De novo Vita Nova Il avait eu vent du concours

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De novo Vita Nova Il avait eu vent du concours
De novo Vita Nova
Il avait eu vent du concours par un ami, qui, plus rêveur qu’ambitieux, s’était
adonné à quelque croquis avant de laisser mollement retomber son fusain.
Tout le monde à Berlin parlait désormais de Strasbourg, cette perle
récemment conquise dont on voulait qu’elle devienne, à l’instar de sa grande
sœur brandebourgeoise, un foyer culturel de la Grande Allemagne. Strasbourg
était, pour les jeunes en quête de reconnaissance, une source intarissable de
projets et, qui sait, de futurs succès… Jusqu’à présent Otto Warth n’en avait
guère eus, bien qu’il eût mis toute son énergie à tenter de se construire une
carrière. Mais, jadis comme aujourd’hui, les voies de l’architecture étaient
semées d’embûches et ne s’offraient, telle la plus prude des jeunes filles,
qu’aux plus opiniâtres et hardis prétendants.
Une gigantesque université devait être construite non loin des rives de l’Ill.
Pour l’empereur Guillaume II, l’institution représenterait sa puissance
indéniable. Pour le monde allemand, le bâtiment symboliserait la prééminence
de Germania sur Marianne. Pour tous les architectes enfin, c’était
probablement le concours le plus ambitieux et le plus périlleux de l’année
1879.
Ce mardi-là, la nuit avait commencé tôt. A moins que ce ne fût le jour qui
jamais ne s’était arrêté. Le dossier devait être rendu à midi, le lendemain. Otto
Warth avait presque achevé les plans. L’architecte qui, il y a quelques années
encore, avait aussi usé ses culottes sur les bancs de l’université, connaissait
parfaitement les besoins et les usages des étudiants. Son projet était précis et
fonctionnel. En revanche, la façade lui posait problème. Von Eggert,
l’architecte en titre de la rénovation urbaine avait déjà émis une proposition,
laquelle avait été balayée d’un revers de la main par Guillaume II. Mais
personne ne parvenait à comprendre les motivations du refus impérial.
Trouvait-il la façade d’Eggert trop chargée ? Sa propension, pourtant, pour
l’ostentatoire était de notoriété publique ! La trouvait-il peu éloquente ? Laide,
peut-être ? Pendant qu’Otto Warth se perdait en conjectures, aucune idée ne
venait le visiter, aussi mauvaise soit-elle, pour cette sacrée, ou plutôt non,
pour cette maudite façade. Seule une très grande lassitude lui tenait
compagnie.
C’est alors que, dans le jour naissant, la Portinari vint à sa rencontre. Vêtue de
sa robe de velours, elle longeait la rive de l’Arno. L’ourlet de son lourd
vêtement, en glissant sur les pavés de porphyre, les polissait quasi
silencieusement. Cette très noble dame, comme Dante aimait à la désigner,
n’avait pas d’âge. Les événements n’avaient plus de date. Soudain, Béatrice
arrêta sa marche. Otto Warth cligna des yeux. Il crut qu’elle le saluait. En
réalité, elle désignait de sa main droite le Palais des Offices, sur l’autre rive.
Bien sûr, ces grandes fenêtres, ces colonnes, cette taille de pierre si
majestueuse et sauvage à la fois ! Le génie de Vasari s’empara d’Otto tout
entier et celui-ci se sentit défaillir.
L’arête du crayon avait imprimé une marque disgracieuse sur sa joue. Un peu
de bave avait aussi coulé sur le papier. Il l’essuya avec sa manche tentant de
reprendre ses esprits. Un coup d’œil sur sa montre-gousset, il était dix heures.
Otto empoigna fermement son crayon et dessina d’un seul trait la façade du
palais universitaire. Manquant de trébucher au seuil du palais de
l’administration, il déposa la liasse de documents sur le bureau du préposé. Il
était 11H55. Une vie nouvelle allait commencer.

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