Le métier d`artisan charpentier

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Le métier d`artisan charpentier
Les Cahiers de l’Urbanisme N° 76
Octobre 2010
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Pascal Lemlyn
Artisan charpentier
Le métier d’artisan charpentier
L’artisan n’a pas oublié ses rêves, il mène son travail comme il
l’entend, il y met son cœur et ne compte pas ses heures. Son métier
lui donne un plaisir qui transpire dans la matière qu’il travaille.
Choisir
J’avais pourtant terminé des études d’architecte,
ainsi que les deux ans de stage nécessaires à la
pratique du métier, mais je ne prenais aucun plaisir à décrire des choses que je ne maîtrisais pas,
ni à vérifier le travail accompli par des hommes
bien plus compétents dans leur ouvrage que le
jeune diplômé que j’étais.
J’ai quitté mes frustrations pour plonger dans les
clichés de mon enfance : devenir un solide gaillard
du genre saint Joseph qui taille des tonnes de
poutres en chêne au millimètre et les lance dans
l’espace pour porter des toitures ! L’heure était
venue de choisir un métier et d’en assumer les
conséquences.
Apprendre
La formation de charpentier n’existait pas réellement en Belgique, réduite tout au plus à un
chapitre dans le programme de menuiserie. La
France proposait une offre de formation bien
plus complète. La filière des Compagnons du Tour
de France m’est bien vite apparue comme la plus
pertinente.
Et c’est donc d’abord comme apprenti charpentier
que j’ai partagé la vie des itinérants à la Fédération
compagnonnique des Métiers du Bâtiment.
Salariés en entreprise en tant qu’ouvriers, nous
habitons, toutes corporations confondues, dans
un siège compagnonnique, où nous assumons
les tâches ménagères à tour de rôle. Nous nous
conformons aux règles de vie en communauté.
Les journées commencent tôt car les entreprises où nous sommes engagés se trouvent
parfois à plusieurs dizaines de kilomètres du
siège. Certaines corvées sont accomplies avant
l’embauche de 7h00. Tous les soirs, nous prenons
nos repas ensemble, et assistons à deux heures
de cours du soir. Les anciens nous dispensent des
cours généraux, des cours de technologie et des
exercices de trait de charpente. Il est vingt-deux
heures trente et si nous ne tombons pas de fatigue, nous travaillons sur notre chef-d’œuvre.
Les week-ends sont également bien remplis : les
samedis, nous suivons des cours ou nous mettons
en pratique le trait de charpente. Nous assistons
également aux réunions de corporation auxquelles participent les compagnons sédentaires
qui encadrent les itinérants. Les dimanches sont
bien utiles pour avancer sur le chef-d’œuvre à
terminer pour la Saint-Joseph…
La richesse de l’apprentissage passe également
par l’itinérance. Une à deux fois par an, nous
changeons de ville et donc de siège, d’entreprise,
et de compagnons d’itinérance. Sans cesse,
il faut s’adapter, refaire ses preuves, et être
confronté à d’autres façons de travailler. Chaque
région a ses spécificités architecturales, ce qui
nous permet de découvrir des techniques très
variées.
Pratiquer
Après ce temps de voyage et de formation, j’ai
quitté mon statut d’ouvrier pour m’installer en
Belgique en tant qu’artisan indépendant. Tout
était à faire : s’équiper en outillage, traiter avec les
clients, concevoir les charpentes, faire les devis, la
comptabilité… La plupart du temps seul, parfois
avec un apprenti, je réalise tant des charpentes
contemporaines que traditionnelles. La taille des
chantiers est variable : du plus simple escalier à la
construction d’une charpente nécessitant 50m3
de chêne, en tenant compte de la durée du chantier et de la patience du client…
La pratique du métier passe autant par la
réalisation de charpentes neuves que par la
restauration de charpentes anciennes. Nos
conceptions actuelles s’inscrivent d’ailleurs
dans le temps et feront, pour certaines, partie
du Patrimoine de demain.
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Trait de charpente du
colombier de la Paix-Dieu
à Amay.
© Pascal Lemlyn
Les évolutions scientifiques et technologiques
permettent d’ailleurs de porter un regard critique
sur le bâti ancien et d’apporter un choix de solutions de restauration plus étoffé qu’auparavant.
Aux côtés d’autres acteurs du Patrimoine, qu’ils
soient historiens de l’art, architectes, ingénieurs,
je participe à des études préalables et donne des
avis techniques au sujet des charpentes étudiées.
Cette pluridisciplinarité est très enrichissante,
apporte des approches et points de vue complémentaires, et permet de rompre l’isolement
propre aux artisans. C’est d’ailleurs ce sentiment
d’isolement qu’ont en commun nombre d’artisans,
qui a poussé à la création de cet outil de rencontre qu’est l’Union des Artisans du Patrimoine.
La charpente reconstituée
du colombier de la PaixDieu à Amay se dresse
fièrement dans l’atelier
du Centre des métiers du
patrimoine de la Paix-Dieu.
Elle attend patiemment
la consolidation des
maçonneries pour trouver
sa place définitive.
© Pascal Lemlyn
Les sujets sont nombreux, la tâche est vaste, et la
réalisation commune difficile car paradoxale : les
artisans veulent briser leur solitude en s’institutionnalisant mais ceci se heurte à la manière
toute personnelle qu’ils ont de s’impliquer dans
leur travail et de gérer leurs outils. Une chose est
sûre : ce qui caractérise l’artisanat, c’est la petite
taille de ses moyens d’action, tout autant que
l’excellence à laquelle il prétend.
Transmettre
Formateur en charpente à la Paix-Dieu depuis
2000, j’ai eu l’occasion de transmettre mon expérience en animant quelques semaines par an des
stages thématiques. Ces stages de perfectionnement permettent d’aborder de manière théorique
et pratique des sujets tels que l’étude du matériau bois, la restauration de charpentes en bois
par le biais de greffes ou de «remplacement à
l’identique», l’étude des différents types d’assemblages, l’étude du trait de charpente, la restauration de colombage et pans de bois… Un stage de
plus longue haleine organisé sous la forme d’un
chantier école a permis à cinq stagiaires de participer à la reconstitution intégrale de la charpente
du colombier de la Paix-Dieu. Au bout de trois
ans à raison d’une quarantaine de jours par an, la
charpente se dresse fièrement dans l’atelier, et
attend patiemment la consolidation des maçonneries pour trouver sa place définitive.
Au delà de l’objet patrimonial reconstitué, c’est
surtout un patrimoine de savoir-faire qui est
transmis…
Ce trajet, loin d’être terminé, me semble d’une richesse toujours renouvelée, justifiant amplement
les efforts et les difficultés ; la récompense est au
centuple !

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