Aguigui Mouna : gueule ou crève

Transcription

Aguigui Mouna : gueule ou crève
Portrait d’Aguigui Mouna par
Anne Gallois – Extrait de
« Aguigui Mouna : gueule ou
crève »
À 15 heures 30 précises, l’homme et le vélo ont
fendu la foule. Fleuris de badges, enjolivés d’accessoires,
décorés comme un jour de carnaval, fringants malgré leurs
carcasses d’un autre âge.
L’homme a sorti d’une sacoche écornée ses instruments de
travail : un téléphone rouge, une cloche, un sac de graines,
un mètre ruban. En deux enjambées, il s’est hissé sur le
couvercle d’une poubelle géante. Embrassant le public d’un
coup d’œil connaisseur, il bat le rappel en baladin virtuose,
distribue les calembours, fait le clown puis, brusquement,
explose soulevé par un subit accès de colère :
« Bande de robots… j’en ai marre de cette société de merde.
Pas vous ?…»
C’est un petit vieux vif-argent à la barbe de patriarche, au
corps élastique. Des yeux fureteurs, toujours aux aguets. Les
poils embroussaillés encerclent la bouche qui découvre, dans
un sourire, candide, les derniers chicots.
« Qu’est-ce qui se passe ? Rien. Rien d’humain. L’arnaque, la
barbaque, la matraque… »
La voix, tour à tour gouailleuse ou tonitruante, s’accorde à
la cacophonie ambiante.
« Le monde est à l’envers, le monde ne tourne pas rond. Et moi
je crie. Je crie dans le désert. Ça fait trente ans que ça
dure et il n’y a que la mort qui me fera taire. Oui, je suis
utopiste. Mais qu’est-ce que l’utopie, sinon une vérité
anticipée ?… »
Une jeune fille, au pied de la poubelle, s’est exclamée : «
J’aurais dû venir l’écouter avant de faire ma dissert’ ». Son
professeur de philosophie le lui avait bien dit : « À
Beaubourg, il y a une espèce de Diogène. Il s’appelle Mouna ».
Anne Gallois, in Aguigui Mouna. Gueule ou crève, Ed. les
Dossiers d’Aquitaine, 1997
Aguigui Mouna
sur la fontaine Saint-Michel, Paris (6e arrondissement)
Mouna – Film documentaire de de Bernard Baissat,
1989 :