Intervention de Tomas Garcia Azcarate aux controverses de Marci

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Intervention de Tomas Garcia Azcarate aux controverses de Marci
Intervention de Tomas Garcia Azcarate aux controverses de Marciac 2009
Titre
Portrait : Voilà un homme pour qui la Politique agricole commune (PAC) et ses
réorientations successives n'a plus – ou si peu – de secrets. Tout comme les couloirs de la
Commission européenne qu'il arpente depuis une vingtaine (?) d'années maintenant. Espagnol
d'origine andalouse, c'est en 1986 que Tomas Garcia Azcarate pose ses valises à Bruxelles et
fait son entrée à la Commission européenne pour réaliser divers travaux d'analyse en vue de la
réforme de la PAC de 1992. Le sujet est loin de lui être étranger puisqu'il a été, de 1981 à
1986, Professeur d'économie agricole et européenne à l'Université polytechnique de Madrid.
Chef de l'unité « fruits et légumes frais et tranformés » à la Direction générale « Agriculture et
développement rural » de la Commission européenne, de 2001 à 2005, chef de l'unité « huile
d'olive et produits horticoles » au sein de cette même direction depuis 2005, il est, entre autres
choses, l'un des initiateurs du programme européen « Fruits à l’école », programme de
distribution de fruits frais dans les établissements scolaires.
Passionné de musique, il trouve également le temps de transmettre aux plus jeunes ses
connaissances et expériences sur la PAC, un thème qu'il enseigne au sein de l'Institut d'Etudes
Européennes (Université Libre de Bruxelles). Il est, par ailleurs, l'auteur de nombreux articles
et communications sur la question, publiés dans des revues spécialisées qu'elles soient
francophone (Revue du Marché Commun et de l'Union européenne », Economie rurale) ou
hispanophone (Mediterràneo económico, Papeles de Economía Española...).
L'intervention
Nous allons vivre, d'ici 2012, une période exceptionnelle, entendez par là exceptionnellement
difficile pour la Politique Agricole Commune et son avenir. En effet, se profile, à cet horizon
2012, la fin d'un cycle de politique agricole. D'un côté, nous avons résolu les problèmes du
passé, qu'il convient de ne pas oublier. Parmi ceux-ci, sans vouloir ni même pouvoir être
exhaustif, citons le problème des excédents; l'intensification de la productivité et ses effets
agressifs pour l'environnement; l'explosion des dépenses budgétaires alors que le revenu
agricole diminue; la perte de vitalité (entre autres économique et démographique) de
nombreuses zones rurales ... De l'autre, de nouveaux défis se font jour. Je vais vous en
détailler trois.
Prenons garde au Tsunami
Le premier défi qui se présente à nous est celui des Crises avec un grand C, celles qui marque
un point d’inflexion. A mon sens, la volatilité des prix ne constitue pas un problème en soi,
tout comme les vagues ne présentent aucun danger pour quiconque a le pied marin. Reste que,
ce ne sont pas des vagues dont nous devons nous prémunir, mais bien des Tsunamis, à l'image
de ce que venons de vivre avec la crise économique mondiale, ou encore la chute de la
demande asiatique en produits laitiers. Par ailleurs, nous ne sommes pas à l'abri de nouvelles
crises type "vache folle" ou, avec les Plantes Génétiquement Modifiées, d'une crise de la
"tomate folle", ni même, en écho à la question de l'écoulement des excédents, d'une fermeture
possible un jour du marché russe à nos exportations).
Second défi, le déséquilibre de pouvoir entre les différents acteurs de la filière
agroalimentaire, les producteurs d’un coté, la grande distribution ou certaines industries de
l’autre. Pour que la filière marche d’une manière pérenne et soutenable, il faut qu’elle se
coordonne à travers des jeux gagnants-gagnants pour tous. Ce déséquilibre rend cette
approche plus difficile et détériore les relations entre les acteurs, au détriment à moyen et long
terme de tous.
En dernier lieu, j'évoquerais la "course folle des bas prix" à laquelle participe et que promeut
la grande distribution, en surfant sur la vague de l’angoisse de la crise dont nous avons déjà
parlé. Ce faisant, ils prennent à la gorge les producteurs. « Marche ou crève ! ».
Nous voici donc à la croisée des chemins, comme nous avons pu le constater au fil de ces
Controverses. A cet endroit, certains préfèrent regarder en arrière et prônent, par exemple, le
retour à la "veille" PAC, celle des 30 glorieuses, avant 1992. Nous avons tous entendus des
propositions de ce genre : revenir à des prix agricoles garantis et élevés; généraliser le régime
des quotas avec une limitation quantitative par producteur ou encore de soustraire l'agriculture
des négociations internationales. L’être humain a toujours tendance de chercher d’abord des
veilles solutions aux nouveaux problèmes.
Ne nous voilons pas la face : ce n'est ni possible, ni souhaitable. Dès lors, il faut avoir le
courage de réfléchir, de chercher de nouvelles solutions à ces nouveaux défis, tout en tirant,
bien sûr, les leçons des erreurs du passé. Et pour ce faire, je vous propose huit pistes de
réflexions personnelles.
Huit notes. Pour que la PAC reste dans le ton
J'aimerais d'abord pointer un enjeu global, celui d'une politique agricole plus simple, c'est-àdire plus facile à expliquer, à appliquer comme à gérer. Quand les décideurs adoptent une
mesure, ils doivent être informés et conscient de ce que cela signifie, dans le concret, pour le
producteur et pour l’administration, en terme de contrôles et bureaucratie.
Mon second point concerne les aides directes allouées aux producteurs, dont la légitimité doit
être renforcée. Selon moi, elles doivent être basées non plus sur des références historiques
(c'est-à-dire datées du siècle dernier, mais prendre en compte les surcoûts que la
réglementation européenne impose aux producteurs et qui ne peuvent pas être répercutés sur
le prix de vente des produits. Je pense, entre autres, à des exigences environnementales, de
respect de notre réglementation sociale, de bien-être des animaux.
Troisièmement, comme indiqué précédemment, il faut rééquilibrer la filière. Or ceci ne pourra
pas se faire sans une organisation de ladite filière et de chacun de ses composants. Il s'agit là
d'un pré-requit indispensable à la construction d'une stratégie durable de collaboration,
interprofessionnelle par exemple.
Ensuite, il convient de repenser la relation entre le droit de la concurrence et la production
agricole. Une application stricte et rigoureuse dudit droit choque de front avec les besoins de
coordinations qu’ont les producteurs s’ils veulent pouvoir être acteurs de la filière. Des pistes
existent d'ores et déjà, à l'image de ce qui a été fait dans le secteur des fruits et légumes suite à
la réforme de l'organisation commune de marché (OCM) de ce secteur en 20071. Ce précédent
mérite d’être exploré et peut-être étendu à d'autres secteurs agricoles.
1 La réforme du secteur des fruits et légumes s'est traduite par la mise en place d'une nouvelle Organisation
commune de marché (organisme qui organise et structure les marchés agricoles pour un produit donné) de ce
secteur, en juin 2007. Cette réforme vise notamment à réduire les fluctuations des revenus liées aux crises ou
Ma cinquième remarque porte sur le type de projet "agricolo-rural" que la politique agricole
doit soutenir. Jusqu'à présent, les politiques agricoles ont visé les producteurs "modernes,
modernisés ou modernisables", si je peux m'exprimer ainsi. Dans la perspective des éléments
évoqués précédemment, il conviendrait, à l'avenir, d'encourager l'agriculteur, acteur
économique du monde rural, dans des projets non plus individuels mais collectifs. Priorité
serait alors donnée aux démarches d'entreprises collectives, à l'économie sociale, plus à même
de structurer le territoire. Cette priorité aurait, en outre, l'avantage de répondre au problème
actuel de ciblage des aides (structurelles d’abord mais pourquoi pas aussi réfléchir à un
ciblage des aides directes) puisque ces dernières seraient orientées vers les véritables acteurs
du développement économique. Cela étant, que l'on me comprenne bien : je ne prône pas le
"tout coopératif". C'est bien la démarche qui est de nature collective, la forme juridique
devant être, dans chaque cas, la plus adaptée aux situations spécifiques, aux parcours
historiques et aux désidératas des acteurs.
Des projets collectifs pour l'agriculture auxquels il convient d'ajouter la nécessité de resserrer,
voire de recouvrer, les liens entre les citadins – les habitants de la cité – et les paysans – les
habitants du pays. Ce sera mon sixième point. Pour ce faire et de façon schématique, nous
disposons d'instruments aussi divers et variés que les produits de saison ; les produits de
terroir; les produits sous label de qualité ou issus de l'agriculture biologique, sans oublier les
circuits courts ou les programmes de distribution de fruits et de lait dans les écoles. De quoi
parlons-nous au travers de ces démarches et de ces produits ? Nous parlons d’empreinte
écologique, d'éducation au goût, de consommation de produits mûrs et attractifs, en d’autres
mots: du plaisir de manger. Soyons clair, tout ceci signifie implicitement un tournant pour
l'agriculture. En d'autres termes, le processus de spécialisation régionale des bassins de
production, la tendance à la spécialisation voire la monoculture, comme la recherche du
volume avant la qualité, ont amorcé à mon avis leur déclin.
Avant-dernier point : l'Europe doit assumer ses responsabilités dans un monde en "danger".
Changement et réchauffement climatiques; maîtrise des émissions de gaz à effet de serre;
développement durable au nord, au sud, et entre le nord et le sud, sont autant de nouveaux
enjeux qui se posent à nous et dont les politiques agricoles doivent tenir compte. Un exemple
parmi d'autres : Pour résoudre nos problèmes structurels, nous ne pouvons les transférer aux
autes paysanneries du monde, et encore moins à celles des pays en développement. Que cela
s’appelle restitutions à l’exportation en Europe ou paiements contre-cycliques aux EtatsUnis, ce sont des pratiques à exclure d’une politique agricole soutenable et solidaire.
Reste ceci : l'ensemble de ces préconisations doit se faire en intégrant le fait qu'une frange
importante de la population européenne souffre, et même durement, de la crise. Des maux que
peuvent, par exemple, pallier les programmes de distribution gratuite de fruits et légumes et
d’aide aux plus démunis.
Nous avons besoin de plus d'Europe
Pour terminer, j'aimerais revenir rapidement sur quelques questions polémiques soulevées lors
des précédents débats.
encore à renforcer la protection environnementale. Instrument clé de cette réforme, les organisations de
producteurs (OP) dont les leviers d'action ont été renforcés.
http://ec.europa.eu/agriculture/capreform/fruitveg/index_fr.htm
J'ai entendu, au fil des discussions, de nombreuses plaintes concernant la surcharge et la
complexité administrative, voire les « taquineries » répétés dont souffriraient les agriculteurs,
en premier lieu de la part de Bruxelles. L'Europe impose, en outre, aux producteurs de la
Communauté, des obligations que n'ont pas les producteurs de pays tiers lesquels peuvent
exporter leurs produits vers l'Europe. Dans ce cadre, on a même parlé de « concurrence
déloyale ». Cela étant, lorsque la Commission européenne propose une simplification
réglementaire, l'alignement des normes communautaires sur les pratiques internationales, à
l'image de cette pratique utilisée dans le vignoble du Champagne pour assurer la qualité des
vins – je veux parler ici des vins rosés2 -, c'est le tollé général et la levée de boucliers. Il faut,
dès lors, savoir ce que l'on veut !
Il faut également rappeler, dans le prolongement de cette remarque, quel est le rôle de la
Commission européenne. Nous avons parlé de "Bruxelles" et, dans une moindre mesure, de la
Commission laquelle porterait de lourdes responsabilités. Mais, bien souvent, on oublie de
préciser que la Commission Européenne propose et que le Conseil des Ministres (c'est-à-dire
les Etats membres) dispose. Or, personnellement, j'ai tendance à croire que la responsabilité
du décideur est plus grande que celle de celui qui soumet la proposition. Sur les quotas
laitiers, par exemple, la décision les supprimer a été confirmée à l'unanimité par le Conseil
des ministres et, ce, sous la dernière présidence française. On a parfois tendance à l'oublier.
Une dernière remarque. J'ai entendu de nombreuses plaintes à l'encontre de la concurrence
déloyale dont sont victimes les producteurs français, particulièrement ceux du secteur fruits et
légumes, de la part de leurs homologues allemands ou espagnols, les premiers ayant un coût
de main d'œuvre bien supérieur aux seconds. C'est une réalité. Mais permettez moi de rappeler
une chose: si la politique agricole commune est la plus intégrée des politiques
communautaires, c'est également celle qui pâtit le plus du manque d'Europe. La solution est
simple en apparence : il nous faut "plus d'Europe", avec une forte composante sociale. Mais
ceci n'est pas ou plutôt n'est plus à l'ordre du jour. Et il convient de le dire ici haut et fort. Les
votes sont comme les livres, ils appartiennent à ceux qui les lisent et non à ceux qui les
écrivent ou les éditent. Il est clair que le vote négatif français au référendum sur la
Constitution européenne a contribué à la crise actuelle et rendu encore plus difficile l'avancée
vers une Europe plus intégrée.
2 La Commission européenne a en effet proposé, début 2009, un texte de loi visant à autoriser l'élaboration de
vin rosé par coupage du vin blanc avec du rouge. Cette pratique œnologique, qui existe déjà pour les
Champagnes rosés, est couramment employée dans le reste du monde, principalement en Australie et en
Afrique du Sud. Il s'agissait donc, du point de vue de la Commission, à la fois de libérer l'Europe des
“entraves œnologiques” et d'ouvrir de nouveaux marchés. Cette proposition de loi a généré une levée de
bouclier des viticulteurs français, particulièrement en Provence, aux yeux de qui, le vin rosé ne peut être
obtenu que par une brève macération de la pulpe du raison rouge. Après avoir été repoussée, l'adoption du
texte de loi a finalement été abandonnée.