l`histoire biblique, branche de dialogue par excellence

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l`histoire biblique, branche de dialogue par excellence
L'HISTOIRE BIBLIQUE, BRANCHE DE DIALOGUE PAR EXCELLENCE
VIE DE CLASSE
OU
UNE INTERESSANTE EXPERIENCE OECUMENIQUE
(Extraits d'une réflexion conduite par Yves Reust)
Introduction
Pourquoi j'enseigne l'histoire biblique a l'école?
Mon choix d'étudier la théologie à l'Université de Lausanne en tant que troisième branche de
la faculté des Lettres a été guidé par deux éléments qui m'ont tenu à cœur dès la petite
enfance: l'approfondissement de ma foi ainsi que l'élargissement de ma culture chrétienne.
Ces deux intérêts continuent à grandir. Après avoir atteint un certain degré de maturité dans
ces deux domaines, l'envie de faire partager ces deux passions à d'autres, et spécifiquement à
des jeunes, m'a fait devenir catéchète en paroisse depuis 1996 pour l'Eglise évangélique
réformée du canton de Vaud et enseignant d'histoire biblique dès 1998 pour le Département
de la Formation et de la Jeunesse.
Les joies rencontrées dans ces deux activités sont fort appréciables et donnent envie de faire
toujours plus et mieux afin de stimuler la foi chez les catéchumènes et d'enrichir des
connaissances culturelles, bibliques et chrétiennes, chez les élèves. C'est donc un réel plaisir
que de pouvoir être et catéchète et enseignant d'histoire biblique et un défi permanent, Ô
combien stimulant, de ne pas confondre catéchèse et enseignement public. Il n'y a ni trahison
ni absurdité dans ce double rôle: la même personne parle des mêmes événements fondateurs
d'une religion une fois du point de vue personnel et spirituel, une autre fois du point de vue de
l'historien, et de l'amateur de culture religieuse - ce qui ne l'empêche pas d'exprimer de temps
à autre ses convictions personnelles, mais ceci pour autant que les élèves en expriment le
désir. Cette double casquette est agréable à porter, et la plus grande satisfaction que j'éprouve
dans les deux fonctions est la même: c'est le sourire des enfants.
Entrons en classe
L'heure d'histoire biblique a lieu le mardi matin de 8h.40 à 9h.25 dans la salle de classe du
sixième degré (élèves âgés de 11 à 12 ans). Elle est précédée d'une période d'éducation
physique et suivie d'une période d'allemand. Parmi les élèves, on trouve deux jeunes filles
témoins de Jéhova ainsi qu'une jeune fille de religion juive. Les enfants présents dans la
classe appartiennent majoritairement aux confessions protestante, catholique ou orthodoxe ou
sont athées. Fait intéressant, seules deux demandes de dispense ont été reçues au début de
l'année scolaire: le père de l'élève juive ainsi que le père d'une élève témoin de Jéhova ont
par-là même exprimé leur désir d'abstenir leurs enfants de cet enseignement. Ces demandes
ont été acceptées par la direction car, rappelons-le au passage, le directeur n'a pas le pouvoir
de refuser la dispense aux parents1. Les élèves exemptés peuvent néanmoins rester en salle de
classe et vaquer à d'autres occupations.
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Témoins de Jéhova en classe: deux approches différentes
C'était un 3 novembre. Neuf périodes d'histoire biblique avaient déjà eu lieu depuis le début
de l'année scolaire. A la fin du cours, après le départ de ses camarades, une élève très
appliquée s'approche de moi et me tend un petit livre. C'était comme une sorte de cadeau de
Noël anticipé... L'opuscule paraissait très attrayant. Il était intitulé "Le plus grand homme de
tous les temps", un titre écrit en lettres majuscules dorées sur fond bordeau, et l'iconographie
avait un côté mi-kitsch mi-enchanteur. C'est d'ailleurs précisément cette iconographie qui m'a
mis la puce à l'oreille car elle me rappelait "furieusement" quelque chose. Un coup d'œil à la
première page eut vite fait de me convaincre: le copyright, en effet, appartenait à la
"watchtower Bible Society" des Etats-Unis d'Amérique. Traduisez: Société biblique de la
Tour de garde, la "Tour de garde" n'étant autre que le nom d'une des deux publications
régulières des Témoins de Jéhova.
J'ai parlé plus haut de surprise agréable à ce sujet, et c'est bien de cela qu'il s'agissait: j'ai
découvert ce jour-là qu'il y avait une seconde élève témoin de Jéhova dans cette classe alors
que j'étais convaincu que l'élève dispensée était la seule dans son cas. J'ai réalisé ainsi avec
stupeur, admettons-le, que certains parents Témoins de Jéhova autorisaient leurs enfants à
suivre le cours officiel d'histoire biblique du canton. Ma stupéfaction était d'autant plus
grande de par la chose suivante: la demande de dispense écrite par le père de l'autre élève
Témoin de Jéhova attaquait violemment l'enseignement des Eglises et celui de l'histoire
biblique, deux enseignements dont il faisait un amalgame malheureux et qu'il mentionnait par
ailleurs comme "opposés aux Saintes Ecritures". Jour important que ce 3 novembre, car il m'a
rappelé une fois de plus - et ce avec force - qu'on ne peut pas juger deux personnes à la même
aune (ici: "les Témoins de Jéhova ne suivent pas le cours d'histoire biblique").
Judaïsme: l'échange
Ma plus grande satisfaction au cours de cette première année d'enseignement d'histoire
biblique reste le fait qu'une élève israélite officiellement dispensée se porte volontaire tout au
long de l'année pour présenter à la classe certaines coutumes propres à sa religion. Signalons
le fait que je ne lui ai jamais demandé d'intervenir en classe ni de nous présenter quoi que ce
soit. Même si je regrettais sa non-participation au cours, je la laissais avancer tranquillement
dans ses devoirs, tout comme une des deux élèves "témoin de Jéhova", pour respecter la
demande des parents et la décision de la direction. C'est donc de son propre chef, et avec
l'accord des parents, qu'elle est venue un jour vers moi à la fin de l'heure pour me demander
s'il serait possible qu'elle apporte ou explique telle ou telle chose la semaine suivante. Ses
interventions – comme les miennes en ce qui concerne le christianisme – suivirent le
calendrier liturgique juif.
La ménorah
Le sujet abordé ce jour-là était le temple de Jérusalem: son rôle dans la ville à l'époque de
Jésus, ainsi que la découverte de ses différentes parties. Ainsi le manuel de l'élève décrit-il le
vestibule d'entrée du temple proprement en précisant qu'on y voit un chandelier à sept
branches. Avant de passer à l'explication et à la discussion du pourquoi du chandelier à telle
place dans le temple, j'avais décidé de faire circuler ma propre ménorah (le nom du chandelier
en hébreu) à sept branches dans les rangs. C'est à cet instant que mon élève a levé la main
pour me dire qu'elle était prête à expliquer la signification de la ménorah à la classe si j'en
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avais envie. J'étais enchanté de cette proposition et j'ai demandé à la jeune fille de venir
devant la classe pour parler.
Intervention de l'élève
Elle a commencé ainsi: ''chez nous, c'est pas comme chez vous, c'est différent." Après quoi
elle a expliqué comment et quand s'utilise la ménorah encore aujourd'hui, la façon de
l'allumer, et a annoncé qu'elle pourrait apporter la ménorah familiale au mois de décembre,
c'est-à-dire lorsque les Juifs célèbrent Hanoucah, la fête de la lumière. Elle nous expliquerait
alors de quelle façon le chandelier est allumé et quelle en est sa symbolique. Elle précisa
encore que la ménorah de sa famille contenait neuf branches et non pas sept, sans en donner
l'explication.
Réactions de la classe
Je ne savais nullement comment la classe réagirait à cette première intervention imprévue, et
je me demandais s'ils allaient montrer de l'intérêt ou, au contraire, négliger ce que l'élève avait
à leur apporter. J'ai donc été surpris en bien par la qualité d'écoute et l'attention des autres
élèves à ce moment précis. Ils étaient curieux de cette intervention et j'ai pu percevoir dans
leurs yeux un intérêt certain pour découvrir qu'une de leurs camarades de classe vivait dans un
mode de pensée différent du leur.
Pâques
La période pascale est un moment crucial tant chez les juifs que chez les chrétiens; mes
attentes furent comblées. Mon élève, en effet, m'a demandé au mois de mars s'il serait
possible d'expliquer à la classe la signification de la Pâque juive (Pessah) qui approchait à
grands pas.
Intervention de l'élève
Pour expliquer la fête de la Pâque juive, l'élève a lu le texte des plaies d'Egypte tiré de l'Exode
(chapitres 7 à 11). Elle-même avait écrit - comme pour un exposé - un résumé des dix plaies
d'Egypte en expliquant auparavant pourquoi leur Dieu avait ainsi puni le peuple égyptien. Au
fur et à mesure que l'élève mentionnait les différents fléaux, je les notais au tableau afin qu'ils
soient bien visibles pour la classe. Après sa lecture, elle a proposé à chacun de venir prendre
une galette sans levain avec un morceau de chocolat pour la récréation, en expliquant que les
galettes étaient leur nourriture de fête pour célébrer la Pâque. C'est elle-même qui avait
préparé ces galettes le jour précédent.
Réactions de la classe
Quelques élèves connaissaient déjà cette histoire des fléaux d'Egypte, mais la majorité la
découvrait ce jour-là. Ils ont surtout été sensible à ce que l'histoire ait été illustré de manière
concrète par la distribution de galette.
Ma réaction
J'ai profité de cette intervention pour faire le lien avec le dessin animé "Le Prince d'Egypte"
sorti quelques semaines auparavant sur les grands écrans de ce pays. Beaucoup d'élèves de la
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classe l'avaient déjà vu et n'avaient aucune peine à se souvenir de cet épisode des plaies
d'Egypte et de la fuite précipitée du peuple juif. J'ai également profité du fait que nous avions
déjà traité du sujet de la sainte cène pour bien montrer que ce sont les même galettes sans
levain que Jésus a prises et rompues le jeudi soir d la Semaine Sainte.
Remédiation
Nous avons pu démontrer que la même fête célébrée le même jour représentait bel et bien une
libération dans les deux religions: le Dieu des juifs était un Dieu libérateur, car il avait fait
sortir son peuple de l'esclavage égyptien, et le Dieu des chrétien s'affirmait également comme
libérateur, en délivrant l'homme de l'esclavage du péché grâce au sacrifice de Jésus sur la
croix. J'ai pu démontrer avec force lors de cette leçon que le christianisme. tirait ses racines
du judaïsme, qu'il est né au cœur même de 1a religion juive, dans laquelle la vie du Christ
Jésus était enracinée. Il est là un point capital à faire comprendre aux élèves, afin qu'il
saisissent bien que nous vivons dans une société judéo-chrétienne, et non pas dans une société
chrétienne tout court.
Conclusion
Quelques réflexions personnelles
Parmi les objectifs généraux de l'enseignement de l'histoire biblique, on trouve les
deux points suivants:
1. écouter et discerner le sens d' opinions ou de convictions exposées par autrui.
2. comparer des opinions ou des convictions diverses.
A mon avis, cette aptitude à échanger des opinions dans le respect des convictions d'autrui
favorise l'intégration future – et présente – de l'élève dans la société. Celui-ci ose affirmer son
point de vue tout en sachant qu'il est strictement personnel. I1 ne doit faire subir aucune
pression, mais ne doit pas non plus en recevoir des autres élèves.
Dans le cas de notre classe de sixième année, nous avons eu la chance de pouvoir bénéficier
d'une élève israélite qui soit d'accord de parler de ses coutumes et de ce qui est important pour
elle de façon spontanée. Elle s'est sentie à l'aise devant la classe, confiante, et heureuse de
constater qu'elle était respectée même si elle était la seule à pratiquer sa religion. Cette
expérience enrichissante pour tous m'amène à faire les réflexions suivantes:
•
l'histoire biblique devrait être rendue obligatoire pour tous les élèves dans nos écoles,
étant donné qu'il s'agit de culture judéo-chrétienne de base et non pas de catéchisme.
•
tous les parents des cinquième et sixième degrés désirant dispenser leur enfant de cet
enseignement devraient être convoqués au collège pour une discussion amicale avec les
enseignants d'histoire biblique, ceci afin qu'ils comprennent bien que nous ne sommes pas
catéchètes du tout à l'école et qu'il n'y a aucun risque de prosélytisme et d'évangélisation.
•
si un élève est dispensé de 1' histoire biblique, ne devrait-il pas être logiquement dispensé
de l'histoire et de certaines périodes de francais (approche du monde religieux, littérature
engagée, politique…)?
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Ces réflexions me sont venues en observant tout simplement qu'il ne restera aucune trace
écrite du cours à mes deux élèves dispensés cette année, alors que les autres élèves pourront
toujours aller chercher à loisir la signification des fêtes et événements importants de la
tradition judéo-chrétienne dans leur dossier. A mon avis, la dispense de cet enseignement ne
peut que faire du tort aux élèves concernés. Nous n'avons déjà qu'une misérable période en
cinquième année et une autre en sixième dans les classes de l'enseignement secondaire officiel
du canton: c'est tout juste un strict minimum pour donner à l'élève une culture religieuse et
interreligieuse fondamentale et quelques outils pour se situer par rapport au monde qui
l'entoure et dont il fait partie. Enlever ces deux pauvres périodes est dommageable à
l'ouverture d'esprit de l'élève. Si notre école ne permet pas de travailler avec cet élément-clé
qu'est l'ouverture d'esprit, qui permet à l'élève de réfléchir et de se poser des questions sur le
monde environnant, il n'est pas étonnant de rencontrer beaucoup d'adultes qui mélangent
l'Ascension avec le sacrifice d'Isaac et Pentecôte avec la sortie d'Egypte.
C'est pour cette raison que je félicite mon élève juive de son initiative et que je lui suis
grandement reconnaissant de sa participation. Elle a en quelque sorte cassé cette barrière de la
dispense. Par sa participation active, elle m'a permis également de faire de l'histoire biblique
une branche vivante, constamment en dialogue. Cela implique que l'élève et les parents ont
compris ce que l'enseignement de cette branche doit être. Mon élève et moi avons ainsi pu
démontrer nos vingt-six compagnons de route que les informations données et l'enseignement
dispensé dans une telle branche n'en sont que meilleurs si nous avançons ensemble, et qu'à la
place de dispenses qui relèvent d'une mauvaise compréhension de la branche - il y a
anticipation active - ce qui permet le dialogue. La dispense ferme le dialogue, mais la
participation active l'ouvre. L'ouverture sur l'autre permet d'entrer dans le domaine
enrichissant de l'interreligieux, ce qui permet à chacun de s'éveiller à l'autre... Aussi l'histoire
biblique doit impérativement rester - ou alors devenir - une branche d'ouverture et d'éveil, si
ce n'est la branche d'ouverture et d'éveil par excellence. N'est-ce pas là sa vocation?
Y.R.
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cit. in. Dispositions d'application et informations générales du Service secondaire sur l'histoire biblique (DI-81)
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