Historique du B17

Transcription

Historique du B17
Crash du B17
SLIGHTLY DANGEROUS
6 septembre 1943
Traduction, photos et archives M.Jean Claude Brunel
Remise de gerbe lors de la
commémoration
B17 "Pink Lady" survollant le cimetière
de Champigny lors de la
commémoration du 6 septembre 2006
du 6 septembre 2006
Le Pink
Lady
Dernier B17
ayant volé en
France,
remisé
actuellement
LE 6 SEPTEMBRE 1943 UN BOMBARDIER AMERICAIN S'ECRASAIT A LA CHAPELLECHAMPIGNY
Le 6 Septembre 1943, un B17, le "SLIGHTLY DANGEROUS" s'écrasait en faisant 6 victimes.
Le sort d'un quelconque groupe d'aviateurs engagé dans les hostilités est de diminuer inévitablement en
nombre. Naturellement, le rythme des pertes varie. Dans certains cas, une nouvelle unité lancée dans la
bataille peut être décimée en quelques jours, alors qu'une autre, sur un théâtre d'opérations moins turbulent,
peut passer plusieurs mois sans souffrir de perte.
Les avions et les équipages des escadrilles de bombardement qui arrivèrent en Angleterre durant l'été 1943
ne restèrent pas longtemps en scène. La plupart tombèrent en essayant de soutenir l'offensive du Bomber
Command, visant à effectuer de profondes pénétrations sans escorte dans l'espace aérien du Reich
Hitlérien.
L'avion qui s'est écrasé à La Chapelle-Champigny (Yonne) le 6 Septembre 1943 était un B-17 de la
560ème escadrille intégrée au 388ème Groupe de Bombardement.
Alors que l'escadrille était l'unité volante de base dans l'Army Air Force, on effectuait normalement les
opérations sur la base du groupe, particulièrement en ce qui concernait le bombardement lourd. Chaque
"bomb group" ( le mot "bombardement" était normalement abrégé en "bomb" dans le jargon de l’US Air
Force) était doté de quatre escadrilles qui restaient siennes tout au long de son existence. On trouvait ici en
compagnie de la 560éme les 561éme, 562éme et 563ème escadrilles.
Il n'y eut d'abord qu'un petit nombre d'hommes affectés au groupe, la plus grande partie de l'enrôlement se
faisant à Wendover Field, dans l'Utah, de Février à Avril 1943. C'est là que les navigants et les équipes au
sol, frais émoulus des camps d'entraînement, étaient intégrés à un noyau déjà existant. Les B-17 D et E
déjà fatigués étaient affectés à l'entraînement des équipages au bombardement et au vol en formation.
Quelques escadrilles ne disposaient que de six appareils chacune à la fin du mois d'Avril 1943.
La rumeur, prompte à brocarder les institutions militaires à l'époque, laissait croire que le groupe emmène
ces bombardiers vieillissants et usés à la guerre. Cette rumeur s'avéra heureusement non fondée lorsque le
388ème BG passa à la Base de Sioux City dans l'Iowa pendant les premiers jours du mois de Mai. Des B17 flambant neufs y étaient attendus, la plupart sortant de chez Boeing, avec en plus quelques avions
venant des usines Douglas et Vega. La dotation unitaire d'une escadrille était de dix avions, neuf d'entre
eux étaient affectés aux neuf équipages de combat, le dernier étant l'avion d'Etat-major piloté par le chef de
l'Escadrille et les Officiers les plus élevés en grade, même s'ils ne constituaient pas un équipage de combat.
Leur avion était en réalité un appareil de réserve. Deux B-17 alloués à l'Etat-major du groupe restaient
également en réserve.
On prépara 42 B-17 pour le voyage transatlantique de début Juin 1943, un 43ème appareil ( 42-30228 ) de
la 562ème escadrille ne prit jamais son envol pour l'Europe.
Les noms de baptême étaient un ornement toléré sur le nez des bombardiers dans la plupart des unités
destinées au front. Le numéro de série officiel représentait en effet une identité fade, alors que les noms
individuels étaient appréciés en tant que référence plus facile et plus personnelle parmi les membres du
groupe. Chacun des B-17 du lot d'origine reçut un nom.
Ils partirent de Gander et traversèrent l'Océan d'une traite jusqu'à Prestwick, un appareil de la 563ème
escadrille disparut en route, mais entre le 23 Juin et le 12 Juillet 1943, 41 B-17F arrivèrent à la base du
388ème Groupe en Angleterre, où ils devaient rester pendant plus de deux ans.
C'était KNETTISHALL, située entre le village du même nom et Coney Weston dans le Nord-Ouest du
Suffolk, à environ cinquante kilomètres de la côte Est de l'Angleterre.
La base était située au milieu de terrains bien boisés au bord d'une grande forêt de bruyères et de conifères
connue sous le nom de Brecklands.
KNETTISHALL était encore en construction mais la piste d'envol, à l'exception de quelques aires
bétonnées dans la zone de dispersion, était finie. Un seul hangar était utilisable et beaucoup de logements
préfabriqués n'étaient pas terminés, aussi donna-t-on au début de grandes tentes aux équipes de personnels
au sol. En dépit du manque d'installations, la vie dans ce site n'était pas déplaisante à la bonne saison.
Les préparatifs de combat furent accélérés, en particulier l'entraînement des navigants aux procédures de
combat. Les forteresses volantes furent modifiées au standard de la 8ème Air Force, ce qui entraînait entre
autres choses un changement de radio et l'installation d'une mitrailleuse de 12,7 mm dans le nez vitré.
La première mission du 388ème "Bomb Group" consista en une légère pénétration pour bombarder un
objectif à Amsterdam le 17 Juillet 1943. A la suite de quoi, en dépit de son manque d'expérience, le groupe
fit partie de la plus grande offensive de la 8ème Air Force, lors d'une semaine de beau temps à la fin du
mois. Elle était dirigée contre des objectifs situés à 800 ou 1000 kilomètres de la base avec de nombreuses
heures de vol au dessus du territoire ennemi. Connue sous le nom de "Blitz Week", cette série de missions
fit connaître au 388ème groupe la dure réalité des combats. En six jours il perdit plus du quart de ses
effectifs et le moral s'évanouit au fur et à mesure que les jeunes gens commencèrent à envisager
l'anéantissement. Le début de cette série eut lieu le 24 sur un objectif norvégien et pour la seconde mission,
le groupe revint entier. Le lendemain eut lieu le premier vol à l'intérieur de l'Allemagne où l'opposition de
la chasse ennemie pesait lourd de son expérience, mais ses attaques ne furent pas dirigées contre le
388ème. On aperçut pourtant un bombardier de la 563ème escadrille se détacher de la formation pour des
raisons inconnues et il ne revint pas, sans doute intercepté par des chasseurs allemands en cours de route.
Ce fut la première perte du groupe.
Quand, pour le troisième jour consécutif, le 388ème groupe partit en guerre pour attaquer cette fois une
usine de caoutchouc de Hanovre, il attira une réplique considérable de la part de l'ennemi. Se trouvant
attaquées de façon presque constante par les chasseurs et la D.C.A. tout au long de leur voyage en espace
aérien ennemi, cinq des forteresses du groupe ne revinrent pas et dix autres appareils sur les 21 qui étaient
partis revinrent avec des dommages dus au combat. Pour le trajet retour, les restes du groupe rejoignirent
l'arrière du 100ème groupe, mais les attaques des chasseurs ne cessèrent qu'une fois les bombardiers
largement sortis d'Allemagne.
Le 17 Août 1943, le 388ème Groupe prenait part à la première mission "va-et-vient" de la 8ème Air Force,
bombardant la fabrique de chasseurs de Regensburg avant d'aller se poser sur des bases d'Afrique du Nord.
Le 24 Août le Groupe retourna en Angleterre avec le reste de la force "va-et-vient" de B-17, en profitant
pour bombarder un aérodrome à Bordeaux en cours de route. Ce fut un nouveau vol de plus de onze heures
et de nombreux bombardiers étaient presque à cours de carburant en arrivant au Sud de l'Angleterre.
Les quelques missions suivantes furent moins mouvementées.
Ce qui aurait dû être une mission marquante sur STUTTGART, le 6 Septembre 1943, se transforma en
désastre pour la 8ème Air Force et tout spécialement pour le 388ème Groupe.
La météo se détériora et le flot des bombardiers fut scindé par d'épais nuages. Près de Strasbourg, le
388ème Groupe qui assurait le rôle vulnérable de position basse de la formation, se trouva soumis à une
attaque des chasseurs très intense. L'escadrille basse du groupe formée d'appareils de la 563éme fut
anéantie dans la bataille qui s'ensuivit. Tout compris, le 388ème Groupe perdit onze des 21 B-17 qui
avaient passé la côte ennemie.
STUTTGART se révéla être la mission la plus meurtrière de la guerre pour le Groupe.
Peu après ce désastre, l'historiographe du groupe écrivit "Les aviateurs ont été impressionnés par l'idée que
leurs chances de survivre à un tour d'opérations étaient quasiment nulles et avaient laissé entrer dans leur
esprit, et dans celui du personnel au sol, l'idée que l'Allemagne pouvait encore gagner la guerre parce qu'en
attaquant l'ennemi nos forces étaient saignées à blanc".
La forteresse volante qui s'est écrasée à La Chapelle-Champigny a décollé de KNETTISHALL le 6
Septembre 1943 à 5h30 pour aller bombarder STUTTGART.
L'équipage était composé de dix hommes:
Pilot 0-735798 1st Lt Demetrios KARNEZIS.
Co-pilot 0-680204 2d Lt John W. GEORGE.
Navigator 0-735187 2d Lt William J. FRAZIER.
Bombardier 0-736778 2d Lt Richard V. LOVELESS.
Radio operator 33350023 T/Sgt Jean A. LAWRENCE.
Top turret gunner 31093913 T/Sgt Arthur C. GAY.
Ball turret gunner 33249375 S/Sgt Alvin E. MORRISON.
Waist gunner 35446416 S/Sgt Ashpy P. SMITH.
Waist gunner 13088996 S/Sgt Ray A. SCHWABENBAUER.
Tail gunner 31165676 S/Sgt George L. LINCOLN.
Avant que l'avion ne s'écrase, cinq d'entre eux réussirent à sauter en parachute. Les cinq autres périrent en
touchant le sol de France, entraînant dans leur tragique destin une victime civile : Mme Marie DUMANT .
Jean A. LAWRENCE, Alvin E. MORRISSON, Ashpy P. SMITH, George L. LINCOLN et Ray A.
SCHWABENBAUER reposent aujourd'hui dans le cimetière de Champigny.
Les cinq membres de l'équipage qui avaient réussi à sauter avant le "crash" connurent des fortunes
diverses. Deux d'entre eux réussirent à s'évader vers l'Angleterre grâce à l'aide des réseaux de résistance,
les trois autres furent faits prisonniers par les occupants.
Nous reproduisons ci-après le témoignage écrit de l'un des cinq survivants.
Rapport d'évasion de France n°126 (traduit par J.C. BRUNEL)
de Demetrios KARNEZIS, lst Lt 0-735598 Pilote
388ème Bomb Group, 560ème Bomb Squadron
Age : 22 ans Ancienneté: 1 an et 7 mois
Adresse: 740 West 35th Street, Norfolk - Virginia
Disparu en opération : 6 Septembre 1943 Arrivé en GB : 25 Octobre 1943
6 Septembre 1943 - KNETTISHALL
Nous sommes partis de KNETTISHALL à 5h30 le 6 Septembre 1943 pour aller bombarder Stuttgart.
Environ une heure après avoir quitté l'objectif, nous avons été attaqués par des chasseurs allemands "nez
jaunes" Foke Wulf 190s.
Attaque des chasseurs
L'attaque était concentrée sur l'escadrille la plus basse du groupe inférieur. Le leader de cette escadrille fut
éliminé de la formation, nous plaçant ainsi en position la plus basse excepté le second élément qui était
beaucoup plus bas. Les ennemis étaient alors concentrés sous nos trois appareils.
Le premier coup qui nous toucha fut un 20 mm qui éclata dans la partie réservée aux accessoires à côté du
copilote. Il endommagea l'aile et l'AFCE. Notre altitude diminuait et nous étions éloignés de la formation,
mais l'appareil supportait assez bien son évolution normale, paraissant peut-être un peu lourd à cause du
moteur n°4 qui fonctionnait mal depuis le coup qu'il avait reçu.
Début des manoeuvres
J'ai commencé à manoeuvrer parce que nous étions hors de la formation et qu'un autre groupe de chasseurs
s'était formé et s'en prenait à nous. Les commandes de montée et descente avaient glissé du siège du
copilote depuis le début de la mission.
En formation nous volions à 21000 pieds (environ 6400m). Peu après avoir quitté la formation j'ai vérifié
l'altimètre qui affichait 17000 pieds (environ 5200m) et j'ai remarqué que l'aile du côté du copilote était
toujours en état de fonctionnement. Il était trop tard pour mettre toute la puissance et rejoindre la formation
car les attaques des chasseurs s'intensifiaient. Je fis signe au copilote de changer de siège avec moi. Pour
changer de place, nous avons déconnecté l'oxygène, les Interphones et les ceintures de sécurité et celles-ci
n'ont pas été rattachées. De la place du copilote j'ai réussi à sortir l'appareil de son plongeon à 15000 pieds
(environ 4500m) grâce à une manoeuvre d'esquive en changeant de bord par un virage très serré sur l'aile
gauche. Mais les chasseurs, attaquant de l'arrière nous touchèrent dans le cockpit, dans la bouteille
d'oxygène située derrière le siège du copilote, et dans les conduites hydrauliques des leviers de frein
d'urgence. L'appareil prit feu.
L'appareil en feu
J'ai poussé le nez de l'appareil vers le bas et j'ai fait signe au copilote de sauter. Le bombardier, debout
entre les sièges dans le cockpit car il n'avait plus de munitions, se dirigea vers la trappe située dans le nez
de l'avion et sauta à son tour. Le mécanicien l'a suivi. J'ai mis mon parachute,
---(il manque ici quelques lignes, le document original ayant été endommagé ) -----Obligé de sauter
Je ne pouvais pas entendre mais j'ai pu voir qu'il n'avait pas d'ennuis et qu'il s'était légèrement brûlé au
cours de l'incendie du cockpit, j'ai sauté. En ouvrant les trappes de bombardement, j'avais pu constater sur
l'altimètre que nous étions à 11000 pieds (environ 3350m). J'ai retardé l'ouverture de mon parachute pour
descendre en chute libre.
J'ai compté trois parachutes
J'ai vu trois parachutes en dessous de moi quand j'ai quitté l'appareil. Il y avait une couche de nuages que
j’ai jugée être à 3000 pieds d’altitude (environ 900m) et qui m’empêchait de voir le sol. J'ai ouvert mon
parachute en entrant dans les nuages et j'ai eu à peu près 1500 pieds (environ 450m) de descente pour
étudier le terrain avant de toucher le sol. L'avion, qui descendait en spirale, est passé à moins de trente
mètres de moi au dessus des nuages. Les trappes de bombardement étaient encore ouvertes, les
mitrailleuses des tourelles étaient libres, je n'ai vu personne debout à proximité des ouvertures du centre de
l'appareil ou essayant de quitter l'avion. Après avoir traversé la couche de nuages, j'ai vu l'appareil s'écraser
et brûler dans un petit village.
Retarder l'ouverture du parachute
J'ai retardé l'ouverture de mon parachute intentionnellement. En quittant l'appareil, je ne me suis pas donné
la peine de faire des calculs parce que j'avais décidé de ne tirer sur la sangle d'ouverture du parachute que
quand j'atteindrais les nuages. Ma position pendant la chute libre n'était pas des plus conventionnelles. Je
descendais sur le dos avec les jambes légèrement dirigées vers le haut, comme un couteau à demi fermé. Je
maintenais les genoux pliés. J'ai eu assez de temps pour expérimenter la technique pour me redresser et j'ai
essayé de bouger une jambe. Ce mouvement m'a jeté dans un tournoiement que j'ai réussi à enrayer en
soulevant la jambe opposée. J'avais réussi une première fois et j'ai tenté la même manoeuvre une seconde
fois lorsque j'ai été entraîné dans une nouvelle vrille en entrant dans les nuages et j'ai tiré la sangle
d'ouverture du parachute à ce moment là. Malheureusement le tournoiement de mon corps entortilla et
emmêla les suspentes qui me retenaient à la toile de soie. Pendant tout le temps où les cordages restèrent
emmêlés et avant que la voilure ne devienne efficace, j'ai continué ma chute à travers la couche nuageuse.
Une surface de toile suffisante s'est enfin remplie d'air avant que les suspentes ne se démêlent . J'ai eu la
sensation que la chute libre était enrayée, mais il m'a fallu plusieurs centaines de pieds (1 pied = 30,48cm)
pour stabiliser le parachute. Trop tarder à déclencher l'ouverture peut être fatal si le parachutiste est pris
dans une violente spirale quand il ouvre son parachute.
Je décide de m'évader avant de toucher le sol
Dès que j'ai réussi à stabiliser le parachute, j'ai pu juger de mon point d'atterrissage. En dessous de moi, des
grands champs s'abaissaient en direction d'une rivière, d'une voie de chemin de fer et d'une grande route
principale. Il y avait un petit village au bord de la rivière. J'ai estimé qu'il était situé à trois miles ( environ
4,8 Km) de l'endroit où j'ai atterri. Au sommet de la pente, dans la direction opposée au village et à la
rivière, il y avait une forêt et j'ai décidé de courir dans cette direction en touchant le sol.
Etourdi par la chute
J'ai touché le sol les pieds en premier, mais l'enveloppe du parachute m'obligeait à avoir une position
penchée, ainsi mes fesses encaissèrent le choc violent de la chute. J'avais le souffle coupé et j'ai ressenti
une sévère douleur à la base de la colonne vertébrale. Il m'a fallu deux minutes avant que je puisse bouger
et me défaire du parachute. J'étais habillé avec une combinaison de vol, une veste de cuir (type A-2) et des
bottes de vol d'hiver.
Après m'être relevé, j'ai plié mon parachute ainsi que les harnais et j'ai marché à travers deux grands
champs vers la lisière de la forêt. Sous un buisson, j'ai caché mon parachute, Mae West, mes bottes et le
microphone de vol . J'ai fait tout ceci à la vue d'un fermier qui travaillait dans un champ à environ
cinquante mètres plus loin. Il ne m'a pas tout de suite donné l'impression d'avoir vu quelque chose de
bizarre, s'inquiétant peut être pour les deux enfants étonnés qui se tenaient à côté de lui.
Allemands à quatre miles de là
Je me suis dirigé vers lui et avec un langage de signes et peu de mots, je lui ai demandé s'il y avait des
allemands dans les parages et éventuellement combien. Il a continué à travailler mais il a réussi à me faire
comprendre qu'il y en avait quelques uns à environ quatre miles de là. Je lui ai montré où j'avais caché mon
parachute et je me suis sauvé vers la zone boisée que j'avais repérée lors de ma descente. Quand j'ai atteint
le couvert, je me suis assis dans un massif d'arbustes et de grandes herbes pour souffler un peu et j'ai
réalisé à ce moment là que j'étais presque inconscient, je ressentais encore une violente douleur dans le
dos. Pour arriver jusqu'à cet endroit je n'étais pas resté plus de dix minutes à découvert.
J'ai attendu environ cinq minutes à écouter et à guetter quelque signe d'agitation. J'ai ensuite progressé
rapidement dans les bois en suivant un vieux sentier qui n'avait pas l'air d'être utilisé. Les ornières des
charrettes étaient profondes mais anciennes et les mauvaises herbes les avaient envahies. Je n'ai pas suivi
une direction bien déterminée ni rectiligne, mais j'ai emprunté les sentiers qui me semblaient moins utilisés
que d'autres. Les toiles d'araignées et les mauvaises herbes m'indiquaient que personne n'était passé par là
depuis quelque temps.
L'approche d'un vieil homme
Après plusieurs heures, je suis arrivé à la lisière opposée du bois. Dans les champs libres, à environ six
cent mètres de là, j'ai aperçu une ferme isolée. La seule personne en vue était un vieil homme qui travaillait
dans un champ à côté de la maison. Je l'ai observé pendant cinq minutes. J'ai estimé que je pouvais
m'approcher sans être vu sauf peut être par un occupant de la maison, et ensuite courir vers celle-ci à
travers les champs. J'ai cru que le vieil homme m'avait aperçu quand j'ai avancé vers lui, mais il a continué
à travailler comme s'il ne m'avait pas vu et il est retourné travailler après que je lui ai parlé. Je lui ai posé
des questions à propos des "boches" et j'ai agité mes mains pour montrer les alentours. Il a secoué la tête et
j'ai compris qu'il voulait dire qu'il n'y avait pas d'allemands dans les environs. Je lui ai montré la maison et
il m'a fait comprendre d'un signe de tête que je pouvais m'y rendre sans inquiétude. Pendant que je lui
parlais il avait arrêté de travailler.
J'entre dans la ferme et trouve de l'aide
Je me suis dirigé vers la maison et sans m'arrêter pour frapper, j'ai ouvert la porte de la cuisine et je suis
entré. La famille qui finissait le repas était toujours installée autour de la table. Il y avait une femme debout
à l'évier et dans un autre coin de la pièce se trouvait une longue table où un grand nombre de personnes
venait de finir le repas. Je les ai tous vu d'un seul coup d'oeil alors qu'ils me fixaient avec étonnement.
Même si je n'ai tenté de prononcer que quelques mots d'anglais que je pensais phonétiquement similaires
aux mots français, ils ont compris immédiatement quelle était ma nationalité. Ils ont remarqué mes
coupures et mes brûlures et m'ont alors poussé vers une chaise sans prêter attention à ce que j'essayais de
leur dire. Mes coupures ont été désinfectées avec de "l'eau oxygénée" et on m'a ensuite donné à manger.
J'avais encore l'impression d'être chancelant, et je n'avais pas faim mais j'ai mangé un peu. Pendant que je
mangeais, ils se sont assis en m'observant avec stupéfaction, s'interrompant seulement de temps en temps
pour bavarder tous en même temps. A un moment, un homme a sorti une cigarette et quand je l'ai montrée
du doigt il m'en a donné une.
Après avoir mangé, je me suis dirigé vers la fenêtre pour voir s'il n'y avait pas de signes d'activité et si
quelqu'un ne s'approchait pas de la maison. Les champs étaient dégagés. J'ai pensé que je pouvais rester, et
entraînant l'homme vers la fenêtre, je lui ai montré une grange en lui faisant des signes pour lui indiquer
que je souhaitais y dormir. Je suis resté perplexe quand il ne m'a pas semblé être d'accord, mais l'idée qu'il
connaisse une meilleure cache m'est vite venue.
L'homme a rempli un sac avec du foin et l'a chargé dans une charrette. Je me suis glissé sous le sac et nous
avons roulé jusqu'à une cabane dissimulée dans les bois. L'homme répandit le foin sur le sol et en fit un lit.
En me montrant l'heure sur ma montre, il m'a laissé penser qu'il reviendrait à 20h. Après qu'il m'ait quitté,
j'ai ramassé un peu de foin et je suis allé m'installer à environ 50 mètres de la cabane, à un endroit d'où je
pouvais voir si quelqu'un y entrait. Je me suis assoupi dans un sommeil agité tout l'après-midi et, à l'heure
dite, comme l'homme n'était pas revenu, j'ai pris le risque d'aller dans la direction de la ferme. A peu près à
mi-chemin, j'ai rencontré deux personnes de la ferme. Elles étaient à bicyclette et m'apportaient de la
nourriture. Elles m'ont ramené à la ferme avec elles et après un léger dîner j'ai été installé dans une pièce
au rez-de-chaussée. Les fenêtres ont été bien capitonnées pour que l'on ne voit rien de l'extérieur et
quelques personnes de la famille se sont assises dans la pièce avec moi. Nous avons eu une longue
conversation avec un langage de signes. L'un de mes amis a décidé de me donner une leçon de français et
en travaillant ensemble nous avons mis au point un dictionnaire Français-Anglais composé de mots
simples.
7 Septembre 1943
Le lendemain matin je me suis réveillé tôt. Je n'avais pas encore de vêtements civils. J'ai passé la plus
grande partie de la journée à apprendre à parler français. Dans l'après midi, on m'a dit que quelqu'un
parlant l'anglais viendrait me voir. Son anglais se limitait à quelques mots qui n'ont pas servi dans notre
conversation, mais son habileté pour le langage des signes était équivalente à la mienne et nous avons bien
progressé. Avant de partir, il m'a dit qu'une autre personne parlant bien l'anglais viendrait me voir le
lendemain.
Je rencontre un ami parlant l'anglais
Cette personne parlait un excellent anglais et j'ai appris qu'un officier américain avait atterri avec une
jambe cassée et qu'il avait été capturé. Des Français ont essayé de le cacher mais ils ont été vus par une
patrouille allemande et sa capture était inévitable. Deux autres, d'après ce que j'ai compris, ont été capturés
immédiatement après leur atterrissage. L'un d'eux a essayé de fuir et a été blessé au bras avant sa capture.
Un cinquième homme s'est échappé et d'après ce que j'ai entendu, je pense qu'il s'agit du Lt GEORGES qui
a repris ses fonctions. Mon informateur m'a indiqué qu'il avait vu cinq parachutes. Trois corps ont été
retrouvés dans l'avion et deux autres à côté de l'épave. Une femme française de 80 ans a été tuée quand
l'appareil s'est écrasé sur sa maison.
L'ami Français qui parlait bien l'anglais, m'a apporté des vêtements civils. On m'a dit que le jour suivant
quelqu'un viendrait pour m'emmener ailleurs.
A partir de ce moment là, le reste de mon voyage était arrangé.
RAPPORT COMPLEMENTAIRE (rédigé le 25 Octobre 1943)
CONCERNANT LES DIFFERENTES AIDES
DONT DEMETRIOS KARNEZIS DIT "JIM" A PU BENEFICIER
N° 126 Demetrios KARNEZIS, lst Lt.
Le 6 Septembre 1943, le lieutenant KARNEZIS est tombé à environ un mile de Champigny. Après avoir
marché pendant plusieurs kilomètres, il s'est approché d'une ferme près de la Chapelle-Champigny (au sudest de Champigny sur Yonne, près de l'Aqueduc de la Vanne).
La famille qui vivait dans cette ferme était composée d'un homme d'âge mûr, d'une femme Mme Thérèse,
de la soeur de Mme Thérèse, de la fille Marie, de deux fils Jean et Robert et d'une jeune fille institutrice
qui était l'amie de Marie. Cette famille ( la famille ANDRE de fa ferme du Chapitre) a donné à manger à
"Jimmy", a nettoyé et pansé ses blessures et l'a caché dans la ferme pendant quatre jours.
Le troisième jour, Mme Bouchy, son mari et un autre homme sont venus voir KARNEZIS. Mme Bouchy
parlait très bien l'anglais et avait des amis à Londres. Son mari avait apporté des vêtements civils pour
KARNEZIS et elle l'a averti qu'il pourrait partir le lendemain avec une autre personne.
Effectivement, le lendemain un homme est venu. Il était accompagné du Magistrat du village voisin qui a
fait une carte d'identité à KARNEZIS avec une photo que celui-ci lui avait confiée.
L'homme a conduit KARNEZIS par le train dans son appartement à Paris (Henri MARECHEAU - of#130
- 19, Rue de la Chapelle - Paris 18ème ). Dans cet appartement KARNEZIS rencontra GRAFF (#130) et
KINOTEK (#134). MYERS (#135) y avait déjà conduit RISLEY (Royal Air Force) et André POIRIER
( Pilote de spitfire dans les Forces Françaises libres).
KARNEZIS quitta l'appartement pour aller à Brest avec RADER (#137) et GRAFF et le reste de son
voyage fut pratiquement le même que celui de RYAN et RADER (#136 et #137).
Du 5 au 15 Octobre il était au "Col. SCHEIDHAUER " à Brest. Le 8 Octobre, GRAFF et lui ont passé la
nuit ensemble à Quimper. Les 16 et 17 Octobre il se trouvait dans une église près de Chateaulin et il a
passé la nuit du 18 Octobre dans une maison de pêcheur à Camaret.
Fin du Rapport, copie certifiée conforme par Leslie Atkinson le 23 Août 1993.
Rapport d'évasion de France n°102 (traduction J.C. BRUNEL)
de John W. GEORGE, 2d Lt 0-680204 Copilote
388ème Bomb Group, 560ème Bomb Squadron
Age: 22 ans Ancienneté: 1 an et 5 mois
Adresse: 6025 Haverford Avenue, Indianapolis - Indiana
Disparu en opération : 6 Septembre 1943 Arrivé en GB : 18 Septembre 1943
6 Septembre 1943 - KNETTISHALL
Nous avons quitté KNETTISHALL le 6 septembre 1943 à 5h30 pour aller bombarder des objectifs à
Stuttgart. Les attaques des chasseurs commencèrent quelques minutes après que nous ayons quitté
l'objectif. Nous étions plus exposés aux attaques que d'habitude car l'escadrille n'était pas bien formée.
Après que l'altimètre eut été touché nous avons commencé à perdre de l'altitude. Nous avons essayé de
gagner le couvert des nuages à 10.000 pieds (environ 3000 mètres), mais l'AFCE n'a pas permis de
conserver une altitude constante, même avec les moteurs à plein régime.
L'appareil en feu
Quand le système d'oxygène prit feu, l'ordre de sauter fut donné. Je fus le dernier à sauter car mon
parachute était mal placé.
J'ai ouvert mon parachute à 5 000 pieds (1500 mètres) aussitôt que je fus assez éloigné de l'avion. Un
Foke-Wulf 190 tournait autour de moi tout le temps de ma descente, et plus tard lorsque je fus au sol, il tira
sur moi mais ne m'a pas touché. Après avoir atterri, j'ai vu notre appareil s'écraser et brûler dans un petit
village.
CHAMPIGNY
J'ai atterri à proximité de Champigny, et j'ai rencontré un groupe d'enfants. Après qu'ils aient caché mon
parachute et mon équipement d'aviateur, un paysan d'un certain âge, debout loin de nous, me proposa de le
suivre. Il me cacha dans une cabane dans laquelle je devais rester jusqu'à ce qu'il revienne plus tard dans
l'après-midi. Comme il n'était pas revenu à 21 heures, j'ai commencé à marcher dans la direction du NordOuest vers Paris. Ma boite d'aide à l'évasion et mon sac étaient restés tous deux dans l'avion. Pour suivre
ma route je regardais les étoiles.
MONTEREAU - 7 septembre 1943
A l'aube, après avoir dépassé MONTEREAU, je me suis dissimulé dans une meule de foin. Je n'avais ni
mangé ni bu et la route étant très fréquentée, je décidais de ne pas marcher avant la nuit. Cette nuit là,
voyant une petite maison éclairée en passant dans MORET, j'ai demandé à manger. Le Français qui me
répondit après que j'eus frappé à la porte, me fit entrer dans sa maison lorsque j'ai dit "Aviateur
Américain". Je lui ai dit que j'avais faim. Il ne me permit pas de dormir chez lui. Je suis allé jusqu'à l'entrée
de Fontainebleau et j'ai passé le reste de la nuit dans le fossé.
FONTAINEBLEAU - 8 septembre 1943
Tôt dans la matinée j'ai marché dans Fontainebleau. Vêtu d'habits marrons par dessus mon pantalon O.D.
( vêtement militaire? ), d'un chandail marron et de chaussures de cuir à boucles, j'ai marché en direction
d'une sentinelle allemande. Peu après, en m'approchant d'une école, j'ai vu des troupes allemandes creuser
des trous dans la cour. Je me suis caché derrière un arbre et j'ai observé, mais j'ai eu peur d'aller plus loin.
Revenant sur mes pas sur une courte distance, j'ai trouvé une route menant à Orléans et je l'ai suivie jusqu'à
La Chapelle la Reine.
LA CHAPELLE LA REINE
Près de ce village, un Français qui reconnut mon uniforme me parla en mauvais anglais. Après que je l'eus
rassuré sur mon identité, il s'est débrouillé pour me nourrir et me coucher cette nuit là.
PITHIVIERS - 9 septembre 1943
Le lendemain matin, il m'a mis sur la route de Pithiviers. Tard dans l'après-midi, je me sentais très fatigué
et j'avais faim. J'ai arrêté un camion. Le chauffeur, un Français, m'a conduit dans Pithiviers. Après m'avoir
donné des pantalons civils plus sécurisants, chacun sur une bicyclette, nous avons rejoint sa maison.
Le reste de mon voyage était réglé.
-----------------------------------(Il semble que John W. George ait eu beaucoup de chance en arrêtant ce camion, puisqu'il fut rapatrié dès
le 18 septembre 1943 en Angleterre. L'homme qui l'a pris en charge ce jour là faisait sans doute partie d'un
réseau de résistance et John W. George profita vraisemblablement du voyage d'un officier Français vers
l’Angleterre pour s'évader de France).
Une correspondance récente de "Jim" KARNEZIS que nous reproduisons partiellement ci-après, confirme
cette hypothèse :
"Je me suis procuré une copie du rapport d'évasion n°102 de John W. ("Jack") GEORGES. Il est
intéressant de noter comment il a réussi, évidemment avec l'aide de la résistance française, à retourner en
Angleterre en quelques 12 jours (du 6 au 18 septembre).
Lorsque j'ai vu Jack plus tard aux Etats Unis, il m'a dit qu'il avait eu la chance de rentrer en contact avec un
groupe de résistants qui préparaient des plans pour transporter une personnalité importante en Angleterre à
la demande des autorités françaises libres opérant en Angleterre. Je ne pense pas que Jack n'ait jamais su le
nom de cet homme où l'importance qu'il avait réellement. Jack a supposé qu'il pouvait s'agir d'un Officier
Général Français. Dans son rapport il apparaît que la connexion a eu lieu à Pithiviers puisque son récit
semble s'arrêter là.
En outre vous noterez certains renseignements qu'il a reporté en annexe "B" de son rapport : Il y mentionne
Brest, St Nazaire et Lorient, ce qui me conduit à penser qu'il est lui aussi retourné en Angleterre sur un
bateau de pêche à partir de quelque part en Bretagne."
Insigne du
388e Groupe de
bombardement
L'équipage du SLIGHTLY DANGEROUS