Manager - Le Centre Spatial Guyanais

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Manager - Le Centre Spatial Guyanais
Au 1er juillet 2012, Bernard Chemoul
a embrassé la fonction de Directeur
du CNES/CSG, pour consolider l'existant
Les premières lignes de l'histoire
et préparer l'avenir. Pour cet homme
du spatial français puis européen ont d'équipe, au-delà d'un métier, le
été écrites par de grands hommes.
spatial est avant tout une famille.
Leurs points communs : la passion et le CNES.
Ce sont eux qui ont conçu les lanceurs
Par Karol Barthelemy
et impulsé un spatial européen qui ne s'est
nullement trompé dans ses choix puisqu'il
est leader sur le marché commercial
des lancements spatiaux.
Aujourd'hui, ceux qui ont côtoyé ces pionniers
poursuivent l'histoire, ajoutant chacun leur pierre
à ce remarquable édifice dont le Centre Spatial
Guyanais est l'une des pierres angulaires.
Au 1er juillet 2012, comme une suite logique
des choses, Joël Barre a été promu Directeur
Général délégué Opérations (DGO) du CNES,
Latitude 5 - Selon vous, quelles grandes
cédant sa fonction de Directeur du CNES/CSG
étapes vous ont conduit à tenir le rôle clé
à Bernard Chemoul, précédemment son adjoint
de Directeur du Centre Spatial Guyanais ?
Bernard Chemoul - Ma carrière est
et Sous-Directeur de la Protection, de la
globalement dévouée aux projets de
lanceurs, j'ai traversé pratiquement tous
Sauvegarde et de l'Environnement (SDP).
les projets Ariane. J'ai d'abord développé
Lui-même sollicite son ancien adjoint, Alex Agapit, une expertise technique, essentiellement
sur les problèmes de mécanique vibratoire
pour lui succéder au poste de SDP. Rencontres.
des lanceurs, puis j'ai développé une
© G. BARBASTE
Travailler sur la base
Manager
© P. BAUDON
expérience managériale en conduisant des
équipes techniques et des projets. Chaque
poste m'a permis de relever un challenge :
qualifier Ariane 5 sur un plan technique et
industriel, traiter les problèmes de qualité
Ariane 5 au début de sa vie en exploitation
puis assurer sa montée en cadence, assurer
la gestion programmatique d'Ariane 5 et
du P80 de Vega (coûts, plannings, choix
et orientations techniques⁄). Je suis venu
participer à une bonne centaine de
lancements au CSG, et l'ATV-1 fut ma
dernière mission en tant que développeur.
La fonction de SDP depuis 2008 m'a permis
de découvrir le fonctionnement de cette
ÿ ruche Ÿ qu'est le CSG et de me fondre
dans la vie guyanaise.
Entrée du CSG
4 / LATITUDE 5 / N°97 / JUILLET 2012
© S. MARTIN
De g. à dte : B. Chemoul, J. Barre, A. Agapit
Ça bouge au CNES
L5 - Quels sont vos meilleurs souvenirs ?
BC - Je ne peux parler d'évènements particuliers, mais plutôt
de grandes satisfactions d'ingénieur, notamment lorsqu'il a fallu
comprendre le comportement en vol d'Ariane 4. J'ai eu la chance
de vivre des aventures humaines avec un travail d'ingénierie
de très haut niveau qui nous a permis d'acquérir des savoirs et des
compétences. La conception de l'Etage Supérieur Cryotechnique
(ESC) d'Ariane 5 fut également une vraie gageure : partis de
presque rien en 1998, nous l'avons développé en quatre ans⁄
Créer le spatial réclame beaucoup d'investissement personnel,
ce que nous ont appris les pionniers qui nous ont embauchés,
nous cette vague de jeunes ingénieurs au début des années 1980.
30 ans au Centre National d'Etudes Spatiales
Diplômé de l'Ecole Nationale Supérieure de Mécanique et
d'Aérotechnique de Poitiers, Bernard Chemoul intègre le CNES
le 16 août 1982 à la Direction des lanceurs comme ingénieur
dÊétudes spécialisé en mécanique, et plus exactement en études
vibratoires et acoustiques appliquées aux lanceurs. Il tient
plusieurs fonctions de responsable technique puis de responsable
projet puis devient directeur du programme Ariane 5 et P80
de Vega en 2005. En 2008, il saisit l'opportunité de devenir SDP
au CSG dont il prend la direction le 1er juillet 2012.
D'ailleurs, beaucoup d'entre nous sont restés dans cet
environnement. C'est ainsi que nous avons créé une famille,
au-delà du CNES, avec tous nos partenaires, partageant les succès
et surpassant ensemble les échecs. Peu après mon installation
en Guyane, j'ai été impressionné par l'arrivée de la course
en solitaire Rames Guyane en avril 2009, pour laquelle je
représentais la Direction du CNES. A bord d'un bateau de
la Marine, j'ai vu arriver Patrick Hoyau seul au milieu de l'océan,
tirant sur ses rames et bagotant au milieu de vagues de un mètre.
Nous avons eu là un exemple de détermination et de courage,
toutes les qualités qui font la trempe d'un homme du spatial.
L5 - Quelles sont les grandes lignes de votre feuille de route ?
BC - Le CSG est une base toujours plus européenne. Assurer un
ÿrégime de croisièreŸ avec au moins dix lancements par an tout
en préparant le futur, telle sera notre mission ! Pour répondre
aux besoins de nos clients -à savoir la France, lÊESA et ses Etats
membres, et lÊopérateur de lancement- nous devons assurer
des objectifs de performance ambitieux en terme de disponibilité
-grâce à notre anticipation et notre démarche qualité-, de sécurité,
et de respect de lÊenvironnement. Ce dernier point, dont dépend
la préservation de la santé des personnels et des populations,
est un enjeu dÊavenir mais aussi un moyen dÊaller vers un CSG
LATITUDE 5 / N°97 / JUILLET 2012 /
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plus efficace et performant. Par ailleurs, nous devons nous
préparer à adapter la base en fonction des décisions qui seront
arrêtées lors de la Conférence ministérielle de Rome 2012 sur
le futur des lanceurs européens. En parallèle, quelle que soit
cette décision, nous accomplirons un effort de modernisation
de la base visant à améliorer ses coûts de fonctionnement et
ses performances intrinsèques.
Autre point d'importance, le CSG doit demeurer un pilier du
développement de la Guyane pour l'accompagner sur des
orientations bien ciblées, en concertation avec les acteurs locaux
et au plus près des aspirations de la population guyanaise.
Nous prônons et menons une politique d'embauche locale
qui nous incite à nous impliquer fortement sur l'enseignement
via des formations diplômantes répondant aux besoins du CSG
et de l'industrie en général.
L5 - Comment comptez-vous vous organiser pour tout cela ?
BC - Joël Barre nous confie un CSG avec trois systèmes de
lancement en exploitation -Ariane 5, Soyuz, Vega-, aux moyens
assurés et stabilisés, et où le dialogue social est développé. Depuis
2008, j'ai pu apprécier l'efficacité de l'organisation existante et
je m'appuierai sur elle : chaque sous-direction gère et maîtrise
ses domaines respectifs, de même que les services rattachés,
fondamentaux pour le fonctionnement du CSG. Nous sommes
aussi très proches des industriels, à qui nous devons également
nos compétences et notre excellence. A ce titre, l'UEBS est
primordiale, tant pour la coordination de tous que pour le
dialogue. Enfin, à mes yeux, le facteur clé de notre succès tient
dans la motivation de chacun dans son poste. Je parlerai même
dÊépanouissement dans son travail. A ce titre, au-delà de la
mobilité inter-centres du CNES, nous devons poursuivre nos
efforts pour développer la mobilité sur la base.
© JM . GUILLON
Joël Barre savoure la satisfaction d'avoir vécu la transition du CSG de un à trois lanceurs grâce à la “locomotive CNES”.
Les multiples aspects du spatial n'ont plus de secret pour cet homme à la carrière exemplaire, qui prend désormais
ses quartiers au siège du CNES, dans une toute nouvelle fonction : DGO, Directeur Général Délégué Opérations. De là,
il restera très proche du CSG. Explications.
Latitude 5 - Comment récapituleriez-vous votre expérience
au CSG ?
Joël Barre - 5 ans et 33 lancements ! Je crois que j'ai vécu
une période extraordinaire, passant finalement de un à trois
lanceurs en quelques mois seulement. Nous, Européens -et je crois
que l'on peut vanter- sur ce terrain français, pouvons lancer toutes
les gammes de satellites, européens ou non, y compris ceux
qui partent avec le Soyuz de Baïkonour ou sur des missiles
balistiques reconvertis, lorsqu'ils sont disponibles. Ce passage
s'est réalisé en conservant et en consolidant les performances
que nous avons ici -aucun lancement durant ces cinq ans n'a été
reporté pour cause d'indisponibilité technique de la Base, malgré
les problèmes inédits de Soyuz et Vega. Nous avons prouvé notre
compétitivité
face
à nos concurrents
tout en montrant aux
Etats membres qui
nous financent nos
efforts pour limiter
les coûts. Tout ceci
est le fruit d'un
immense travail, du
professionnalisme et
de la motivation
des salariés du CNES
et des industriels.
Nous pouvons en
être fiers. Je sais que
cela va continuer,
je pars avec une
image très positive, y compris de la Guyane. C'est un territoire
extraordinairement attachant pour lequel, nous CNES, essayons
de faire le maximum pour relever les défis qui sont les siens,
et notamment un développement concomitant à une croissance
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démographique importante. Quitter le CSG et la Guyane sont
pour moi des pincements au cflur, mais finalement je serai
fréquemment de retour grâce à mes nouvelles fonctions.
L5 - Justement, en quoi consiste la fonction de DGO, Directeur
Général Délégué Opérations du CNES ? Quels seront vos liens
avec le CSG ?
JB - Créée par la volonté du Président du CNES,Yannick d'Escatha,
cette fonction me confie le management général de l'ensemble
des activités opérationnelles : celles du CSG, de la DCT et de
la DSI à Toulouse, et de la DLA, Direction des Lanceurs à Paris.
L'objectif consiste en particulier à renforcer la coordination des
directions précitées ainsi que leurs interfaces avec les directions
fonctionnelles, le tout bien sûr sous l'autorité du Président
en Comité Exécutif. Le Président pourra ainsi se consacrer
d'avantage à la stratégie et aux relations avec les Tutelles et
les pays coopérants. Pour ma part, on me reverra d'autant
plus facilement au CSG. Cela fait longtemps que je manage avec
un mode de délégation reporting. Bernard Chemoul a toute
ma confiance et arrive avec d'incontestables atouts pour réussir
au poste de Directeur du CNES/CSG.
L5 - 25 ans dans le spatial : à la DGA (Direction Générale de
l'Armement), directeur des programmes du CNES, responsable
de la propulsion spatiale chez Snecma, directeur du CNES/CSG.
Est-ce cette pluriactivité et la vision globale de l'activité spatiale
qui vous honorent de la fonction de DGO ?
JB - Je suis heureux et fier de pouvoir continuer ma carrière
au CNES, que je connais désormais particulièrement bien
de l'intérieur comme de l'extérieur. J'ai appris à manager au fil
de mes fonctions successives, toute cette expérience sera
largement mise à profit.
L5 - A votre arrivée, vous disiez que „ le grand challenge ‰
consistait „à transformer le CSG en un outil de lancement des
3 lanceurs européens‰. Ceci étant chose faite, quelle est pour
vous la prochaine grande étape du CSG ?
JB - Le challenge est accompli mais il faut désormais le passer
en rythme de croisière : dix lancements cette année, et pourquoi
pas ensuite un ou deux supplémentaires. De plus, d'ici deux ans,
il n'y aura plus de lancements Starsem à Baïkonour, tout passera
par la Guyane. Nous allons donc monter en cadence sur Soyuz
de façon très significative, voire même doubler en fonction
du marché et de la disponibilité de Baïkonour, dont la situation
actuelle ne peut que renforcer l'attrait du lanceur russe à Kourou.
Par ailleurs, l'évolution d'Ariane 5 dépendra du choix de son
successeur par l'Europe. Bientôt se dérouleront les premières
études sol pour déterminer le lieu d'implantation éventuel
d'un nouveau lanceur.
© S. MARTIN
Alex Agapit a fait toute sa carrière au CNES/CSG dont il est désormais SDP, Sous-Directeur de la Protection, de
la Sauvegarde et de l'Environnement. Après onze ans en tant qu'adjoint au SDP, il connaît parfaitement les exigences
et le caractère sans répit de cette sous-direction fondamentale pour le CSG : il est prêt.
Latitude 5 - Quel parcours professionnel vous
a conduit à devenir SDP du CNES/CSG ?
Alex Agapit - Ingénieur diplômé de Polytech'
Montpellier, j'ai été embauché au CNES/CSG
en avril 1984 en tant qu'ingénieur
Sauvegarde Sol pour réaliser des études
de sauvegarde sur Ariane 4. Je suis devenu
ingénieur Sauvegarde Vol en 1986, Chef
du département Sauvegarde Vol en 1989
puis Chef de Division Sauvegarde en 1992.
En septembre 2001, Pierre Moskwa m'a
proposé le poste d'Adjoint SDP, que j'ai
occupé jusqu'à juin 2012.
L5 - Comment définissez-vous votre mission ?
AA - Manager la Sûreté protection et la
sauvegarde des personnes, des biens et
de l'environnement sont des missions
importantes pour ne pas dire fondamentales.
Si fondamentales qu'elles sont des missions
régaliennes du CNES : nous sommes des
La SDP, une équipe soudée. De g. à dte : A. Dartigalongue, Responsable Sauvegarde Vol, JM Allais,
installations classées Seveso et d'importance
Responsable Sécurité Protection, A. Agapit, Sous-Directeur de la Protection, C. Berteaud,
Responsable Sécurité du Travail, ML Bonnet, assistante SDP, F. Legrand, responsable Sauvegarde
vitale, assujetties à certaines exigences qui
et Environnement,V. Chauvin, Capitaine de la BSPP.
nécessitent rigueur, constance et vigilance.
Il faut s'inscrire dans une démarche de progrès permanent prédécesseurs, je vais poursuivre les orientations et l'organisation
et rester attentif aux moindres signaux de dérive potentielle. en place. Cela réclame un investissement personnel fort que
Avec l'arrivée de Soyuz, nous intégrons, selon les accords je connais pour avoir régulièrement tenu l'intérim de SDP.
internationaux, la protection des biens russes. En ce qui concerne Par ailleurs, je crois beaucoup au travail en équipe et je sais
la protection extérieure de la Base, confiée aux services de l'Etat pouvoir m'appuyer sur des chefs de services compétents, sans
nous devons entrenir avec eux des relations suivies pour garantir compter que je serai secondé par Roger Baldacchino qui connait
une bonne interface et une bonne coordination. Par ailleurs, la parfaitement les activités opérationnelles de la base.
Direction du CNES a renforcé récemment la sécurité du travail
en créant un service dédié ; le CNES en tant quÊentreprise L5 - Selon vous, quels sont les principaux challenges ?
utilisatrice vient d'adhérer à lÊassociation MASE Antilles-Guyane AA - L'osmose de l'équipe est un enjeu immédiat, et l'on observe
-de même qu'ALSG- qui a pour but de promouvoir le beaucoup de mouvements sur des postes clés cette année.
développement et lÊutilisation de systèmes de management C'est bien le rôle du manager que je suis de fédérer cette équipe
de la sécurité, de la santé et de lÊenvironnement au sein des et dÊassurer sa cohésion avec les nouveaux entrants. Autre enjeu
entreprises intervenantes. Enfin, nous devons valoriser nos actions à moyen terme, stabiliser l'activité multi lanceurs. Cela signifie
de protection de l'environnement. La directive Seveso 3, applicable exploiter les retours d'expérience pour simplifier, harmoniser
en 2015, amplifie le volet d'information au public sur les et asseoir les procédures de sécurité, les pérenniser dans le temps
installations industrielles, avec notamment la mise à disposition pour entrer ainsi dans un processus d'amélioration normal.
sur Internet de rapports d'inspection, d'études de danger etc. Bien sûr, la mise en fluvre des exigences Sauvegarde dévolues par
Il faudra pour cela se coordonner avec les industriels du CSG. la LOS [Loi sur les Opérations Spatiales] est un enjeu permanent.
Les tâches sont donc d'importance et, dans la lignée de mes
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