PDF fr - Lettres de Cuba

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Les cinq décennies de Coppélia, la cathédrale de la glace cubaine
Par Rafael Lam
Traduit par Alain de Cullant
Numéro 09, 2016
Coppelia a fêté son 50e anniversaire le 4 juin dernier. La célèbre glacerie est un véritable
symbole moderne de La Havane, ville Merveille du Monde. L’endroit tire son nom du
mythique personnage du ballet classique homonyme qu’a dansé tant de fois la Prima
Ballerina Assoluta cubaine Alicia Alonso.
L’installation est dans la zone densément peuplée de La Rampa, dans le quartier du
Vedado. Là, depuis 1836, se trouvait l’hôpital Reina Mercedes, qui est resté actif jusqu’en
1954, quand il a été démoli afin de construire un autre hôpital. Étant donné que le terrain
se trouvait au cœur de la ville, on a décidé d’y construire un gratte-ciel de 50 étages, mais
le projet ne s’est pas concrétisé.
L’emplacement est devenu le Parc de l’Institut National de l’Industrie Touristique (INIT),
un beau pavillon de promotion de l’appelée industrie des loisirs. Des petites montagnes
ont été reproduites, ainsi qu’un lac artificiel, une scène flottante, des fontaines, en plus de
la construction d’une cafeteria, d’un bar et d’un restaurant pour 500 convives.
Après un an de bon fonctionnement le parc de l’INIT a été désactivé et le Centre Récréatif
Nocturne a été construit à sa place, profitant de certaines de ses installations. Mais en
1966 il y a eu l’idée d’édifier une gigantesque glacerie.
Une initiative de Fidel
En 1966, la date pour la réalisation d’un événement international dans l’hôtel Habana
Libre (à 100 mètres de la place) s’approchait et, suite à une initiative du Commandant en
Chef Fidel Castro Ruz, comptant avec les efforts et le dévouement de sa proche
collaboratrice Celia Sánchez Manduley, il a été décidé de convertir la zone de loisirs en
quelque chose de plus utile : une grande glacerie pour des milliers d’utilisateurs.
Les travaux ont été à la charge de l’architecte Mario Girona Fernandez (Manzanillo,
janvier 1924 – La Havane, août 2008), qui a compté la collaboration des architectes Rita
María Grau et Candelario Ajuria. La conception structurale a été à la charge des
ingénieurs Maximiliano Isoba et Gonzalo Paz.
Selon diverses publications, l’empreinte de Girona Fernandez reflète les principales
caractéristiques de l’architecture cubaine réalisée durant les quatre premières décennies
de l’étape révolutionnaire, dont les mérites, parmi d’autres, lui ont valu d’être le premier
architecte de cet archipel à recevoir le Prix National d’Architecture (1996) et, trois ans
plus tard, la Distinction pour la Culture Nationale. Coppelia est parmi ses chefs-d'œuvre.
Il est aussi rappelé pour sa participation dans les projets de l’édifice de la Cour des
Comptes, aujourd'hui Ministère de l’Intérieur, du Zoo National, d’aéroports et d’hôtels
comme le Capri. Lors d’une entrevue quelques année auparavant, Girona Fernandez m’a
dit : « Les exigences de l’édification étaient très grande pour la construction, on a travaillé
24 heures sur 24 durant six mois d’affilée. Le système préfabriqué a été utilisé pour
réaliser la répétition des éléments de la structure, comme les poutres et les éléments de la
toiture. Finalement nous l’avons conclu dans le temps prévu ».
L’édification a donné comme résulta une œuvre d’art en forme d’araignée. On appréciait
l’influence du modernisme italien et d’architectes tels que Pier Luigi Nervi (Italie), Félix
Candela Outeriño (de nationalité espagnole et mexicaine) et Oscar Niemeyer (Brésil), qui
a vu l’opportunité d’abandonner les formes rectangulaires de grands bâtiments et d’opter
pour profiter de la plasticité du béton armé.
Coppelia est valorisé comme l’un des plus beaux édifices à Cuba. La glacerie est entourée
de jardins avec de grands arbres fournissant de l’ombre dans les aires en plein air. Des
chemins curvilignes mènent au pavillon, où se trouve la seule aire de dégustation
intérieure.
« Pour les choses de la vie, il n’y a pas eu une cérémonie d’inauguration. La glacerie a
ouvert ses portes en juin 1966 et elle a commencé à vendre des glaces (comptant un
éventail de 26 saveurs exquises, certaines aussi exotique que la noix de coco, la mangue
ou la goyave.). Curieux, les gens sont venus, la conception avait bonne acceptation, elle
se remplissait et n’a jamais cessé d’être pleine de clients » a souligné le prestigieux
architecte.
Coppelia est tout un symbole de plusieurs générations de cubains. Il est presque
impossible qu’un Havanais n’aient aucune histoire ou souvenir agréable en relation avec
cette monumentale glacerie.
L’appelée Cathédrale de la Crème Glacée est l’une des plus grandes glaceries du monde,
elle couvre tout un pâté de maison, entres les rues 23 et 21 et L et K. Elle sert plus de
1000 clients en même temps. La glacerie Coppelia est également un point de référence
pour les habitants et les visiteurs. Actuellement elle bénéficie d’une ample restauration
afin de lui rendre sa splendeur originale.
Une des semences de la Nueva Trova a été plantée à Coppelia
Beaucoup de personnes ne savent pas que l’embryon du mouvement de la Nueva Trova,
d’une certaine façon, a commencé dans Coppélia avec la présence quotidienne du
chanteur Silvio Rodríguez Domínguez et ses amis poètes Wichy Nogueras, Jorge Fuentes,
Víctor Casaus et Guillermo Rodríguez Rivera.
« L’histoire de quand j’allais à Coppelia est longue – m’a dit Silvio dans la Casa de las
Américas -, peut-être, un jour je l’écrirais et je la publierais. C’est difficile de la raconter
en deux mots. Je travaillais à la télévision ; c’était une époque où je ne prenais que du lait
et des glaces, nous savourions d’interminables glaces au chocolat tout en échangeant des
poèmes, des histoires, des chansons. C’était presque toujours les mêmes têtes.
Un soir César Vallejo est arrivé, il s’est assis et nous avons commencé à parler avec lui
(selon ce qu’a publié Silvio Rodríguez dans la revue Revolución y Cultura, en se référant
de façon figurée à la lecture des poèmes du poète péruvien). Un jour quelqu'un a dit :
Messieurs, le premier d'entre nous qui va à Paris doit aller sur la tombe de Vallejo ».
Un dimanche pluvieux et froid en mars 1979 Silvio a réussi à aller sur la tombe de Vallejo
et, orienté par l’écrivain, traducteurs et intellectuel argentin Julio Cortázar (Bruxelles,
Belgique, le 26 août 1914 - Paris, France, 12 février 1984), il est arrivé au rendez-vous
dans le cimetière de Montrouge, très similaire au cimetière Colón de La Havane.
« J’ai écrit et placé, ému, le texte avec la signature de mes amis et j’ai pensé comment un
homme, depuis la mort, peut continuer à être aussi présent dans la vie ».
Vallejo (Santiago de Chuco, 1892 - Paris, 1938), poète péruvien, a été l’une des grandes
figures de la lyrique hispano-américaine du 20e siècle. Dans le développement de la
poésie postérieure au modernisme, son œuvre possède la même pertinence que celle du
Chilien Pablo Neruda ou du Mexicain Octavio Paz, prix Nobel de Littérature 1971 et
1990, respectivement.
C’est également dans la zone de Coppelia, quand il travaillait dans le cabaret Caraibe de
l’hôtel Habana Libre, que le regretté grand chanteur et compositeur cubain Juan Formell
a réalisé les préparatifs de l’album de ses chansons pour la légendaire chanteuse cubaine
de boléros Elena Burke (La Havane, 28 février 1928 - La Havane, 9 juin 2002).
L’orchestre Los Van Van, dirigé par le maestro Juan Formell, s’est également présenté
pour la première fois très près de Coppelia. Un grand nombre de chanteurs de salsa des
années 1990 se donnaient rendez-vous à Coppelia pour rêver et discuter de leurs projets.
La glacerie est aussi présente dans l’un des scènes du célèbre film cubain Fresa y
chocolate (1993), basé sur le conte El Lobo, el bosque y el hombre nuevo (Le loup, la
forêt et l’homme nouveau) de l’écrivain cubain Senel Paz, également auteur du scénario.
Comme nous le savons, ce film, nominé à l’Oscar du meilleur film étranger par
l’Académie des Arts et des Sciences Cinématographiques d’Hollywood, a été réalisé par
Tomás Gutiérrez Alea (La Havane, 11 décembre 1928 – La Havane, 16 avril 1996), un
des plus importants metteurs en scène dans l’histoire du cinéma cubain et latinoaméricain, et par Juan Carlos Tabío.
Le chanteur cubain Frank Delgado a composé la chanson Coppelia, et certains de ses vers
disent : Coppelia, est une glacerie citée /... Girona ne savait pas ce qu’il faisait/ quand
dans son architecture il a mélangé la réalité et la géométrie. Elle a été le berceau des
hippies qui allaient écouter/ … la raison des Beatles / et qui a accueilli Vallejo...
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