3 Présentation 3 Eduquer et faire sens

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3 Présentation 3 Eduquer et faire sens
Sens de l’éducation-2001/2002-René Barbier
3 Présentation
Le mot « éduquer » doit être replacé dans un univers de significations dans lequel
« apprendre », « s’instruire », « enseigner », « se former » et en fin de compte « s’éduquer »
s’éclairent réciproquement. Éduquer nous oblige à penser en termes d’interférence d’un
ensemble de significations liées à l’expérientiel, au singulier, et au créatif.
Ce qui fait sens nous conduit à proposer et à articuler trois concepts : profondeur, gravité et
reliance en éducation. La profondeur demeure la trame inconnue de toute existence.
L’éducateur s’y trouve impliqué et, de ce fait, se sent relié à la totalité du vivant. Cette
reliance le conduit à vivre dans une gravité où la dimension éthique est primordiale.
3 Eduquer et faire sens
3.1 Différents sens du mot « éduquer »
Si nous articulons le savoir, l’enseignant et l’élève, le sens va se trouver dans
l’interaction de ces trois pôles. Le « s’Éduquant », comme disent les Canadiens se sert de
toutes les ressources réunies. Il veut connaître le monde et n’hésite pas à utiliser
l’hétéroformation, c’est-à-dire les institutions éducatives et leurs agents pour ce faire. De
même il va voir du côté de l’autoformation1 (Verrier, 1999, 230 p.) en se prenant en charge
sur le plan du savoir et reste réceptif à ce que le monde peut lui apprendre (écoformation)2 . Le
s’éduquant est alors vraiment en coformation. Avec lui-même et son monde intérieur, avec les
autres et leurs désirs, avec le monde et son imprévisibilité, comme avec le savoir, les
enseignants et le groupe des enseignés.
L’éducation ne veut pas dire instruction, enseignement, apprentissage ou formation,
bien qu’elle les utilisent tous en dernière instance. L’essentiel de l’éducation réside dans un
chemin de connaissance de soi par la reliance avec les autres et le monde. Elle s’ouvre sur la
question même de la sagesse (Barbier et al. 2001, 369 p.)3 .
3.1.1 Éduquer
Éduquer s’origine dans le latin duco, ducere, qui signifie «conduire» hors de. Éduquer
c’est tirer hors de l’état d’enfance. Mais une autre origine plus probable, educare, signifie
«nourrir» et s’ouvre sur le «soin des enfants», la paideia.
L’avènement du christianisme va inscrire l’éducation dans une perspective
transcendante : le mot hébreu mûsar signifie à la fois instruction (don de sagesse) et désigne
essentiellement un comportement de Dieu, modèle des éducateurs, dont l’œuvre se réalise par
intériorisation de plus en plus profonde de l’éducateur et de celui qu’il éduque. Le Christ,
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Sens de l’éducation-2001/2002-René Barbier
comme éducateur, devient le « maître intérieur » du disciple. L’éducation ne sera achevée que
lorsque tout enfant de l’église aura réalisé en soi la figure divine. L’Église enseignante vise à
éduquer en ce sens et à corriger les errements le cas échéant.
Avec la réforme et la Renaissance, l’idée se fait jour d’une action de l’homme pour se
former au sein d’un monde qu’il contribue à maîtriser. L’homme a besoin de se former pour
devenir homme. Il est éducable. Mais pendant longtemps encore l’éducation relie la nature à
son mouvement de création d’essence spirituelle. Avec Rousseau et son Émile (1762)4 le mot
éducation prend son sens moderne plus existentiel, renvoyant le terme à la fois à une nature
qu’il s’agit d’observer et à une volonté d’autonomie proprement humaine.
Avec Kant 5 l’homme est défini comme «la seule créature qui doive être éduquée».
Liberté et éducation vont de pair et la Révolution française avec Condorcet (1743-1794)6
réclame une «instruction publique» capable de rendre réelle l’égalité des droits. L’éducation
en s’institutionnalisant recouvre toutes les sphères de la vie publique et privée. Elle devient
un incontournable de nos sociétés modernes. Étatisée l’éducation voit son sens réduit à une
direction programmée qui surdétermine toute signification et laisse de côté l’univers des
sensations non utilisables socialement.
Reprécisons les termes « apprendre », « s’instruire », « se former », « s’éduquer ».
3.1.2 Apprendre
Posons d’emblée qu’apprendre est le terme le plus générique pour indiquer un
processus d’accès compréhensible à un certain niveau d’informations. J’apprends ainsi que le
nouveau Président de la République vient d’être élu. J’apprends en lisant l’Encyclopaedia
Universalis, les détails de la vie du dernier prix Nobel de littérature. Mais je n’apprends pas la
dernière figure de la théorie des quanta en parcourant un ouvrage spécialisé, si je ne suis pas
physicien. Inversement un physicien comme Fritjof Capra peut-il apprendre ce que lui
proposait le philosophe Krishnamurti7 sur le plan ontologique ? A la question ainsi formulée,
Krishnamurti répond à l’auteur du célèbre Tao de la physique (Capra, 1979, 317 p.), qu’avant
d’être un physicien, F. Capra est un homme. En tant que tel il peut comprendre ce qu’il lui dit.
Apprendre implique de comprendre ce qui nous informe. Apprendre correspond à
quelque chose de plus qu’être simplement informé. Apprendre est différentiel et dépend
nécessairement du niveau de culture que l’on possède. Plus je suis cultivé et mieux je saurai
apprendre, au moins dans certains secteurs des savoirs et des savoirs-faire. L’amour de l’art,
comme le montrent les sociologues Pierre Bourdieu et Alain Darbel (Bourdieu et Darbel,
1969, 348 p.), est référé sans cesse à un savoir élaboré sur la construction artistique, que ne
possèdent pas les membres de toutes les classes sociales au même degré. En passant de la
sphère du savoir sur la nature à la Connaissance de l’être, sans doute devrais-je perdre
beaucoup de savoir acquis pour apprendre à connaître un peu plus spirituellement le monde.
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Sens de l’éducation-2001/2002-René Barbier
Connaître, c’est méditer et méditer c’est désapprendre avant tout pour comprendre,
c’est-à-dire perdre de l’information acquise pour devenir réceptif à une information
potentielle. L’homme neuronal de Jean-Pierre Changeux (Changeux, 1984, 379 p.) nous
signale qu’il en est ainsi au niveau des neurones du cerveau : il faut perdre pour pouvoir
acquérir.
Mais d’ordinaire, acceptons l’idée que je peux apprendre toutes sortes de choses dans
n’importe quel domaine, en fonction de mes capacités intellectuelles, des circonstances, des
moyens matériels, des gens que je rencontre, du lieu où je me trouve etc. Apprendre
n’implique pas une institution spécifique. Apprendre est ouvert à tous vents !
L’autodidacte apprend en toutes circonstances (Verrier, 1999, 230 p.)8 . Mais l’écolier
dans son école primaire également.
3.1.3 S’instruire
Instruire vient du latin instruere qui signifie insérer, bâtir, disposer, outiller. S’instruire
c’est alors se doter d’outils conceptuels et imagés. Mais le champ sémantique est plus vaste :
instruire signifie également éclairer, avertir, informer, aviser, initier. S’instruire consiste donc
à se renseigner, à s’informer d’une manière éclairante.
Par rapport à apprendre, s’instruire implique une direction de l’information, une
intentionnalité plus précise en vue d’une fin encore vague : l’éclairement, la mise au jour d’un
sens à venir. En vérité on s’instruit souvent en participant à un «enseignement».
3.1.4 Enseigner
En latin insignare c’est mettre une marque, conférer une distinction. Il y a
institutionnalisation de l’activité de connaissance qui renforce l’intentionnalité de l’envie de
savoir. Cette institutionnalisation comporte ses méthodes codifiées, comprend ses
professionnels qualifiés. Je m’instruis ainsi en suivant les cours à la Sorbonne et je passe les
examens devant un jury universitaire. Mais je m’instruis tout autant en lisant les ouvrages des
grands philosophes publiés dans les meilleures maisons d’éditions et en suivant, derechef,
sans m’en apercevoir, une ligne de connaissance largement tracée par le jeu concurrentiel
dans le champ symbolique de l’édition. Tout le savoir externe est déterminé par des lignes de
force qui nous échappent.
On s’instruit en s’aliénant, en se faisant prendre au piège d’un réseau de significations
destinées à nous «marquer» pour le meilleur et pour le pire. Un jour le fils du boulanger se
rend compte qu’il ne sait plus parler simplement à son père. Gagner par la lutte des places
comme dit le sociologue Vincent de Gaulejac (De Gaulejac, 1994, 286 p.), il ne se sent plus
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Sens de l’éducation-2001/2002-René Barbier
jamais tout à fait à sa place dans la relation humaine, pris dans un «entre-deux» qui l’enserre
comme une paire de pinces coupantes.
3.1.5 Se former
Former vient du latin formare qui signifie au sens fort, donner l’être et la forme, et au
sens faible, organiser, établir. Former implique une action en profondeur de transformation,
en vue de donner une forme a quelque chose qui n’en avait pas ou qu’il fallait changer. Se
former, en apprenant, signifie donc travailler son information pour lui donner une forme qui
correspond à un mouvement interne de transformation de soi-même.
Vu sous cet angle, comme le pense le philosophe Michel Fabre, «former est plus
ontologique qu’instruire ou éduquer : dans la formation c’est l’être même qui est en jeu, dans
sa forme» (Fabre, 1994, p. 23). En fait, se former débouche inéluctablement sur «éduquer» et
le véritable «formé» est toujours, un «s’éduquant».
3.1.6 S’éduquer
Éduquer avec ces deux sens majeurs «nourrir», élever des animaux et «faire sortir»
oriente le champ sémantique vers une élévation, une extraction plus ou moins ontologique.
On se forme en s’éduquant. C’est l’éducation qui est le terme principal, le terme animateur.
Tout se passe comme si l’éducation était du registre d’un projet implié d’une région
essentielle de soi-même à connaître, un Endroit à découvrir sous l’Envers que la société nous
impose comme semblent le supposer les membres de la Gnose de Princeton exposée par
Raymond Ruyer et sans doute David Bohm (Bohm, 1987, 223 p.)9 dans sa plénitude de
l’univers. L’éducation est élan de soi vers soi. Cette poussée rencontre la formation comme
véritable mise en forme, organisation pertinente de cet élan créateur.
Tout l’art de l’éducation consiste à faire sentir aux apprenants en quoi ils sont animés
par cet élan. Mais surtout en quoi cet élan est et demeure avant tout «leur élan», totalement
singulier, irréductible à tout autre.
Le véritable éducateur indique les multiples parcours par lesquels l’itinérance éducative
d’une personne peut trouver son accomplissement. Comme les carrefours sont nombreux dans
une vie, nous avons besoin de plusieurs éducateurs. Mais ceux-ci ne sont pas des « maîtres »,
des « gourous ». Plutôt des sortes de sémaphores indiquant la route de l’éveil de l’intelligence
(Krishnamurti, 1975, 635 p.). Mais des sémaphores qui ne seraient en aucune manière des
objets inertes.
Un éducateur, qui n’est pas un éducastreur (celui qui castre symboliquement les
élèves), suivant une formule qui avait cours dans les années soixante-dix, n’est pas non plus
une girouette tournant au gré des vents de l’histoire et de l’air du temps. C’est un homme de
Connaissance. Un éveillé qui connaît la région que doit emprunter l’élève sans pouvoir pour
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autant tracer d’avance sa route singulière et imprévue. Il connaît la trame mais non le motif. Il
découvre l’écran, mais n’a jamais vu, et ne verra jamais, le film unique que l’élève y
projettera, dans une inconscience nécessairement mal contrôlée.
Parler de s’éduquer signifie donc qu’un témoin, en nous-mêmes, peut jouer ce rôle
d’éducateur. Le risque d’illusion est considérable, mais l’enjeu est inévitable si on ne veut pas
tomber dans l’esprit du temps qui, à travers tous les intégrismes, invoque puis convoque la
figure du Maître et dialectiquement celle de l’Esclave. Il s’agit du pari majeur de l’éducation :
je me forme pour m’éduquer et je m’éduque parce que je ne peux rien faire d’autre pour me
connaître et me réaliser. Le véritable éducateur accepte profondément ce pari pour son élève.
C’est pourquoi, comme le Bouddha, il accepte toujours d’être tué symboliquement par son
élève libéré sur la route de la Connaissance.
L’éducateur tranche d’un coup ce qui unifiait illusoirement le savoir et la
Connaissance. Il dit à son élève que le savoir est du côté du fonctionnel nécessaire mais
insuffisant. Il lui rappelle sans cesse que la Connaissance (avec un C majuscule) est du côté
de la face cachée de soi-même et que tout être humain est l’unique découvreur de son
royaume. A lui de tracer son propre chemin, à lui d’être sa propre lumière.
Le sens se rapporte à une « autre chose », un « vrai lieu », quelque chose qui nous
échappe et qui pourtant nous rend présent au monde. Nous dirions, à ce propos, avec Yves
Bonnefoy (1978, 343 p.), « le désir du vrai lieu est le serment de la poésie ». Pris dans sa
radicalité, le sens fait émerger le désir de poésie.
Le sens est d'ordre expérientiel, singulier, interactif et ouvert.
Nous affirmons habituellement « cela fait sens » c'est-à-dire cela nous entraîne dans un
univers de significations que nous habitons, une parole qui nous porte et que nous portons,
une relation dialoguée avec le monde et les autres.
3.2 Une structure qui « fait sens »
Faire sens pour l'être humain peut vouloir dire une structure de significations qui
articule trois dimensions : la Profondeur, la Gravité et la Reliance.
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Le triptique ontologique en éducation
René Barbier 97
PROFONDEUR
Optimisme tragique
Communion
Perception et
Représentation
du Réel
GRAVITÉ
RELIANCE
Solidarité active
3.2.1 Profondeur
Elle signifie :
- une relation à un Réel conçu comme une vérité qu'on ne saurait cerner, enfermer,
circonscrire, sans le détruire.
- une relation à «un Abîme, un Chaos, un Sans-Fond» (Castoriadis), à un «ToutAutre» (Rudolph Otto), à un «Otherness», une «Autreté» (Krishnamurti).
- une relation d'inconnu (Guy Rosolato) ou l'inquiétante étrangeté freudienne
s’inscrit dans l'impossibilité même de la présence absolue et "dévisageable" de ce
Réel voilé.
- une relation perçue comme un flux intérieur de Vie radicale, ouvert sur le
«presque-rien» et sur le «je ne sais quoi» (V. Jankélévitch).
- une relation abyssale dans laquelle nous ne finissons jamais de nous approfondir.
- une relation qui va au-delà du non-sens, qui fait fleurir le sens au cœur même du
non-sens, dans une acceptation de non-rationalité qui n'est pas cependant un
irrationnel. Plutôt un constat qu'il peut exister « une pensée de la non-pensée »
nommée « hishiryo » chez les bouddhistes, une pensée extrêmement vivante et
active.
- une relation qui présentifie sans cesse ce qui est en chacun d'entre nous pour
transformer chaque être en une personne, c'est-à-dire celui qui peut dire «je» parce
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qu'il est un individu intégré au cours du monde et chez qui il n'y a plus personne à
nommer.
une relation qui suscite à chaque instant une intensité active qui n'est pas une
passion, ni l'éclat d'une quelconque « philosophie des lumières » mais l'émergence
du sens au cœur de chaque mot prononcé, de chaque geste effectué, de chaque
regard attribué.
une relation qui s'ouvre sur l'amour pour ceux qui vivent dans la tradition du Livre
ou sur la compassion pour ceux qui suivent certaines sagesses orientales
proprement athées, ou dans une certaine conception d'un humanisme marxiste.
une relation surtout qui au fil du temps nous rend de plus en plus « grave ».
3.2.2 Gravité
Devenir de plus en plus grave signifie que la lucidité « cette blessure la plus rapprochée
du soleil » comme dit René Char, nous gagne de plus en plus.
Il s'agit bien d'une blessure qui n'en finit pas de saigner : celle d'une omnipotence
infantile peu à peu bousculée, mutilée, ravagée par l'épreuve de la réalité.
Celle parfois plus tardive d'une espérance collective et idéalisée de vie sauvée du
désastre, de « lendemains qui chantent ». Une espérance qui se ratatine comme une papier
crépitant sous l'incendie et qui ne laisse que des cendres bleuies.
Celle d'une vision intérieure et terriblement silencieuse, d'un sentiment tragique de la
vie dont parlait Miguel de Unamuno quand il refusait de crier « Viva la Muerte » avec les
sbires de Franco.
La vision déchirante de ce qui est : les ethnocides et les génocides, les « purifications
ethniques », les haines fabriquées de toute pièce par les puissances coloniales, les terrorismes
et les intégrismes meurtriers. Mais également les catastrophes naturels évidemment, comme le
tremblement de terre de Kobé au Japon ou, il y a quelques années, la mort affreuse de la petite
Omeyra, en Colombie, lors d'un glissement de terrain. N'oublions pas le quotidien : les petites
vengeances privées, les couteaux tirés au cœur des mots, les harpons d'acier dans les regards,
les grands océans asséchés au sein d'un seul cri humain. Comment vivre sa juste colère sans
tomber dans le ressentiment ? Comment dénoncer la tyrannie sans blesser la personne ?
La Gravité, c'est tout cela et quelque chose en plus.
Ce qui est en plus, c'est la Joie d'être. La joie incompréhensible, la joie soyeuse et
toujours nouvelle, la joie jaillissante, la joie bouleversante. La joie en point d'interrogation
dans le non-sens. La joie malgré tout, comme une ombrelle dans un brûlant désert. La joie qui
transforme le destin en miracle.
Ce mélange intime, ce métissage d'être, dans la Gravité, entre vision tragique et joie
radicale, est de l'ordre d'un processus que je nomme : se gravifier, c'est-à-dire à la fois
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Sens de l’éducation-2001/2002-René Barbier
devenir d'instant en instant, de commencement en commencement, toujours plus «profond »,
plus grave et toujours plus joyeux, le plus clair-joyeux, dans l'épreuve de réalité.
Ce métissage est détonant. Une explosion du sens. Un bougé des structures mentales.
Sous la vague de fond surgit l'imprévu. « Sous les pavés, la plage ». Le sens n'était pas donc
pas un clou rouillé mais du blé en herbe. Au cœur de l'intime souffrance d'être ensemble se
dessine l'intensité d'un recueillement : celui du vivre ensemble. Mon visage passe par ton
visage pour s'ouvrir au Visage d'une relation d'inconnu : celui de la communion des existants.
Avec cette ouverture c'est la fulgurance de la Reliance qui éclate soudain.
3.2.3 Reliance
Être relié c'est être unifié à soi-même, aux autres, au monde. Le concept fait l'objet
aujourd'hui de commentaire fructueux en sciences humaines, sous l’égide du sociologue belge
Marcel Bolle de Bal (1996, 2 volumes).
C'est par ma Gravité même que j'entre en reliance ? Je n'ai aucun effort à faire, mais
plutôt j'ai à « laisser-faire », « un non(ré)agir ». Le sens vécu de la Profondeur suscite la
Gravité singulière qui provoque inéluctablement le sentiment de reliance.
Avec la reliance c'est tout l'acte de vivre qui devient solidaire. Pas seulement de mon
petit monde, autour de moi, narcissiquement lové. Mais un monde qui s'élargit toujours plus
pour atteindre les confins, là où la vérité prend forme et lieu. Je suis Nous. Le Monde est Moi
et Je suis le Monde.
Ce que je fais, ce que je dis, ce que je ne fais pas, ce que je ne dis pas, agit sur le monde
et rétroagit sur moi. Bien que « Je » soit différent du « non-Je », « Je » est pourtant sans
frontière. Bienheureuse épreuve de vérité que le vécu de cette sensibilité paradoxale.
Émergence du sens de l'Ouvert dont parlait Rainer-Maria Rilke. « Je » devient Relation, enfin
reconnue, que la vie prend en charge, développe et approfondit de jour en jour.
« J'ai été fait simple » dit Krishnamurti après sa compréhension essentielle de ce qui est.
C'est dans cette simplicité que fleurit la reliance authentique.
Elle est sans projet, sans intention.
Elle ne veut pas faire le bonheur coûte que coûte.
Elle accepte de ne pas retirer la cagoule de celui qui a encore besoin de la nuit sur son
visage.
Elle est de l'ordre du Don sans refuser le contre-don, mais sans l'attendre non plus.
Elle est un permanent « tremblement de l'être » engendré par le tremblement d'un autre
être.
Elle est l'émotion par excellence : celle qui est l'élan de la tige dont parle le poète
Iossip Brodski. Une émotion à l'origine, c'est-à-dire la fine fleur de la sensibilité.
Elle invente des stratégies d'action juste, des tactiques d'instants propices.
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Sens de l’éducation-2001/2002-René Barbier
C'est avec l'accomplissement de la reliance que l'éducation commence à voir le jour.
Qui parle ainsi d'éducation aujourd'hui dans nos colloques, chez nos politiques, chez nos
philosophes, chez nos sociologues ?
Sans ce triptyque ontologique Profondeur, Gravité, Reliance, l'éducation reste
minuscule et se cantonne dans l'instruction, la formation, l'enseignement. C'est une conception
de l'éducation vue alors par le petit bout de la lorgnette.
Éduquer ne se réduit ni à enseigner, ni à instruire, ni à former. Et pourtant éduquer
informe ces trois aspects de ce qu’on nomme habituellement l’éducation dans les institutions.
En vérité l’éducation se confond avec le sens : c’est pourquoi elle est profondément
humaine. Un animal n’éduque pas son petit, même s’il le nourrit. Mais l’être humain ne se
cantonne jamais seulement à nourrir : il fournit en plus, de l’imaginaire, des affects, et des
significations qui collent plus ou moins au réel.
1
Le terme d’autoformation recouvre les pratiques de formation réalisées pour tout ou partie
« par soi-même », par opposition aux formations réalisées « par d’autres » (ou
« hétéroformation » selon G. Pineau). Cette notion est définie avant tout « en creux », par
contraste avec les modèles transmissifs-didactiques (du type de la « leçon »). La notion
d’autoformation traduit donc un renversement de perspective pédagogique par lequel on
substitue à la relation transmissive classique :
Formateur – (transmission) – Formé
Une relation inverse, d’appropriation du contenu par le sujet :
Apprenant – (appropriation) – Ressources.
Extrait du Dictionnaire encyclopédique de l’éducation et de la formation.
Voir également le site du GRAF (Groupe de Recherche sur l’Autoformation en France)
http://www.cnam.fr/autoformation2000/france/page2f.htm
2
Voir le site du GREF (Groupe de Recherche en EcoFormation)
http://mageos.ifrance.com/GREF/GREF.html
3
Voir « Education, sagesses et transdisciplinarité » sur le site
http://www.fp.univ-paris8.fr/recherches/EducSagesTransdisc.html
4
J-J. Rousseau (1712-1778). En critiquant la science et la technique qui enferment l'homme
dans la positivité, en s'attaquant à l'imposture des pouvoirs religieux et politiques, et en posant
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l'enfant comme un être appelé à l'autonomie, Rousseau a déchaîné les passions. A peine sorti
des presses en 1762, L'Emile est saisi à Paris, le Parlement ordonne que le livre soit lacéré et
brûlé. Il en sera de même à Genève, sur ordre du Petit Conseil. Jean-Jacques Rousseau sera
décrété de prise de corps à Paris et puis expulsé de Suisse. Et pourtant
Johann-Heinrich Pestalozzi, l'initiateur de la pédagogie moderne, a reconnu que l'Emile faisait
date dans l'histoire de la culture des hommes, Voir le Site http://rousseau.unige.ch,
Quant à Emile et de l’éducation, il est jugé impie et dangereux et son auteur décrété de prise
de corps. Composé de cinq livres, Emile est un traité d'éducation aux accents tantôt
philosophiques, tantôt romanesques. Il propose des principes qui doivent permettre la genèse
d'un homme nouveau, chez qui sont préservées les qualités originelles : on suit pas à pas les
procédés du gouverneur qui prend soin d'Emile de sa naissance jusqu'au jour où celui-ci
devient père. L'objectif de la méthode est d'en faire un homme vrai, libre et heureux. A cet
effet, le gouverneur procède par étapes, en suivant l'évolution naturelle de l'individu,
conscient que chaque âge est digne, en soi, d'intérêt : développement du corps, découverte du
monde et de la nécessité liée aux choses, relation aux autres, foi et raison, amour et mariage,
tout se déroule avec ordre. Il ne faudrait pas gâter l'enfant en le rendant prématurément adulte.
La nourriture, les vêtements, les jeux, rien n'est négligé.
5
Emmanuel Kant construit, pour I'essentiel, une philosophie de la connaissance où il souligne
la relativité de cette dernière à l'esprit humain. Elle met en jeu les notions et termes
fondamentaux suivants :
- la raison : elle désigne, chez Kant, tout ce qui, dans la pensée, est a priori et ne vient pas de
l'expérience. Elle est théorique ou spéculative lorsqu'elle concerne la connaissance. Elle est
pratique lorsqu'elle est considérée comme contenant la règle de la moralité. La raison, au sens
étroit du terme, désigne la faculté humaine visant la plus haute unité et s'élevant ainsi
jusqu'aux idées ;
- i'idée d'une critique de la raison : il ne s'agit point d'une critique sceptique, mais d'un examen
concernant l'usage légitime, l'étendre et les limites de la raison
- le terme pur : il s'applique à toutes les représentations dans lesquelles il ne se trouve rien qui
appartienne à l'expérience sensible (ex. : raison pure)
- le terme à priori, qui désigne ce qui est indépendant de l'expérience. Il faut distinguer pur et
a priori. Parmi les connaissances à priori, celles-là sont appelées pures auxquelles absolument
rien d'empirique n'est mêlé. Par exemple, la proposition : « tout changement a une cause », est
bien à priori, mais n'est point pure, puisque le changement est un concept qui ne peut venir
que de 1'expérience ;
- le concept de beau : ce qui (dans l' art ou la nature) plaît universellement sans concept.
- la notion de phénomène, etc.
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Condorcet (1743-1794)
Revendiquant la liberté de conscience, l’égalité des droits et la justice, il publia notamment
des études portant sur l’esclavage des Noirs, la révolution d’Amérique et le despotisme.
Condorcet conçut son projet d’instruction publique dans une double perspective, marquée par
le rationalisme de l’Encyclopédie et par une exigence de justice politique et sociale. Ce projet
répond aussi à une exigence civique et à une exigence de liberté et d’égalité.
Extrait du Dictionnaire encyclopédique de l’éducation et de la formation
7
Voir les « Travaux sur l’enseignement de Krishnamurti », sur http://www.fp.univparis8.fr/recherches/Pageperso2RB.html
8
Pour en savoir plus, voir le site,
http://www.fp.univ-paris8.fr/recherches/SyntheseTheseVerrier.html
9
http://www.fp.univ-paris8.fr/recherches/LettreLara1.html
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