Ce système n’exclut nullement les changements de parité, qui sont décidés de concert. 1) Des taux de changes fixes mais ajustables : Le SME est un système régional de changes fixes mais avec une marge de fluctuation de +/-2,25% entre chaque monnaie. En 1979, les marges furent fixées à +/- 2,25%, sauf pour la lire italienne bénéficiant d’une marge de +/- 6% (le « boa ») jusqu’en 1990. Plus tard la peseta (1989), la £ (1990) et l’escudo (1992) bénéficieront d’une marge de +/- 6%. Depuis août 1993, ces marges ont été élargies à +/- 15%. Les cours pivots officiels doivent être défendus par des interventions des banques centrales sur les marchés des changes. Lorsque ces interventions ne parviennent plus à maintenir les parités dans les limites fixées, on procède à un réalignement monétaire, sous la condition d’un accord unanime entre participants. 8 9 Le graphique suivant montre 5 taux pivots différents ayant prévalu entre le franc et le mark entre 1979 et 1984. Il montre aussi incidemment la perte de valeur du franc par rapport au mark sur la période. 2) La naissance de l’ECU : ECU signifie unité de compte européenne (European Currency Unit). Il reprend la composition de l’ancienne unité de compte européenne (UCE) créée en 1975. C’est aussi la monnaie d’or qui a circulé en Europe aux 16ème et 17ème siècles. L’ECU aura 2 fonctions : - étalon : utilisé dans le calcul de la grille des parités, dans l’indicateur de divergence - instrument de règlement entre banques centrales L’ECU se définit comme un panier de monnaies : sa valeur est calculée sur la base d’une formule où intervient la valeur de chaque monnaie des pays de la CEE. Ainsi, au 13 mars 1979, le jour de son apparition, l’ECU valait officiellement : 1ECU = 0.828DM +1.15FF +0.0885£ +10.9LI +0.286FL +3.66FB + 0.14FLUX +0.217DKR + 0.00759£IR 9 10 Pour chaque pays, cette pondération est déterminée par son PIB, son poids dans le commerce intra-européen et sa quote-part dans le mécanisme de soutien monétaire. En 1979, le DM contribuait à hauteur de 33%, le franc 20%, la £ 13%, le florin et le franc belge 10%. Bien que le RU n’adhère pas au départ au SME, la £ entre dans la composition de l’ECU et influence sa valeur. En 1979, 8 monnaies participent au SME. La peseta rentre en 1989 et l’escudo en 1992. Le schilling autrichien et le mark finlandais rentrent respectivement dans le SME en 1995 et en 1996, sans rentrer dans la composition de l’ECU. La lire sortira entre 1992 et 1996. La drachme grecque ne rentre qu’en 1998. Suite au gel de la composition de l’ECU au 1er novembre 1993, conformément au traité de Maastricht (article 109 G), la pondération n’a plus été modifiée. Chaque monnaie a un taux pivot c’est à dire une parité en ECU. Par exemple, 1ECU= 6,40 francs au 6/03/1995. A partir de l’ensemble de ces taux pivots, on peut calculer les taux pivots bilatéraux de chaque couple de monnaie : par exemple, 1ECU=6,40FF=1,91DM, le cours pivot bilatéral du DM en franc est de : 1DM= 6,40/1,91= 3,35. Les cours pivots peuvent être révisés mais avec l’accord unanime des autres pays (ce qui n’était pas exigé dans le serpent). Il est vrai que la référence à l’ECU implique que toute modification d’une parité entraîne automatiquement celle de toutes les autres. 3) la recherche d’une répartition équilibrée des charges d’intervention des banques centrales Il faut ici distinguer les cours pivots bilatéraux et les cours pivots par rapport à l’écu. * Le maintien des cours pivots bilatéraux impose des interventions symétriques de la part des banques centrales, puisque deux monnaies sont directement et automatiquement concernées. Par exemple, si le franc se déprécie par rapport au DM, les banques centrales française et allemande doivent acheter des francs et vendre des DM. Les textes prévoient explicitement que les interventions en monnaies nationale (en non en ECU) des pays participants sont obligatoires lorsque les plafonds ou les planchers sont atteints. Les charges d’intervention sur les marchés des changes sont réparties entre tous les pays participants. En apparence car les pays à monnaie faible doivent puiser dans leurs réserves ou s’endetter alors que les pays à monnaie forte accumulent des devises. * Le maintien du cours pivot en écu pose une question un peu différente. Pour éviter ces interventions aux limites des bandes de fluctuation, le SME prévoit un mécanisme d’alerte qui se déclenche lorsque le taux de change franchit un seuil de divergence. Le seuil de divergence représente 75% de l’écart maximal de divergence de chaque monnaie par rapport à l’ECU. Supposons que le franc atteigne sa limite de fluctuation de 2.25% vis à vis de toutes les autres monnaies du panier. Puisque le franc ne fluctue pas avec lui-même, l’écart avec le cours pivot en ECU est inférieur à 2.25%. En prenant le franc en 1989 dont le poids est de 19% : L’écart maximal de divergence entre le franc et l’ECU est de : 2,25%(1 – 0.19) = 1.823 Le seuil de divergence est alors de : 0,75% × 1,823 = 1,36%. Par conséquent, la Banque de France devra intervenir lorsque le cours de l’écu en franc s’écarte de +/- 1,36% du cours officiel. Les calculs effectués pour le DM donnent +/- 1,13%. C’est ce seuil de divergence, véritable signal d’alarme, qui a été qualifié de « serpent à sonnettes ». Le pays qui franchit ce seuil est présumé responsable et doit intervenir sur le marché des changes. Lorsque les cours plafond ou plancher sont atteints, les interventions sont dites marginales, sont obligatoires et doivent être effectuées dans les monnaies communautaires concernées. Lorsque les interventions ont lieu avant que le seuil de divergence ne soit atteint, 10 11 elles sont dites infra marginales, ne sont pas obligatoires et peuvent être effectuées dans des monnaies non participantes, généralement en $. Dans les interventions infra marginales, de 1979 à 1987, l’effort était asymétrique car il reposait uniquement sur le pays à monnaie faible. Depuis les accords de NYBORG (Danemark) de 1987, les interventions infra marginales sont multilatérales, à la demande du pays à monnaie faible. Dans la pratique, le seuil de divergence a été peu utilisé pour 2 raisons : - les mesures à appliquer en cas de franchissement du seuil sont moins impératives, il joue comme un signal, c’est à dire qu’il n’oblige pas à une action automatique quelconque. - les seuils bilatéraux peuvent être atteints avant le seuil de divergence. Par exemple, le franc peut être à son cours plancher face au DM sans pour autant franchir son seuil de divergence avec l’écu. 4) Les mécanismes de solidarité : Lorsqu’une banque centrale veut soutenir sa monnaie contre une autre devise, elle doit vendre cette devise et acheter sa propre monnaie. Si elle ne possède pas suffisamment de réserves de cette devise, elle peut les obtenir de diverses manières : - Les crédits à très court terme entre banques centrales sont illimités. Les banques centrales sont tenues d’accorder un crédit (dans leur monnaie) en principe illimité aux pays en difficulté dont la monnaie atteindrait le plancher. A l’origine, ces crédits ne concernaient que les interventions marginales et devaient être remboursés au bout de 45 jours. Depuis l’accord de Nyborg de 1987, ces crédits peuvent porter sur des interventions intra marginales et leur durée est portée a été portée à 75 jours. - Les crédits à court terme du FECOM : ils sont plafonnés car proportionnels à la quote-part de chaque pays auprès du FECOM, elle-même fonction des dépôts obligatoires en or et en $. A l’origine, la durée des crédits était de 3 mois renouvelable 1 fois et leur montant était plafonné à hauteur de la quote-part. Depuis les accords de Nyborg, la durée maximum est de 9 mois et leur montant maximal est de 2 fois le montant de la quote-part. - Les crédits financiers à moyen terme, de 2 à 5 ans, en cas de crise grave de la balance des paiements, assortis de condition de politique économique. Le FECOM : L’ensemble de ces sommes libellées en ECU transite par le FECOM (Fonds Européen de Coopération monétaire). Son conseil d’administration est composé des gouverneurs des banques centrales et d’un membre de la Commission. Les banques centrales de chaque Etat membre sont obligées de déposer au FECOM au minimum 20% de leurs avoirs en or et 20% de leurs réserves en $. En contrepartie, le FECOM crédite les banques centrales d’un montant en ECU. Le FECOM fait la compensation des opérations de soutien intra communautaire. Une banque centrale règle une dette en écus à une autre banque centrale en débitant son compte auprès du FECOM, le compte de la banque créancière étant crédité d’autant. Il s’agit d’un simple jeu d’écriture consistant en un crédit croisé (swap). Des 3 fonctions traditionnelles de la monnaie, l’ECU n’assure que celle d’unité de compte ; il ne réalise que très partiellement celle d’instrument de réserve (pour les banques centrales, à proportion des avoirs déposés au FECOM) et celle d’instrument de règlement (pour les dettes contractées entre banques centrales dans le cadre des mécanismes de crédit). L’ECU ne constitue donc qu’un numéraire abstrait. L’ECU est un moyen de comptabiliser des dettes et créances en monnaies nationales et un moyen d’exprimer les taux de change. 11 12 B) Le bilan du SME : Les résultats sont contrastés : l’inflation est maîtrisée, la coopération monétaire s’est imposée, cependant la faible croissance, le chômage et les déficits publics persistent. 1) Une relative stabilité des taux de change : L’Europe est devenue une zone de relative stabilité monétaire. Les dévaluations compétitives ont été évitées. Le SME a absorbé le 2ème choc pétrolier, la volatilité du $ et le krach boursier de 1987. D’après le rapport Emerson paru en 1991, la volatilité des cours des monnaies du SME a été plus faible que celle des monnaies communautaires prises dans leur ensemble, et plus faible que celle des monnaies de l'ensemble des pays industrialisés. Variabilité des taux de change de chaque monnaie par rapport aux monnaies de 20 pays industrialisés (somme pondérée des écarts-types des variations mensuelles, en %) 1979-1983 1984-1986 1987-1989 Mark 1.6 1.4 1.2 Franc 1.7 1.4 1.1 Lire 1,6 1,5 1,2 £ 2.4 2.5 1.9 $ (USA) 2.3 2.6 2.4 Yen 2.9 2.7 2.4 Source : CEE, Marché unique, monnaie unique, 1990. En 1993, suite à la crise du SME, les bandes de fluctuation furent élargies à 15%. Loin de signaler sa mort, cet élargissement des marges permit de purger le système et de limiter la spéculation. La question des bandes de fluctuation peut s’envisager de 2 manières différentes : 1- D’un côté, des bandes de +/- 15% au lieu de +/- 1% comme dans Bretton Woods peuvent être considérées comme un signe de faiblesse : c’est la démonstration que les autorités auront du mal à maintenir la parité officielle et cela encourage la spéculation 2- D’un autre côté, de larges bandes de fluctuations peuvent réduire la spéculation car une tension sur le marché des changes ne se traduira pas nécessairement par un changement de parité dans la mesure où les autorités disposent d’une marge de manœuvre élevée pour intervenir. Cependant, les réajustements monétaires ont été nombreux : 16 de 1979 à 1985, 0 de 1987 à début 1992, 5 en 1992-1993. Le cours pivot du franc a été modifié 5 fois entre 1981 et 1986. Les monnaies qui ont connu les variations les plus fortes entre 1979 et 1992 ont été : la lire a été dévaluée de 24.9% (6 réajustements par rapport à l’écu) le DM a été réévalué de 22.8% (7 réajustements) le franc a été dévalué de 15.4% (5 réajustements) La tenaille $/DM : Le statut de monnaie forte confère au DM une position hégémonique à l’intérieur du SME. La baisse du $ déstabilise le SME : le DM monte et s’apprécie par rapport aux autres monnaies. Soit il faut réviser les cours pivots, soit aligner plus étroitement la politique monétaire sur l’Allemagne. Comme les autres pays sont, aux yeux des investisseurs, moins 12 13 crédibles que la RFA, ils doivent pour attirer les capitaux accepter un taux d’intérêt plus élevé ; c’est la « prime de risque ». 2) La désinflation : L’Europe a connu un fort mouvement de désinflation dans les années 1980. Quel est le lien avec le SME ? Les politiques monétaires se sont arrimées à l’Allemagne, la politique monétaire de la RFA ayant servi de point d’ancrage aux politiques économiques des autres pays. La notion de crédibilité est au cœur de l’explication. La crédibilité des autorités monétaires est définie par le degré de confiance des agents économiques dans la capacité des autorités à mener à bien la politique annoncée. Cette notion est intimement liée à celle de cohérence inter-temporelle initiée par Kydland et Prescott. En matière de lutte contre l’inflation, les décisions annoncées doivent être crédibles pour que la désinflation soit effective, en raison des anticipations des agents. Or les autorités sont tentées de ne pas tenir leurs engagements pour diminuer le chômage. Il faut trouver un moyen pour les inciter à ne pas infléchir leur politique de désinflation au cours du temps, ce qui permettra de rendre la politique de faible inflation crédible. Cette crédibilité peut être acquise en se pliant volontairement à une contrainte extérieure, comme celle du SME. La RFA joue un rôle clé dans ce processus car les autres pays accrochent leur monnaie au DM pour importer la crédibilité de la politique monétaire allemande. La Bundesbank a pour principal objectif la sauvegarde de la monnaie ; elle a des pouvoirs et des règles de nomination qui la rendent indépendantes du pouvoir politique (nomination du président et des membres pour 8 ans, irrévocable, par le président de la République, sur proposition du gouvernement, après avis du Conseil). Le SME a forcé les pays européens à converger en matière d’inflation. C’est l’« argument de discipline ». Cela a permis à des pays comme la France de retrouver une compétitivité internationale et l’excédent commercial. 13 14 D’ailleurs dans un système de type SME, les dévaluations sont dramatisées (contrairement au flottement). Ainsi à partir de 1983, la France a choisi de mener une politique de rigueur plutôt que de quitter le SME. A l’inverse, le RU plus sûr de lui-même, a longtemps considéré que la contrainte du SME ne s’imposait pas. Mais en 1990, son adhésion au SME s’explique aussi par l’échec de sa politique solitaire de lutte contre l’inflation (10% contre 3% en France). M. Friedman observe que l’ancrage du franc au DM « revient à dire que les Français ont plus confiance dans la politique monétaire allemande que dans la leur propre. (…) Au fond, l’expression ‘politique du franc fort’ constitue un bel exercice d’autosuggestion. Bien loin de traduire, comme les termes semblent l’indiquer, une inébranlable confiance en soi, elle parait plutôt refléter un étrange complexe d’infériorité en matière monétaire ; complexe qui s’efforce de se dissimuler sous un vocable avantageux mais quelque peu dérisoire 3» Toutefois, ce mouvement de convergence en termes d’inflation ne peut être attribué au seul SME car il dépasse ses limites géographiques : les USA et la Japon ont connu des performances comparables, voire même meilleurs en matière de stabilité des prix, comme le montre le tableau suivant. Taux d’inflation annuel Union européenne 1961-1970 3.9 1971-1980 10.6 1981-1990 6.5 1991-1997 3.6 Source : Commission européenne. Etats-Unis 2.6 7.1 4.8 2.7 Japon 5.6 8.1 2.0 1.1 3) La domination monétaire de l’Allemagne Dans un système de changes fixes où la mobilité des capitaux est parfaite, la politique monétaire des pays n’est pas autonome. C’est le triangle d’incompatibilité de MUNDELL. Il existe cependant une exception : parmi les n pays qui participent aux changes fixes, l’un d’entre eux a un degré de liberté supplémentaire. A travers le modèle MUNDELLFLEMING, on montrera la dépendance de la politique monétaire des autres pays vis à vis de l’Allemagne. 3 Géopolitique, n° 53, printemps 1996 14 15 Le graphique suivant reprend les courbes IS et LM. A gauche nous avons l’Allemagne ; à droite nous avons un autre pays du SME. Les courbes BP sont horizontales car la mobilité des capitaux est supposée totale. L’asymétrie des politiques monétaires dans le cadre du SME i LM1 i LM1 LM0 LM0 i1 b i0 BP1 a b* BP0 c* a* IS1 IS Allemagne Y Autres pays IS0 Y Partons d’une situation d’équilibre représenté par les points a et a*. Supposons que l’Allemagne décide de réduire sa masse monétaire pour combattre l’inflation. Cela se traduit par un déplacement vers la gauche de LM, le nouvel équilibre est b avec un nouveau taux d’intérêt. Celui-ci va s’imposer dans les autres pays européens car si le taux restait à son niveau d’origine, les capitaux partiraient et le taux de change fixe serait menacé. Autrement dit, la nouvelle courbe BP passe par b et se prolonge sur la partie droite du graphique. On est alors confronté à la réaction des autres pays qui se retrouvent devant 3 possibilités : 1- sortir du SME : lourd de conséquence au niveau politique 2- rester dans le SME et accepter la politique monétaire restrictive allemande : baisse de la masse monétaire et déplacement de LM vers la gauche jusqu’à obtenir le point b*. Il se produit une réduction de l’activité économique qui n’était pas désirée, qui a été « imposé » par la domination de l’Allemagne dans le mécanisme du SME 3- dévaluer. Si la courbe en J fonctionne, la dévaluation entraîne une augmentation des exportations vers l’Allemagne et une baisse des importations, et déplace la courbe IS vers la droite : on atteint le point c*. Si la courbe en J ne fonctionne pas, en raison de l’inflation importée par exemple, le volume des exportations et des importations reviendra à son niveau initial, comme la courbe IS. On revient au point a*. Finalement, le pays doit accepter de suivre la politique monétaire allemande s’il désire rester dans le SME. Cet alignement des politiques monétaires a fait du SME une zone mark. Ce fonctionnement asymétrique et non coopératif illustre assez bien le comportement de la France. Pour maintenir sa crédibilité, elle n’a pas voulu dévaluer par rapport au DM et a suivi la politique monétaire allemande. D’où le maintien de taux d’intérêt élevés pour maintenir la stabilité des changes. Une coopération est toujours possible : elle signifierait que l’Allemagne et ses partenaires décident ensemble de leur politique monétaire, ce qui correspond graphiquement à un déplacement simultané des courbes LM, respectant l’égalité des taux d’intérêt entre les pays. Le passage à la monnaie unique en 1999 résout ce problème ou est censé le résoudre. 15 16 La politique consistant à lier le franc au mark a souvent été qualifiée de monétariste. D’après Friedman, cela constitue un contresens absolu puisque le monétarisme est partisan des changes flottants alors que la politique de la Banque de France est celle des changes administrés. Les pays du SME autres que l’Allemagne en sont venus à détenir des DM dans leurs réserves et à les utiliser comme moyen d’intervention quand leur taux de change s’éloignait trop de la parité officielle du DM. Le SME fonctionnait de manière aussi asymétrique que Bretton Woods, à la différence que le pays leader avait une inflation inférieure à la moyenne des autres pays. Mais au détriment de l’activité et de l’emploi. Les Français furent sensibles à deux reprises aux arguments hostiles au SME et à l’UEM, une première fois en 1982-1983, une deuxième fois en 1992-1993. L’autre politique : Fin 1982 début 1983, le président Mitterrand va prêter l’oreille aux partisans d’une autre politique économique : il s’agit de laisser flotter le franc en le sortant du SME, de manière à pouvoir dévaluer franchement sans avoir à négocier avec les Allemands, baisser les taux d’intérêts, désendetter les entreprises et faire repartir l’investissement. Tenant de l’ « autre politique », Jean Denizet écrit dans l’Expansion, 9/09/1983 : « (…) Aujourd’hui, nous avons retrouvé des réserves, nos échanges extérieurs se sont redressés. Ne perdons pas un centime pour défendre une parité mathématique indéfendable. Quittons momentanément le SME. Choisissons un palier raisonnable du rapport dollar/franc et défendons le : nous achèterons ainsi des dollars et des marks. Nous acquerrons une marge de compétitivité supplémentaire vis-à-vis de l’Allemagne ». Mitterrand se laissera persuader que le flottement est la pire des choses. Par tradition, l’inspection des finances, la Banque de France et le Trésor sont attachés aux parités fixes. Ce que ces institutions savent faire, c’est négocier des dévaluations avec le partenaire allemand. Le flottement est pour elles une aventure sur laquelle elles n’auront pas prise. Les effets collatéraux de la réunification allemande : Pour éviter l’inflation née de la réunification, l’Allemagne augmenta ses taux d’intérêt au début des années 1990. De décembre 1991 à septembre 1992, la Bundesbank a maintenu ses taux courts à un niveau très élevé, au dessus de 9,5%, provoquant une explosion du SME. En 1992-1993, les autorités monétaires françaises ont du relever les taux d’intérêt à court terme, lesquels avoisinaient les 12%, démarche pénalisant la croissance et entrainant une hausse du chômage (1991-1993). On a assisté alors au phénomène d’inversion de la courbe des taux, les taux courts étant supérieurs aux taux longs (qui avaient tendance à baisser du fait de la désinflation mondiale). Cette situation encourage les placements liquides à court terme (Sicav monétaires) et décourage la prise de risque à long terme. La politique monétaire de la France a alors été critiquée par de nombreux économistes, comme Jean-Paul Fitoussi, dans Le débat interdit. L’économiste français Olivier Blanchard4, enseignant au MIT, publiait en mars 1993 dans le journal Le Monde un article sévère pour la politique économique de la France : « Ce ne sont pas des objectifs rigides et l’obstination qui rendent une politique crédible, c’est le jugement par les marchés que le gouvernement poursuit une politique cohérente et sera capable de s’y tenir. C’est pourquoi la politique actuelle n’est en fait pas crédible : les marchés estiment que son coût politique va devenir trop élevé et anticipent un changement à venir ». Philippe Simonnot recommandait de laisser flotter le mark, ce qui permettrait de baisser les taux en France pour desserrer le nœud coulant qui étouffe l’économie5. 4 5 « Pour un changement de politique économique », Le Monde, 16 mars 1993, p. 34. « Laissons flotter le mark », Le Monde, 16 mars 1993, p. 35. 16 17 Jean-Jacques Rosa observe lui aussi que la politique monétaire restrictive – due à l’alignement du franc sur le mark – est le premier facteur de chômage et fait en plus un parallèle les années 1930 : « Le Traité de Maastricht qui institua le nouveau système de changes fixes en Europe figurera dans les manuels d’histoire comme l’erreur ou, pis encore, la faute de 1991, au même titre que les politiques déflationnistes des années 1930, et en particulier celles des pays du Bloc or »6. Dans les années 1930, le maintien de l’étalon or a aggravé la crise. Dans les années 1990, l’étalon mark a aggravé le chômage. Dans les années 1930, les pays qui sont sortis le plus tôt de l’étalon or ont mieux tiré leur épingle du jeu, comme dans les années 1990 sont qui sont sortis du SME (Royaume-Uni dans les deux cas). Le tableau suivant montre que la France a le taux d’inflation le plus bas en 1991 mais le taux d’intérêt réel le plus élevé ; elle n’est pas vraiment récompensée de ses efforts en matière de désinflation avec 3 millions de chômeurs. Taux d’intérêt à long terme en 1991 (moyenne sur l’année) : Taux d’inflation Taux d’intérêt nominal Taux d’intérêt réel 2.9 9.5 6.6 France 3.5 8.5 5.0 Allemagne 6.4 11.4 5.0 Italie 5.8 9.9 4.1 Royaume-Uni 4.2 8.2 4.0 Etats-Unis 3.3 6.5 3.2 Japon Source : Principaux indicateurs économiques, OCDE, février 1992. 4) Faible croissance et chômage élevé La convergence des taux de croissance s’est plutôt réalisée vers le bas. La croissance des pays du SME a été plus faible que celle des pays de la CEE non adhérents (RU, Espagne, Portugal) ou des autres pays industriels. De 1979 à 1987, le taux annuel de création d’emplois fut de 0,1% dans la CEE, 9 fois moins qu’au Japon, 16 fois moins qu’aux EU. En raison des rigidités sur les marchés du travail, le chômage de longue durée représente 50% du chômage total dans la CEE au début des années 1990 contre 6% aux Etats-Unis et 19% au Japon. Taux de Taux de Taux de croissance croissance croissance annuel moyen annuel moyen annuel moyen du PNB 1979du PNB 1983- du PIB 19901982 1990 1999 1,5 2,7 2,1 CEE 0,4 3,5 3 USA 4,0 4,5 1,7 Japon Source : OCDE (1991), Perspectives Economiques. - 6 Taux de chômage en 1979 Taux de chômage en 1990 5,5 5,8 2,1 8,4 5,5 2,1 Le SME n’entraine pas non plus de convergence entre pays membres : disparité du taux de chômage : 1,3% au Luxembourg et 16,2% en Espagne en 1990 pas d’harmonisation des politiques budgétaires : l’Italie et la Grèce s’enfoncent dans le déficit public, l’Allemagne et le Danemark équilibrent leur budget disparité du solde courant : excédent élevé en Allemagne et aux NL, déficit au RU, En Italie et en Espagne, jusqu’en 1990. Jean-Jacques Rosa, L’erreur européenne, 1998, Grasset. 17 18 III) La marche vers l’Union Economique et monétaire : 1990-1999 A) Pourquoi passer du SME à la monnaie unique ? 1) Supprimer les effets pervers de la liberté de capitaux : Dès 1987, le rapport Padoa-Schioppa notait que la liberté des capitaux était incompatible avec la stabilité des changes et l’autonomie des politiques monétaires nationales. En février 1988, le ministre des Affaires étrangères allemand, Hans-Dietrich Genscher publie un mémorandum intitulé « Pour la création d’un espace monétaire européen et d’une banque centrale européenne ». Le mémorandum Genscher débouche sur la création d’un comité de réflexion, présidé par jacques Delors, crée en juin 1988 au sommet de Hanovre. L’Acte unique européen signé en 1986 met en place un grand marché européen à partir du 1er janvier 1993, notamment pour les services financiers et les capitaux. La libéralisation des mouvements de capitaux est devenue effective le 1er juillet 1990 pour 8 pays (dont la France), avec un régime transitoire pour l’Irlande et les pays du Sud jusqu’à fin 1992. Or la liberté de mouvement des capitaux accroît deux effets jugés non désirables : - la spéculation contre certaines monnaies du SME est plus forte en cas de crise - la politique monétaire est encore moins indépendante (théorème de Mundell). La monnaie unique évite ces deux problèmes. De ce point de vue, c’est la mobilité des capitaux qui crée le lien entre le Grand Marché et la monnaie unique. La thèse du déséquilibre créateur exposée par Elie Cohen7 théorise ce phénomène et le replace dans un contexte historique plus large. Chaque étape de l’intégration européenne crée un déséquilibre économique et politique dont les victimes aspirent à sortir par le « haut », d’où la nécessité d’une avancée supplémentaire de la construction européenne. * début des années 1980, déclin industriel européen => acte unique européen signé en 1986 * à la fin des années 1980, marché unique => libertés de mouvements de capitaux => le système de parités fixes peut déraper (été 1993) => monnaie unique. * aujourd’hui, monnaie unique => union politique En même temps, cela pose un problème de légitimité car les promoteurs de l’euro refusent tout débat sur les modalités de la construction européenne. « L’élaboration du traité de Maastricht a été conforme à la démarche suivie de longue date par la Commission de Bruxelles qui consiste à retarder indéfiniment tout débat approfondi en présentant chaque nouvelle mesure comme une étape indispensable et inéluctable, s’inscrivant dans le droit fil des mesures précédentes et dont le rejet entraînerait l’anéantissement de tous les efforts consentis jusqu’alors. La prise en compte des objections qui peuvent être formulées est chaque fois reportée à une prochaine étape, et ainsi de suite. Les décisions passées sont ainsi sans cesse avalisées tout simplement parce qu’elles constituent l’état de choses existant, et les contraintes mêmes qui en résultent servent à justifier de nouvelles mesures qui sont présentées comme une simple institutionnalisation de règles appliquées de facto précédemment. Dans ce processus, le moment n’est jamais opportun pour s’interroger sur le caractère optimal de la stratégie adoptée. A fortiori, toute interrogation sur les avantages et inconvénients qu’il y aurait à choisir une autre stratégie est strictement prohibée. 8» souligne André Grjebine, économiste à la Fondation nationale des sciences politiques. 7 Elie Cohen, La tentation hexagonale, la souveraineté à l’épreuve de la mondialisation, Fayard, 1996. 8 Après Maastricht : des écus et des chômeurs ?, Le Débat, 1992/4, n°71, p. 16. 18 19 2) Remédier à l’asymétrie constatée dans le SME : Argument majeur des Français pour faire l’UEM : remédier à l’asymétrie constatée dans le SME au profit du mark. Le comité Delors fait suite à une demande française d’ailleurs, le gouvernement français estimant avoir subi les plus forts effets asymétriques du SME, et espérant un rééquilibrage des positions. Selon A. Grjebine, l’unification monétaire est pour la France un moyen privilégié de diluer la suprématie économique et monétaire de l’Allemagne dans une communauté dont ce pays ne serait qu’une des parties prenantes. Pour Alain Cotta, l’idée de derrière la tête de nos inspecteurs des Finances est de déterminer, enfin, eux aussi, la politique monétaire européenne, une fois l’unification réalisée. Cette ambition tient selon lui de l’arrogance. 3) Le lien avec la réunification allemande : Elie Cohen explique que l’Allemagne obtint le soutien des européens pour la réunification et en échange s’engagea sur l’UEM. En 1990, à Rome, l’Allemagne accepte le partage du pouvoir monétaire avec 11 autres nations contre des règles du jeu allemandes (BCE indépendante et entièrement dédiée à la lutte contre l’inflation). « Certes, on peut dire que l’unification allemande a accéléré le processus de l’UEM, mais sans oublier que ce projet a été relancé avant la chute du mur de Berlin et comme venant couronner, en quelque sorte, l’effort d’intégration économique réalisé avec succès grâce à l’objectif 92 du marché unique et à l’Acte unique » précise Jacques Delors9. L’Allemagne n’a pas gagné grand-chose dans cette affaire puisqu’elle accepte de partager le contrôle de sa monnaie, qui était devenue la base de son succès. Et surtout de le partager avec des pays dont le casier judiciaire en matière d’inflation est bien chargé. André Grjebine donne une raison supplémentaire. Il était plus simple, techniquement parlant, de construire l’Europe monétaire que l’Europe sociale et l’Europe de la défense. L’Europe monétaire sert d’alibi aux déficiences des dirigeants européens en d’autres domaines (diplomatie, armée). « En réalité, faute de s’entendre sur la mise en commun des aspects qui, selon le principe de subsidiarité, devraient pourtant l’être, les promoteurs de la construction européenne se sont rabattus sur ceux qui étaient les plus faciles à adopter en raison de leur technicité. Alors que le caractère symbolique d’une monnaie unique est en effet très séduisant, la technicité du problème voile ses inconvénients... du moins tant que l’expérience n’en a pas été faite. A contrario, on imagine les débats et les contestations que la création d’une armée européenne aurait suscités. L’Europe monétaire sert ainsi d’alibi aux déficiences des dirigeants européens en d’autres domaines. Or, comme on va tenter de le montrer, passer dans un proche avenir à la monnaie unique en ignorant les différences sociales et structurelles entre les pays membres ne procède pas d’une saine application du principe de subsidiarité. 10» Le rapport Delors est présenté en avril 1989 et sera adopté au sommet de Strasbourg en décembre 1989, un mois après la chute du mur de Berlin. Il est basé sur l’idée que l’union économique et l’union monétaire doivent se renforcer mutuellement. Il ressemble fort à l’ancien plan Werner de 1970 et propose 3 étapes pour atteindre la monnaie unique. Aucun calendrier précis n’est fixé pour le passage d’une étape à l’autre. 9 Le Monde, 28 avril 1998. Après Maastricht : des écus et des chômeurs ?, Le Débat, 1992 /4, n°71, p. 18. 10 19 20 B) Les 3 étapes de l’accession à la monnaie unique : - La 1ère étape (engagement du processus) : 1990 à 1993 la liberté totale des mouvements de capitaux une coopération renforcée entre banques centrales une coordination renforcée des politiques économiques chaque Etat doit rendre sa banque centrale indépendante Pendant cette étape, les responsables de la CEE se mirent d’accord à Maastricht en décembre 1991 pour amender le Traité de Rome. Le traité de Maastricht signé en février 1992 comporte plusieurs volets majeurs : - il fonde l’Union européenne, laquelle entre officiellement en vigueur en novembre 1993 - il comporte l’Union politique (politique étrangère et de défense commune) - il arrête le cadre juridique et le calendrier pour la mise en place de l’UEM, en reprenant les grandes lignes du rapport Delors et fixe au plus tard au 1er janvier 1999 la réalisation de la monnaie unique. Le Traité de Maastricht ne pouvait entrer en vigueur avant que les membres ne l’aient fait ratifier par un vote du parlement ou un référendum. Or, en juin 1992, les Danois rejetèrent le Traité. En septembre les parités du SME furent soumises à de vives attaques spéculatives. En 1993, les Danois acceptèrent un second référendum sur le Traité de Maastricht après avoir obtenu de renoncer à participer à la monnaie unique. Le Parlement britannique fit de même à une majorité très étroite. Danemark et RU bénéficient du droit de ne pas intégrer l’UEM (clause d’ « opting out »), à la différence de leurs partenaires qui y sont obligés suite au vote du Conseil européen. Comment la réunification monétaire allemande a désorganisé le SME Kohl, contre l’avis de la Bundesbank, annonce l’union monétaire avec l’est en 1990. Pour lui, les problèmes d’intendance étaient secondaires, l’occasion était historique. Le taux de 1 pour 1 entre le deutsche mark et l’ost mark a concerné l’épargne individuelle dans la limite de 2 000 marks pour les moins de 15 ans, 4 000 marks pour les 1560 ans et de 6 000 marks au-delà de 60 ans, les salaires, loyers et autres paiements périodiques. Le taux de 1 pour 2 a concerné le reste de l’épargne individuelle, les créances et dettes. Visiblement, ce taux correspondait à une surévaluation du mark de l’Est car avant la chute du mur sur le marché noir, le taux de change allait jusqu’à 1 DM pour 20 ost mark. Karl Otto Poehl, président de la Bundesbank, critiqua cette décision et annonça des problèmes qui survinrent (transferts massifs, difficultés à l’Est, inflation). En effet, avec ce taux de change surévalué, les produits de l’Est ne sont pas compétitifs, entrainant fermeture d’usines et chômage. Ce qui impliqua un coût budgétaire élevé pour l’Ouest, les sommes transférées à l’Est s’élevant à 5% du PIB sur plus de 10 ans. Comme le gouvernement de Kohl ne voulait pas augmenter les impôts, la réunification fut financée par la dette. Ce stimulus fiscal entraîna des tensions inflationnistes. La Bundesbank demande à Kohl de réévaluer le mark pour baisser les tensions inflationnistes. La France refuse, ne voulant pas remettre en cause la parité DM/franc pour des raisons de prestige national. Pour lutter contre l’inflation, la Bundesbank poussa les taux d’intérêt à la hausse. Cette décision plaça ses partenaires devant un dilemme : resserrer leur propre politique monétaire pour maintenir des changes fixes ou dévaluer leur monnaie par rapport au DM. S’étant engagé dans le processus d’UEM, les gouvernements augmentèrent leur taux d’intérêt ce qui accentua la récession économique. Les marchés pressentant que cette politique n’était pas tenable, il s’ensuit une forte spéculation et les crises du SME en 1992 et 1993. 20 21 1992 : 1ère crise du SME. La crainte du refus français au référendum en septembre 1992 encouragea la spéculation. Les opérateurs anticipaient la dévaluation des monnaies faibles. Le 11 septembre 1992, la Bundesbank dépensa 24 MM de DM pour défendre la lire, mais elle fut dévaluée de 7%. Premier changement de parité depuis 1987. Le mardi 15 septembre, le président de la Bundesbank Helmut Schlesinger déclara qu’un réalignement des parités était nécessaire pour alléger les tensions macro-économiques au sein du SME. Le 16 septembre, la £ et la lire sortirent du SME. L’Espagne dévalua la peseta et réintroduisit le contrôle des changes. Fin 1992, l’escudo fut dévalué, et la peseta une nouvelle fois. Début 1993, la livre irlandaise fut dévaluée, ainsi que l’escudo et la peseta. Eté 1993 : 2ème crise du SME. Pendant l’été 1993, suite à un nouveau désaccord sur les taux d’intérêt entre l’Allemagne et les autres pays, la spéculation reprit. Pour le seul vendredi 30 juillet 1993, la Bundesbank vendit 50 MM de DM pour défendre le franc pendant que la Banque de France vendait la totalité de ses réserves. A partir d’août 1993, les bandes de fluctuations furent portées à 15% : ce fut la seule solution pour éviter une dévaluation du franc. A cette époque, la future monnaie unique suscitait de vives réserves sur sa faisabilité et sa légitimité. Milton Friedman écrivait dans La monnaie et ses pièges, 1992 : « (…) Il y a une chose dont je suis sûr : une monnaie unique (…) remplaçant toute les autres monnaies européennes n’existera pas encore à la fin du vingtième siècle ». Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre socialiste, déclarait en 1995 : « la course à la monnaie unique n’unit pas, elle divise. Elle divise à l’intérieur de chacun des pays en accroissant la fracture sociale. La course à la monnaie unique a plongé l’Europe dans une récession dont elle n’arrive pas à sortir : désinflation conduisant à la déflation (…), surévaluation de près de 30% du mark et des monnaies qui s’y rattachent, maintien, en France surtout, de taux d’intérêt artificiellement élevés, pénalisant l’investissement et l’emploi. (…). La monnaie unique divise entre eux les peuples de l’Europe. L’Allemagne (…) est conduite à vouloir durcir encore les critères déjà éreintants de passage à la monnaie unique. (…). L’Italie et l’Espagne feront antichambre ainsi que tous les pays de l’Europe du sud. La Grande-Bretagne et le Danemark se tiendront sur la réserve11 ». - - 11 La 2ème étape (la convergence) : 1994 à 1998 la création de l’Institut Monétaire Européen, embryon de la future banque centrale européenne. Il reprend les fonctions du FECOM qui est dissous. Il doit renforcer la coopération entre banques centrales, superviser le SME et préparer la création de la monnaie unique et de la BCE. La monnaie unique est baptisée « euro » en décembre 1995. les pays sont tenus de respecter les 5 critères de convergence définis lors du Traité de Maastricht s’ils veulent adopter la monnaie unique. 1. la stabilité des prix : le taux d’inflation d’un pays ne doit pas dépasser de plus de 1,5 point le taux d’inflation moyen des 3 Etats les moins inflationnistes. 2. la convergence des taux d’intérêt : le taux d’intérêt des obligations d’Etat à long terme ne doit pas dépasser de plus de 2 points le taux d’intérêt moyen des 3 Etats membres ayant les plus faibles taux d’intérêt. 3. le déficit public ne doit pas excéder 3% de son PIB. 4. la dette publique ne doit pas excéder 60% du PIB. 5. l’appartenance au SME depuis 2 ans au moins, sans dévaluation. La monnaie qui désunit, Le Monde, 17 octobre 1995, p. 16. 21 22 Le contrôle des déficits publics recouvre deux autres obligations, qui doivent être maintenus en phase 3 : - la prohibition pour les banques centrales de fiancer les déficits publics. - la clause d’absence de solidarité, stipulant que chaque Etat membre est seul responsable des engagements de son secteur public. Les critères de Maastricht ont fait l’objet de diverses polémiques. Voici les principales. Ces critères sont fondés sur la notion de convergence nominale alors que la théorie des zones monétaires optimales, depuis les premiers travaux de Robert Mundell (1961), met l’accent sur la notion de convergence réelle (productivité, compétitivité, croissance, emploi, PIB par habitant, solde extérieur). Grjebine souligne ironiquement qu’« Avec de tels critères, on peut imaginer que le Portugal stagnant de Salazar aurait été félicité et que l’Italie ou la France des années cinquante et soixante auraient été stigmatisées, malgré leur remarquable expansion durant ces années ». Les critères 3 et 4 sont définis en termes de limites absolues à ne pas dépasser. Ces derniers ont été proposés dans une période de croissance (1991). Ce sont des critères de situation plus que de convergence. Aussi le Traité de Maastricht prévoit qu’ils puissent être appréciés en tendance, de manière souple. Le critère des 3% de déficit public a été jugé arbitraire. Pourquoi ce seuil ? Michèle Saint Marc, directeur de recherche au CNRS, rappelle que le seuil des 3% correspond à la règle d’or des finances publiques selon laquelle « seules les dépenses d’investissement peuvent être financées par l’emprunt ; or l’investissement public dans la zone euro s’était élevé à 3% du PIB entre 1974 et 1991. 12» Charles Gave13 donne une autre explication : si les taux d’intérêt sont à 5%, avec une dette maximale de 60% du PIB, le service de la dette représentera 3% du PIB et donc le solde primaire sera en équilibre Le fétichisme de ces critères : « Une construction européenne qui transforme les modalités définies en valeur suprême, aux dépens d’un meilleur épanouissement des populations concernées, tôt ou tard leur apparaîtra inacceptable. 14» écrivait André Grjebine en 1992. Ces critères ont été qualifiés de monétaristes. C’est vrai pour la lutte contre l’inflation mais c’est faux quand on sait que les monétaristes préconisent les changes flottants. La notion de convergence est sujette à caution car plusieurs pays peuvent converger vers une moyenne plus ou moins désirable. Ainsi, Dominique Strauss-Kahn constatait : « Converger, c’est avoir des déficits budgétaires proches. Mais cela ne veut pas dire obligatoirement entre 0% et 3% du PIB. On a confondu une obligation technique et économique de convergence et un principe libéral qui voulait que cela converge à un niveau très bas. Si deux ou trois pays ont un déficit budgétaire de 4% du PIB, ils ont parfaitement convergé. Et c’est suffisant 15». En Allemagne, Helmut Schmidt, ancien chancelier de la RFA, publiait en 1996 une lettre ouverte adressée au président de la Bundesbank, Hans Tietmeyer, lui reprochant, par sa politique monétaire trop dure et ses trop grandes exigences sur les critères d’adoption de la monnaie unique, de risquer de faire capoter le projet de monnaie unique, de faire apparaître l’Allemagne comme arrogante, et d’avoir des effets économiques fâcheux .« Est-ce qu’en 1930, 1931, 1932, votre prédécesseur à la Reichsbank ne nous a pas précipité dans le malheur d’un chômage massif à cause de 12 Le Figaro, 19 novembre 1999. L’Etat est mort, vive l’Etat, Bourin, p. 104, 14 Après Maastricht : des écus et des chômeurs ?, Le Débat, 1992 /4, n°71, p. 17. 15 Libération, 31 janvier 1996. 13 22 23 cette même idéologie monomaniaque déflationniste, avec les conséquences politiques affreuses que l’on connaît ?16 ». Il évoquait aussi la « mégalomanie allemande » à propos du Pacte de stabilité voulu par Théo Waigel, ministre des Finances allemand. Effet des critères de Maastricht Effectivement, il y a eu convergence des taux d’intérêt à long terme pour les pays européens, durant la période 1995-1999, avec des taux d’intérêt quasi égaux à partir de la fin 1998. On peut y voir un effet de la volonté de respecter le critère de Maastricht. Cependant, d’après les opposants à l’euro, la marche vers la monnaie unique a couté à la France un million de chômeurs entre 1992 et 1998. De 1992 à 1998, la France a connu un taux de croissance annuel moyen du PIB de 1.7% contre 3.1% pour la Royaume-Uni, qui a quitté la SME en 1992 et renoncé à l’euro. Lorsque la France et le Royaume-Uni étaient tous deux dans le SME en 1992, leurs taux de chômage étaient comparables, respectivement à 10.4% et 10.2%. Six ans plus tard, en 1998, leurs taux de chômage sont respectivement égaux à 11.8% et 6.5%. Jean-Jacques Rosa fustigeait en 1998 les politiques déflationnistes inadaptées - alors que l’inflation avait complètement disparu - qu’il comparait à celles suivies dans les années 1930 : « Les parités de change ‘définitivement fixes’ jouent aujourd’hui pour les pays de l’Euroland le même rôle que le bloc or dans l’entre-deux-guerres17 ». L’examen de passage En 1991, quand ces critères ont été présentés, seuls 3 pays de l’UE (sur 12) les respectaient : le Danemark, la France et le Luxembourg. En mai 1998, le Conseil européen a désigné 11 pays remplissant les conditions nécessaires pour participer à l’euro dès le 1er janvier 1999. Le Danemark et le RU ont fait jouer la clause d’« opting out », qui leur permet de ne pas participer à l’euro, même s’ils satisfaisaient les 5 critères. Les critères ont été appliqués avec souplesse. Certains pays ne respectant pas certains critères, il a été décidé de les apprécier en tendance. Par exemple, l’Italie avait en 1997 une dette publique de 123,2% du PIB, soit plus du double du seuil autorisé, mais le Conseil a considéré que l’Italie était sur la bonne voie car elle avait baissé par rapport à l’année précédente (123,7%). Concernant le critère de la dette publique, 6 pays sur les 11 ne respectaient par le critère de Maastricht. Heureuse flexibilité ou laxisme préoccupant ? - - La 3ème étape (mise en place de l’euro) : janvier 1999 Le passage à l’euro (1 euro = 1ECU), avec des taux de conversion irrévocablement fixés par rapport aux 12 monnaies européennes18 (1 euro = 6.55957F = 1.95583 DM). Les transactions interbancaires, les opérations de change et les émissions d’obligation d’Etat se font en euros dès 1999. La création de la BCE et du système européen de banques centrales (= BCE + les Banques centrales nationales). La politique monétaire est décidée par le conseil des gouverneurs de la BCE ; il comprend les gouverneurs des banques centrales qui participent à l’UEM et les membres du directoire. Le directoire comprend 6 membres : le président, le vice-président et 4 directeurs ; ils sont tous nommés par le Conseil européen (chefs d’Etat et de gouvernement), d’un commun accord, en fonction de leurs compétences. Leur mandat est 16 Le Monde, 9 novembre 1996. Danger immédiat, Le Figaro, 4 septembre 1998. 18 Le franc disparaît. C’est une très vieille monnaie qui remonte à Jean Le Bon (1319-1364). Elle avait été frappée pour payer l’énorme rançon du roi, tombé prisonnier des Anglais après la bataille de Poitiers (1356). « Franc » signifie « libre », comme dans « franc-tireur » ou « affranchir ». 17 23 24 de 8 ans, non renouvelable. Les réunions sont confidentielles, mais leurs résultats peuvent être rendus publics. 3 articles montrent que la BCE a été bâtie sur le modèle de la Bundesbank : article 104 : interdit à la BCE d’accorder des crédits aux collectivités publiques article 105 : l’objectif de la BCE est de maintenir la stabilité des prix article 107 : indépendance vis-à-vis du pouvoir politique : « ni la BCE, ni une banque centrale nationale, ni un membre quelconque de leurs organes de décision ne peuvent solliciter ni accepter des instructions des institutions ou organes communautaires, des gouvernements des Etats membres ou de tout autre organisme. En retour, ces derniers s’engagent à respecter ce principe et à ne pas chercher à influencer les membres du système européen de banques centrales (SEBC) dans l’accomplissement de leurs missions ». - La circulation des billets et pièces en euros à partir de janvier 2002 C) Les avantages et les coûts potentiels d’une monnaie unique : Le rapport Emerson (1990) de la Commission européenne, Marché unique, Monnaie unique, en évalue les avantages et les coûts. 1) Les avantages de la monnaie unique a) Les gains liés à la circulation d’une seule monnaie : La suppression des coûts de transaction sur les devises : calculs de conversion, commissions (gains évalués à 0,5% du PIB de l’UE). La suppression des coûts de couverture de change liés au recours aux marchés à terme et aux marchés dérivés19. En l’absence de risque de change, le capital s’investira dans les secteurs les plus productifs au niveau de l’UE. Le renforcement de la transparence et de la concurrence : la monnaie unique est un complément et un stimulant du marché unique. La disparition des dévaluations compétitives opérées dans d’autres Etats La disparition des attaques spéculatives sur les marchés des changes et l’inutilité de détenir des réserves de change b) Les gains liés à la disparition de l’asymétrie inhérente au SME : La participation par chaque banque centrale à la politique monétaire : celle-ci est désormais placée sous la gestion de la Banque centrale européenne où les gouverneurs de chaque banque centrale sont représentés alors qu’avec le SME elle était placée de fait sous la gestion de la Bundesbank ; il semble préférable de participer au processus de décision que de devoir le subir. L’euro apparaît comme un moyen de sortir de la zone mark. L’élimination de la prime de risque sur les taux d’intérêt, correspondant au risque de perte en capital si un pays dévalue sa monnaie. Ce risque est jugé d’autant plus élevé pour les pays traditionnellement inflationnistes (France, Italie). Les autorités monétaires de ces pays doivent maintenir des taux d’intérêt plus élevés que les taux allemands pour attirer les investisseurs. En cas de monnaie unique, ce risque est nul et les taux d’intérêt peuvent baisser, stimulant la demande et l’investissement. 19 L’importance de ce gain est à relativiser. Ainsi le PDG de Peugeot Citroën, Jacques Calvet, faisait remarquer que les frais de change et de couverture à terme représentaient moins d’un demi-millième de son chiffre d’affaires. 24 25 Ces gains concernent peu l’Allemagne. D’où le marché : les autres pays européens acceptent la réunification allemande (1990) et l’Allemagne accepte une monnaie unique, malgré l’hostilité des dirigeants de la Bundesbank. c) L’accession au rang de monnaie internationale : Disparition des coûts de conversion pour les Européens engagés dans le commerce international Marché plus large et rémunérateur pour les banques européennes. Redistribution du seigneuriage au profit de l’Europe et au détriment des USA. La création de l’euro permettra de nous affranchir de l’influence monétaire des EtatsUnis et de doter l’Europe d’une grande monnaie internationale, a déclaré Lionel Jospin à l’Assemblée nationale le 21 avril 1998. Dans un entretien au Monde en 199620, Jean-Claude Trichet, gouverneur de la Banque de France, énonçait les quatre raisons pour lesquelles l’euro devait être un atout majeur pour l’économie française. « D’abord, parce que nous aurons un grand marché unique européen, enfin achevé, à l’instar du marché des Etats-Unis, sans aucun « frottement » ni risque monétaire, sans aucun coût de transaction.(…) Nous aurons davantage de croissance, davantage d’emplois et nous lutterons mieux contre le chômage grâce à la monnaie unique. Ensuite, parce que les citoyens français de sentiront partout chez eux en Europe, en pouvant utiliser une seule monnaie partout où ils iront. L’ambition de l’Union européenne, c’est de faciliter la vie de nos concitoyens, la vie des gens. C’est particulièrement vrai pour les jeunes, pour lesquels il n’y a plus de frontières… En troisième lieu, parce que l’euro contribuera progressivement à nous immuniser contre les fluctuations mondiales de change : au sein même de l’Europe par la vertu de la monnaie unique ; à l’extérieur par l’utilisation progressive de l’euro comme monnaie de compte pour les importations et les exportations européennes. Enfin, parce qu’en créant un très grand marché financier profond et liquide en Europe on offre aux opérateurs du monde entier l’occasion d’investissements très attractifs et donc à l’économie européenne des conditions de financement meilleures ». 2) Les coûts potentiels : Les coûts d’une monnaie unique sont connus : il s’agit de l’abandon de l’autonomie monétaire, de la liberté de conduire une politique monétaire indépendante et de se servir du taux de change comme instrument de politique économique. Le débat pour ou contre l’euro s’assimile au vieux débat entre monnaie unique ou taux de change flexibles. Ces coûts ont été mis en avant par les eurosceptiques, le terme regroupant des positions différentes suivant les pays. Pour les Britanniques, l’UEM est une entreprise constructiviste créant une fédération artificielle, antilibérale, bridant les marchés, au profit de bureaucrates apatrides et irresponsables. Thatcher reprochait au rapport Delors de transférer la souveraineté nationale vers des organismes communautaires planificateurs et bureaucratiques. Le projet britannique était fondé sur le principe de concurrence entre les monnaies (Hayek). Les monnaies nationales seraient maintenues, une monnaie commune circulerait parallèlement aux monnaies nationales. Le marché déterminerait la monnaie victorieuse. Pour les Allemands, on ne touche pas à un ordre monétaire et une monnaie - le mark qui a fait ses preuves en ayant vaincu l’hyperinflation, été plébiscité par les marchés, à l’origine d’une longue prospérité et indépendant du pouvoir politique. La monnaie unique doit couronner la convergence réelle préalable. 20 Le Monde, 24 décembre 1996, p. 17. 25 26 Les Danois et les Suédois mettent en avant le refus du modèle fédéraliste et la défense du modèle social scandinave et l’Etat providence. Les eurosceptiques français ont un discours souverainiste basé sur la volonté de préserver l’Etat nation, le refus de la politique monétariste et la nécessité de maintenir le privilège de battre monnaie. Le point de vue des économistes américains sur l’euro : - Martin Feldstein21, de Harvard, expliquait dès 1992 que l’euro pourrait contrarier le développement des échanges intracommunautaires. L’intégration économique favorise des spécialisations étroites. Les inconvénients de la spécialisation ne pourront plus être contrecarrés par une politique monétaire nationale ; dès lors la spécialisation deviendra moins séduisante et les gains potentiels de l’échange s’en trouveront réduits. - Feldstein soutenait en 1997 que « Au lieu d’accroitre l’harmonie et la pais entre Européens, l’UEM et l’intégration politique attendue conduiront plus sûrement à davantage de conflits au sein de l’Europe et avec les Etats-Unis 22». Car selon lui, les pays membres vont s’opposer sur les buts et les méthodes de la politique monétaire de la BCE (divorce entre Allemands et Français notamment). Ces oppositions seront ensuite exacerbées par les différences de conjoncture entre pays. Ce qui contribuera à une défiance croissante des peuples à l’égard de l’euro et de l’Europe, et la multiplication des conflits sans fin sur le partage du pouvoir. Pour préserver leur modèle social, les Européens vont se protéger derrière des barrières protectionnistes. - Robert Mundell, de Columbia, l’euro est un facteur de prospérité et de paix. Il écrivait en 1997 : « Une union monétaire bien gérée comprenant la plupart des pays membres de l’UE aujourd’hui, l’essentiel des nations européennes demain, apportera un bénéfice considérable pour les peuples d’Europe, mais aussi pour les peuples du reste du monde, les Américains en particulier ». Les Européens tireront avantage « d’une politique monétaire commune assurée par les meilleurs esprits que l’Europe peut réunir ». 21 22 Martin Feldstein, « The case against E.M.U.”, The Economist, 13 juin 1992, pp. 19 à 22. Foreign Affairs, novembre-décembre 1997. 26 27 IV) La zone euro : une zone monétaire optimale ? A) Les critères des ZMO appliqués à la zone euro A l’origine, le débat sur les ZMO, initié en 1961 par Robert Mundell, visait à éclairer le choix entre les changes fixes et flottants. Il s’agissait de savoir à partir de quel moment deux ou plusieurs pays ont intérêt à se lier entre eux par un système de changes fixes. La mise en place de la monnaie unique n’étant qu’une forme radicale du passage aux changes fixes. Une zone monétaire optimale (ZMO) est une région géographique dans laquelle il serait bénéfique d'établir une monnaie unique ou des changes fixes. La disparition de l’ajustement par le taux de change suppose le fonctionnement d’autres modes d’ajustement en cas de chocs asymétriques. Analysons ces différents modes d’ajustement analysés par les économistes, c'est-à-dire les critères des ZMO. 1) La mobilité des facteurs de production (Mundell23, 1961) En présence d’un choc, l’ajustement pourrait se réaliser par des mouvements de facteurs, et plus particulièrement du travail. Un choc négatif pesant sur la demande globale en France provoquerait une baisse de la demande de travail ; l’excédent de main d’œuvre pourrait alors se déverser en Allemagne. Or en Europe la mobilité du travail est faible. Les différences de langue et de culture la découragent entre les pays européens. Il existe aussi des obstacles institutionnels : un chômeur qui va dans un autre pays d’Europe pour chercher du travail risque de perdre ses droits à prestations. Jouent aussi la non reconnaissance universelle des diplômes, l’existence d’un salaire minimal et les frais entrainés par l’achat et la vente d’un bien immobilier. Comme le montre le tableau suivant, la mobilité est plus grande aux USA que dans chaque pays européen, et donc à fortiori entre les pays européens : Personnes changeant de région de résidence en 1986 (en % de la population totale) GB France Allemagne Italie Japon USA 1.1 1.3 1.1 0.6 2.6 3.0 Source : OCDE, Perspectives d’emploi de l’OCDE, juillet 1990, tableau 3.3. Barry Eichengreen (1990) a montré que les différences régionales de chômage sont beaucoup plus faibles et moins persistantes aux EU que dans l’UE. Olivier Blanchard et Lawrence Katz (1992) ont montré qu’aux EU le chômage régional était éliminé presque entièrement par la mobilité des travailleurs, ce qui n’est évidemment pas le cas en Europe ! L’OCDE notait à la fin des années 1990 qu’il n’y a que 5,5 millions de ressortissants de l’UE, sur un total de 370 millions, qui résident dans un autre Etat membre, soit 1,5% de la population. Selon Bourguinat, il n’y a pas plus de mobilité de travail dans la zone euro qu’entre la zone euro et l’extérieur. Dans les années 1960, Robert Mundell prend position dans le débat sur les taux de change. A la différence de Friedman, partisan des monnaies flottantes, Mundell se prononce en faveur des parités fixes. Il justifie la fixité par son désir de faire peser sur les banques centrales des contraintes suffisantes pour les dissuader de jouer avec leur monnaie. Il a reçu le prix Nobel d’économie en 1999. Sollicité par des journalistes de Libération pour savoir s’il était le père de l’euro, il a répondu : « C’est un peu fort. Peut-être le parrain, peut-être un des parrains ». 23 Mundell R., “A theory of optimum currency areas”, American Economic Review, 51, 1961. 27 28 2) L’intensité des échanges commerciaux dans la zone : MacKinnon24 (1963) Le principal avantage des changes fixes est de réduire les incertitudes, de diminuer les coûts de calcul et de transaction résultant des changes flottants. Ces gains sont d’autant plus élevés que les pays de la zone échangent intensément entre eux. De plus, lus, en cas de choc asymétrique dans un pays, on va assister à une baisse de la demande, une baisse des prix, et une relance des exportations. Si le pays est ouvert, l’effet de relance sera fort. En revanche, si le pays est clos, l’effet de relance sera faible. faible. Ce critère éclaire le choix des petits pays comme les Pays-Bas, Pays Bas, l’Autriche, très liés lié commercialement à l’Allemagne, qui ont longtemps privilégié un lien fixe avec le mark. Il est plutôt satisfait en Europe car le commerce régional est fort,, il s’élève à 72% des exportations,, contre 51% en Asie et 48% en Amérique du Nord, 26% en Amérique du Sud. Le critère de MacKinnon nous permet en outre de savoir à partir de quand un pays a intérêt êt à adopter une monnaie unique. unique Le passage à la monnaie unique apporte en effet des bénéfices liés à la baisse des coûts de transaction, comme nous venons de le voir, mais aussi des coûts proviennent du fait que le pays renonce à utiliser sa politique monétaire et son taux de change pour stabiliser son économie en cas cas de choc économique. Cette perte de stabilité économique diminue avec le degré d’intégration économique. économi Comme le montre le graphique suivant, une union monétaire est préférable si le degré d’intégration est fort. Gains ains et pertes pour un pays qui rejoint rejoin une zone de changes fixes La crise finlandaise permet d’illustrer l’intérêt des changes flottants en cas de faible intégration économique, et donc par effet de miroir, le coût des changes fixes. Entre 1991 et 1993, le PIB de la Finlande – pays spécialisé lisé dans le bois et exportant beaucoup vers l’ex-URSS - s’est ’est effondré de 12% à cause de la chute de l’URSS. Comment l’économie s’est-elle ajustée ? Le mark finlandais s’est déprécié de 28%, les exportations ont augmenté de 24% et la croissance est revenue revenu à 4,5% en 1994. En modifiant son taux de change, change un pays peut réussir à absorber les effets perturbateurs de chocs économiques.. Ceci est impossible en changes fixes. 24 MacKinnon R. “Optimum currency areas”, American Economic Review, 53, 1963. 28 29 3) La similarité des structures économiques : Kenen25 (1969) Idée de base : l’union monétaire est viable si elle rassemble des pays ayant des structures suffisamment proches les unes des autres de manière à ce que tout choc asymétrique soit absorbé sans recours à des modifications de change. La similarité des structures économiques procure deux avantages. D’une part, la probabilité de rencontrer un choc asymétrique diminue au fur et à mesure que les structures des économies nationales convergent. Dans le cas extrême où les économies sont identiques, elles subissent les mêmes chocs. D’autre part, un choc exogène sur un secteur particulier ne nécessitera pas d’ajustement de grande ampleur, vu que l’économie n’est pas concentrée dans ce secteur. Ce critère est donc synonyme de diversification de la production nationale. A contrario, une spécialisation excessive rend plus vulnérable aux chocs. Par exemple, un pays mono-exportateur aurait intérêt à adopter les changes flottants pour amortir l’instabilité du cours des matières premières. De même, la Finlande, spécialisée dans le bois, a pu sortir de la crise de 1991 suite à la chute de l’URSS grâce à la dévaluation. Un choc économique correspond à une modification brutale et non anticipée de l’offre ou de la demande globale d’un pays. Il peut être interne comme un dérapage salarial, une modification de politique économique, une catastrophe naturelle. Il peut être externe comme la hausse du prix du pétrole ou une appréciation de la monnaie d’ancrage. Les chocs sont asymétriques s’ils affectent différemment les pays. La hausse du prix du pétrole tend à dégrader la balance courante des pays importateurs de pétrole mais améliore celle des pays exportateurs. Ex : en 1968, la France, suite à une hausse brutale des salaires, a connu un choc asymétrique interne. Les déséquilibres qui ont suivi ont été corrigés par la dévaluation de 1969. Quand un choc asymétrique survient, les effets sont différents et le taux de change peut servir à absorber les effets de ce choc. La dévaluation fait baisser le prix des biens exportés, du point de vue de l’étranger, accroit les exportations et l’offre nationale. Mais cet effet positif est limité voire annulé par le fait que la dévaluation accroit le prix des biens importés. En résumé : 1- seuls des chocs asymétriques peuvent être corrigés par une variation des taux de change 2- la probabilité de rencontrer des chocs asymétriques diminue au fur et à mesure que les structures des économies nationales convergent 3- les effets réels d’une dévaluation apparaissent seulement dans le court terme. Quid du respect de critère ? Les pays européens ne sont pas totalement dissemblables dans leur structure, comme le montre l’importance du commerce intra-industriel. Cependant, l’Europe du Nord est plus riche en capital et travail qualifié que l’Europe du Sud. Le marché unique européen peut soit éliminer ces différences en redistribuant le capital et le travail à travers l’Europe, soit encourager la spécialisation régionale pour exploiter les économies d’échelle et les avantages comparatifs. A terme, la synchronisation des cycles pourrait se réduire. Barry Eichengreen et Tamin Bayoumi26 trouvent beaucoup plus d’uniformité dans les réactions des Etats composant les Etats-Unis qu’au sein de la CEE et ce, aussi bien pour des chocs d’offre ou de demande. Les divergences entre pays européens ne se sont pas réduites au cours du temps. 25 Kenen P., “The theory of optimum currency areas : an eclectic view”, in Mundell et Swoboda, Monetary problems of the international economy, Chicago University Press, 1969. 26 « Shocking Aspects of European Monetary Unification », National Bureau of Economic Research, Working Paper, n°3949, Cambridge, Massachusetts, 1992. 29 30 4) L’intégration budgétaire (Johnson27, 1969) L’ajustement s’opère ici par des transferts budgétaires des régions prospères vers les régions touchées par un choc. Cet ajustement implique une certaine centralisation budgétaire, d’où le nom de fédéralisme fiscal donné parfois à ce critère. Mais le pouvoir de taxation dont dispose l’UE est très limité. Le budget européen ne représente que 1,27% du PIB communautaire et il est déjà alloué en grande partie à des dépenses structurelles (PAC, fonds structurels). Les Européens sont-ils prêts à accepter des transferts budgétaires aussi élevés qu’en Allemagne suite à la réunification ? Pour ce critère, la comparaison avec les USA est éclairante. Selon Jeffrey Sachs et Xavier Sala-i-Martin28, en moyenne, pour un dollar de revenu perdu, un Etat américain voit diminuer le prélèvement fiscal de 35 cents, et les transferts fédéraux augmentent de 3 cents. Au total, le revenu d’un Etat en récession, après redistribution, ne baisse que de 62 cents pour 1 $ de revenu perdu. Autrement dit, aux USA une baisse du revenu par tête de 1 dollar est absorbée à hauteur de 40% grâce au système fédéral. L’absorption du choc passe surtout par une réduction notable des taxes fédérales pour l’Etat affecté plutôt que pas une hausse des transferts. En Europe, une récession de 1 $ diminue le prélèvement fiscal de 0,5 cent en moyenne. On peut donc affirmer que ce critère n’est pas actuellement respecté en zone euro. Les inconvénients d’une monnaie unique avec redistribution budgétaire : Par Jean-Luc Migué, Monnaies et politique : le débat oublié29. « (…) dans un régime de changes flottants entre monnaies circulant librement, entreprises et individus peuvent librement détenir leurs actifs dans la monnaie de leur choix. Les autorités de chaque pays n’ont pas d’autre choix que de se conformer à ce que désirent les citoyens. Lorsqu’un gouvernement mène une politique économique irresponsable, il incite les mécontents à choisir une autre monnaie, ce qui en fait apparaître clairement le coût à tous et l’affaiblit politiquement. (…) Un régime d'union monétaire avec transferts compensatoires n'incite à aucun ajustement, et ne peut donc pas exercer l'influence stabilisante qu'on lui prête. Il déplace seulement le point d'impact du coût d'ajustement : des régions ou pays qui se comportent de la manière la plus irresponsable en économie vers celles ou ceux qui sont les plus efficaces parce qu'ayant adoptées les politiques économiques les plus libérales. La seule existence d'un mécanisme de transferts financiers centralement coordonnés neutralise les processus d'ajustement. Il en résulte un problème d'aléa moral qui joue de la même manière que l'on soit dans un régime monétaire à monnaie unique ou à plusieurs monnaies. (…) Ce n'est pas parce que l'on a un marché unique que celui-ci doit nécessairement s'accompagner d'une monnaie unique ou d'arrangements de coopération et d'harmonisation particuliers. Pas plus qu'il n'est nécessaire de ne plus avoir qu'une seule politique sociale, ou une seule langue. En tout état de cause, comme il n'existe aucun moyen de deviner par avance ce que seraient les limites de la zone monétaire optimale, il n'y a que le mécanisme de découverte du marché qui peut nous dire si nous avons besoin d'une ou plusieurs monnaies. Si les avantages que l'on prête à l'existence d'une monnaie unique européenne, ou au nom desquels certains sont prêts à abandonner l'utilisation d'une monnaie canadienne propre - sont aussi grands qu'on le dit (en raison des économies d'échelle et de coûts de transaction qui y sont liés), il n'y a pas de souci à se faire : c'est vers cela que le marché tendra naturellement. Mais entretemps, la présence d'une libre concurrence entre plusieurs monnaies - tant qu'elle ne sera pas neutralisée par l'intervention discrétionnaire d'une autorité supranationale - aura au moins contribué à protéger nombre de gens contre les méfaits de décisions nationales économiquement erronées. (…) Il est préférable que les décisions économiques et monétaires demeurent du ressort national dans la mesure où cela implique que les gouvernements restent soumis à des disciplines concurrentielles éliminées par le passage à l'union. Paradoxalement c'est en maintenant la souveraineté monétaire au niveau des autorités nationales que l'on a relativement moins de risque de voir les pouvoirs publics s'engager dans des politiques de redistribution économiquement perverses. » 27 Johnson H.G., “The case for flexible exchange rates”, Federal Bank of Saint Louis Review, 51 (6), 1969. Xavier Sala-i-Martin & Jeffrey Sachs, 1991. "Fiscal Federalism and Optimum Currency Areas: Evidence for Europe From the United States," NBER Working Paper No. 3855. 29 http://www.euro92.com/edi/bull/archives/arch23migue.htm 28 30 31 5) L’intégration financière : Ingram (1969) La mobilité des capitaux permet le financement des déficits publics par les épargnants des autres pays, en particulier grâce au marché des titres à long terme, sans pression sur les taux d’intérêt. Cependant, on peut émettre une réserve quant à la pertinence de ce critère : l’ouverture des marchés ne garantit pas l’afflux spontané de fonds privés vers un pays subissant un choc. Sur l’exemple des Etats-Unis, A. Atkeson et T. Bayoumi (1993) montrent que la forte intégration des marchés financiers multiplie les mouvements de capitaux, mais sans pouvoir les orienter de façon significative vers les régions connaissant des déséquilibres conjoncturels. 6) Les autres critères : - le même niveau d’inflation (Haberler et Fleming, 1971) L’effet "Balassa-Samuelson" revient à considérer que l'égalisation des prix par le taux de change, c'est-à-dire la détermination du taux de change selon la parité des pouvoirs d'achat (PPA), ne peut se faire qu'entre des économies ayant le même niveau de développement et d'efficacité du capital et de la maind’œuvre, les pays en retard connaissant systématiquement une inflation plus forte que les pays avancés. Par conséquent, une union monétaire ne peut associer que des pays économiquement semblables. - le critère des préférences homogènes : les objectifs de politique économique des différents gouvernements doivent converger, notamment en matière d’inflation. Cooper (1977). Kindelberger (1986) - la synchronisation des cycles économiques : car derrière la monnaie unique, la politique monétaire est uniforme, que ce soient les taux d’intérêt à court terme auxquels se refinancent les banques ou le taux de change. - le caractère endogène des critères d’optimalité (Frankel et Rose, 1998) : une union monétaire, initialement non optimale, peut progressivement le devenir si le nouveau régime fait converger les taux d’inflation, favorise l’intégration commerciale, accroit la corrélation des revenus entre pays et finalement renforce leur capacité d’absorption des chocs. L’unification monétaire impose des contraintes qui mettent en route un engrenage vers l’unification économique. Bilan : A la question : diriez-vous, aujourd’hui, que l’Europe est devenue une zone monétaire optimale ? le prix Nobel Robert Mundell répondait en 2000 : « Plus ou moins. Une zone monétaire optimale, c’est forcément quelque chose d’assez relatif. Je dirais que c’est plutôt un objectif qu’un état définitif. Elle implique une bonne mobilité de la main-d’œuvre et du travail. De toute façon, je ne vois ça moi-même que comme une théorie et les théories n’ont qu’une fonction, bien limitée : nous aider à penser une réalité. Il ne faut pas s’y accrocher religieusement. Ce qu’on retiendra, à l’avenir, c’est que l’Europe s’est dotée d’une monnaie unique, forte, qui constituera un pôle d’attraction de plus en plus irrésistible pour la livre et toutes les autres monnaies du continent. Pour les pays de l’ancien bloc communiste, l’euro va devenir un phare, qui va les attirer comme des papillons. Il sera bien plus stable que ne l’étaient vos anciennes monnaies nationales, y compris le mark allemand.30 » Pourtant, si on analyse objectivement les différents critères, en Europe le degré d’unification n’est pas assez grand pour la fixité des taux de change, la mobilité du travail n’est pas suffisante, les structures économiques trop hétérogènes, les transferts fiscaux trop faibles. Inversement, aux USA, le facteur travail migre facilement vers les régions en 30 Capital, janvier 2000, p. 147. 31 32 expansion alors que celles en récession sont stimulées par des transferts fiscaux. Les conséquences des chocs asymétriques ont donc tendance à se corriger d’eux-mêmes. Pour se rassurer, on peut signaler que le Professeur Herbert Giersch, de l’Université de Kiel, avait démontré, à partir des critères de Mundell, que la RFA elle-même ne constituait pas une ZMO. Et Tootell a montré que les USA ne constituaient pas non plus une ZMO. Et pourtant dans les deux cas circulait ou circule une seule monnaie. Les Etats-Unis constituent-ils une ZMO ? L’étude de Geoffrey Tootell publiée par la Banque Fédérale de Réserve de Boston en 1990 montre que 6 grandes régions constituent des ZMO à l’intérieur des USA : Far West, Sud-Est, Farm Belt, Midwest, Etats atlantiques, New England. D’ailleurs la division du système de la FED en 11 districts bancaires correspond à peu près à ces zones. Gosh et Wolf, How many monies ? », NBER, 1994, aboutissent à la même conclusion. Ils chiffrent les pertes de bien-être (substantielles) résultant de l’imposition d’une seule monnaie. Avec 20 ou 30 monnaies, ces pertes seraient quasi nulles. Pourtant, même si les USA ne sont pas une ZMO, ils sont pu conserver une monnaie unique depuis plus d’un siècle. Pourquoi ? - D’une part, la centralisation monétaire s’est faite plus d’un siècle après la centralisation politique - D’autre part, il existe un véritable fédéralisme fiscal : le revenu d’un Etat en récession, après redistribution, ne baisse que de 62 cents pour 1 $ de revenu perdu Source : Jean-Jacques Rosa, L’erreur européenne, Pourquoi la zone euro fonctionne mal : le point de vue prophétique de V. Klaus : Vaclav Klaus déclarait en 1998 : « Alors que les critères bien connus de Maastricht sont de nature macroéconomique, la théorie des zones monétaires optimales est définie en termes microéconomiques, ce qui est tout différent. Le niveau des déficits budgétaires ou de la dette publique n’a aucune espèce de lien avec la rigidité des salaires ou la mobilité du travail. Il y a par contre une relation possible entre ces deux domaines à travers la politique budgétaire et fiscale. Et je suis d’accord avec ceux qui soutiennent que l’union monétaire nécessite une fiscalité fédérale pour fonctionner correctement. (…) Comme l’union monétaire élimine les variations nominales des taux de change nous devons nous demander ce qu’il en est de la flexibilité des prix et des salaires et de la mobilité du travail en Europe. Je ne pense pas qu’elles soient suffisantes à présent pour garantir un ajustement rapide des taux de change réels. Et s’il en est ainsi il faut faire entrer la politique budgétaire et fiscale en ligne de compte. Mais la politique budgétaire et se situe au cœur de la souveraineté nationale. C’est pourquoi je suis persuadé que le débat sur l’union monétaire doit s’accompagner d’un débat sur l’union fiscale et budgétaire de l’Europe. Et si je ne m’abuse un tel débat n’a pas encore commencé, ou au moins pas de façon sérieuse. (…) C’est ce qui explique que la question de la monnaie unique ne se limite pas à des considérations d’économies sur les changes et les coûts de transaction. Il s’agit aussi de représentation et de mécanismes politiques, et d’institutions appropriées.31 ». Klaus prend l’exemple de l’ancienne Tchécoslovaquie, qui était une union monétaire. Le pays était trop vaste pour constituer une zone monétaire optimale et il fallait envoyer de l’argent de la Tchéquie vers la Slovaquie. Ces transferts étaient possibles grâce à l’union politique. Quand l’union politique s’est dissoute en 1992, l’union monétaire n’a pas pu durer plus de six semaines. Par conséquent, il est nécessaire de savoir si une union monétaire peut exister sans union politique. 31 Le Figaro, 24 avril 1998, article paru initialement dans Central European Economic Review, 1998. 32 33 B) Les leçons de l’histoire : l’union politique précède l’union monétaire L’unification monétaire accompagne les empires. La Rome de César impose une monnaie commune en Europe, en Afrique et en Asie mineure. Charlemagne reproduit un schéma analogue et les hommes partagent la même monnaie de la Tamise au Tibre. Charles Quint (1500-1558) tente de construire une union monétaire dans ses terres germaniques. Les nombreuses monnaies locales sont assises sur le marc de Cologne. Mais les seigneurs locaux, jaloux de leur souveraineté, font échouer la mesure. En 1753, l’Autriche, la Bavière et les Etats du sud de l’Allemagne, rejoints ensuite par la Prusse, adoptent une monnaie commune, appelée thaler, au succès très relatif. Au 19ème siècle, l’avènement d’Etats nations réclame l’harmonisation des monnaies. Des unions monétaires vont se créer, certaines à l’échelle nationale (Italie, Allemagne), d’autres à l’échelle internationale (Cf. l’union latine et l’Union monétaire scandinave). La question ici est de savoir qui du politique ou du monétaire vient en premier. Le tableau suivant nous permet de donner une réponse. Zone Union monétaire Union Politique Unification monétaire des Etats-Unis Etats Unis 1862 1776 Union allemande Etats germaniques 1871 1871 Union italienne Etats italiens 1926 1861 Union helvétique Suisse 1850 1848 Union austro-allemande Etats germaniques, Autriche 1857 à 1867 Non Union latine Belgique, France, Italie, Suisse 1865 à 1926 Non Union scandinave Norvège, Suède, Danemark 1872 à 1931 Non Pour les USA, l’Italie et la Suisse, l’Union politique précède l’Union monétaire. Pour l’Union austro-allemande, l’Union latine et l’Union scandinave, l’Union monétaire s’est réalisée sans Union politique préalable, mais elles toutes les trois périclité. Enfin reste le cas allemand qui est plus complexe. L’unification monétaire allemande Le Zollverein est créé en 1834, c’est une union douanière entre 18 Etats qui formeront en 1871 l’Allemagne unie. Au départ, chaque Etat possède sa propre monnaie. Certaines disparaissent rapidement, mais 7 restent encore en circulation au milieu du 19ème siècle. Il est prévu de définir une monnaie commune en complément de l’union douanière. Les Etats du sud et du centre de l’Allemagne signent en 1837 l’accord de Munich, par lequel ils fixent un titre unique pour le gulden (florin) et règlent ensemble les conditions de son émission. Les Etats du Nord, emmenés par la Prusse, adoptent le thaler. La convention de 33 34 Dresde de 1938 établit un taux de change fixe entre le thaler au Nord et le Gulden au Sud, de sorte qu’un gulden = 4/7 thaler. Une monnaie commune voit le jour, le vereinsmünze, frappée en argent. Trop grosse, elle sera peu utilisée. On est donc dans un système d’étalon argent et de changes fixes. Mais dans les faits, ce n’est pas cette monnaie commune, mais le Thaler prussien qui deviendra bientôt la monnaie la plus utilisée dans les paiements. Progressivement, il pénètre les Etats allemands du Sud. Un traité monétaire est signé en 1857 avec l’Autriche, généralisant la frappe du Thaler dans tous les Etats allemands et lui donnant cours légal. En 1871-1873 est établi le mark-or, frappé par la Banque centrale de Prusse. Le thaler prussien, le mark-banco de Hambourg et le florin bavarois se fondent dans le nouveau mark bismarckien. La Reichsbank est mise en place en 1875. 1871 est aussi l’année de l’unification politique sous l’impulsion du chancelier Bismarck. Devant cette chronologie, Jutta Hergenhan32 soutient que « en Allemagne, l’unification politique de la nation va de pair avec l’unification économique et monétaire. » En revanche, l’historien Michel Hau33 soutient qu’« une véritable unification monétaire de l’Allemagne se réalise donc longtemps avant l’unification politique de 1871 ». De même, Jean-Charles Asselain34 soutient également que l’Union monétaire a précédé l’Union politique : « L’Allemagne des années 1830 connaît encore une véritable anarchie monétaire, caractérisée par le cloisonnement des systèmes monétaires, une circulation étonnamment bigarrée de pièges d’argent de tout calibre et de mauvais aloi dans de nombreux Etats, car c’est le visage que prend la « mauvaise monnaie », autrement dit l’inflation dans un régime de monnaie métallique. La première étape décisive de l’union monétaire, dès 1837-38, précède largement, comme le souligne Karl-Ludwig Holtfrerich, et du même coup prépare l’unification politique trente ans plus tard. Elle porte sur la standardisation des pièces d’argent, sur l’unification des normes de contenu métallique (et à la réflexion on doit voir là la garantie déterminante contre le risque d’inflation en régime de monnaie métallique) et sur l’instauration de rapports d’échanges simples et constants entre les monnaies des différents Etats, en référence au mark d’argent de Cologne (et cela un tiers de siècle avant que le mark ne devienne le nom de la monnaie allemande). Par référence à la grille d’analyse développée vers 1990 à propos de l’unification monétaire européenne, on peut reconnaître ici le stade correspondant à des taux de changes fixes et irrévocables, cette première étape de l’unité monétaire ouvrant presque aussitôt sur la seconde, celle de l’émergence d’une monnaie commune, à la suite de la création en 1847 de la banque centrale prussienne et de l’expansion de la circulation dans toute l’Allemagne du thaler prussien. Ainsi l’unité monétaire allemande se dessine très nettement dès avant la disparition des dénominations monétaires propres aux différents Etats, et elle se construit autour de la plus forte (la plus stable et réputée comme telle) des monnaies nationales, le thaler de la Prusse : ici le rapprochement avec la construction monétaire européenne surgit de lui-même.» Ces exemples montrent que la volonté politique est le meilleur gage de réussite en matière d’intégration monétaire et que la présence d’un leader facilite le processus. L’histoire ne prouve pas que des critères nominaux de convergence aient été les moteurs des intégrations monétaires. Les unions monétaires, quand elles ne s’accompagnent pas d’une volonté explicite d’intégration politique, finissent par disparaître. C’est l’exemple de l’Union latine. 32 http://www.notre-europe.eu/media/Probl5-fr_01.pdf Michel Hau, Histoire économique de l'Allemagne XIXè -XXè siècles, éd : Economica collection économies et sociétés contemporaines, 1994. 34 http://www.univ-orleans.fr/deg/GDRecomofi/Activ/colloquedugdr2000/pdf/g3-1.pdf 33 34 35 L’Union latine Elle est créée en 1865 entre la France, la Belgique, l’Italie et la Suisse, à l’initiative de Napoléon III. Les monnaies de référence de chaque pays de l’Union ont le même poids d’or fin, tout en gardant leur nom (franc français, franc suisse, lire) et leur symbole national. Ces monnaies peuvent de la sorte circuler librement dans tous les pays de l’Union et il devient possible de payer à Paris avec des lires ou des francs suisses. Le précurseur de l’Union latine fur Napoléon 1er, qui avait imposé dans les pays soumis à la France une référence monétaire commune : le Napoléon, une pièce de 5,801 grammes d’or fin, d’une valeur de 20 francs. Dans une lettre à son frère Louis, roi de Hollande (et père du futur Napoléon III), en 1806, il écrit : «Mon frère, si vous faites frapper de la monnaie, je désire que vous adoptiez les mêmes divisions de valeur que dans les monnaies de France et que vos pièces portent, d'un côté, votre effigie et, de l'autre, les armes de votre royaume. De cette manière, il y aura dans toute l'Europe uniformité de la monnaie, ce qui sera d'un grand avantage pour le commerce». Après Waterloo et l'effondrement de l'Empire napoléonien, la référence au Napoléon est provisoirement abandonnée. Mais la Belgique, en prenant son indépendance, en 1830, y revient d'elle-même dans le souci d'asseoir sa monnaie sur une base solide. L'Italie fait de même en procédant à son unification. Enfin, la Suisse, en 1851, introduit à son tour une pièce de 20 francs suisses ayant les mêmes caractéristiques que ses consœurs (5,801 gr. d'or fin). La convention de 1865 entérine ces évolutions. Elle laisse à ses signataires le droit de se retirer de l'Union à leur guise. Dans les faits, de nombreux pays la rejoignent, à commencer par la Grèce, le 8 octobre 1868. Au total, 26 pays adhèrent à l'Union latine, de l'Argentine à la Finlande (à l'exception notable de l'Angleterre et de l'Allemagne). L'Union latine va fonctionner pendant plusieurs décennies, illustrant le très haut niveau d'intégration atteint par l'Europe à la fin du XIXe siècle. C'est l'une des périodes où les Européens ont au plus haut point le sentiment d'appartenir à une communauté de civilisation, unie par des valeurs et des croyances identiques. La Grande Guerre (1914-1918) va mettre à mal cette solidarité. L'Union latine s'éteindra pour de bon le 1er janvier 1927 La convention admet, à côté de pièces en or, des monnaies divisionnaires en argent. Mais ce bimétallisme va être mis à rude épreuve suite à l'enchérissement de l'argent par rapport à l'or. Cet enchérissement de l'argent est la conséquence de l'arrivée en Europe de grandes quantités d'or, du fait de la découverte d'importants gisements aurifères en Californie, Sibérie, Australie et Afrique du Sud. Le choix de l’étalon est décisif : l’adoption du seul étalon or aurait peut être facilité l’adhésion des pays d’Europe du Nord mais elle a été rejeté par des nations qui craignaient de perdre leur souveraineté. Avec l’euro, l’union monétaire s’est faite sans union politique Les hommes politiques qui ont voulu l’euro pensaient que la réalisation de la monnaie unique était la meilleure voie pour aboutir à un Etat européen, pour aller vers une Europe politique et le fédéralisme. Ainsi pour J. Delors, la monnaie est vue comme « un projet de saut collectif vers la création d’une Europe politique ». L’enchainement est le suivant : Union commerciale => union monétaire => union politique On retrouve ici la théorie du déséquilibre créateur : la BCE crée un vide de légitimité politique que doit venir combler l’union politique. Le danger est de transformer un idéal en contrainte. Pour J.-P. Chevènement, « le projet de monnaie unique est la dernière tentative de l’idéologie post-nationaliste pour forcer les peuples dans la direction d’une union politique dont le dessein leur avait été dissimulé35. » Pour Philippe Bénéton, « il s’agit de forcer la main des peuples, d’imposer une intégration à grande échelle au nez et à la barbe des citoyens. 36». 35 36 France-Allemagne : parlons franc, Plon, 1996. Hercule est un héros européen, Le Figaro, 3-4 mars 2012, p. 16. 35 36 Inversement, selon l’approche allemande, la monnaie a pour mission de couronner un ensemble politique constitué. Pendant très longtemps, Kohl a dit qu’il ne fera pas la monnaie unique sans l’union politique. Karl Otto Pöhl, ancien président de la Bundesbank, mettait en garde en mai 1988 contre les illusions de la monnaie unique. Il pensait que ce projet échouerait s’il n’était pas accompagné d’une étroite coordination des politiques économiques, qu’il jugeait improbable. En effet, pour lui, rien de permet de garantir que les Européens s’engagent sérieusement autour de concepts clés tels la stabilité des prix, l’indépendance de la banque centrale, l’interdiction de financer les déficits par la planche à billets. L’absence d’union politique se retrouve dans le graphisme des billets. Les ponts symbolisent l’union entre les pays ; les portes et les fenêtres l’ouverture sur le monde. Pas de monuments historiques, ni de personnages historiques, contrairement à la plupart des autres monnaies. L’euro n’est pas ancré dans le passé. La seule référence à l’Europe est la carte de l’Europe. L’histoire est oubliée. « Ces billets, on dirait des halls de gare, des portes ouvertes, des endroits pour courants d’air. Avec Richelieu, vous savez où vous êtes. Là, on n’est nulle part, on passe. Comme si l’Europe était en lévitation par rapport aux cultures nationales37 » note Bernard Cassen, directeur du Monde diplomatique. « L’iconographie choisie pour les billets européens est révélatrice d’une monnaie par trop « technique » : pas d’empereur, pas de monarque, pas de reine d’Angleterre, pas de George Washington, ni grand homme ni femme célèbre. Non. Des portes et des ponts, naïves allégories des échanges auxquels doit présider cette nouvelle monnaie. On n’y verra pas âme qui vive, pas un être humain, pas un citoyen, pas un sujet, pas de corps, pas de sexe… Monnaie sans prince… 38» écrit le psychanalyste Roland Brunner. L’euro a un problème d’identité. Pour pallier l’absence de gouvernement européen, des tentatives de coordination des politiques budgétaires ont été mises en œuvre. C) La tentative de coordination des politiques budgétaires par le PSC En face de la BCE, il n’y a pas d’interlocuteur unique, ce qui permettrait une coordination serait plus efficace. Le flou institutionnel sur le partage des prérogatives économiques entre la Commission européenne, l’Euro groupe et les gouvernements constitue un point d’incertitude. L’Euro groupe est la réunion mensuelle (et informelle) des ministres des Finances des États membres de la zone euro, en vue d’y coordonner leur politique économique. Il a été créé par le Conseil européen en 1997 et son président est élu pour un mandat de 2,5 ans (nouveauté apportée par le traité de Lisbonne de 2007). Le conseil Ecofin (Conseil pour les Affaires économiques et Financières), réunit les ministres des Finances des Etats membres de l’UE. Le seul élément concret tendant à la coordination des politiques budgétaires est le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) a été adopté au sommet d’Amsterdam en 1997, à la demande du gouvernement allemand (Théo Waigel). 1) La logique du PSC : Il incite les Etats de la zone euro d’avoir des budgets proches de l’équilibre ou excédentaires. Il prévoit pour les pays qui laisseraient leur déficit public dépasser 3% de leur PIB, des amendes pouvant atteindre 0,5% du PIB (sauf si le déficit résulte d’une baisse d’une récession sévère, soit 2% du PIB). Comme le rappelle Michèle Saint Marc, le PSC ne prévoit aucune contrainte sur la dette publique. 37 38 Le Monde, 23 novembre 2001, p. VI. Le Monde, 23 novembre 2001, p. XVII. 36 37 Ce pacte est destiné à assurer la gestion saine des finances publiques dans la zone euro, afin d’éviter que la politique budgétaire laxiste d’un Etat membre ne pénalise les autres par le biais de son impact sur les taux d’intérêt de la zone. L’idée est qu’avec une politique budgétaire rigoureuse, on aura un euro fort et le BCE pourra maintenir des taux d’intérêt bas. Il vise aussi à éviter un comportement de passager clandestin. Un pays ayant un fort déficit accumulera de la dette publique, d’où un risque de perte de valeur de l’euro dont tous les pays pourraient pâtir. Jean-Claude Trichet, ancien président de la BCE, voyait dans le PSC un moyen de réfuter deux critiques contre la monnaie européenne : 1ère critique : une monnaie unique sans politique budgétaire unique : « Comme nous n’avons pas de budget fédéral significatif, nous surveillons directement chacun des budgets nationaux. » 2ème critique : pas d’aide automatique par le canal du budget en cas de choc asymétrique : « En fixant comme objectif aux finances publiques de chaque pays d’être proches de l’équilibre ou en excédent, le pacte apporte aussi une solution en cas de choc asymétrique : chaque pays de la zone euro doit pouvoir répondre à un choc en utilisant lui-même la marge de manœuvre budgétaire qu’il s’est donné en période normale. Le pacte est un élément essentiel à la crédibilité de l’union économique et monétaire39 ». - - - - - 39 2) Les limites du PSC : Il diminue la flexibilité de la politique budgétaire face à des chocs asymétriques : le président de la Commission européenne Romano Prodi, président de la Commission européenne, déclara en 2002 : « Le Pacte de Stabilité est stupide, comme toutes les décisions qui sont rigides ». Il a un effet procyclique car il fait peser un fardeau supplémentaire sur les pays qui sont déjà en difficulté. Stiglitz voit en lui en déstabilisateur automatique Il décourage les investissements publics car en cas de frôlement des 3%, le gouvernement réduit en premier les investissements publics que les dépenses courantes Il ne fait pas différence entre les pays suivant leur niveau d’endettement : dépasser les 3% de déficit public n’a pas les mêmes conséquences lorsque le ratio dette publique/PIB est supérieur à 100% et lorsqu’il est aux environs de 60% Il n’a pas été respecté : Ainsi, les cagnottes fiscales procurées par la croissance de la fin des années 1990 n'ont pas servi à diminuer les déficits, mais à accroître les dépenses (France). Ce qui est contraire à l’esprit du Pacte. Sur la période 2002-2004, 3 pays ont dépassé la limite des 3% sans encourir de sanction : Allemagne, Portugal, France. Par le recours à l’argument de la situation exceptionnelle, ces pays n’ont pas été sanctionnés. Avec la crise de 2008, les déficits publics ont explosé le seuil des 3%. L’inapplication du PSC mine sa crédibilité, d’où la volonté de le réformer. 3) L’assouplissement du PSC : Prendre en compte la notion de déficit structurel, c’est à dire l’impact de la conjoncture sur les comptes publics (accepté en 2003 par la Commission). Exclure les dépenses qui constituent un investissement : R&D, nouvelles technologies, infrastructures, éducation supérieure. Mais il est difficile de distinguer les bonnes dépenses génératrices de croissance future des autres. Appliquer le critère à l’ensemble de la zone euro et non pays par pays Apprécier le respect du critère en tendance (on peut dépasser les 3% à condition de réduire le déficit public) Le Monde, 2 juillet 2002, p. 20. 37 38 V) L’euro, notre monnaie et notre problème A) Un premier bilan de l’euro L’Europe rêve de confirmer son autorité sur la scène internationale, avec des éléments d’unité et de crédibilité appuyés par une monnaie rêvée (pensée) à Paris, construite à Bruxelles et frappée à Francfort. A-t-elle atteint ses objectifs ? Les effets positifs de l’Euro : Pas de crise de change. Pas de dévaluations compétitives ni de turbulences des taux de change intra-zone. Une stabilité monétaire relative : inflation proche de 2%. « Nous pourrons considérer que [l’euro]est un succès s’il est démontré que nous sommes parvenus à préserver la stabilité des prix, que nous avons obtenu la confiance de l’opinion publique et que cette situation se perpétue » avait déclaré Wim Duisenberg40, le premier président de la BCE. Le tableau suivant, tiré d’Eurostat, montre cependant que la BCE n’a même pas réussi à atteindre son objectif annuel d’inflation une fois deux en 14 ans. 1999 1,7 Inflation en zone euro, fin décembre de chaque année41 2000 2,5 2001 2,0 2002 2,3 2003 2,0 2004 2,4 2005 2,2 2006 1,9 2007 3,1 2008 1,6 2009 0,9 2010 2,2 2011 2,7 2012 2,2 Une intégration financière quasi-achevée. Les investisseurs ont les moyens de diversifier plus efficacement leur portefeuille. La montée progressive de l’euro comme monnaie internationale : la part de l’euro dans les réserves étrangères de change est passée de 18% en 2000 à 27% en 2011. Une plus grande synchronisation des cycles conjoncturels, selon la BCE. Jean-Claude Trichet déclarait en 200642 : « L’euro est un remarquable succès. (…) Nous sommes parvenus à offrir à 313 millions d’individus de la zone euro le niveau de confiance monétaire, de crédibilité monétaire, le niveau de taux d’intérêt à moyen et long termes qui étaient le privilège d’une partie d’entre eux seulement ». Les effets négatifs de l’euro : Un déficit de croissance Taux de croissance annuel moyen de 1999 à 2010 : • USA : 2.1% • UE 25 : 1.5% • UE 15 : 1.4% L’échec du pacte de stabilité Les critères de Maastricht n’ont pas été respectés, aucune sanction n’a jamais été appliquée en dépit de 68 violations de la règle de déficit excessif. Cette impunité est une faiblesse pour la zone euro qui perd sa crédibilité. Finances publiques en zone euro 2007 2008 2009 2010 Solde public -0,7% -2% -6,3% -6% Dette publique 66,2% 69,9% 79,3% 85,1% 40 Le Figaro, 7/07/1998. http://www.ecb.int/stats/prices/hicp/html/inflation.en.html 42 Entretien à La Tribune, 15 mars 2006, pp. 2 et 3. 41 38 39 L’impunité procurée par l’euro : le dérapage des finances publiques n’est plus sanctionné par la dévaluation. Certains Etats ont pu se cacher derrière la monnaie unique et ses taux d’intérêt bas pour émettre de la dette de manière excessive. L’euro a tendance à encourager le vice et décourager la vertu. Les marchés des changes ne sont plus là pour jouer les pères fouettards. Des performances économiques divergentes, d’où une hétérogénéité accrue de l’UEM. Loin de provoquer la convergence espérée, la mise en place de l’euro a, au contraire, accentué le phénomène de divergence en termes de niveaux de vie, d’inflation, d’évolution des couts salariaux ou de prix à l’exportation (Allemagne vs Italie). • Cout du travail de 1999 à 2011 : +3,5% en France, -17,7% en Allemagne • - - - Soldes courants cumulés depuis 1999 : 1 000 milliards d’euros d’excédents en Allemagne, 650 milliards d’euros de déficits en Espagne, 290 milliards pour l’Italie. • Taux d’inflation de 1999 à 2011 : + 23,7% en France contre 10,3% en Allemagne. Les différences de taux d’inflation en zone euro peuvent s’expliquer par 3 facteurs : L’écart de conjoncture : les différences de situation cyclique parviendraient à expliquer jusqu’à 80% des écarts constatés selon une étude de la BCE en 2000. L’effet Balassa-Samuelson ou effet de rattrapage : dans le secteur exposé à la concurrence, d’importants gains de productivité ont lieu. Ce secteur connaît des hausses de salaires, mais qui ne se traduisent pas par une poussée des prix, productivité oblige. Les revendications et les salaires dans le secteur abrité conduisent, elles, à des augmentations de prix. Un taux d’inflation plus élevé peut donc signifier des gains de productivité plus élevés et un rattrapage salarial. Des effets de structure : un marché du travail moins libéralisé, un taux d’emploi qui n’augmente pas, une politique budgétaire laxiste. • En termes d’innovation, les pays du Sud ont un déficit. dépenses de R&D en % du PIB : 1 à 1,5% pour l’Italie et l’Espagne, 2% pour la France, 2,75% pour l’Allemagne. 39 40 - nombre de brevets : l’Allemagne fait la course en tête. Brevets par million d'habitants Slovénie Slovaquie Portugal Pays-Bas Luxembourg Italie Irlande Grèce Germany France Finlande Estonie Espagne Chypre Belgique Autriche Brevets par million d'habitants 0 100 200 300 400 500 600 700 Source: WIPO Statistics Database and World Bank (World Development Indicators), December 2011. 40 41 • • L’Europe du nord est riche en travail qualifié, technologies, exportations. Les exportations représentent 100% du PIB en Irlande contre 31% au Portugal et 21% en Grèce. La croissance dans ces derniers pays dépend essentiellement de leur demande interne, à savoir la demande publique et privée, une dynamique bloquée par les programmes d’austérité. L’euro renforce les forts : très peu d’analystes avaient prévu le fait que l’euro allait accroitre l’hétérogénéité des structures productives de la zone euro. L’industrie et les excédents commerciaux des pays du Nord se trouvent renforcés aux dépens des régions du sud de l’Europe, en raison même de la monnaie unique. Ce dont témoigne l’évolution du PIB par habitant, en volume, entre 2007 et 2010. Les Allemands sont les seuls à s’être enrichis ! Allemagne + 0,3% France - 3% Espagne - 5,6% Grèce - 6,4% Irlande - 14% Loin de favoriser la convergence, l’entrée de la Grèce dans la zone euro a paradoxalement aggravé les divergences avec les autres économies, la baisse de la compétitivité ayant été masquée par le surendettement. André Grjebine avait anticipé cette divergence dès 1992 : « Pour ma part, je crains [que le système monétaire défini à Maastricht] n’induise une divergence structurelle des économies européennes. 43» A l’opposé des hommes politiques européens, europhiles voire eurolâtres dans leur grande majorité, il faut remarquer la lucidité des citoyens européens. A la question « A votre avis, l’adoption de l’euro est-ce, pour votre pays, une opération globalement avantageuse qui va nous renforcer pour l’avenir ou, à l’inverse, une opération globalement désavantageuse qui va nous affaiblir ? », le solde des opinions n’était positif qu’à hauteur de 12% en novembre 2005 (51% d’opinions favorables, 39% d’opinions défavorables)44. 43 44 « Les trois voies de la construction européenne », Le Débat, 1992 /4, n°71, p. 56. Eurobaromètre de la Commission européenne. 41 42 B) La crise en zone euro : les origines 1) Une crise envisagée ? Florin Aftalion prévoyait dès 199945 l’échec de l’euro : une même politique monétaire ne pourra être optimale pour l’ensemble de la région et un jour ou l’autre la BCE subira des pressions irrésistibles pour mener une politique monétaire de relance et l’inflation repartira. Opinion ultra minoritaire à l’époque. En effet, la pensée unique était alors totalement favorable à l’euro, la possibilité d’une crise étant une question incongrue. Par exemple, Patrick Artus, Directeur des études économiques de la CDC, déclarait en 1998 : « Il est évidemment extrêmement improbable qu’un pays européen devienne insolvable, fasse défaut sur sa dette publique. (…) une crise de la dette publique ne peut pas être un problème durable. Ceux qui pronostiquent des effets dramatiques en Europe de la disparition du prêteur en dernier ressort vis-à-vis des Trésors sont donc dans l’erreur. De même, il n’y a pas lieu de s’inquiéter d’une crise bancaire globale dans la zone euro, à laquelle la BCE répondrait par une politique monétaire plus expansionniste 46». 2) Les causes de la crise : Un complot anglo-saxon contre l’euro ? « En devenant monnaie de réserve et étalon de valeur, la monnaie européenne met en cause le droit de seigneuriage des Américains. Nous sommes arrivés au point de bascule 47» analyse Denis Kessler, PDG de la Scor. « Pour les Américains, l’alarme a été tirée le jour où les émissions obligataires libellées en euros ont dépassé celles en dollars. D’où le déclenchement de l’offensive contre la monnaie européenne pour enrayer cet engouement qui portait en germe la consécration de l’euro et la déstabilisation du dollar » précise Jean-Marc Daniel, professeur à l’ESCP. Tout ceci est fort possible. Cependant, les attaques contre la monnaie unique sont des symptômes de la crise de l’euro, non sa cause. Un endettement public excessif La disparition du risque de change avec la création de l'euro en 1999 a conduit à un relâchement des disciplines budgétaire et fiscale des pays ayant déjà des déficits extérieurs et à la hausse de l'endettement. Jusqu'au moment où les marchés - et avec eux les pays excédentaires - se sont interrogés sur la solvabilité de certains des pays déficitaires. Rendement des obligations d'Etat Source : Fonds monétaire international. 45 Les Echos, 22 février 1999. Patrick Artus, Le Figaro, 27/11/1998. 47 Source : Le nouvel Economiste, n°1850, du 15 au 21 septembre 2011. 46 42 43 La création de l'euro avait fait croire aux investisseurs que le risque des différentes obligations souveraines était le même partout en Europe. Leurs rendements avaient donc convergé de 2000 à 2007. La découverte de l'erreur en 2008 a rapidement creusé des écarts de rendement (Cf. graphique précédent). « Même si la structure de l'Eurozone a permis aux Grecs d'emprunter de l'argent comme s'ils étaient des Allemands, cela ne les a pas empêchés de rembourser leurs dettes comme des Grecs" selon la formule truculente de Dan Denning48. Comment la Grèce a utilisé sa dette ? Sur les 360 milliards d'euros de dette accumulés ces 30 dernières années, l'essentiel a servi à financer des dépenses courantes. Très peu a été utilisé pour investir et garantir une croissance à plus long terme. Selon Thomas Moutos et Christos Tsitsikas, de l'université d'Athènes, la hausse des déficits résulte d'une explosion des dépenses publiques, alimentée en particulier par l'augmentation du nombre de fonctionnaires et de leurs salaires. Entre 1976 et 2009, les deux économistes relèvent que "le nombre de fonctionnaires a augmenté de 150%, alors que sur la même période l'emploi privé progressait de seulement 34%". Résumons : la Grèce a été cigale. Maintenant, elle ne peut plus payer. Des divergences croissantes en matière de compétitivité La politique budgétaire n’est pourtant pas seule en cause. Pour preuve, avant 2007, les Allemands affichaient un déficit budgétaire record, alors que les Espagnols étaient à l'équilibre.» Or, au final, c'est Madrid qui est aujourd'hui sanctionné par les marchés et non Berlin. Les raisons de la crise viennent aussi de divergences croissantes en matière de compétitivité entre les pays du noyau dur de la zone et les pays dits périphériques. Autrement dit, si les pays périphériques n'arrivent pas à s'en sortir, ce n'est pas tant à cause du niveau trop élevé de leur dette que de leur incapacité à générer une croissance solide. D’où l’importance de la balance des paiements qui constitue un indicateur de la compétitivité d'un pays. Une politique monétaire inefficace L’inefficacité inévitable de la politique monétaire unique vient du fait qu’elle est appliquée à des économies hétérogènes : taux trop bas pour des économies dynamiques et trop élevés pour d’autres. Par exemple, en 2003, le taux d’intérêt de la BCE était de 2%. Comme en Espagne l’inflation était de 4% cela donnait des taux d’intérêt à court terme négatifs et à long terme nuls, d’où stimulation de l’endettement et le boom du marché immobilier. En Allemagne, l’inflation n‘était que de 1%, ce qui entrainait des taux d’intérêt réels élevés. L’euro est un costume trop grand pour certains pays et trop petit pour d’autres. Un calcul économique faussé Selon Charles Gave49, les créateurs de l’Euro ne se sont pas rendu compte qu’ils créaient ce que Rueff appelait des « faux prix » partout et que ces faux prix avaient déclenché des flux de capitaux gigantesques vers des endroits où ce capital est en voie de destruction, puisqu’investi sur un faux prix. L’exemple parfait est, bien sûr, l’immobilier irlandais ou espagnol financés par des emprunts que nul ne peut rembourser, ce qui fragilise les systèmes bancaires. Voir sur ce sujet l’article de pascal Salin : « l’euro détruit le calcul économique ». Enfin, pour Gérard Lafay50, la crise de l’euro provient de la divergence des taux d’inflation à l’intérieur de la zone euro depuis sa création et de la surévaluation de l’euro qui entraine une perte de compétitivité, la délocalisation des activités industrielles, une croissance 48 Chronique Agora, juin 2012. Journal des Finances, 1/12/2010. 50 Le Figaro, 21 novembre 2011. 49 43 44 faible et un endettement croissant. Lafay préconise l’abandon de l’euro et la dévaluation de la monnaie. 3) Le déroulement de la crise : La crainte du non remboursement de la dette publique fait augmenter les taux d’intérêt. Dans la crise que l'Europe traverse en ce moment, un taux d'emprunt 6,5% semble être un funeste présage. Une fois qu'un pays a vu le rendement de ses obligations à 10 ans atteindre voire dépasser les 6,5%, le défaut s'en suit presque aussitôt, et le pays doit demander de l’aide à la BCE ou au FMI. 44 45 C) La gestion de la crise de la zone euro : 1) Le rôle de la BCE. La crise de la dette européenne a donné l'occasion à la BCE de passer outre ses principes en rachetant de manière massive les obligations des Etats en détresse. Sous l’impulsion de JeanClaude Trichet, la BCE a mis en place un programme de rachat de titres de dettes souveraines des pays de la zone euro en mai 2010. Au prix de profondes divisions au sein de la BCE, qui se sont soldées par la démission en 2011 de ses deux membres allemands, Axel Weber expatron de la Bundesbank et Jurgen Stark, ex-économiste en chef de la BCE. Ils s’opposaient au programme de rachat obligataire massif d’obligations italiennes et espagnoles par la BCE. La BCE devait se contenter de surveiller l’inflation : elle vole aujourd’hui au secours des Etats en difficulté en rachetant leurs titres de dette par dizaines de milliards d’euro. Pour rassurer son monde, Mario Draghi a déclaré le 1er décembre 2011 : « La BCE ne sera pas le préteur de dernier ressort des Etats de la zone euro face à la crise de la dette. ». La différence avec la FED est que la BCE n’intervient que sur le marché secondaire de la dette publique. L’indépendance de la BCE L’article 111 du traité de Maastricht empêche toute tentative de gestion politique de l’euro, il stipule que le Conseil peut « formuler des orientations générales de politique de change » mais que ces orientations ne peuvent affecter l’objectif principal qui est « le maintien de la stabilité des prix ». L’'euro avait un avantage initial colossal sur le dollar : il ne pouvait pas être manipulé par une banque centrale à la solde d'un gouvernement. Il y a bien une banque centrale, mais il avait trop de gouvernements qui tiraient chacun de leur côté. Hélas, "un hareng pourrit la caque". Le hareng grec, le hareng espagnol, etc. « La BCE héritera des statuts de la Bundesbank, ce qui est un excellent point de départ. Mais elle n’héritera ni des hommes ni des traditions qui ont fait la réputation de la banque centrale allemande. Et elle sera placée dans un environnement politique hétérogène, où l’idée d’indépendance recevra des interprétations variées 51» écrivait Florin Aftalion, professeur à l’ESSEC, en 1993. D’ailleurs, de toutes parts, on demande à la BCE de faire marcher la planche à billets ; voici deux exemples : • « Il est urgent que la BCE accepte de faire ce que font toutes les banques du monde, c'est-à-dire acheter des titres de la dette souveraine pour garantir la solvabilité des Etats. C’est ce qu’on appelle être un préteur en dernier ressort 52». Edouard Balladur, ancien premier ministre, 2011. • « La BCE doit garantir les dettes publiques de tous les pays membres.53 » Henri Sterdyniak, économiste à l’OFCE, 2011. 2) La mutualisation des dettes Les traités interdisaient que les Etats membres soient mis à contribution pour prendre en charge les engagements financiers de l’un des leurs : ils ont pourtant fini par mettre au point un Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF) doté d’une capacité de 440 milliards d’euros, puis d’un Mécanisme Européen de Stabilité (MES) doté de 700 milliards d’euros. Problème : le mal empire puisque la dette des pays périphériques augmente. “Le fonds d’aide se contente simplement d’acheter du temps de façon incroyablement coûteuse, mais il ne résout pas les problèmes54”, se plaint Richard Sulik, leader du parti slovaque Liberté et Solidarité. 51 Le Monde, 12 janvier 1993, p. 35 Entretien au Figaro, 21/11/2011. 53 Pour, n°157, 12/2011, p. 23. 54 La Chronique Agora, 5/10/2011 52 45 46 « Face à la crise persistante de la zone euro, la solution est claire, nous dit-on : il faut plus de fédéralisme. C'est vrai, quoi : si demain les dettes grecque, portugaise, espagnole, italienne ou irlandaise étaient garanties par l'Allemagne, les pays aujourd'hui en difficulté pourraient refinancer leur dette à taux réduit et le tour serait joué. Tout le problème est qu'emprunter à taux bas, c'est précisément ce que l'appartenance à l'euro leur a permis de faire depuis dix ans, avec les résultats que l'on sait. On peut donc comprendre les réticences le mot est faible - de l'Allemagne à accepter la création d'eurobonds, au vu de l'incapacité passée des pays membres de la zone euro à s'imposer les disciplines qu'ils avaient souscrites55 » observe avec bon sens Philippe Frémeaux. 3) L’austérité Un processus de réformes basé sur le seul pilier de l'austérité risque d'aller à l'encontre du but recherche. Les plans d'austérité créent de l'inquiétude chez les citoyens : ces derniers consomment moins, entraînant le ralentissement de l'économie et réduisant, in fine, les recettes fiscales de l'État. Ce cercle vicieux est celui dans lequel sont plongés l'Espagne, la Grèce et le Portugal, menacés d'une rechute en récession pour cause d'austérité excessive. L’emploi risque de devenir un poste d’ajustement, estimait Gérard Lafay dès 1997 dans son livre L’euro contre l’Europe. C’est effectivement quand on constate les taux de chômage en Espagne (25% en 2013), en Grèce, voire en France. 4) Les tensions entre l’Allemagne et ses partenaires Elles avaient été envisagées par André Grjebine avec 20 ans d’avance. « Les uns espèrent que la monnaie unique fera régner dans tous les pays de la Communauté la discipline anti-inflationniste dont la Bundesbank s’est faite le champion. Les autres comptent, au contraire, sur la monnaie unique pour desserrer le carcan de la rigueur qu’impose l’Allemagne à ses partenaires à travers le SME. Ils expliquent que le traité de Maastricht doit être ratifié, malgré ses imperfections, quitte, ensuite, à l’appliquer d’une manière moins conforme à l’orthodoxie qui a présidé à son élaboration (…).En juin 1992, un manifeste signé par soixante-deux économistes allemands dénonçait l’’Europe laxiste’ qui selon eux résultera du traité de Maastricht, la ‘culture se stabilité’ des Allemands étant loin d’être partagée par tous. (…). Perçue comme une habileté par ses initiateurs, qui espèrent forcer la main à leurs partenaires quand il s’agira de mettre en œuvre le Traité, les intentions cachées et l’ambigüité qui caractérise sa rédaction sont porteuses d’une crise de la Communauté 56». De la même manière, Maurice Allais, opposé au traité de Maastricht, pensait que l’euro risquait de provoquer de graves difficultés entre la France et l’Allemagne : « Ou bien l’Allemagne serait entraînée contre son gré dans une nouvelle inflation ou bien elle serait amenée à faire sécession. Nul doute que l’opinion publique allemande en rendrait la France, à l’origine du traité, responsable. Dans les deux cas l’union européenne, loin de favoriser le rapprochement franco-allemand, n’aboutirait qu’à dresser à nouveau l’Allemagne contre la France 57». 5) Sortir de l’euro ? L’UEM prévoyait des conditions d’entrée mais en aucun cas des conditions de sortie. « Il est facile de démanteler une union monétaire58 » selon Vaclav Klaus, Président de la République tchèque, prenant l’exemple sur la Tchécoslovaquie dont l’union monétaire fut liquidée en une semaine et de manière ordonnée. Tous les pays issus du démembrement de l'URSS l'ont fait. 55 Alternatives économiques, n°305, septembre 2011, p. 98. Après Maastricht : des écus et des chômeurs ?, Le Débat, 1992 /4, n°71, p. 19. 57 Maurice Allais, Erreurs et impasses de la construction européenne, Editions Clément Juglar, 1992. 58 Conférence à l’Institut de la Démocratie et de la Coopération, « Sauvons les démocraties en Europe », 2 avril 2012. 56 46 47 Du rouble, ils sont passés à des monnaies nationales. En une génération, une soixantaine de pays sont sortis d'une union monétaire. Aussi, cette proposition, présentée comme horrible, n'a rien que de très banal. Pourtant, la pensée unique totalitaire (PUT) est farouchement hostile à la sortie de l’euro. La sortie de l’euro n’est jamais envisagée ou alors est vue comme un épouvantail. La note suivante du Crédit agricole en mai 2006 en est un bon exemple : L’Italie hors de la zone euro ? Probabilité zéro En juin 2005, au plus fort de la crise institutionnelle européenne, un ministre italien a tout bonnement lancé l’idée que l’Italie devrait quitter l’UEM. Ce sujet depuis lors renaît périodiquement. Certains se hasardent à évoquer la question en donnant des échéances point trop éloignées *. Dans l’UEM, l’Italie n’a plus la possibilité de recourir, comme elle le fit souvent dans le passé, à la dévaluation de sa monnaie pour regagner un avantage de compétitivité, fut-ce temporairement et au prix d’un surcroît d’inflation. Quelles seraient alors pour ce pays les conséquences d’une sortie de l’UEM ? Une telle décision supposerait de réintroduire une lire à la place de l’euro (ou alternativement d’instaurer un système de devises parallèles, mais qui aboutirait sans doute à terme à la première option). Naturellement, la nouvelle lire serait dévaluée par rapport à sa parité d’entrée dans l’UEM. Un ordre de grandeur de 25 % ne serait pas exagéré compte tenu des évolutions relatives des coûts salariaux unitaires entre l’Italie et ses voisins, surtout l’Allemagne, depuis 1999. Une telle dévaluation aurait des effets dramatiques pour la situation des finances publiques. Ipso facto, le ratio d’endettement public s’élèverait de près de 35 points jusqu’au voisinage de 150 % du PIB. Le service annuel de la dette viendrait s’alourdir de plus d’un point et demi de PIB. Les taux d’intérêt italiens seraient poussés à la hausse, à la fois par l’augmentation de la prime d’inflation anticipée et la baisse de la qualité du crédit (et le probable downgrading des agences de notation). Cet effet, à son tour, viendrait peser sur l’évolution future des déficits publics et de leur financement. Par contagion, il dégraderait aussi les conditions de financement du secteur privé. Quel que soit alors le réglage monétaire pratiqué par une Banque d’Italie retrouvant son autonomie monétaire, le pays serait sûrement, dans ces conditions, acculé au défaut de paiement, l’exemple souvent cité (même si les conditions sont différentes) étant l’Argentine après l’abandon du currency board qui liait sa devise au dollar. Mais alors, les détenteurs résidents de la dette italienne subiraient un tel choc de revenu que l’effet macroéconomique négatif l’emporterait sur les bénéfices venant d’une restauration temporaire de la compétitivité, bénéfices au demeurant hypothétiques compte tenu de la dégradation des termes de l’échange. Les conséquences politiques d’une telle option se feraient sentir sans doute dans l’ensemble de la zone euro. Ce scénario est tellement catastrophique que nul dirigeant italien ne peut l’encourager, hormis peut être à la tribune d’un meeting politique. Toutes les autres options sont préférables : celle de la « mort lente » où l’Italie continue de décliner et de s’appauvrir, et surtout, celle du « sursaut » avec la mise en œuvre de réformes structurelles radicales, aucune d’elles ne pouvant avoir un coût social aussi élevé qu’une sortie de l’UEM. La même conclusion vaut pour les autres membres de l’UEM. Source : Eclairages, mensuel de la Direction des Etudes économiques du Crédit Agricole, n°100, mai 2006, p. 3. Il est intéressant de noter que l’auteur préfère le déclin et l’appauvrissement de l’Italie, plutôt que la sortie de la zone euro. PUT sur l’euro : Point de vue de Joschka Fischer, ancien ministre des Affaires étrangères allemand : « Mettre fin à l’union monétaire (…) reviendrait à mettre fin au projet européen lui-même et engendrerait le chaos. (…) Si la France est mise à genoux et si l’Allemagne n’est pas 47 48 résolument solidaire de son pays partenaire, avec tous les atouts dont elle dispose, ce sera une véritable catastrophe 59» Le même Joschka Fischer, un mois plus tard : « Si l'union monétaire européenne se désagrège, il ne restera pas grand chose du marché commun, ainsi que des institutions et traités européens. Nous devrons alors tirer un trait sur 60 ans de succès d'intégration européenne, ce qui aura des conséquences imprévisibles. (…) La crise européenne ne résulte pas de 30 ans de néolibéralisme, de l'éclatement de la bulle des actifs alimentée par la spéculation, de la violation des critères du traité de Maastricht, d'une dette record ou des banques rapaces. Aussi importants soient ces facteurs, l'Europe se trouve en difficulté du fait de l'absence d'un gouvernement commun à l'Union européenne. 60» Point de vue de Thomas Coutrot, coprésident d’ATTAC : « Aujourd’hui, sortir de l’euro signifierait pour les pays du Sud accentuer la logique déjà à l’œuvre, celle du dumping, en se dotant à nouveau de l’arme monétaire. On radicaliserait les politiques de concurrence en essayant de récupérer par une dévaluation l’avantage compétitif conquis par l’Allemagne et les pays du Nord. Ce serait aggraver la logique non coopérative déjà dominante en lui ouvrant un nouvel espace, celui de la guerre monétaire. (…) Si la Grèce devait sortir de l’euro, nul doute que cela créerait un effet domino, que d’autres Etats suivraient, et qu’alors nous assisterions à une explosion de l’Europe : une crise bancaire majeure, une aggravation de la spéculation, une récession dramatique. C’est vraiment un scénario catastrophe. 61» Point de vue d’Eric Le Boucher, directeur de la rédaction d’« Enjeux –Les Echos » : « Jamais aucun pays, une fois rentré dans l’euro, ne le quittera. Malgré les pressions considérables. Malgré les opinions publiques qui y pousseront pour abréger les souffrances des plans d’austérité imposés. Jamais, parce que les souffrances d’une sortie seraient pires. Jamais surtout parce que pour un gouvernement qui déciderait une sortie, ce serait un suicide devant l’Histoire. Il laisserait la trace d’une honte nationale. Parce qu’enfin le tricot européen se déferait rang par rang et que les autres, les grands pays, Allemagne et France, ne pourront pas laisser faire. En bref, malgré leur force, les marchés, qui ne l’oubliez pas, sont anglo-saxons, n’auront pas l’euro ! 62» Les problèmes de l’euro doivent entrainer plus d’Europe. « Dans le cadre européen, les insuffisances mises en évidence dans la passé récent (manque de croissance, hétérogénéité) sont avant tout la marque d’un manque d’achèvement du marché unique. (…). La conclusion, pour nous, s’impose : pas plus de monnaie unique, mais plus de marché unique »63. Modalité de fonctionnement de l’Europe : « Nous avons échoué, continuons ! » 59 Tribune dans Le Figaro, 5 septembre 2011, p. 18. Project Syndicate, 27/10/2011. 61 US Magazine, supplément au n°714 du 14 novembre 2011, p. 9. 62 Les Echos, 19 novembre 2010. 63 Bruno Cavalier, Eclairages, mensuel de la Direction des Etudes économiques du Crédit Agricole, n°100, mai 2006, p. 6. 60 48 49 Conclusion : En juillet 1998, les quatre Présidents des pays du Mercosur, lors de la déclaration d’Ushuaia, affirment que « le processus d’approfondissement de l’union douanière doit être enrichi par de nouvelles initiatives… qui pourraient faciliter dans le futur l’adoption d’une monnaie unique du Mercosur ». Pourtant, jusqu’à présent, chaque pays du Mercosur a gardé sa monnaie. Jean-Marc Siroën notait dès 2004 avec justesse que « l’exemple européen en faveur d’une union monétaire n’a pas été suivi et a peu de chance de l’être, à cette échelle, dans les prochaines années. Quelle grande puissance monétaire accepterait aujourd’hui, d’abandonner comme l’Allemagne, sa souveraineté monétaire ? ». L’élargissement de la zone euro : Le 1er janvier 2001 la Grèce devient le 12ème pays à adopter l’euro. Entre 2007 et 2011, 5 pays ont rejoint la zone euro : Slovénie, Chypre, Malte, Slovaquie et Estonie. 3 pays de l’UE n’ont pas adopté l’euro : RU, Danemark, Suède. Ces pays sont des monarchies où le sentiment national plus fort et l’abandon de la monnaie nationale est considéré comme une perte de souveraineté. Mais l’explication est insuffisante puisque l’Espagne et la Belgique sont aussi des monarchies et ont pourtant adopté l’euro. D’après le traité de Maastricht, tous les pays de l’UE ont vacation à entrer dans l’euro. Toutefois, le RU et le Danemark disposent d’une clause d’opting out leur permettent de décider s’ils souhaitent ou non adhérer à l’UEM. La Suède ne dispose pas de cette clause. Pour éviter de rentrer dans l’euro, la Suède ne participe pas au MCE II, condition pour adhérer à l’euro. Le MCE II, ou SME-bis, concerne les pays qui sont dans l’UE mais pas encore dans la zone euro. Pour éviter qu’ils ne tirent trop d’avantages de la situation, il a été décidé qu’à partir de 1999 serait institué un MCE II visant à limiter les variations de leur monnaie par rapport à l’euro (+/- 15%) et à préparer leur adhésion à l’euro. Le cas du Danemark et de la Suède En 2000, le gouvernement danois organisa un référendum en vue d'une possible adoption de l'euro. Le « non » l'emporta avec 53,2 % contre 46,8 % pour le « oui ». Les Suédois ont eux aussi rejeté l’entrée dans la zone euro par un référendum en 2003 : 56% de non, 42% de oui et 2% de blancs. Dans ces deux pays, la population craint que l’adhésion à l’euro ne soit préjudiciable au maintien d’un haut niveau de protection sociale et n’est pas très enthousiaste à l’idée de rejoindre un groupe de pays dont les finances publiques dérivent. Le cas de PECO Dans ces pays, l’adhésion à l’euro a été longtemps vue comme un moyen de parachever la transition vers l’économie de marché, après l’adhésion à l’Union européenne. Techniquement, l’euro fait partie des acquis communautaires qu’ils sont dans l’obligation de reprendre à leur compte, à condition d’être prêts le moment venu. Pour adopter l’euro, les PECO doivent satisfaire à deux conditions : respecter les critères de convergences de Maastricht, et avoir appartenu pendant au moins deux ans au système monétaire européen bis, le dispositif qui encadre les fluctuations des monnaies nationales des pays de l’Union non membres de la zone euro. Le premier ministre tchèque, Petr Necas a déclaré en octobre 2011 : « Les gouvernement tchèque et bulgare refusent absolument de fixer une date, parce que nul ne sait quel sera le développement ultérieur de la zone euro », ajoutant pour justifier cet attentisme prudent : « Nous voyons que l’Union monétaire en est en train de se transformer en union de transferts, voire une union 49 50 de dettes. » Même son de cloche de la part de Maek Belka, président de la Banque centrale polonaise : « Regardez l’état de la zone euro ; on le fera quand elle sera en ordre. » D’autant que la Pologne, sans l’euro, connaît une croissance de 3% que lui envient les pays de la zone qui l’ont adopté. La République Tchèque ne veut pas mettre en péril sa bonne santé économique en volant au secours des canards boiteux dépensiers, victimes aussi de l’euro, c’est ce qu’a déclaré le premier ministre : « Notre position est catégorique ; personne n’est obligé de prendre l’argent de ses contribuables pour le verser à celui qui n’est pas discipliné. Que les Etats ne dépensent pas plus que ce qu’ils gagnent ! ». L’attachement des Anglais à la livre sterling : Le chancelier Gordon Brown a énoncé dans son discours sur l’UEM, le 27 octobre 1997, les 5 conditions d’entrée : 1- la convergence des cycles d’activité britanniques et européens 2- un degré de flexibilité adéquat pour faire face à un choc asymétrique 3- un impact favorable sur les investissements réalisés au RU 4- des effets positifs sur les services financiers 5- des retombées bénéfiques sur la croissance et l’emploi Le 9 juin 2003, le chancelier Gordon Brown a annoncé que les conditions n’étaient pas réunies, donc que le RU renonçait à organiser un référendum sur l’euro. Il est vrai que l’opposition de l’opinion publique à l’euro ne se dément pas : en moyenne depuis le début des années 1990, le camp des opposants représente entre 50% et 65% des sondés, soit le taux le plus élevé de l’UE. Fin – 2 mai 2013 – © Hermet. 50