FORMATION SUR LE FILM COULEUR DE PEAU : MIEL de Jung et

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FORMATION SUR LE FILM COULEUR DE PEAU : MIEL de Jung et
FORMATION SUR LE FILM
COULEUR DE PEAU : MIEL
de Jung et Laurent Boileau
Le mercredi 23 mars 2016, l’association Collège au Cinéma 37 a reçu Laurent Boileau, coréalisateur du film
Couleur de peau : miel, programmé au troisième trimestre 2015/2016 dans le département de l'Indre-etLoire.
I - Présentation du film
Pour faire le lien avec le prévisionnement du film de ce matin, il y a eu beaucoup d'émotions sur la fin du film
(l'explication de la mère et de Jung). Au vue des émotions ressenties, la question du choix du niveau a été
posée. Apparemment, ce film a emporté les spectateurs dès le début. La structure n'est peut-être pas
évidente pour les collégiens à première vue et il y aura peut-être une difficulté de compréhension de la trame
narrative.
Laurent Boileau trouve que ce film comporte beaucoup de portes d'entrée ; il est déjà intervenu devant une
trentaine de classes de la sixième à la troisième et la réception est différente selon l'âge mais les classes ne
sont pas passées à côté du film. Il a également présenté une ou deux séances en primaire où il a eu plus de
mal à répondre aux questions plus naïves des enfants et pense qu'il ne faut pas proposer ce film à cette
tranche d'âge. En France, culturellement, le film d'animation, comme la BD est encore très lié au monde de
l'enfance.
Laurent Boileau ajoute que, concernant Couleur de peau : miel, le sujet concerne un enfant, l'affiche du film
laisse penser que le film s'adresse à des enfants et il a été distribué par Gebeka, spécialisé dans les films
Jeune Public.
Sur le plan culturel, la France a des difficultés à passer certains caps. En Belgique, il y a des critiques de
bande dessinée toutes les semaines alors qu'en France, elle n'est évoquée qu'au moment du festival
d'Angoulême ou sur un plan économique ,en mentionnant le nombre de tirages de Titeuf ou d'Astérix...
Les trois principaux films d'animation destinés à un public adulte sont Persépolis, Les Triplettes de Belleville
et Valse avec Bachir. Les autres réalisations n'ont pas été distribuées en France. Couleur de peau : miel est
sorti en France en 2012 et a reçu le Prix du public et le Prix Unicef au festival d'animation d'Annecy en 2012.
Couleur de peau : miel n'est ni un film pour adultes, ni pour enfants. Ce film parle de sujets qui touchent les
adolescents et les adultes selon l'enfance et à l'adolescence qu'ils ont pu vivre.
Il est aujourd'hui difficile de faire un film d'animation pour adultes. Laurent Boileau ne pense pas refaire de
film d'animation car voulant traiter des sujets pour adultes, il ne pense pas pouvoir trouver de producteur
pour un tel film.
II - Technique
L'origine du projet est la BD Couleur de peau : miel sortie en 2007. Cette BD a la particularité d'être en noir
et blanc avec peu de bulles. Il y a un texte off avec l'auteur qui parle à la première personne. Ce n'est pas
une bande dessinée d'action mais plutôt une bande dessinée utilisant la poésie, les symboles, les souvenirs
de l'auteur, Jung.
Laurent Boileau s'est reconnu dans cette bande dessinée car il a eu des relations fraternelles avec un cousin
et une cousine recueillis par ses parents. Ce questionnement sur la fratrie que se pose Jung par rapport à
Coralie a fait écho à sa propre histoire.
Jung utilise beaucoup ce registre d'humour noir et d'autodérision permettant ainsi de prendre de la distance
pour relater son enfance et l'histoire de la Corée du sud, peu connue du grand public. Il y a eu très peu de
film connu sur la guerre de Corée : M.A.S.H. À travers cette bande dessinée, Laurent Boileau a découvert ce
pays et cette histoire d'au moins 200 000 enfants abandonnés et adoptés.
A la fin du tome 1 de la bande dessinée, Jung promet à l'enfant qu'il a été de retourner en Corée du sud.
Après des recherches, Laurent Boileau découvre que Jung a vécu en Thaïlande et au Japon mais qu'il n'est
jamais retourné en Corée du sud et que cela serait un bon sujet de documentaire. Laurent Boileau rencontre
Jung à Paris à la fin de 2007, cinq ou six rencontres suivront sur les six mois durant lesquels Jung écrit le
tome 2 de Couleur de peau : miel. Jung n'étant pas retourné en Corée du sud depuis son adoption, l'idée de
Laurent Boileau était de réaliser un documentaire sur son retour en Corée du sud avec, à la base, la BD de
Jung même s'il est conscient que les moyens de la télévision ne sont pas les mêmes qu'au cinéma et que
l'animation potentielle sera limitée. Au fur et à mesure des rencontres, Laurent Boileau a soumis l'idée à
Jung de faire un documentaire autour de son histoire. Le temps passant, il écrit un documentaire pour
France Télévisions qui est finalement refusé car plusieurs documentaires sur l'adoption internationale
avaient déjà été diffusés. Son producteur le contacte quelques semaines après pour soumettre l'idée de
développer un projet cinématographique.
Laurent Boileau a une préférence pour le documentaire car il trouve qu'il y a de belles histoires à raconter.
Dès le début du projet, le mélange documentaire/ animation est paru comme une évidence. Laurent Boileau
voulait filmer le retour en Corée du sud et faire de l'animation pour raconter l'enfance de Jung.
Il avait réalisé plusieurs documentaires avec l'atelier d'animation de France Télévisions qui se trouve à
Nancy. Le directeur de l'atelier lui a proposé de produire une fausse bande annonce courant 2008 avec des
contraintes (un seul personnage, un personnage animé à l'ordinateur, pas de synchronisation verbale et
moins de deux minutes).
Laurent Boileau l'a mise sur le net ( https://www.youtube.com/watch?v=x6InsnkE48s) et une distributrice
belge a contacté le producteur français pour avoir le film à son catalogue. Le projet du film a donc
commencé avec la rencontre d'un producteur belge qui s'est associé et le nom de Jung au générique a
contribué à trouver le financement nécessaire.
Le teaser donnait les bases du projet avec les décors dessinés et les personnages faits sur ordinateur.
Aujourd'hui, d'un point de vue financier, il n'est pas possible de produire un film d'animation totalement
réalisé en 2D en France. Il y a toujours une partie sous-traitée en Asie car cela revient moins cher. Pour les
films en 2D, les postes clés sont en France et les intervalles sont travaillés en Asie. Les financements
obtenus pour Couleur de peau : miel imposaient que la réalisation soit faite dans les pays qui le finançaient
c'est-à-dire la France, la Belgique et la Suisse.
Jung a accepté le projet car la bande annonce l'a transporté.
III - Décors et personnages
1/ Story-board
Le story-board raconte l'histoire en dessins. Les dessinateurs du story-board font un dessin par plan puis
détaillent dans un même plan toutes les actions. Le story-board a été réalisé à partir de la bande dessinée.
2/ Les décors
L'avantage d'une histoire autobiographique se trouve dans le fait que le metteur en scène a le choix entre
tout inventer ou s'appuyer sur les décors existants. Ce choix permet à Jung de se retrouver dans un
environnement familier. Ils sont partis des photos prises au repérage. Les décors ont été confectionnés par
une équipe de 8 personnes sur une année. En moyenne, il y a un décor par dessinateur mais ce travail
pouvait durer de deux heures à deux jours. Un assistant travaillait sur tout le design des années 1970. Il était
important d'ancrer l'histoire dans une époque. Il y a des souvenirs personnels (musique japonaise que Jung
écoutait) et des souvenirs universels pour que le film parle à un large public.
3/ Les couleurs
Il y a eu une approche très graphique sur les couleurs et les décors. Les dessins étaient scannés puis
travaillés sur le logiciel de retouche Photoshop où les décors étaient coloriés avec des matières.
Pour la couleur, deux gammes chromatiques sont présents dans le film. En effet, beaucoup de dualités sont
présents dans le film (Jung enfant/adulte, deux pays Corée/Belgique, deux mamans), il était intéressant que
la couleur puisse incarner cette dualité et qu'elle souligne la dramaturgie du film :
- couleurs jaune/ocre : moments joyeux liés à la famille
- couleurs bleue/grise : scènes tristes ("pomme pourrie", punition par le père...)
A la fin du film, le plan change de couleurs quand Jung pleure lors de son retour de l'hôpital (1 h 04 min 25
sec).
4/ Les personnages
La conception des personnages commence par un "design personnages". Cette équipe était constituée de 6
personnes. Jung a défini tous les personnages dessinés de trois quarts et l'équipe a décliné les
personnages dans les différentes poses (de profil, de face et de dos). Cette étape est importante pour
exprimer le personnage dans son volume. Il est important de caractériser chaque personnage avec leurs
différentes expressions de visage reflétant tous les sentiments du personnage vécus pendant le film. Il faut
également dessiner des attitudes (personnages en pied, qui courent...). Ces dessins ne sont pas dans le film
mais les animateurs en ont besoin pour faire l'animation sur ordinateur. Cette étape permet aux animateurs
de travailler par la suite en autonomie ,d'autant que la réalisation se faisait dans plusieurs villes (décors :
Angoulême, mise en couleur : Paris, story-board : Bordeaux, personnages principaux animés à Arles,
personnages secondaires animés à Charleroi, tous les personnages rassemblés à Strasbourg ou à Nancy).
La modélisation sur ordinateur permettait de transposer les dessins des personnages en volume et d'insérer
des points d'articulation permettant des mouvements fluides pour l'animation. En 3D, l'animateur ne peut pas
par exemple représenter un personnage qui ôte son pull-over.
5/ Tournage
Laurent Boileau devait travailler selon les contraintes de production. Il avait une logique de fabrication qui
n'étaient pas une logique de production : certaines scènes importantes étaient animées par certaines
personnes à un certain moment (exemple : pour la scène où le père châtie Jung, Laurent Boileau souhaitait
que l'animateur ait déjà animé le père sur d'autres scènes). Laurent Boileau était vigilant à la l'ordre des
scènes tournées. Autant que possible l'animateur se consacrait au même personnage pour tout le film.
Les dernières scènes animées sont celles de l'aéroport (arrivée de Jung en Belgique) et du supermarché. En
manque de moyens financiers, Laurent Boileau a dû composer avec la contrainte, ce qui explique la
présence des mêmes figurants (et très peu animés) dans les deux séquences. Le film d'animation fait la
chasse aux gaspillages, il faut mettre les moyens sur les scènes importantes du film.
Sur un logiciel 3D, les éléments et les caméras sont positionnés selon un seul angle de vue afin de pouvoir
animer les personnages. Il y a eu des éléments modélisés sur ordinateur qui n'apparaissent pas dans le film
final mais qui sont conçus seulement pour que l'animateur ait une idée de la position des décors. Par
exemple, une table est modélisée pour que l'animateur puisse animer la scène où Jung pose le verre sur la
table mais n'apparaît pas dans le logiciel. L'animation des personnages est ensuite intégrée dans les décors
2D. Ils ont donc recherché un rendu qui s'intègre bien au décor. Les décors sont dessinés mais les éléments
animés sont remplacés sur ordinateur par des éléments modélisés. Il fallait que les éléments 2D et 3D soient
bien intégrés pour ne pas distinguer les éléments 3D intégrés dans un environnement 2D.
Au début du projet, Laurent Boileau sentait le besoin de rencontrer la famille de Jung pour connaître son avis
sur le projet de film, car ce le dessinateur "égratignait" ses parents dans le premier tome de la bande
dessinée. L'oncle de Jung disposait 15 h de film amateur, que Jung ne connaissait pas, d'où Laurent Boileau
a choisi des morceaux (premier jour d'arrivée de Jung et quelques vacances où les familles se sont
retrouvées). Il était intéressant d'utiliser des images d'archives et des vidéos familiales qui permettaient de
témoigner d'une réalité. Le danger de multiplier les sources est de juxtaposer des récits en parallèle
(animation, images d'archives, voyage de Jung en Corée).
Il a donc fallu trouver des astuces pour lier les différentes sources: ainsi par exemple, les raccords entre
l'image d'archives et l'animation intègrent le personnage de l'oncle, ce qui donne une impression de fluidité
et de continuité. Il y a des raccords entre les passages prises de vue réelles et animation comme la
descente du car de deux étudiantes à Séoul et les deux jeunes filles qui descendent du bus en animation.
Il était aussi important pour Jung d'évoquer ces enfants coréens qui ont eu des tendances suicidaires.
- Tournage à Séoul
Le tournage en Corée du Sud a été réalisé avant toute l'animation avec une équipe de 30 personnes. La
bande dessinée comme le film ont réconcilié Jung avec son pays d'origine. Il avait de l'appréhension à
retourner là-bas même si le film ne lui a pas permis de se retrouver intimement avec le pays en raison d'une
importante équipe de tournage.
Lors de la confection du story-board, avant son voyage en Corée du Sud, Jung ne souhaitait pas parler de
sa sœur adoptive, Valérie, mais son ressenti d'adulte a changé suite à son voyage. Malgré cela, Valérie n'est
pas présente sur l'affiche dessinée par Jung. Laurent Boileau a dû s'adapter en temps réel à ce que Jung
était en train de vivre en réalisant ce film.
Laurent Boileau a essayé de prendre en compte à la fois le côté humain des vraies personnes et le côté
cinématographique des personnages, tout comme la nécessité d'établir une dramaturgie. Il y a eu deux
changements importants par rapport au scénario initial : dans un premier temps, le tournage en Corée du
Sud avec l'utilisation de caméra subjective et toutes les séquences d'animation lorsque Jung, à 5 ans, est en
Corée du Sud qui ont été utilisées en flash-back à chaque fois qu'il se passe quelque chose de désagréable
pour Jung en Belgique (scène de l'arrivée de la grand mère qui lui dit "j'oublie toujours ton petit asiatique",
scène chez le coiffeur où il se fait raser la tête, scène de la pomme pourrie...) au lieu de les montrer d'une
manière linéaire.
6/ Bande son
Pour le teaser réalisé avant le projet, Jung avait fait appel à sa fille pour la musique et cette musique a été
intégrée dans le générique du film. Un autre musicien apparaît au générique, Siegfried Canto (compositeur
qui a collaboré à de nombreux téléfilms).
La voix-off du personnage de Jung n'est pas celle de Jung, mais elle est interprétée par un comédien.
7/ Sortie en salles
Le film a fait 56 186 entrées en France et il faut compter 15 % des entrées pour la Belgique.
III - L'adoption
La question posée régulièrement à Laurent Boileau est de savoir si Jung a une chance de retrouver sa
famille biologique. Malheureusement, il est indiqué dans son dossier d'adoption que ses parents biologiques
sont morts, ce qui n'est pas forcément la vérité. À partir du moment où la famille biologique ne souhaite pas
garder contact avec l'enfant, les agences d'adoption indiquent que les parents sont décédés. Il est parfois
possible que les parents nourrissent des regrets, l'agence d'adoption reprend alors contact avec l'enfant
adopté.
L’association Collège au Cinéma 37 remercie Laurent Boileau de sa venue pour son intervention à Tours sur
ce film devant les professeurs de collège investis dans le dispositif Collège au cinéma.

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