Les gemmes précieuses - Tabernacle des Lumieres

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Les gemmes précieuses - Tabernacle des Lumieres
Les gemmes précieuses
Al- Yawâqît wa Al-Jawâhir fî bayân ‘Aqâïd al-Akâbir
DE
L’Imam Sha‘rânî
Volume 2
Introduction
Traduction
IDRIS DE VOS
Introduction et préface
SLIMANE REZKI
Les gemmes précieuses
Al- Yawâqît wa Al-Jawâhir fî bayân ‘Aqâïd al-Akâbir
DE
L’Imam Sha‘rânî
Volume 2
Introduction
Traduction
IDRIS DE VOS
Introduction et préface
SLIMANE REZKI
© Septembre 2013, Tabernacle des Lumières
1
Introduction
L’introduction se divisera en quatre chapitres :
Le premier chapitre sera consacré à une brève présentation du Sheikh Muhyî ad-Dîn
Ibn ‘Arabî – Dieu soit satisfait de lui. On indiquera à cette occasion que les propos
contrevenant aux positions explicites des savants que l’on a pu trouver dans ses livres y ont
été ajoutés à son insu ou nécessite une interprétation. On mentionnera également les savants
qui ont fait son apologie et ont rendu témoignage de sa haute vertu. Ce chapitre est rendu
nécessaire par le fait que la formulation adoptée dans cet ouvrage est majoritairement
empruntée à celle du Sheikh - Dieu soit satisfait de lui.
Le second chapitre aura pour objet de gloser certaines paroles du Sheikh dont la
plupart des gens ignorent le sens, en présumant qu’elles sont de lui. Nous rappellerons à cette
occasion les vicissitudes que vécurent les gens de Dieu à toute époque, ainsi que les
réquisitoires qu’ils subirent, afin d’être éprouvés et purifiés de leurs fautes, ou afin d’être
conduits à ne pas placer leur confiance en leurs semblables. Parce que le Très-Haut ne gratifie
pas un serviteur de Son élitaire dilection si celui-ci place sa confiance en un autre que Lui
sans permission.
Le troisième chapitre visera à justifier pourquoi les gens de la voie emploient des
expressions hermétiques aux personnes étrangères à la voie. Nous montrerons qu’en
définitive, c’est pour éviter que les saints de Dieu ne soient taxés d’imposture et ne fassent
l’objet de calomnies. Il s’agit donc de symboles que les initiés comprennent entre eux, mais
qui restent impénétrables aux gens non avertis si personne ne prend le temps de les
renseigner. Ce choix est légitimé par la nécessité de préserver des secrets du Très-Haut qui
risqueraient d’être divulgués parmi des gens aveuglés 1, comme l’a indiqué al-Qushayrî dans
sa Risâla.
Le quatrième chapitre sera consacré à l’explicitation de certaines règles et de certains
principes que se doit de connaître quiconque entend parvenir à une connaissance confirmée de
la théologie.
Puisse Dieu nous accorder Son providentiel soutien.
1
Ou voilé : Mahjûb.
2
De la doctrine abrégée du Sheikh
Doctrine exempte de toute déviation
Sache mon frère – puisse le Seigneur te faire miséricorde – que tout croyant se doit de
faire état de sa doctrine et de la professer publiquement. Si cette doctrine est juste, les gens
témoigneront en sa faveur auprès du Très-Haut. Si elle ne l’est pas, cela permettra à ses
semblables de lui indiquer son erreur afin qu’il s’en amende. Hûd – Puisse-t-il bénéficier du
salut – déclara publiquement à son peuple qu’il se défendait de toute idolâtrie, bien que ceuxci ne croyaient pas en Dieu. Il professa ouvertement l’unicité, car il savait devoir, comme tout
le reste, comparaître un jour devant Dieu, ce terrible jour d’interrogatoire où tout témoin
devra rende témoignage et où tout responsable devra assumer dûment sa responsabilité. On
sait en outre que tout individu ayant entendu le muezzin devra le déclarer même s’il est
incroyant. C’est pourquoi le Malin tourne les talons dès qu’il entend l’appel à la prière et qu’il
laisse échapper des vents pour ne pas l’entendre. Car il répugne à témoigner en la faveur du
Muezzin et à participer à assurer sa félicité dans l’au-delà. Dieu l’a maudit en sorte qu’il
demeure un parfait ennemi : on ne peut attendre de lui aucun bien. Puisque même ton ennemi
devra témoigner pour ou contre toi, selon les paroles que tu lui auras fait entendre à ton propre
sujet - la vérité en cette heure devant être dite inéluctablement – il est d’autant plus légitime
que les gens de ta confession qui te sont favorable et qui t’aiment témoignent en ta faveur. Il
convient donc que tu témoignes pour toi-même de ta profession de l’unicité et de ta foi en ce
monde.
Ainsi donc, mes chers amis, mes frères – puisse le Seigneur être satisfait de nous et de
vous –, en votre présence, je prends Dieu à témoin, ainsi que Ses anges, Ses prophètes et tous
les êtres spirituels assistant ou entendant mes paroles, et je déclare en mon âme et conscience
que Dieu est un Dieu unique exempt de second ; qu’Il n’a ni compagne ni enfant ; qu’Il est un
souverain sans aucun associé ; qu’Il est un roi sans ministre ; qu’Il est un Créateur nullement
secondé dans Sa gestion. J’affirme que le Seigneur existe par Lui-même et n’a pas besoin
d’être existencié par un autre ; et qu’en revanche, tout être existant a besoin de Lui pour
exister. Le monde tout entier n’existe donc que par Lui, tandis que Lui, exalté soit-Il, existe
par Lui-même. Son existence n’a pas de commencement ni de fin. Il est absolu et subsiste par
Lui-même. Il ne procède pas d’une substance qui le circonscrirait en un lieu et Il ne procède
pas d’un événement accidentel qui rendrait Sa pérennité impossible ; Il ne procède pas d’un
corps qui l’enfermerait dans un espace et un temps et Il transcende les directions et les lieux ;
Il est visible avec les cœurs et les yeux. Il s’est établi sur Son Trône comme Il l’a dit Luimême et selon le Sens qu’Il entend Lui-même en cette parole. De même que le Trône et ce
qu’il contient subsiste harmonieusement par Lui. C’est à Lui qu’appartiennent la vie future et
la vie immédiate. Il n’a de pareil concevable et les raisons ne sauraient Le décrire. Il n’est pas
délimité dans un temps et Il n’est pas circonscrit dans un espace. Plus encore, Il était quand il
n’y avait nul espace et Il demeure ainsi qu’Il était, parce qu’Il a créé les réalités situées dans
l’espace autant que l’espace et que le temps. Il a dit : Je suis le Vivant qui maintient en
l’existence les créatures sans que cela n’entraine en Moi nulle fatigue. Toute caractéristique
des créatures qui n’est pas sienne ne peut être rapportée à Lui. Dans Sa grandeur, Il n’est pas
3
compénétré2 par les contingences et Il ne les compénètre pas. Celles-ci ne peuvent davantage
le précéder ou Lui succéder. Plus encore, on dit qu’Il était quand rien n’était avec Lui. Parce
que l’avant et l’après sont des corollaires du temps qu’Il a Lui-même conçu. Il est le Soutien
autosuffisant qui n’est pas touché par le sommeil et l’éminemment dominant que l’on ne
saurait atteindre. Rien ne Lui est semblable et Il est l’Oyant et le Voyant. Il a créé le Trône et
il lui a donné la mesure de Son assise et Il a créé le piédestal et l’a fait aussi vaste que la terre
et les cieux. Il a conçu la table et le calame suprême, et Il a fait retranscrire à celui-ci le sort
des créatures selon Sa volonté et Son savoir, jusqu’au jour du discernement et du décret. Il a
créé le monde entier sans exemple préexistant. Il a créé les créatures et combien parfaite est
Sa création. Il a fait descendre les esprits dans les corps comme autant de dépositaires et il a
fait de ces corps habités des esprits des lieutenants sur terre. Il leur a soumis tout ce que
renferment les cieux et la terre. À tel point que pas un atome ne se meut autrement que par
Lui et pour Lui. Il a créé le tout sans qu’un besoin l’y pousse ou qu’une nécessité l’y
conduise. Mais, Sa science précédant, Il créa ce qui devait nécessairement être créé. Il est le
Premier et le Dernier, l’Apparent et le Caché, et Il est le Tout Puissant. Il embrasse toute
chose de Sa science et Il dénombre toute chose. Il connaît les secrets [des êtres] et des réalités
plus cachées encore. Il est informé des traitres regards dérobés et de ce que dissimilent les
poitrines. Comment ne connaîtrait-il pas une chose qu’Il a créé ; « Celui qui a créé, serait-il
ignorant, alors qu’Il est le Subtil et le Bien-informé. »3 Il connaissait les choses avant leur
existence. Puis Il les a créées conformément à la science qu’Il avait d’elles. Il ne cesse de
connaitre les choses et la connaissance qu’Il en a ne change pas au fur et à mesure qu’Il les
crée. Il a créé les choses d’une façon accomplie ainsi que les statuts au moyen desquels il les
régit comme bon Lui semble.
Son autorité s’étend sur la science des réalités globales de manière absolue, ainsi que
sur toute chose considérée particulièrement, selon un avis unanime des théologiens et des
gens avisés. Il connaît le monde caché et le monde manifesté. Il ne saurait donc avoir des
associés, loin s’en faut. Il fait suprêmement ce qu’Il veut et Il gère les êtres aussi bien sur la
terre que dans le ciel. Sa puissance ne s’exerce en la création d’une chose qu’après qu’il l’ait
voulu et Il ne veut que ce qu’Il sait au préalable. Car il est inconcevable que quelqu’un veuille
une chose inconnue et il est inconcevable qu’un être ayant le choix et la capacité de renoncer
à agir face ce qu’Il ne veut pas. Il est impossible que ces réalités puissent exister sans qu’un
[Dieu] vivant n’en soit à l’origine et Il est impossible que de tels attributs puissent exister sans
qu’un être en soit doté. Il n’est donc en l’existence d’obéissance ou de désobéissance, de
réussite ou de perte, d’esclave ou d’homme libre, de froid ou de chaleur, de vie ou de mort,
d’acquis ou de privation, de jour ou de nuit, d’équilibre ou de déséquilibre, de terre ou de mer,
de pair ou d’impair, de substance ou d’accident, de santé ou de maladie, de joie ou de
tristesse, de corps ou d’esprit, d’obscurité ou de lumière, de terre ou de ciel, de dissolution ou
de fusion, d’abondance ou de rareté, d’aube ou de crépuscule, de blanc ou de noir, de veille ou
de sommeil, d’apparent ou de caché, de mouvant ou de statique, de sec ou d’humide, d’écorce
ou de noyau, de tout contraire, de toute différence et de toute similitude qui ne soient voulus
par le Très-Haut. Comment ne voudrait-Il pas ces réalités alors qu’Il les fait exister ? Et
2
3
Tahulluhu.
Coran 67 : 14.
4
comment Celui qui a le choix ferait-Il exister une réalité qu’Il ne voudrait pas ? Rien n’arrête
Son ordre et nulles représailles n’affectent son jugement. Il donne la gouvernance à qui Il veut
et la retire de qui Il veut. Il honore qui Il veut et avilit qui Il veut. Il guide qui Il veut et égare
qui Il veut. Ce que Dieu veut advient et ce qu’Il ne veut pas n’advient pas. Si toutes les
créatures voulaient quelque chose que le Très-Haut ne voulait pas qu’ils veuillent, ils ne le
voudraient pas. Et s’ils voulaient accomplir une action que Dieu ne voulait pas voir
s’accomplir, ils en seraient incapables ; Dieu ne leur en donnerait pas le pouvoir.
L’impiété et la foi, ainsi que l’obéissance et la désobéissance, participent de la volonté
et de l’autorité de Dieu. Le Très-Haut se caractérise par cette volonté depuis l’éternité, alors
que le monde était inexistant. Puis Il existencia le monde sans qu’aucune réflexion ou
préparation ajoutant à Sa science ne Lui soit nécessaire pour compenser une hypothétique
ignorance. Il est bien au-delà de cela. Il donne existence au monde selon une science
préexistante et selon cette volonté précise et prééternelle décrétant la création du monde tel
qu’il est et avec ce qu’il comporte de temps, d’espace, d’êtres et de couleurs. Nul n’est doué
de volonté en vérité dans l’existence, si ce n’est Lui. Car Il dit : « Et vous ne voulez que si
Dieu veut. »4
De même que le Très-Haut connaissait les choses et donc les décréta, qu’Il voulait et
donc les définit et qu’Il pouvait et donc les existencia, de même entent-Il et voit-Il tout ce qui
se meut ou s’exprime du monde inférieur au monde supérieur. Son ouïe n’est pas voilée par la
distance car Il est le proche ; et Sa vue n’est pas voilée par l’excessive proximité car Il est le
lointain. Il entend le discours que l’âme se tient à elle-même et le bruit de l’effleurement
inaudible. Il voit le noir dans l’obscurité et la goutte d’eau dans l’eau. Sa vue n’est pas occulté
pas le mélange, l’obscurité ou la lumière. Il est l’Oyant et le Voyant. Le Très-Haut a parlé,
non consécutivement à un silence ou à une immobilité imaginaire, mais selon les modalités
d’une parole tout aussi prééternelle que l’ensemble de Ses attributs tels que la science, la
volonté et le pouvoir. Il adressa cette Parole à Moïse - puisse-t-il trouver le salut. Il l’appela
tantôt la Révélation, le Zabur, la Thora, l’Évangile ou le Discernement. Mais on ne doit y voir
aucun anthropomorphisme et aucune forme. La Parole du Très-Haut n’a pas pour appareil une
glotte et une langue ; Son ouïe n’a pas pour appareil un tympan et un pavillon ; Sa vue n’a pas
pour appareil une pupille et des paupières ; Sa volonté n’a pas pour support un cœur ou une
faculté subtile5 ; Sa science n’est pas conduite par la nécessité et ne s’appuie pas sur des
développements inductifs ; Sa vie ne découle pas de la vapeur d’une altération du cœur issue
du mélange des éléments ; Son essence ne fait pas l’objet d’ajout ou de retrait. Gloire à Lui,
gloire à Lui, Lui qui est loin dans sa proximité, Lui dont le pouvoir est immense, dont la
bienfaisance est universelle et dont les largesses sont incommensurables. Tout ce qui est autre
que Lui procède de Son excédant de grâce et de Sa munificence et Il lui revient de dispenser
ou de retenir Sa grâce, Sa générosité et Sa justice. Lorsqu’Il voulut donner naissance à ce
monde, il le créa sublimement et parfaitement. Il n’a d’associé dans Son pouvoir et Il le met
en œuvre sans que personne n’intervienne. S’il comble de faveurs, c’est le fait de Sa grâce ; et
s’il éprouve et tourmente, c’est le fait de Sa justice. C’est sur Son royaume qu’Il exerce Son
4
5
Coran 81 : 29.
Janân.
5
autorité et ne peut donc être qualifié d’injuste ou de partial en sa gestion. Et nul n’exerce sur
Lui d’autorité légitimant qu’Il conçoive de l’inquiétude et de la crainte. Tout autre que Lui
demeure sous Son autorité contraignante, régi par Sa volonté et Son ordre. Car Il est Celui qui
inspire aux âmes des êtres responsables la piété ou l’impiété. Il est Celui qui passe sur les
fautes de Ses serviteurs ici-même ou au jour du rassemblement. Sa justice n’a pas d’autorité
sur sa grâce et Sa grâce d’autorité sur Sa justice. Il a sorti le monde de deux poignées et a créé
pour chacune une demeure. Il a décrété : « Ceux-là sont destinés au paradis et peu m’importe
qu’ils le soient, et ceux-là sont destinés à l’enfer et peu m’en importe qu’ils le soient. » Et nul
n’a protesté contre Son choix, car nul ne se trouvait là en dehors de Lui. Tout demeure sous la
gestion de Ses noms : une poignée sous la gestion de ses noms de malheurs et une poignée
sous la gestion de Ses noms de faveurs. Si Dieu – Gloire à Lui - avait voulu que tous les êtres
soient promis à la félicité, il en aurait été ainsi ; et s’Il avait voulu qu’ils soient tous promis au
malheur, Il n’aurait point été en peine de le faire. Mais, dans Sa grandeur, Il ne l’a pas voulu
et le monde fut créé comme Il l’a voulu. Si bien que les uns sont heureux et que les autres sont
malheureux, tant ici-bas qu’au jour du rassemblement. On ne saurait changer ce qu’Il a statué.
Le Très-Haut a dit que les prières sont au nombre de cinq et qu’elles sont au nombre de
cinquante6 « Ma parole ne saurait être changée et Je ne suis pas inique envers les
serviteurs. »7 Car je gère mon royaume selon Ma volonté. Cette réalité est due à un fait qui
échappe aux regards et à l’entendement des hommes, à l’exception de certains serviteurs que
Dieu gratifie d’une grâce procédant de sa divinité et d’une largesse procédant de Sa
miséricorde. De tels serviteurs sont ainsi dotés depuis le jour où ils rendirent témoignage. Ils
surent quand ils en furent informés que la divinité avait prévu ainsi le partage et que cela
relevait des subtilités inscrites en la prééternité. Gloire à Celui en dehors Duquel il n’est
d’Agent véritable ni d’être existant par soi « Et Dieu vous a créé ainsi que vos actions. »8 ;
« Il n’a pas de comptes à rendre pour ce qu’Il fait alors qu’eux ont des comptes à
rendre. »9 ; « C’est à Dieu qu’appartient l’argument péremptoire. S’Il le voulait, Il vous
guiderait tous. »10
Puis, de même que j’ai professé l’unicité de Dieu en prenant à témoin le Très-Haut, ses
anges, l’ensemble des créatures et vous-mêmes , je professe de nouveau devant ces mêmes
témoins, que je prête foi en celui que le Seigneur a élu, choisi et gratifié de son élitaire
dilection entre tous, c'est-à-dire notre souverain maître Muhammad - Dieu lui consente la
grâce et le salut. Dieu l’a mandaté auprès de l’ensemble des hommes afin de leur annoncer la
bonne nouvelle, de les mettre en garde, de les appeler à Lui par Sa permission et d’être à
l’image d’un luminaire flamboyant pour les gens. J’atteste qu’il a transmis le message que son
Seigneur lui a confié par voie de révélation, qu’il a remis le dépôt de confiance à qui de droit
et qu’il a adressé le bon conseil à la communauté. Lors du pèlerinage d’adieu, il s’adressa à
tous les fidèles présents, il les sermonna, il leur fit un rappel, il les mit en garde, il les menaça,
il leur fit part de l’heureuse promesse, il fit tomber la pluie et fit toner le ciel. Il ne s’adressa,
6
Référence au hadith où le prophète remonte voir Dieu à plusieurs reprises pour diminuer le nombre de prières
prescrite, sur les conseils de Moïse.
7
Coran 50 : 29.
8
Coran 37 : 96.
9
Coran 21 : 23.
10
Coran 6 : 149.
6
ce jour, à personne en particulier, par la permission de l’Unique et Autosuffisant. Puis il les
prit à témoin : « Ai-je bien transmis le message ? » Ils répondirent : « Tu as bien transmis le
message, ô Envoyé de Dieu. » Il déclara alors : « Sois témoins, mon Dieu. » Je crois en le
message qu’il nous a transmis, la part que j’en connais et la part que je n’en connais pas.
J’atteste que la mort survient après un terme fixé par Dieu et que lorsque ce terme échoit, il ne
peut être repoussé. Je crois en cela fermement, tout comme je crois et atteste de la réalité des
deux anges interrogeant les hommes dans la tombe. Puis le rassemblement devant Dieu, le
bassin prophétique, le tourment de la tombe, la mise en place de la balance, la présentation
des registres, le pont, le paradis, l’enfer, le fait que certains soient destinés au paradis et
d’autres à l’enfer, le fait que les uns soit affligés en ce jour et que d’autres ne soient pas
touchés par le grand effroi, l’intercession des anges, des prophètes et des croyants,
l’intercession du Miséricordieux entre tous, le fait qu’un certain nombre de musulmans ayant
commis de graves péchés entreront en enfer puis en sortiront grâce à l’intercession, l’éternelle
félicité des croyants et l’éternel tourment des impies et des hypocrites, et tout ce que les
envoyés et les prophètes ont transmis de sciences, tout cela est vrai.
Tel est le témoignage que je rends me concernant afin de le confier en dépôt à tous
ceux qui l’entendront. Que chacun le transmette si on le lui demande.
Puisse Dieu nous faire tirer profit, ainsi qu’à vous, de cette foi et la conforter en nous
lorsque nous ferons route vers la demeure des vivants, lorsque nous nous installerons dans la
résidence des honneurs et de la satisfaction et lorsque nous serons écartés du séjour infernal
où les gens sont revêtus de goudron. Plut à Dieu que nous soyons de ceux qui recevront leur
registre dans la main droite, qui s’en reviendront du bassin prophétique désaltérés, qui feront
peser un bien prépondérant dans la balance et qui traverseront le pont d’un pas ferme. Il est le
Bienfaiteur sublime. Amen.
7
Premier chapitre
Le Sheikh Muhyî ad-Dîn : Aperçu biographique
Muhyî ad-Dîn Ibn al-‘Arabî fut à ses débuts un homme influent auprès de certains
souverains du Maghreb. Puis un appel divin intérieur le saisit et il erra un temps dans les
campagnes jusqu’à ce qu’il arrive auprès d’un tombeau. Il demeura en ce lieu un certain
temps puis le quitta. C’est alors qu’il commença à prodiguer les enseignements que nous
connaissons de lui. Il ne cessa de voyager en s’arrêtant un peu partout selon la permission du
moment, léguant à chaque fois les ouvrages qu’il avait écrits durant son séjour. Son dernier
arrêt se situa à Damas. C’est là qu’il trouva la mort en 638 de l’hégire. Puisse-t-il bénéficier
de la satisfaction du Seigneur.
Il était très attaché au Coran et à la tradition prophétique. Il déclarait en ce sens :
« Quiconque renonce à mesurer les choses à l’aune de la voie légale un seul instant court à sa
perte. » Nous verrons plus loin ce qu’il dit à ce sujet. Il déclarait aussi : « Le Très-Haut est
différent de tout ce qui peut te venir à l’esprit Le concernant. » C’est ce que professeront les
gens du consensus jusqu’au jour du jugement.
Si certains de ses propos sont incompris de ses semblables, c’est qu’ils sont trop
sublimes ; et si d’autres semblent aller à l’encontre de ce que dit explicitement la voie légale,
c’est qu’il s’agit de propos introduits dans son œuvre à son insu. C’est ce dont m’a informé
mon maître, le Sheikh Abû at-Tâhir al-Maghribî qui résidait à la cité anoblie de La Mecque. Il
me montra à cette occasion un exemplaire des Futûhât qu’il avait pris le soin de comparer à
l’exemplaire écrit de la main du Sheikh conservé à Konya. Je n’y vis rien de ce qui m’avait
gêné et de ce que j’avais omis dans mon résumé des Futûhât.
On sait que des hérétiques avaient glissé sous l’oreiller de l’imam Ahmad Ibn Hanbal
des feuillets contenant des idées déviantes, lorsqu’il était sur son lit de mort. Si ses
compagnons n’avaient pas été assurés de sa conforme doctrine, ils se seraient laissé troubler
par ces écrits.
Il est arrivé une affaire semblable au Sheikh Majd ad-Dîn al-Fayrûzâbâdî, l’auteur du
Qâmûs. D’aucuns lui attribuèrent un livre contestant Abû Hanîfa et le qualifiant d’hérétique.
Ils envoyèrent ce livre à Abû Bakr al-Khayyât al-Yamanî al-Baghawî. Celui-ci écrivit au
Sheikh Majd ad-Dîn pour lui en faire reproche. Mais l’auteur du Qâmûs lui répondit : « Si tu
mets la main sur cet ouvrage, brûle-le. Il s’agit d’un faux que mes ennemis m’attribuent. Je
suis pour ma part un très fervent partisan de l’Imâm Abû Hanîfa. J’ai même consacré un livre
entier à sa gloire. »
D’autres ont glissé un certain nombre de propos dans l’Ihyâ’ ‘Ulûl ad-Dîn de l’Imâm
al-Ghazâlî. Le Qâdî ‘Iyâd se procura l’un de ces exemplaires et ordonna qu’on le fasse brûler.
Je fus moi-même victime de telles falsifications dans mon livre Al-bahr al-mawrûd. D’aucun
y insinuèrent un certain nombre de positions doctrinales déviantes et les firent circuler en
Egypte et à La Mecque durant trois ans. J’étais parfaitement innocent de ces propos et je
l’indiquais dans la préface du livre lorsque je réécrivais celle-ci. Les savants souscrivirent à
cet ouvrage et me donnèrent licence. L’incident ne fut clos qu’après que j’ai eut envoyé dans
les régions concernées l’ouvrage signé de la main des Sheikhs. Un de ceux qui prirent ma
8
défense est le Sheikh et Imâm Nâsir ad-Dîn al-Liqânî al-Mâlikî – que Dieu soit satisfait de lui.
Puis des jaloux firent circuler en Égypte et à La Mecque la nouvelle que les savants d’Égypte
étaient revenus sur leur avis favorable concernant tous mes ouvrages. Ce qui suscita de
nouveau le doute dans l’esprit de certains. J’envoyais donc la copie aux savants pour la
troisième fois et ils écrivirent sous leurs propres traits : « Par Dieu, celui qui prétend que nous
sommes revenus sur notre avis favorable concernant cet ouvrage et les autres ouvrages d’un
tel11 sont des menteurs. »
J’évoquerais là ce qu’a dit à cette occasion notre Maître et Sheikh Nâsir ad-Dîn alMâlikî – puisse Dieu lui prêter longue vie. Il commença en rendant gloire à Dieu puis
déclara : « L’information selon laquelle ce serviteur que je suis serait revenu sur ses écrits
concernant cet ouvrage et les autres ouvrages d’un tel, est mensongère, mensongère,
mensongère. Par Dieu, je ne suis jamais revenu sur cela et je n’ai jamais eu l’intention de le
faire. Je ne vois rien en ses écrits d'erroné et je suis convaincu qu’il n’a pas changé de position
conformément à ce qu’il dit. Je témoigne devant Dieu que je crois en son propos et en sa
probité. Il ne convient donc pas de prêter l’oreille aux propos de ceux qui ne craignent pas
Dieu. » Ce sont là les termes qu’il employa à la fin du Kitâb al-‘Uhûd. Il fit suivre ce
témoignage du texte de licence qu’il avait rédigé précédemment en ma faveur. Et l’imam
accompli, le Sheikh Shihâb ad-Dîn ar-Ramlî ash-Shâfi‘î – que Dieu lui fasse miséricorde –
consigna des mots semblables.
Sachant cela, on est en droit de penser que des hommes envieux ont pu insinuer des
propos contrefaits dans les ouvrages du maître comme il l’on fait dans les miens. Car, pour
ma part, j’ai constaté à mes dépens que les gens de mon époque en étaient capables. Puisse
Dieu nous pardonner et leur pardonner, amîn !
Parmi ceux qui, à l’inverse, se sont employés à faire l’éloge du Maître et de ses écrits,
compte le Sheikh Majd ad-Dîn al-Fayrûzâbâdî, l’auteur du fameux dictionnaire al-Qâmûs. Il
déclara : « Nous n’avons jamais entendu parler d’un homme de la voie parvenu à un aussi
haut niveau de connaissance dans le domaine des sciences légales 12 et des sciences
spirituelles13, que le Sheikh Muhyî ad-Dîn Ibn ‘Arabî. » Il était du reste très attaché à sa
doctrine et prenait à partie quiconque en disait du mal. Il rapporta que durant une longue
période les gens souscrivirent massivement aux convictions du Maître et recopièrent ses écrits
à l’encre d’or, de son vivant d’abord, puis après sa mort. Jusqu’à ce que – Dieu imposant sa
volonté – un homme du Yémen, nommé Jamâl ad-Dîn Ibn al-Khayyât, se dresse contre lui et
écrive certaines choses dans un rouleau de papier, puis les envoie aux savants du monde
musulman en prétendant qu’il s’agissait des positions doctrinales du Sheikh Muyî ad-Dîn Ibn
al-‘Arabî. Il y mentionnait des idées déviantes et des convictions contraires à la position
consensuelle des musulmans. Alors, les savants rédigèrent sans circonspection des réponses à
ces idées en se basant sur ces affirmations et ils condamnèrent fermement quiconque les
adoptait. Mais le Sheikh était en dehors de tout cela.
11
C'est-à-dire de l’auteur, ash-Sha‘rânî.
Sharî‘a.
13
Haqîqa.
12
9
Al-Fayrûzâbadî déclara en outre : « Je ne sais si Ibn al-Khayyât a trouvé ces idées dans
un livre contrefait du Maître ou s’il a lui-même compris de travers ses paroles. » Et il ajouta :
« Pour ma part, je déclare et j’affirme en prenant Dieu à témoin, que le Sheikh Muhyî ad-Dîn
était un maître de la voie, tant par son état spirituel que par sa science ; qu’il était l’imam de la
réalisation spirituelle, tant dans son être spirituel que dans son être physique ; qu’il était le
vivificateur des sciences des gnostiques, tant par son action que par son nom 14. La pensée de
l’homme sonde-t-elle un des aspects de sa grandeur qu’elle se noie. Car il est un océan dont
les seaux ne sauraient atteindre le fond et un nuage que les flots ne sauraient tarir. Il traversait
les sept cieux par sa sublime aspiration et une once de ses bénédictions remplissait l’horizon.
Non, assurément, il était au-dessus de ce que je décris et plus éloquent que ce que j’en
retranscris. Et j’entretiens en conséquence la ferme conviction de ne pas l’avoir dignement
dépeint.
J’exprime mon credo : c’est chose légitime.
Dédaigne l’ignorant qui indument me brime !
Par Dieu, par Dieu l’immense, et par cette figure
Dont il fit en la foi la référence sûre,
En le peu que j’ai peint de sa magnificence,
Je n’ai fait qu’ajouter à mon insuffisance !
Il a dit aussi : « Quant à ses ouvrages – Dieu lui fasse miséricorde – ils sont ces océans
féconds auxquels on ne sait de pareils. Une de leurs particularités est que tout homme les
consultant avec assiduité y trouve la solution à des questions insondables de la religion. Ce
qui n’est le cas d’aucun autre ouvrage. Quant à l’avis des négateurs selon lequel il serait
interdit de lire ses livres ou d’en donner la lecture, c’est une parole impie. Un jour, des gens
me posèrent une question qui voulait dire en substance : « Que penses-tu des ouvrages
attribués au Sheikh Muhyî ad-Dîn Ibn ‘Arabî, tels que Fusûs al-Hikam ou Al-Futûhât. Peut-on
les lire ou en donner la lecture. Et sont-ils des ouvrages transmis par lecture ou non. » Je
répondis : « Oui, ce sont des ouvrages transmis par lecture. Al-Hâfiz al-Barzalî et d’autres en
on fait la lecture en sa présence. A Konya, j’ai vu la licence qui fut accordée à ce premier
écrite de la main du Sheikh Muyî ad-Dîn dans la marge des Futûhât. Il y avait aussi l’écriture
des savants et des spécialistes du hadîth qui se sont succédés à cette lecture. Aussi, la
consultation des livres du Sheikh constitue-t-elle en soi une action pieuse permettant de se
rapprocher de Dieu. Quiconque défend un autre avis est un ignorant et un dévoyé. Car par
Dieu, le Sheikh bénéficiait de la plus haute autorité et il est plus que quiconque la référence
dans la doctrine que nous professons et dans le culte que nous rendons à Dieu, contrairement
à ce groupe de gens pris par Dieu en aversion qui interdisent aux autres de bénéficier de ses
enseignements et entachent son honneur de façon calomnieuse et fallacieuse. Loin s’en faut
que sa très noble personne contrevienne à la parole de son prophète, lequel l’a chargé de
veiller sur la voie qu’il a tracée. C’est pourquoi ceux qui le contestent se trouvent dans une
bien dangereuse posture.
14
Le nom du Maître, Muhyî ad-Dîn, veut dire le vivificateur de la tradition.
10
Il m’échoit seulement d’assonancer les mots,
Peu me chaud que mes vers soient incompris des vaux ! »
Ici prennent fin les paroles du Sheikh Majd ad-Dîn – que Dieu lui fasse miséricorde.
Sirâj ad-Dîn al-Makhzûmî, lui qui était la référence des Sheikhs de la région du Shâm
a dit : « Gardez-vous de condamner un quelconque propos du Sheikh Muhyî ad-Dîn Ibn
‘Arabî, car la viande des saints est empoisonnée 15. Il est connu que ceux qui les prennent en
aversion perdent leur religion et meurent chrétiens, et que Dieu endurcit le cœur de ceux qui
les insultent. Abû ‘Abd Allâh al-Qurashî disait en ce sens : « Quiconque déprécie un saint
protégé du Très-Haut sera frappé au cœur d’une flèche empoisonnée et ne mourra pas avant
d’avoir adopté une doctrine dévoyée. On peut craindre pour un tel homme l’issue funeste. »
Abû Turâb an-Nakhshabî disait pour sa part : « Lorsqu’un cœur s’accoutume à se détourner
de Dieu, il finit de surcroît pas entacher l’honneur de Ses saints. »
Le Sheikh Majd ad-Dîn al-Fayrûzâbadî a dit aussi : « J’ai vu une licence écrite de la
main du Sheikh adressée à Baybars, souverain de la ville d’Alep. Le texte mentionnait à la
fin : « Je lui donne également licence de transmettre mes ouvrages, parmi lesquels tels et tels
livres… » Il dénombra quelque quatre cents ouvrages dont son grand commentaire du Coran
composé de quatre-vingt-quinze tomes qu’il rédigea jusqu’au verset « Et nous lui avons
dispensé une science procédant de Nous »16 avant que Dieu ne choisisse de le rappeler à Sa
présence. Il mentionna également son petit commentaire composé de huit tomes rédigés à la
façon des commentateurs de référence 17, ainsi que son livre Ar-Riyâd al-Firdawsiyya fî Bayân
al-ahâdith al-qudsiyya18. » Un musulman peut-il frapper d’interdit la lecture de l’ensemble
des livres du Sheikh après tout cela. C’est un acte d’impiété, de parti pris rigide et de vain
entêtement.
Parmi ses laudateurs compte également le Sheikh Kamâl ad-Dîn az-Zamalkânî –Dieu
lui fasse miséricorde – lequel était un des plus éminents savants du Sham ; ainsi que le Sheikh
Qutb ad-Dîn al-Hamawî. Lorsque celui-ci revint du Sham vers ses terres d’origine, on lui
demanda : « Qu’as-tu pensé du Sheikh Muhyî ad-Dîn ? » Il répondit : « Il est en fait de
science, d’ascèse et de connaissance spirituelle, un océan sans rivage. » Puis il récita quelques
vers parmi lesquels :
Nous avons traversé d’impétueuses mers
Comment sauraient les gens où nos pas nous portèrent.
Parmi ses laudateurs compte encore le Sheikh Salâh ad-Dîn as-Safadî. Il déclara dans
son ouvrage Ta’rîkh ‘ulamâ’ Misr19: « Si quelqu’un veut connaître les paroles des adeptes des
15
Allusion au verset coranique qui dit en substance que calomnier quelqu’un revient à manger sa dépouille.
Coran 18 : 65.
17
Muhaqqiqîn.
18
Les jardins paradisiaques du commentaire des paroles prophétiques sanctifiées.
19
Histoire des savants d’Égypte.
16
11
sciences ésotériques, qu’il consulte les ouvrages du Sheikh Muhyî ad-Dîn Ibn al-‘Arabî –
Dieu lui fasse miséricorde. »
On interrogea al-Hâfiz Abû ‘Abd Allâh adh-Dhahabî au sujet de la parole d’Ibn
‘Arabî, dans son livre Al-Fusûs selon laquelle il aurait écrit ce livre avec la permission de la
présence prophétique. Il répondit : « Je ne pense pas que quelqu’un comme le Sheikh Muhyî
ad-Dîn puisse mentir sciemment. » Pourtant al-Hafiz adh-Dhahabî, avec Ibn Taymiyya,
comptait parmi les plus sévères critiques du Sheikh et des adeptes de la voie soufie qu’il
prônait.
Parmi ses laudateurs compte également le Sheikh Qutb ad-Dîn ash-Shîrâzî. Celui-ci
disait : « Le Sheikh Muhyî ad-Dîn avait une parfaite maîtrise des sciences légales et des
sciences spirituelles. Seuls attentent à son honneur ceux qui ne comprennent pas ses propos et
n’y prêtent pas foi. De même que ne mettent en doute la perfection des prophètes - puisse
Dieu leur consentir la grâce et le salut – en les accusant de folie ou de sorcellerie, que ceux
qui ne croient pas en eux ». Le Sheikh Mu’ayyid ad-Dîn al-Khashnadî disait : « Nous n’avons
pas entendu parler d’un homme de la voie ayant acquis une connaissance comparable à celle
du Sheikh Muhyî ad-Dîn. » C’est également ce que disaient le Sheikh Shihâb ad-Dîn asSuhrawardî et le Sheikh kamâl ad-Dîn al-Kâshî. Ils le définissaient comme un maître
accompli et réalisé spirituellement, et comme un homme de parfaites vertus et fécond de
miracles. Or ces Sheikhs étaient les plus sévères détracteurs de quiconque allait à l’encontre
de la voie légale.
Un autre de ces laudateurs est Fakhr ad-Dîn ar-Râzî. Il a dit : « Le Sheikh Muhyî adDîn était un immense savant. »
On demanda à l’imam Muhyî ad-Dîn an-Nawawî son avis au sujet du Sheikh Muhyî
ad-Dîn Ibn ‘Arabî et il répondit : « Ce sont là des communautés passées. »20 Mais ce que
nous savons est que tout être raisonnable doit s’interdire de préjuger négativement d’un saint
protégé de Dieu, exalté soit-Il. Il convient toujours qu’il cherche à interpréter leurs paroles et
leurs actions de la meilleure façon tant qu’il n’a pas atteint leur niveau. Seul un être mal
assisté par la providence se soustrait à cela. » Et il a dit dans le Sharh al-Muhadhdhab : « Puis
lorsque quelqu’un interprète leurs paroles, il convient qu’il leur donne soixante-dix sens
possibles. Nous n’acceptons pas qu’il se limite à un seul sens, car cela dénoterait une pensée
très obtuse.
Parmi ses laudateurs compte aussi l’imam Ibn As‘ad al-Yâfi‘î. Il fit expressément état
de l’immense sainteté du maître comme le rapporte le Sheikh Zakariya dans son commentaire
de l’ouvrage Ar-Rawd. Et al-Yâfi‘î donnait licence de transmettre les ouvrages du Sheikh
Muhyî ad-Dîn. Il disait aussi : « La réprobation que ces ignorants expriment à l’encontre des
gens de la voie est comparable au souffle qu’exerce un moustique sur une montagne dans
l’espoir de la déplacer. S’en prendre aux saints revient à s’en prendre à Dieu, même si
l’individu n’en arrive pas au niveau d’impiété le destinant à demeurer éternellement dans le
feu. »
20
Coran 2 : 134.
12
Parmi nos maîtres ayant fait son éloge compte Muhammad al-Maghribî ash-Shâdhilî,
le Sheikh de Jalâl ad-Dîn as-Suyûtî. Il dit de lui dans la biographie qu’il en fait : « Il était
l’éducateur des gnostiques comme al-Junayd était l’éducateur des aspirants. » Il dit
également : « le Sheikh Muhyî ad-Dîn est l’esprit des sciences inspirées et des supports
spirituels providentiels ; il est la lettre Alif de l’existence, la source de vision contemplative et
la lettre hâ’ du contemplé 21 ; il est le continuateur de la voie du Prophète arabe – que Dieu
sanctifie son secret et élève son nom en l’existence. »
Le Sheikh Sirâj ad-Dîn al-Makhzûmî a composé un ouvrage en réponse aux
détracteurs du Sheikh Muhyî ad-Dîn. Il y dit : « Comment un être de notre niveau peut-il se
permettre de dénigrer des propos qu’il ne comprend pas dans les Futûhât ou d’autres ouvrages
du Maître, alors que près d’un millier de savants les ont validés. » Il dit aussi : « Un groupe de
grands savants shaféites et d’autres écoles se sont employés à commenter son livre Al-Fusûs.
Parmi ces savants, compte le Sheikh Badr ad-Dîn Ibn Jamâ‘a. Ses ouvrages se sont largement
diffusés dans les grandes villes. Le texte du Sheikh et le commentaire en question sont
consultés dans la plupart des régions. Nous avons eu l’occasion de le lire à haute voix dans la
mosquée des Omeyyades entre autres en indiquant la chaine de ceux qui l’ont transmis. Voilà
bien longtemps que les gens paient un prix élevé pour l’acquérir et le recopier. Ils espèrent
ainsi bénéficier de la bénédiction de ces livres ainsi que de leur auteur, informés de sa grande
ascèse, de sa science et de ses vertus. Les grands savants du Sham et de La Mecque de son
époque le tenaient pour référence, aspiraient à son savoir et se considéraient insignifiants face
à sa science. Qui donc peut encore dénigrer le Sheikh, à part un ignorant ou un opiniâtre.
Le Sheikh al-Fayrûzabadî – que Dieu lui fasse miséricorde - déclara encore, après
avoir évoqué les mérites du Sheikh Muhyî ad-Dîn : « Puis le Sheikh Muyî ad-Dîn résidait au
Sham et c’est là qu’il a fait connaitre ces sciences. Or les savants de cette région ne se s’y sont
pas opposés. » Il ajoute : « Le Grand Cadi Shaféite, le Sheikh Shams ad-Dîn al-Khunûjî, le
servait comme un esclave. Quant au grand Cadi malékite, il fut impressionné par un regard du
Sheikh et il lui donna sa fille en mariage. Puis il renonça à exercer sa fonction pour suivre sa
voie. » Al-Fayrûzâbâdî évoqua ainsi les mérites du Sheikh avec prolixité puis il ajouta : « En
somme, n’ont critiqués le Sheikh que quelques jurisconsultes impertinents n’ayant aucune
part à la science infuse des gens de réalisation spirituelle. Mais pour ce qui est des savants
dans leur majorité et des soufis, ils le reconnaissaient comme l’imam des gnostiques et des
adeptes de l’unicité ; et ils voyaient en outre en lui un savant unique et exceptionnel dans les
sciences exotériquesapparentes. » Le Sheikh ‘Izz ad-Dîn Ibn ‘Abd as-Salâm disait ainsi :
« S’il est arrivé à certain de critiquer le Sheikh, s’était par mansuétude envers les
jurisconsultes peu avertis et imparfaitement dotés des dispositions des aspirants. Car ils
craignaient que ceux-ci interprètent les paroles du Sheikh selon un sens non conforme à la
voie légale et qu’ils s’égarent. Si ces savants côtoyaient davantage les aspirants de la voie, ils
comprendraient leur terminologie et se mettraient à l’abri de tout fait contrevenant à la voie
légale. Le Sheikh al-Makhzûmî référence en matière de religion, a dit : « Le Sheikh Muhyî
ad-Dîn était installé dans la région du Shâm et l’ensemble des savants de cette région venaient
21
La lettre hâ’ evoque ici le pronom personnel « lui », qui fait référence à Dieu.
13
le voir et reconnaissaient sa haute valeur ; ils voyaient en lui le maître des gnostiques et ne lui
opposaient pas la moindre critique. Durant la trentaine d’années qu’il demeura parmi eux, ils
recopièrent ses ouvrages et les firent circuler parmi eux. »
Al-Fayrûzâbâdî déclara également : « Le Sheikh Muhyî ad-Dîn était un océan sans
rivage. Lorsqu’il séjourna à La Mecque – que Dieu anoblisse celle-ci – la cité était le lieu de
rencontre de la nouvelle génération de savants. Or le Sheikh était pour eux la référence dans
toutes les sciences dont ils s’entretenaient. Chacun s’empressait d’aller assister à ses
assemblées et aspirait à bénéficier de la bénédiction de sa présence. Les gens lisaient auprès
de lui ses ouvrages. Rien ne témoigne mieux de ce fait que la présence de ses livres dans les
bibliothèques de La Mecque jusqu’à nos jours. Dans la citée sacrée, il s’employa
principalement à l’apprentissage et à l’enseignement du hadith. C’est là qu’il composa les
Futûhât Makkiyya. Il les rédigea de mémoire en réponse à une question que lui posa son élève
Badr al-Habashî. Lorsqu’il eut achevé de l’écrire, il déposa l’ouvrage sur le toit de la très
vénérée Ka’ba. Celui-ci y demeura un an. Puis le Maître le fit descendre et le retrouva tel qu’il
l’avait déposé : pas une page n’était mouillée ou cornée par le vent, bien que les pluies et les
vents ne soient pas rares à La Mecque. Il n’autorisa les gens à le recopier et le lire qu’après
cela.
Quant à la rumeur propagée par des détracteurs selon laquelle le Sheikh ‘Izz ad-Dîn
Ibn ‘Abd as-Salâm et notre maître le Sheikh Sirâj ad-Dîn al-Balqînî auraient ordonnés de faire
brûler les ouvrages du Sheikh Muhyî ad-Dîn, elle est parfaitement mensongère. Si ses
ouvrages avaient été brulés, il n’en resterait pas un exemplaire en Egypte ou dans la région du
Sham, et personne n’aurait entrepris de les recopier après que ces deux Sheikhs aient
prononcé un tel arrêt. Loin s’en faut qu’ils aient pu dire une telle chose. Puis si un tel
événement s’était réellement produit, il ne serait pas passé inaperçu. Car il est question de
faits graves dont les coursiers propagent d’ordinaire la nouvelle jusqu’à travers des terres
lointaines, et que les historiens s’empressent de consigner.
Le Sheikh Sirâj ad-Dîn al-Makhzûmî a dit: « Notre Maître, le Sheikh Sirâj ad-Sîn al-Balqînî,
ainsi que le Sheikh Taqiyy ad-Dîn as-Subkî critiquèrent le Sheikh à leurs débuts, puis ils
revinrent sur ce jugement lorsqu’ils eurent pu établir le sens et l’intention de ses paroles. Ils
regrettèrent même leurs excès à son endroit et lui accordèrent crédit sur les paroles qui leur
posaient problème. »
L’Imâm as-Subkî déclare dans ses notes biographiques sur le Maître : « Le Sheikh
Muhyî ad-Dîn était un prodige du Très-Haut. Le mérite de son temps lui avait dévolu ses clés
et avait dit : « je ne reconnais que lui. »
Le Sheikh Sirâj ad-Dîn al-Balqînî lorsqu’il fut interrogé à son sujet déclara notamment
: « Gardez-vous de contester une quelconque parole du Sheikh Muhyî ad-Dîn. Car ayant été
immergé dans les océans de connaissance et ayant sondé les vérités, à la fin de sa vie, il
employa à travers Al-fusûs, Al-futûhât, ou Al-tanazzulât al-Mawsilyah des expressions qui
n’échappent pas aux hommes d’intuition de son niveau. Mais des gens trop aveugles pour
distinguer sa voie vinrent hélas par la suite. Ils jugèrent que le maître se fourvoyait et
l’accusèrent même d’hérésie sur la base de ces expressions, n’étant pas initiés à sa
terminologie. Ils ne prirent pas même la peine d’interroger des personnes susceptibles de les
14
leur expliciter. Car de fait, les paroles du maître – que Dieu soit satisfait de lui – sont
parsemées de symboles, de subtiles intertextualités, d’allusions, de logiques internes,
d’ellipses, etc, dont lui et ses semblables ont la connaissance, mais dont les ignorants ne
peuvent pénétrer le sens. Si ces gens avaient considéré sa terminologie et en avaient saisit la
réelle signification et la réelle portée, et s’ils en avaient maitrisé les règles, ils auraient obtenu
les résultats attendus et n’auraient pas exprimé une doctrine différente de la sienne. »
Il déclara par ailleurs : « Par Dieu, quiconque lui attribue la doctrine de la fusion
consubstantielle22 ou de l’union23 est un menteur et un calomniateur. J’ai suivi de près ses
propos en matière de doctrine et d’autres sciences, puis j’ai sondé longuement les
enseignements hermétiques et les liens subtils tramant ses paroles, et j’en ai finalement conclu
en toute certitude qu’il était dans le vrai. J’ai ainsi rejoint l’immense majorité de gens rangés à
ses convictions. J’ai alors rendu gloire au Très-Haut de ne m’avoir pas inscrit dans le registre
des contestataires de son rang, des inconscients et des négateurs de ses miracles et de ses
dispositions spirituelles. »
L’élève de Sirâj ad-Dîn al-Balqînî, le Sheikh en matière de religion, al-Makhzûmî –
que Dieu lui fasse miséricorde raconte quant à lui : « En 804, l’année où est mort notre maître
Sirâj ad-Dîn al-Balqînî, lorsque j’arrivais au Caire, je racontais au maître les propos que
j’avais entendus de la bouche de certaines personnes du Shâm au sujet du Sheikh Muhyî adDîn, à savoir, que celui-ci professait la doctrine de la fusion consubstantielle et de l’union. Il
me répondit : « A Dieu ne plaise ! Loin s’en faut qu’il professe une telle chose. Il fait au
contraire partie des plus grands imams et des gens immergés dans les mers des sciences du
Coran et du Hadith. Il dispose d’un immense crédit auprès de Dieu et auprès des gens de la
voie. Il est gratifié d’une très haute dignité dans la présence du Seigneur. » Al-Makhzûmî dit
aussi : « Mon âme se renforça par ces propos et ma confiance en le Sheikh s’accrut
immédiatement. Je sus qu’il comptait au nombre des grandes références sunnites. »
Al-Makhzûmî ajoute : « J’ai entendu dire que le Sheikh Taqî ad-Dîn as-Subkî consigna
quelques mots à l’encontre du Sheikh Muhyî ad-Dîn dans son commentaire du Minhâj, puis
qu’il se repentit ensuite et les en supprima. Aussi, quiconque retrouve ces mots dans une copie
du livre, se doit-il de les supprimer comme le fit l’auteur dans sa copie originale. Et bien
qu’as-Subkî ait rédigé un ouvrage en réplique aux anthropomorphistes et aux Rafidites, et
bien qu’il se fut employé à récuser à l’écrit certaines positions d’Ibn Taymiyya, il n’a rien
entrepris d’écrire pour contester le Sheikh Muhyî ad-Dîn. Pourtant, les positions de celui-ci
étaient connues dans la région du Shâm et ses livres étaient étudiés dans la mosquée des
Omeyyades et d’autres mosquées. Il disait même : « Il ne m’appartient pas de contester les
soufis, car ils se situent à un rang trop élevé. » C’est également ce que disait le Sheikh Tâj adDîn Farkâh.
Al-Makhzûmî, après avoir fait un prolixe éloge du Sheikh Muhyî ad-Dîn déclare : « Si
quelqu’un prétend que le Sheikh Taqî ad-Dîn as-Subkî ou le Sheikh Sirâj ad-Dîn al-Balqînî
ont gardé une position contestataire vis-à-vis du Sheikh Muhyî ad-Dîn jusqu’à leur mort, il
fait erreur. » Il dit par ailleurs : « Lorsque notre Sheikh as-Sirâj al-Balqînî entendu dire que le
22
23
Hulûl.
Ittihâd.
15
Sheikh Badr ad-Dîn as-Subkî, cet éminent savant de la région du Shâm, avait contesté le
Sheikh Muhyî ad-Dîn sur deux points précis de son livre Al-Fusûs, il lui envoya un écrit qui
mentionnait notamment : « Grand Cadi, garde-toi, oui garde-toi de récuser les saints du
Seigneur. Si tu ne peux t’abstenir de critiquer les ouvrages, donne la réplique à ceux qui
contestent le Sheikh. Sans quoi renonce à ton entreprise. »
On avait demandé à al-‘Imâd Ibn Kathîr –Dieu lui fasse miséricorde - son avis sur les
gens qui considèrent le Sheikh Muhyî ad-Dîn dans l’erreur. Il avait répondu : « Je crains que
ceux qui le voient dans l’erreur ne soient eux-mêmes dans l’erreur. Certains l’ont critiqué et
ont fini par se perdre. »
Le Sheikh Badr ad-Dîn Ibn Jamâ‘a fut également interrogé au sujet du Sheikh Muhyî
ad-Dîn. Il déclara : « Qu’avez-vous à remettre en question un homme que les gens tiennent
unanimement en haute estime ? »
Le Sheikh al-Makhzûmî dit encore : « Quant au propos rapporté par certains, selon
lequel le Sheikh ‘Izz ad-Dîn Ibn ‘Abd as-Salâm aurait qualifié Ibn al-‘Arabî d’hérétique, il est
parfaitement mensonger. »
Le Sheikh Salâh ad-Dîn al-Qalânisî, l’auteur de l’ouvrage Al-fawâ’id, nous a rapporté,
d’après certains de ses maîtres, que le serviteur du Sheikh ‘Izz ad-Dîn Ibn ‘Abd as-Salâm, fit
un jour le récit suivant : « Nous assistions à un cours du Sheikh ‘Izz ad-Dîn concernant le
chapitre de l’apostasie. Celui qui faisait la lecture évoqua le mot hérétique24. Quelqu’un
demanda : « S’agit-il d’un mot arabe ou d’un mot étranger ? » Un savant déclara : « Il s’agit
d’un mot persan arabisé. Il désigne étymologiquement une personne qui cache son impiété et
se prétend croyante. » Un étudiant demanda : « Comme qui ? » Un homme qui se trouvait à
côté du Sheikh ‘Izz ad-Dîn Ibn ‘Abd as-Salâm déclara : « Comme Muhyî ad-Dîn Ibn al‘Arabî. » Le Sheikh se tut. Puis lorsque je lui apportais son diner pour rompre sa journée de
jeûne, je lui demandais : « Qui est le pôle. » Il répondit en souriant : « A notre époque, je ne
vois que le Sheikh Muhyî ad-Dîn Ibn al-‘Arabî. » Je baissais la tête perplexe un instant. Puis il
reprit : « Qu’as-tu donc ? Il s’agissait d’une assemblée de jurisconsultes, je ne pouvais faire
autrement que me taire. » Al-Makhzûmî indique que ce récit est rapporté selon une chaine de
transmetteurs authentique.
Le Sheikh al-Makhzûmî a consigné tous ces témoignages dans son livre Kashf alghitâ’ ‘an asrâr kalâm ash-Sheikh Muhyî ad-Dîn.25 Le Sheikh Al-Jalâl as-Suyûtî a écrit pour
sa part un livre en réponse aux détracteurs du Sheikh Muhyî ad-Dîn. Il a intitulé celuici Tanbîh al-ghabî fî tabri’a Ibn al-‘Arabî.26 Il a également rédigé un ouvrage intitulé Qam‘
al-mu‘ârid fî nusrat Ibn al-Fârid27 au moment où éclata la sédition au sujet du Sheikh Burhân
ad-Dîn al-Biqâ ‘î en Egypte. Le lecteur pourra consulter ces ouvrages s’il le souhaite.
24
Zindîq.
De l’explicitation des paroles du Sheikh Muhyî ad-Dîn.
26
Disculpation d’Ibn al-‘Arabî à l’usage des sots.
27
Le musellement des détracteurs, pour la défense d’Ibn al-Fârid.
25
16
Chapitre deux
Approche de certaines paroles attribuées au Sheikh Muhyî adDîn28
Sache – que Dieu te fasse miséricorde – qu’il ne convient pas de discréditer les gens
de la voie avant de connaître la terminologie sur laquelle s’appuie leur discours. C’est à la
condition de maitriser cette terminologie que l’on peut éventuellement condamner telle ou
telle parole.
Le Sheikh Fayrûzâbâdî, l’auteur du dictionnaire connu sous le nom d’Al-qamûs, a dit à
ce sujet : « Il n’appartient à personne de juger d’un homme de la voie sur des apparences. Car
leur niveau de compréhension et de dévoilement est extrêmement haut. Jamais n’avons-nous
entendu dire que l’un d’eux ait incité à une conduite délétère pour la religion ou qu’il ait
détourné quelqu’un de l’ablution, de la prière ou d’une autre prescription obligatoire, ou
même d’un acte louable. Le fait est simplement qu’ils professent des propos trop subtils pour
être entendus de tous.
Il arrive qu’ils se hissent à des stations spirituelles singulières et des degrés de savoir
inconnus dont le Coran et la Sunna ne font pas mention explicitement. Mais, les grands
savants mettant en œuvre leur savoir29 savent en montrer subtilement le lien avec ces textes de
référence par leur très experte glose de ceux-ci, forts de leur estime des saints. Hélas, tout le
monde n’est pas capable de circonspection lorsqu’il entend un propos qu’il ne comprend pas.
Au contraire, les gens sont souvent prompts à condamner les auteurs de ces propos ; l’homme
a été créé ainsi qu’il est impatient de nature.
Abû al-‘Abbâs Ibn Sarîj, dont le niveau de science et de compréhension ne t’échappera
pas, s’était déguisé un jour et était parti assister à une assemblée d’Abû al-Qâsim al-Junayd
afin de pouvoir entendre directement quelques-unes de ces paroles soufies dont il entendait
parler. Lorsqu’il s’en revint, on lui demanda ce qu’il avait entendu. Il répondit : « Je n’ai rien
compris de ce qu’il a dit, mais le tour de son propos n’était pas celui d’un séditieux. » »
Le Sheikh Fayrûzâbâdî a dit également : « De même que le Très-Haut a accordé aux saints
d’accomplir des prodiges, lesquels sont un prolongement des miracles prophétiques, ainsi
n’est-il pas surprenant qu’Il leur ait aussi accordé d’exprimer des paroles impénétrables pour
les savants les plus avisés. »
La référence en matière de religion, le Sheikh al-Makhzûmî disait aussi : « Il n’appartient
à aucun savant de dénigrer un soufi, à moins qu’il suive lui-même leur voie et qu’il constate
que leurs actions et leurs paroles contreviennent aux prescriptions du Coran et de la Sunna. Il
28
Fin du titre : et de la mention de personnalités également reniées qui sont autant d’exemples au crédit du
Sheikh.
29
L’auteur précise que seuls les savants mettant en pratique leur science acquièrent le surcroît de connaissance
permettant cette compréhension. L’auteur des ‘Awârif al-Ma‘ârif, Shihâb ad-Dîn as-Sohrawardi, l’explique
ainsi : « Les soufis, pour leur part, lorsqu’ils acquièrent par l’étude une quelconque connaissance, traduisent cette
connaissance théorique en action. Et le fait de la traduire en action engendre en eux la science de l’expérience.
Ils ont donc une science théorique semblable à celle des savants, mais ils se distinguent de ceux-ci par une
science supplémentaire qui est celle de l’expérience. Or la science de l’expérience consiste en la compréhension
profonde de la religion. (‘Awârif al-Ma‘ârif, Chap.1) (note de traducteur).
17
n’est en aucun cas permis de les condamner ou de les dénigrer sur la base de simples
rumeurs. » Le Sheikh s’étendit longuement sur le sujet et conclut finalement : « En somme,
avant que quiconque puisse songer à condamner l’un d’entre eux, il convient qu’il respecte
soixante-dix conditions. Parmi ces conditions comptent les suivantes :
- Une connaissance approfondie des miracles des prophètes selon leurs degrés
respectifs, ainsi que des prodiges des saints selon leurs degrés respectifs également. Il
doit prêter foi en ces miracles et avoir la conviction que les saints héritent des
prophètes l’ensemble de leurs prodiges, à l’exception de quelques-uns.
- Une connaissance d’ensemble des ouvrages d’exégèse et de glose coranique, ainsi que
des conditions nécessaires à l’exégèse.
- Une connaissance approfondie de la langue arabe incluant les formes de rhétorique
comme la métonymie et la métaphore, afin qu’il puisse comprendre les sens visés sans
se méprendre.
- Une bonne connaissance des positions doctrinales respectives des savants les plus
anciens autant que des plus récents, concernant les versets relatifs aux attributs divins.
Il devra savoir qui les interprétait selon leur sens apparent et qui les interprétait selon
un sens métaphorique. Et il devra pouvoir juger de ceux qui ont avancé les arguments
les plus probants en la matière.
- Une connaissance approfondit de la théologie et des points de controverses opposants
les grandes figures de cette science.
- Une connaissance parfaite – c’est la condition la plus importante – de la terminologie
employée par les gens de la voie. Il devra ainsi savoir ce que désigne la manifestation
essentielle et la manifestation formelle ; et ce que désigne l’essence, et l’essence de
l’essence. Il devra distinguer les différentes présences hiérarchiques des noms divins
et des attributs divins ; ainsi que les termes unité, l’unicité absolue et l’unicité de la
multiplicité. Il devra savoir ce que désigne l’exotérisme et l’ésotérisme ; la prééternité
et la post-éternité ; le monde invisible, l’existence, le monde manifesté et les œuvres
divines ; ainsi que la quiddité, l’ipséité, l’ivresse spirituelle et la dilection. Il devra
également savoir distinguer les gens dont l’ivresse spirituelle est réelle - afin de les
disculper - de ceux dont l’ivresse est feinte, afin de les condamner. Etc. Comment un
homme ignorant le sens de ces termes pourrait-il pénétrer leurs propos et, à plus forte
raison, les condamner. »
Al-Hâfiz Ibn Hajar commenta quelques vers de la Tâ’iyya30 d’Ibn al-Fârid - Dieu soit
satisfait de lui. Il présenta ensuite ce travail au Sheikh Madian afin que celui-ci y fasse
mentionner sa licence. Mais celui-ci écrivit au dos de l’ouvrage : « Le poète à fort bien dit :
Elle est partie vers l’est, moi à l’ouest je me rends.
Or bien loin est l’orient de l’extrême occident !31
30
Un des plus célèbres poèmes d’Ibn al-Fârid. Le nom Tâ’iyya désigne les poèmes construits sur la rime « ta »
(les poèmes arabes étant construits sur une seule rime du début à la fin).
31
Au premier degré, ce poème évoque l’aimée qui part vers l’Orient tandis que l’amant part vers l’Occident.
Dans l’emploi métaphorique qu’en fait le maître, cela veut dire en substance : « Tu es complètement à côté du
sujet ! »
18
Et il le renvoya à al-Hâfiz. Lisant ces mots, celui-ci prit conscience de certaines
choses. Depuis lors, il suivit avec abnégation les gens de la voie et côtoya le Sheikh Madyan
jusqu’à sa mort.
Le Sheikh ‘Izz ad-Dîn Ibn ‘Abd as-Salâm disait quant à lui : « Le signe que les gens
du chemin spirituel ne contreviennent pas aux règles de la voie légale, à l’inverse des gens
rattachés à d’autres courants, est que des miracles et des actes surnaturels se réalisent à travers
eux. Ce qui n’arrive pas à d’autres, même s’ils sont des sommités de science, à moins qu’ils
suivent eux-mêmes leur voie. »
Le Sheikh Fayrûzâbâdî disait encore : « Il n’appartient pas aux théoriciens et aux
théologiens de contredire les gens bénéficiant des dons et des grâces spirituelles. Car les
sciences de ceux-ci sont un prolongement de la théologie. Et le Sheikh Muhyî ad-Dîn Ibn al‘Arabî était un des plus grands bénéficiaires de ces dons spirituels. Il comptait au nombre de
ces gens de dévoilement à qui le Vrai manifeste la beauté de son visage éternel, si bien que les
lumières éblouissantes de Sa majesté leur apparaissent jusqu’au jour de la rencontre finale. Si
un individu s’aventure à accuser d’erreur ou même d’hérésie un homme semblable, c’est
assurément du fait de sa propre insuffisance, de son incompréhension, de son peu de foi et de
son manque de scrupule. »
L’imam al-Ghazâlî, dans le huitième chapitre de son ‘Ihyâ’ ‘ulûm ad-Dîn, rapporte
quant à lui les propos d’un gnostique qui disait : « On peut toujours craindre l’issue funeste32
pour les gens n’ayant aucune part à la connaissance des gens de la voie. Et la moindre de ces
connaissances consiste à croire et à donner assentiment à ses initiés. Quant à ceux qui
n’approfondissent pas les sciences de la voie légale, on peut craindre qu’ils soient touchés par
un malheur. »
Ceci étant posé, je dirais ce qui va suivre en sollicitant le concours providentiel du
Très-Haut. Les détracteurs zélés ont attribué par voie de rumeur au Sheikh Muhyî ad-Dîn un
certain nombre de propos. J’évoquerais les suivants :
Le Sheikh aurait prétendu selon eux que la parole « il n’est de dieu que Dieu » est
incorrecte. Ce qui est une hérésie. En admettant qu’il ait proféré un propos laissant entendre
cette idée, il est permis de l’interpréter ainsi : Le Vrai, exalté soit-Il, est établi de manière
avérée dans Sa divinité avant même que l’individu ne l’affirme. Or un être avéré n’a pas
besoin que quiconque le confirme. Pourtant la profession de foi que chacun exprime
commence par infirmer la présence de toute divinité, pour ensuite attester de la divinité de
Dieu seul. Mais si les croyants pratiquent cette profession de foi dans leur culte, c’est pour
pouvoir en rendre un témoignage oral et recevoir de Dieu une récompense en conséquence.
Tant s’en faut que le Sheikh déclare expressément l’invalidité de la parole « Il n’est de dieu
32
L’issue funeste consiste à s’égarer aux derniers instants de la vie et à tomber dans une impiété pernicieuse.
(Note de traducteur.)
19
que Dieu ». Nul être sensé ne saurait proférer cela, car il s’agit d’une parole du sublime
Coran.
Selon ces détracteurs, le Sheikh aurait dit à de nombreuses reprises dans ses ouvrages
« Il n’est d’existant si ce n’est Dieu. » En admettant qu’il ait proféré cette parole, il convient
de l’interpréter par le fait qu’il n’est d’être demeurant par soi-même en dehors de Dieu. Tout
autre être existe par un autre, comme l’indique le hadith : « Certes toute chose hormis Dieu
est vaine. » Or quiconque demeure ainsi de par sa réalité est plus proche du néant que de
l’existence. Car son existence est précédée de néant, et même dans son état d’être existant, il
demeure alternativement consigné dans un état d’existence puis de néant, sans jamais s’arrêter
totalement à l’un ou à l’autre.33 S’il est vrai que le Sheikh a dit « Il n’est d’existant si ce n’est
Dieu », il l’aura donc dit à un moment où, contemplant le Vrai en son cœur, les êtres
s’annihilèrent à ces yeux. On peut ainsi comparer cette parole à celle d’Abû al-Qâsim alJunayd qui a dit : « Quiconque contemple le Vrai ne voit plus les créatures. »
Selon eux, le Sheikh – que Dieu lui fasse miséricorde – aurait considéré Dieu et la
création comme une seule et même chose en déclarant dans un poème : « Alors Il me loue et
je Le loue ; et Il m’adore et je L’adore. » En admettant que cette parole soit réellement de lui,
il convient d’interpréter « Il me loue » par : il m’approuve si je Lui obéis, comme s’entend le
verset coranique « Mentionnez-moi, je vous mentionnerais… »34 Quant à la parole « Et Il
m’adore et Je L’adore » elle doit être comprise ainsi : Il se plie à ma volonté en répondant à
ma prière, comme l’indique le Très-Haut : « N’adorez pas le Démon. »35 Ce qui veut dire, ne
lui obéissez pas, car autrement, nul n’adore véritablement le Démon comme on adore Dieu,
comprends donc !
J’ajouterais que le Sheikh déclare dans le chapitre cinq cent cinquante sept des
Futûhât, après un long propos : « Cela te montre clairement que le monde n’est pas la réalité
intrinsèque (‘Ayn)36 du Vrai, exalté soit-Il. Car s’il l’était on ne pourrait dire de Dieu qu’Il est
l’Innovateur37. »
Selon eux, le Sheikh aurait dit que la profession de foi finale de Pharaon aurait reçu
l’agrément de Dieu. Il s’agit là d’un mensonge et d’une calomnie purs et simples. Car le
Sheikh déclare expressément dans le chapitre soixante deux des Futûhât, que Pharaon fait
partie des gens de l’enfer qui y demeureront pour l’éternité. Or les Futûhât sont un des
derniers ouvrages du Sheikh. Il en a complété la rédaction trois ans seulement avant sa mort.
En outre, l’éminent Sheikh al-Khâlidî –Dieu lui fasse miséricorde – a dit : « En admettant que
le Sheikh Muhyî ad-Dîn ait dit cela, il ne serait pas le premier. Un grand nombre de nos
vertueux prédécesseurs étaient d’avis que la profession de foi finale de Pharaon fut acceptée
du fait que Dieu rapporte de lui : « J’adopte la foi des enfants d’Israël et je m’y soumets. »38
Car il déclara cela à la fin de sa vie. Abû Bakr al-Bâqlânî a dit en ce sens : « Le plus probable
33
La doctrine Ascharite pose que Dieu recrée le monde à chaque instant. (Note de traducteur).
Coran 2 : 152.
35
Coran 36 : 59.
36
Ou n’est pas le Vrai Lui-même.
37
Al-Badî‘ est un des noms divins.
38
Coran 10 : 90.
34
20
est que sa profession de foi ait été acceptée si l’on se base sur ce texte. Et nous n'avons pas été
informés qu’il serait mort en impie. »
Quant à l’avis de la majorité des savants des premières et des dernières générations, il se
fonde sur le fait que Pharaon n’a consenti à croire qu’une fois privé de tout espoir. Or une
telle foi ne reçoit pas l’agrément. Mais Dieu sait mieux ce qui est vrai.
Selon eux, le Sheikh serait d’avis qu’il est permis aux personnes en état de grande
impureté39 de demeurer dans une mosquée. Si cet avis s’avère être celui du Sheikh, il est
conforme à celui de notre Maître ‘Abd Allâh Ibn ‘Abbâs et de l’Imam Ahmad Ibn Hanbal.
C’est également la position de l’imam al-Muznî et d’un certain nombre de successeurs des
compagnons et de jurisconsultes. L’accusation des détracteurs selon laquelle le Sheikh Muhyî
ad-Dîn contrevient à la voie légale et à l’avis des imams n’est donc pas recevable.
Selon eux, le Sheikh aurait dit que les saints sont plus estimables que les prophètes. La
vérité est que le Sheikh n’a jamais dit cela. Il a simplement dit : « Les gens divergent sur la
question de la prévalence de la fonction de messager ou de la fonction de sainteté du prophète.
Je dis pour ma part que sa fonction de sainteté est plus estimable en raison de la noblesse de
son objet et de sa permanence dans ce monde et dans l’autre, laquelle permanence n’est pas
vraie de la fonction de messager, car celle-ci concerne ce monde et prend fin dès lors que la
responsabilité des êtres s’interrompt. »
C’est également l’avis du Sheikh ‘Izz ad-Dîn Ibn ‘Abd as-Salâm. Quoi qu’il en soit, le propos
est de comparer la fonction de messager du Prophète avec sa fonction de sainteté, non de
comparer sa fonction de messager et de prophète avec la sainteté d’un autre.
De nombreuses autres paroles sont attribuées au Sheikh. Nous en traiterons en leur lieu
au cours de l’ouvrage et nous montrerons, s’il plait à Dieu, qu’il ne s’agit que de mensonges
et de calomnies. Le proverbe dit : « L’homme obligeant s’épuise à emprunter les chemins des
détracteurs. » Et Dieu est plus savant. Le Très-Haut a dit à ce sujet : « Nous avons fait de
vous une épreuve les uns pour les autres afin de voir si vous patienterez. »40 Jalâl ad-Dîn asSuyûtî –Dieu lui fasse miséricorde – dans son livre At-tahadduth bin-ni‘ma41, fait un récit qui
dit en substance : « Entre autres bienfaits, Dieu m’a gratifié d’un ennemi belliqueux acharné à
entaché mon honneur. Il a fait cela afin que je sois à l’exemple des prophètes et des saints.
L’Envoyé de Dieu a dit en effet : « Les plus éprouvés des hommes sont les prophètes, puis les
savants, puis les hommes vertueux. » Ce hadith est rapporté par al-Hâkim dans son ouvrage
Al-mustadrak. Le Très-Haut a déclaré à Jésus par voie d’inspiration : « Nul n’est prophète en
son pays. »42 Al-Bayhaqî rapporte que Ka ‘b al-Ahbâr43 a dit un jour à Abû Mûsâ alKhawlânî : « Comment les gens de chez toi te traitent-ils ? » - « Ils m’honorent et m’écoutent,
répondit-il. » Ka‘b s’étonna : « Tu ne donnes donc pas raison à la Thora qui déclare : « Par
Dieu, il n’est d’homme honorable qui ne soit pris à parti et jalousé par son peuple. » Ibn
39
Qui nécessite la grande ablution.
Coran 25 : 20.
41
Du devoir de rendre témoignage des bienfaits qui nous sont accordés.
42
Le texte arabe dit : « Un prophète n’est déshonoré que dans son pays. »
43
Ka‘b al-Ahbar était un juif converti à l’islam.
40
21
‘Asâkir rapporte également le hadith suivant, selon une chaine ininterrompue remontant
jusqu’au Prophète : « Les plus méprisants et les plus durs à l’égard des prophètes sont les
gens de son entourage. » Ce qui concerne le verset coranique : « Avertis les gens de ton
proche entourage. »44 Abu ad-Dardâ’ déclarait aussi : « Les gens les plus méprisants à
l’égard de la science sont ceux qui la côtoient et l’ont dans leur voisinage. Si un savant a
quelques titres de gloires, ils le dénigrent et s’il a commis quelque faute au cours de son
existence, ils le fustigent. »
Jalâl a-Dîn as-Suyûtî – que Dieu lui fasse miséricorde – a déclaré : « Sache qu’il n’est
de grand homme à quelle qu’époque que ce soit, qui n’ait subi l’adversité d’autres hommes
méprisables. Car c’est un fait que le noble est invariablement éprouvé par le vulgaire. Adam –
Puisse-t-il bénéficier du salut – trouva le Diable sur sa route ; Noé trouva Hâm, entre autres ;
David trouva Goliate et ses semblables ; Salomon trouva Sakhr ; Jésus trouva au cours de sa
première vie Bekhtansar et il trouvera dans sa seconde vie l’antéchrist ; Abraham trouva
Némrod ; Moïse trouva Pharaon ; et ainsi de suite jusqu’à Muhammad - Dieu lui consente la
grâce et le salut – qui trouva Abû Jahl. Ibn ‘Umar, quant à lui, fut confronté à l’adversité d’un
homme qui se moquait de lui à chaque fois qu’il le croisait. ‘Abd Allâh Ibn Zubayr fut accusé
d’ostentation et d’hypocrisie dans ses prières. À tel point que des gens versèrent de l’eau
bouillante sur sa tête. Son visage et son crâne enflèrent sous l’effet de la chaleur, mais il ne
sentit rien. Lorsqu’il acheva sa prière, il demanda : « Que m’arrive-t-il ? » Les gens lui
expliquèrent ce qui s’était passé et il s’exclama : « Dieu nous suffit, excellent garant qu’Il
est ! » Il souffrit longtemps de ses brûlures à la tête. Ibn ‘Abbâs – que Dieu soit satisfait de lui
et de son père – fut éprouvé par Nâfi‘ Ibn al-Azraq, lequel lui faisait subir les pires sévices et
déclarait : « Il commente le Coran sans se baser sur aucune science ».
Sa‘d Ibn Abî Waqqâs fut rudoyé lui aussi par des ignorants de Koufa bien qu’il soit au
nombre de ceux à qui fut garanti le paradis. Ils se plaignirent de lui auprès de ‘Umar Ibn alKhattâb en disant qu’il n’accomplissait pas bien la prière. Quant aux imams fondateurs, leur
épreuve fut patente. Il n’échappe à personne combien l’imam Abû Hanîfa fut rudoyé par les
califes. C’est également le cas de l’imam Mâlik qui du resté cloîtré chez lui durant vingt-cinq
ans, sans pouvoir assister à la prière du vendredi ou participer à une assemblée. L’imam ashShâfi‘î fut pour sa part malmené par les Irakiens et les Égyptiens. Puis nul n’ignore l’adversité
que rencontra l’imam Ahmad Ibn Hanbal, lequel fut frappé et emprisonné. C’est également le
cas d’Al-Bukhârî qui fut sorti de Boukhara et conduit à Kartank. D’autres savants de
référence furent ainsi exilés. C’est vrai du Sheikh Abû ‘Abd ar-Rahman as-Sulamî, d’Ahmad
Ibn Khalikân, du Sheikh ‘Abd al-Ghaffâr al-Qûsî et d’autres Sheikhs. Quant à Abû Yazîd alBistâmî, il fut chassé à sept reprises de Bistâm sous l’influence d’un groupe de savants
locaux. Dhû an-Nûn al-Masrî fut quant à lui conduit de L’Égypte jusqu’à Bagdad entravé
d’un carcan et de chaines. Il fut accompagné par des gens du peuple égyptien qui plaidaient
contre lui l’hérésie. Samnûn al-Muhibb, un des hommes mentionnés par al-Qushayrî dans sa
Risâla, fut accusé calomnieusement de graves péchés. Des gens payèrent une prostituée pour
dire qu’il se rendait chez elle avec ses compagnons. Il disparut durant un an suite à cette
histoire. Sahl Ibn ‘Abd Allâh at-Tustarî fut chassé de son pays et conduit à Bassora. On
44
Coran 26 : 214.
22
l’accusa d’ignominies et d’impiété en dépit de son rang d’imam et de sa respectable stature. Il
demeura ainsi à Bassora jusqu’à sa mort. D’autres accusèrent Abû Sa‘îd al-Kharrâz de très
graves péchés et les savants le jugèrent impie à partir de propos qu’ils trouvèrent dans ses
ouvrages.
Al-Junayd aussi fut accusé d’hérésie à de nombreuses reprises lorsqu’il parlait
d’unicité en public. Finalement, il opta pour en parler à l’abri dans sa demeure et il s’y
astreignit jusqu’à sa mort. Un des plus véhéments détracteurs d’al-Junayd, de Ruwaym, de
Samnûn, d’Ibn ‘Atâ’ et des Sheikhs de L’Irak, était Ibn Dânyâl. Il les dénigrait le plus
sévèrement qui soit et lorsqu’il entendait quelqu’un parler d’eux, il s’enflammait de colère au
point de changer de couleur. D’autres ont chassé Muhammad Ibn al-Fadl de Balkh du fait
qu’il professait la doctrine des gens du hadîth en matière d’attributs divin. Il était en effet
d’avis qu’il convenait de comprendre ces attributs selon leur sens apparent sans chercher à les
interpréter, et qu’il fallait simplement les croire conformes à la connaissance que Dieu en a
Lui-même. Lorsqu’ils formulèrent l’intention de le chasser, il leur dit : « Je ne partirais pas. À
moins que vous ne m’attachiez par le cou et m’exhibiez dans les marchés en criant « un tel est
un hérétique que nous souhaitons chasser de chez nous. » C’est ce qu’ils firent. Puis ils le
chassèrent. Avant de partir, Ibn Fadl se tourna vers les gens et lança contre eux l’imprécation
suivante : « Gens de Balkh, puisse le Seigneur ôter de vos cœurs Sa connaissance. » Les
Sheikhs racontent qu’après cette prière, jamais plus soufi n’apparut en cette ville. Elle fut
pourtant à une époque la terre de Dieu la plus soufie qui soit.
L’imam Yûsuf Ibn al-Husayn ar-Râzî fut également chassé de chez lui après que les
dévots de Rayy et Sûfawayh se soient ligués contre lui.
D’autres chassèrent Abû ‘Uthmân al-Maghribî de La Mecque. Il était pourtant un
homme de grande ferveur et jouissait d’un haut rang tant par sa science que par ses
dispositions spirituelles. Ils n’hésitèrent pas à le rouer de coups et à le faire circuler à dos de
chameau dans Bagdad jusqu’à ce qu’il meurt de ses blessures.
Ash-Shiblî fut aussi accusé d’impiété à de nombreuses reprises en dépit de sa grande
science et de sa grande ferveur. Ses compagnons le firent entrer à l’hospice un long moment
afin de le mettre à l’écart des gens.
D’autres s’en sont pris à l’imam Abû Bakr an-Nâbulsî, en dépit de son éminence, de sa
grande science et de sa droiture. Alors qu’il arrivait de l’Orient vers l’Égypte, des gens
soufflèrent aux oreilles du gouvernant de ce pays qu’il était hérétique. Le gouvernant ordonna
qu’on le suspende par les pieds et qu’on l’écorche vif. Pendant le supplice, le Sheikh récita le
Coran avec ferveur et recueillement alors même que ses bourreaux l’écorchaient. Ce spectacle
émut tellement les cœurs qu’ils faillirent renoncer.
An-Nasîmî fut écorché lui aussi à Alep. C’est en usant de ruses perfides que ses
ennemis parvinrent à le faire condamner tant il savait les confondre par ses arguments. Ils
écrivirent la sourate Al-ikhlâs sur un papier puis ils partirent trouver un cordonnier. Ils
payèrent celui-ci pour placer cet écrit sous la semelle d’une sandale en lui disant qu’il
s’agissait d’un texte d’amour. Ils firent ensuite offrir ces sandales au Sheikh par des voies
détournées. Celui-ci les porta en toute innocence. Ils partirent ensuite trouver le substitut du
gouverneur d’Alep et lui dirent : « Nous savons de source sûre qu’An-Nasîmî a écrit la
Sourate al-Ikhlâs sur un papier et l’a placé sous la semelle d’une de ses sandales. Si tu ne nous
crois pas, mande quelqu’un auprès de lui afin qu’il s’en assure. Suivant ces recommandations
23
des hommes ne tardèrent pas à extraire la feuille en question. Le Sheikh s’en remit à Dieu et
ne prit pas le soin de se défendre. Il savait que cette rouerie allait causer sa perte. Des élèves
de ses élèves m’ont informé qu’il composait des muwshshah45 sur le thème de l’unicité
pendant que ses bourreaux l’écorchaient. Il composa ainsi cinq cents vers. Et il regardait
l’homme qui l’écorchait en souriant.
D’autres accusèrent le Sheikh Abû Madyan d’hérésie. Chassé de Bougie, il dut
s’installer à Tlemcen. C’est là qu’il trouva la mort.
D’autres encore chassèrent Abû al-Hassan ash-Shâdhilî d’Occident (plus précisément de
Tunis) vers l’Égypte tout en l’accusant d’hérésie. Mais Dieu le préserva de leurs sournoises
manipulations.
Le Sheikh ‘Izz ad-Dîn Ibn ‘Abd as-Salâm fut accusé d’impiété. Ses ennemis firent
rassembler des gens pour juger d’une parole qu’il avait proférée dans sa profession de foi. Ils
tentèrent d’attiser contre lui l’inimitié du gouverneur, mais il fut finalement gracié. C’est ce
que mentionne Ibn Ayman dans sa Risala.
D’autres ont accusé le Sheikh Tâj ad-Dîn as-Subkî d’impiété. Ils prétendirent qu’il
considérait le vin et l’homosexualité licites, et que la nuit il portait la ceinture des adorateurs
du feu. Ils l’amenèrent entravé et ferré depuis le Shâm jusqu’en Egypte. Le Sheikh Jamâl adDîn al-Isnawî sortit à sa rencontre et demanda qu’il soit épargné.
Certains ont également dénigré Ibrâhîm al-Ja‘farî et Husayn al-Jâkî. Ils firent en sorte
qu’ils ne puissent plus prêcher officiellement les croyants.
Nous avons mentionné beaucoup d’autres faits semblables dans l’introduction du livre Attabaqât. Si nous te rappelons les épreuves de ces Sheikhs des premières et des dernières
générations, mon frère, c’est pour te rassurer et t’encourager à consulter les ouvrages des
soufis, et en particulier ceux du Sheikh Muhyî ad-Dîn. Parce que les encens consumés à la
gloire de ces grands Maîtres exhalent vers nous un capiteux parfum de Musc. Et de même que
les paroles proférées contre les maîtres précités ne les atteignent pas, ainsi les paroles
proférées contre le Sheikh Muhyî ad-Dîn, n’entachent-elles aucunement sa sublime personne.
Et Dieu en sait davantage.
45
Poèmes dont la forme est originaire d’Andalousie.
24
Chapitre trois
Autour des paroles hermétiques des gens de la voie
Sache – Dieu te fasse miséricorde – que la légitimité du symbolisme des gens de la
voie se fonde sur un certain nombre de hadiths. On rapporte que l’Envoyé de Dieu - Dieu lui
consente la grâce et le salut – a dit un jour à Abû Bakr As-Siddîq : « Connais-tu le jour du
jour ? » Abû Bakr lui répondit : « Oui, Envoyé de Dieu. Tu m’interroges sur le jour des
mesures (maqâdîr). » On rapporte aussi qu’il lui a dit un jour : « Ô Abû Bakr, sais-tu ce que je
vais te dire ? » Il lui répondit : « Oui ! Tu vas me dire ceci et cela. » Le Sheikh Tâj ad-Dîn Ibn
‘Atâ’ Allâh l’explique dans un de ses livres. Et le Sheikh Muhyî ad-Dîn dit à ce sujet dans le
chapitre cinquante quatre des Futûhât : « Les gens de Dieu n’ont pas établi pour eux-mêmes
les allusions qu’ils emploient conventionnellement entre eux. Car ils ont une connaissance
claire des vérités que celles-ci expriment. S’ils les ont établies, c’est afin que les intrus ne
sachent pas de quoi ils parlent. La compassion leur dicte cette attitude, car des personnes
pourraient entendre des propos qui ne sont pas à leur portée et les proscrire. Ils risqueraient
ainsi d’être condamnés de n’y avoir jamais accès. » Il ajoute : « Un fait surprenant concernant
la voie – et je dirais même un fait propre et exclusif à la voie – est que tous les domaines de
science emploient une terminologie que le néophyte doit apprendre de ses maîtres, qu’il
s’agisse de logique, de grammaire, d’architecture, de mathématique, de théologie ou de
philosophie, sauf dans le cas de cette science spécifique des gens de la voie. En effet,
lorsqu’un aspirant sincère s’engage sans avoir aucune connaissance préalable de leur
terminologie, qu’il les côtoie et entend les propos allusifs qu’ils s’échangent, il comprend tout
ce qu’ils disent comme s’il avait lui-même établi cette terminologie. Puis il participe bientôt
aux échanges sans s’en étonner aucunement. Cette connaissance lui apparaît au contraire aller
de soi : il ne peut s’y soustraire, comme s’il n’avait jamais cessé d’en être doté, et pourtant, il
ne sait pas d’où elle lui vient. C’est la condition de l’aspirant sincère. Quant à l’aspirant
contrefait, il ne peut connaitre cette terminologie que par apprentissage, si toutefois il a une
franche volonté d’y être initié et qu’il le demande à quelqu’un de la voie ». A toute époque,
les savants en sciences exotériques ont cherché à comprendre les propos des gens de la voie,
en particulier l’imam Ahmad Ibn Sirîj. Celui-ci assista un jour à une assemblée d’Al-Junayd.
On lui demanda plus tard : « Qu’as-tu compris de ses propos ? » Il répondit : « Je ne sais pas
ce qu’il a dit, mais ses paroles ont un effet dans le cœur. Elles dénotent extérieurement un
travail intérieur et une pureté d’intention. Ses propos ne sont pas ceux d’un séditieux. » Puis
les gens de la voie ne parlent de manière allusive qu’en présence de gens qui ne sont pas des
leurs ou dans leurs écrits. Le Sheikh dit par ailleurs : « Il est évident que la condamnation des
négateurs hostiles à la voie procède de leur jalousie. Si ces gens se départaient de leur
jalousie, ils accroîtraient leur science. Mais il en est ainsi. Dieu, le Sublime et l’Immense,
seul, prête force et pouvoir. » Le Sheikh s’étendit longuement sur ce sujet.
Puis il ajouta : « Les gens les plus belliqueux à l’égard des bénéficiaires des
connaissances divinement inspirées à toute époque sont les polémistes sans vergogne. Ils sont
ceux qui les dénigrent avec le plus de virulence. Comme les gnostiques n’ignorent pas ce fait,
ils ont recours au discours allusif, à l’exemple de Marie – Puisse-elle trouver le salut – qui se
25
contenta de faire un signe 46 pour se préserver des calomniateurs et des négateurs. Aussi, toute
indication ou toute parole de ces hommes comporte deux aspects : l’un correspond à ce qu’ils
voient en eux-mêmes et l’autre à ce qu’ils voient à l’extérieur d’eux-mêmes. Le Très-Haut dit
à ce sujet : « Nous leur ferons contempler nos signes sous les cieux et en eux-mêmes. »47 Ils
nomment donc ce qu’ils voient en eux-mêmes des indications subtiles pour que les détracteurs
éventuels s’en accommodent, et ils ne disent pas qu’il s’agit d’une exégèse de tel ou tel verset
coranique ou de tel ou tel hadith pour se préserver de leur nuisance et pour éviter d’être
accusés d’hérésie, les accusateurs ne connaissant pas les voies d’interprétation du verbe divin.
Ils suivirent en cela l’exemple de leurs prédécesseurs. Le Très-Haut aurait pu exprimer
explicitement à travers les textes révélés les interprétations que les saints ou les savants en
général donnent aux versets ambivalents 48 ou aux lettres isolées des débuts de sourates. Mais
Il ne le fit pas. Il préféra au contraire inclure dans ces lettres ou ces mots eux-mêmes des
sciences particulières auxquelles n’ont accès que Ses serviteurs élus. Si les négateurs étaient
honnêtes avec eux-mêmes, ils méditeraient sur le fait que lorsqu’ils considèrent un verset avec
ces yeux physiques dont ils reconnaissent l’autorité, ils admettent que certains d’entre eux se
distinguent des autres ; ils admettent que certains font preuve de plus d’aptitude que les autres
à analyser et à comprendre le sens de ces versets, à tel point que le moins compétent reconnait
le mérite du plus compétent, bien qu’ils traitent du même sujet. Mais en dépit de cette
hiérarchie de compétence communément admise, ils refusent de donner crédit aux gens de
Dieu lorsque ceux-ci présentent une donnée au-delà de leur portée. »
Le Sheikh ajoute : « Tout cela est dû au fait qu’ils sont convaincus que les gens de
Dieu méconnaissent les sciences légales. Ils voient en eux des ignorants et des simples gens
du peuple, surtout si ceux-ci n’ont pas étudié avec un savant reconnu dans le domaine des
sciences exotériques. Ils disent souvent : « D’où untel tient-il sa science ? » Car ils ont la
conviction que toute science doit être transmise par un enseignant. Ce qui du reste n’est pas
faux. Car lorsque des gens de la voie mettent en pratique ce que leur dicte leur savoir, Dieu
leur enseigne une science procédant de Lui par le biais d’une transmission divine qu’Il révèle
à leurs cœurs, cet enseignement étant conforme à ce que prescrit la voie légale : il n’y déroge
en rien. Le Très-Haut dit à ce sujet : « Il a créé l’homme et lui a appris à s’exprimer avec
éloquence. »49 Il a dit aussi : « Il a enseigné à l’homme ce qu’il ignorait. »50 Il a dit encore à
propos de son serviteur al-Khidr : « Nous lui avons accordé une science procédant de
Nous. »51. Les négateurs ne se trompent donc pas en affirmant que toute science doit être
transmise par un enseignant, mais ils font l’erreur de croire que le Très-Haut n’enseigne pas
aux hommes hormis les prophètes ou les envoyés. Le Seigneur déclare : « Il donne la sagesse
à qui Il veut. »52 Or la sagesse est la science. Et Dieu emploie le pronom « qui », celui-ci étant
indéfini. Mais comme ces négateurs ne consentent pas à renoncer à ce bas monde ; comme ils
donnent à celui-ci la prévalence sur l’autre monde et sur ce qui permet de rapprocher de
Dieu ; et comme ils s’habituent à tirer leur savoir des livres et des transmissions orales
46
Allusion au verset coranique où Marie se contente de faire un signe pour indiquer Jésus. Voir Coran, 19 : 27.
Coran 41 : 53.
48
Mutashâbihât.
49
Coran 55 : 3-4.
50
Coran 96 : 5
51
Coran 18 : 65
52
Coran 2 : 269.
47
26
d’autres hommes, l’aveuglement que cela génère en eux les empêche de réaliser que Dieu se
charge Lui-même d’instruire certains serviteurs à travers les profondeurs de leurs cœurs 53. De
fait, Il est l’Instructeur véritable de tout le monde manifesté et la science qu’Il dispense est
cette science dont nul croyant et nul incroyant ne doute de la plénitude. Ceux qui par le passé
ont exprimé l’avis que la science du Très-Haut ne se porte pas sur le détail des choses 54, ne
voulaient pas dire que Dieu n’en a pas connaissance. Ils voulaient simplement dire que le
Très-Haut intègre dans une science unique la connaissance du détail des choses et la
connaissance globale55 de celles-ci. Il n’a pas besoin de décomposer les choses pour en
connaître le détail comme c’est le cas pour Ses créatures. Ils voulaient donc indiquer qu’en sa
Grandeur, Dieu n’a pas besoin d’analyser les choses pour en avoir une connaissance
exhaustive. Mais leur expression prêtait à confusion. Puis chacun sait qu’il est plus légitime
de suivre un homme tenant sa science de Dieu que de suivre un homme la tenant de sa
réflexion personnelle. Mais où est la probité ? »
Le Sheikh s’entendit longuement sur ce sujet. Puis il ajouta : « Dieu les préserve en
faisant qu’ils donnent à ces vérités le nom d’indications subtiles, car les négateurs ne rejettent
pas les indications de cette nature. Mais comment ces négateurs peuvent-ils récuser les
sciences dont se prévalent les gens de Dieu sachant que ‘Alî Ibn Abî Tâlib – Dieu soit satisfait
de lui – a dit : « Si je m’étendais sur l’exégèse de la sourate Al-fâtiha, c’est soixante-dix
mulets qu’il faudrait pour en porter les écrits. » S’agissait-il d’autre chose que d’une science
inspirée par Dieu ? Assurément, la réflexion seule ne permet pas d’acquérir tant de savoir. Le
Sheikh Abû Yazîd al-Bistâmî disait aux savants de son époque : « Vous tenez votre science de
morts qui eux-mêmes la tenaient d’autres morts. Quant à nous, nous tenons notre science du
Vivant Qui ne meurt pas. » Et lorsque le Sheikh Abû Madyân entendait un de ses compagnons
dire d’un récit : « Untel me l’a rapporté d’untel », il disait : « Ne vous nourrissez pas de
viande séchée ! » Il voulait que ses compagnons élèvent leurs vues et sa parole signifiait : ne
parlez que des ouvertures que le Très-Haut accorde à vos cœurs au présent et relativement à la
parole de Dieu ou à la parole du Prophète - Dieu lui consente la grâce et le salut. Car Celui
Qui dispense gracieusement la science divine est vivant et ne meurt pas. Et Il n’a d’autre siège
que le cœur des hommes, quelle que soit l’époque. »
Nous reviendrons en détail sur ce sujet à la fin de l’étude quarante-sept.
L’éminent Sheikh, Sirâj ad-Dîn al-Makhzûmî – Dieu soit satisfait de lui - a dit :
« Trois raisons avérées légitiment le symbolisme dont usent les Sheikhs :
Premièrement : Il a pour fonction de troubler la vue des indélicats qui souhaitent gravir la voie
spirituelle sans en respecter les convenances ou qui voudraient divulguer des secrets au sujet
de la seigneurie sans que cela ne procède d’une expérience spirituelle. De tels individus, en
raison de leur compréhension déficiente, risqueraient en effet de révéler ces secrets ou
d’accuser d’impiété les gens de Dieu.
Deuxièmement : Il a pour fonction de suggérer à l’aspirant à cette discipline d’approfondir les
sciences et de se conformer avec rigueur aux convenances de la voie spirituelle, jusqu’à ce
53
Sarâ’ir.
Juziyyât.
55
Kulliyyât.
54
27
qu’il parvienne au dévoilement et qu’il accède à la connaissance et au Connu par le biais de la
grâce et de l’expérience spirituelle.
Troisièmement : Depuis des temps immémoriaux, ne pénètrent la science spécifique
aux gens de la voie que les hommes imprégnés de science et versés en théologie. Al-Fakhr arRâzî a dit : « On ne m’a pas autorisé à enseigner la théologie avant d’avoir mémorisé douze
mille pages traitant de cette science. » Pourtant, la théologie est plus aisée que la science de
l’unicité qu’abordent les gens de la voie. L’imam ash-Shâfi‘î a déclaré un jour à Rabî‘ al-Jîzî :
« Garde-toi de te spécialiser en théologie 56. Emploie-toi plutôt à la jurisprudence et au hadith.
Car il vaut mieux s’entendre dire : « Tu as fait une erreur. », que de s’entendre dire : « Tu as
proféré une hérésie. »
On demanda au professeur ‘Alî Ibn Wafâ – Dieu soit satisfait de lui – ce qu’il fallait
répondre à la question suivante d’un détracteur : « Pourquoi les gnostiques ont-ils mis par
écrit ces connaissances et ces secrets alors qu’elles nuisent aux gens incapables de les
comprendre comme certains jurisconsultes, entre autres ? N’étaient-ils pas assez sages, assez
bien intentionnés, assez avisés et assez miséricordieux envers les gens pour s’abstenir de le
faire ? S’ils avaient toutes ces qualités, le fait d’y contrevenir était un manquement évident ; et
s’ils n’avaient ni sagesse ni bienveillance, cette insuffisance intrinsèque était un plus grand
manquement encore ! » Le professeur répondit : « Dites à quiconque pose cette question :
« Celui qui élève le soleil de midi dans le ciel et répand ses rayons éblouissants n’est-Il pas
sage et savant, même si l’excès de lumière aveugle les chauves souris et d’autres animaux de
faible de nature ? » Il sera contraint de répondre que si : que Dieu est Savant et Sage. Et s’il
objecte que les bénéfices de cette lumière sont plus grands que ses nuisances, alors dis-lui :
« Je ferais à ta question la même réponse. Car de même que Dieu ne renonce pas à répandre la
clarté du soleil de midi pour ménager la vue faible de certaines créatures, ainsi les gnostiques
ne doivent-ils pas ménager l’entendement de ces êtres qui dans leur aveuglement se
détournent de la voie des gnostiques, je dirais même, qui la dédaignent et la réprouvent. » Le
Sheikh s’étendit longuement sur cette question. Puis il déclara : « Sache simplement que les
Maîtres qui mettent à l’écrit les connaissances et les secrets ne le font pas pour la masse des
gens. J’ajouterais que lorsqu’ils voient un homme non prédisposé aspirer à une telle lecture,
ils l’en dissuadent. Un gnostique disait en ce sens : « Nous sommes des gens qui interdisent à
ceux qui n’appartiennent pas à notre voie de lire nos livres. Et il n’est permis à personne de
divulguer nos paroles à des gens qui n’y donnent pas crédit. Quiconque les transmet à de
telles personnes sera précipité avec elles dans l’enfer de la négation. »
Les gens de Dieu ont déclaré cela expressément et devant témoin. Ils ont dit :
« Quiconque divulgue le secret mérite la mort. » Et malgré tout, certains ne purent garder
silence : ils diffusèrent leurs paroles au-delà des gens habilités. Ils furent en cela comme ceux
qui font passer le texte coranique en terre ennemie où les gens n’y croient pas. Pourtant, Dieu
a interdit aux croyants de le faire. Car cela donne l’occasion aux ennemis de Dieu de le lire
avec des cœurs déviants et des langues impropres. Certains d’entre eux ne se privent pas de
s’en moquer et d’autres d’y chercher des versets prêtant à confusion dans le but d’en donner
des interprétations tendancieuses et de causer le trouble. Aussi, donnant accès au texte à ces
56
‘ilm al-kalam
28
gens, les fidèles inconséquents ne font-ils que renforcer leur égarement, leur tyrannie et leur
mépris des musulmans. » Le Sheikh développa ce propos, puis ajouta : « Les compagnons et
leurs successeurs ayant œuvrés avec zèle à l’islam ont-ils consignés les sciences qu’ils ont
déduites du Coran et de la sunna pour aider les gens à satisfaire à leurs penchants égotiques, à
prendre de l’ascendant sur leurs semblables, à gagner de l’argent ou à se rapprocher des rois et
des princes ? Non, par Dieu, tel n’était pas leur objectif ! Mais l’ordre de Dieu est exécutif.
Aussi, de même que ces précurseurs dévoués ne se sont pas abstenus de consigner le savoir
dont certains se servent pour servir leurs intérêts en ce monde, et qu’ils en seront récompensés
même si les gens usent de leurs œuvres à mauvais escient, de même les gnostiques ne se sont
pas abstenus de consigner les vérités levant le voile sur les questions relatives à l’unicité et
d’enseigner les remèdes aux maux du cœur, et ils en seront récompensés eux aussi pour leur
intention de servir les aspirants. Un des bénéfices de la consignation de telles œuvres est que
celles-ci permettent de fertiliser les cœurs de ceux qui les consulteront après la mort de leurs
auteurs. Les aspirants y trouvent des enseignements qui les élèvent spirituellement et
répandent sur leurs cœurs et leurs langues des ondées de miséricorde. La lumière de leur
sublime orientation irradie sur la terre de leurs cœurs et y répand une vie nouvelle. C’est ainsi
que leurs écrits se substituent à eux-mêmes après leur départ et continuent à adresser le bon
conseil aux aspirants. Consigner ces connaissances et ces secrets est un devoir qui leur
incombe plus que tout autre, car nul autre qu’eux ne peut prescrire les remèdes aux maux des
cœurs et les convenances à respecter face aux diverses formes de présences du Vrai dans
l’ensemble des prescriptions légales, car à chaque situation correspond une présence et une
convenance particulière.
Si quelqu’un objecte : Si la science de ces soufis était requise, les imams fondateurs
auraient écrit des ouvrages sur le sujet. Or on ne leur connait pas un seul livre de cette nature.
Je répondrais que s’ils n’ont pas rédigé de livres sur le sujet des maladies du cœur, c’est parce
que celles-ci ne se manifestaient pas chez les gens de leur époque. Si elles s’étaient
manifestées chez ceux-ci ils auraient vu la nécessité de montrer les voies de guérison à travers
des ouvrages spécifiquement dédiés à cet effet, comme l’ont fait les grands représentants de la
voie de Dieu après eux, car ces maladies correspondent à de graves travers. Quant aux
époques qui suivirent, elles virent se manifester la jalousie, l’orgueil, la haine et la rancœur.
Les savants se sont alors employés à rédiger des épitres indépendantes sur le sujet. D’autre
part, si les imams fondateurs n’ont pas jugé nécessaire de rédiger des ouvrages sur la voie
spirituelle, c’est qu’ils étaient occupés à des tâches plus importantes, à savoir, rassembler les
éléments sur lesquels se fonde la voie légale, distinguer les textes abrogeant des textes
abrogés, définir les indications à caractère spécifique et les indications à caractère général, et
établir les règles à suivre afin que les gens puissent s’y référer s’ils se trouvent dans
l’incertitude. N’était-ce les règles posées par ces imams dévoués des premiers temps, nul ne
saurait à quelle aune mesurer les actions extérieures et intérieures. Cette tâche était donc plus
essentielle que la rédaction d’épitres spécifiquement dédiées à une maigre frange de la
communauté.
Il apparaît ainsi que l’ensemble des fidèles, soufis ou autres, sont redevables des
imams consacrés à l’instruction de la voie légale. Puisse le Seigneur les récompenser
libéralement pour leur œuvre.
29
De même qu’en matière de sciences légales l’esprit de l’effort d’interprétation demeure
agissant pour permettre l’action et éclairer les comportements des guides dans ce domaine,
ainsi, et à plus forte raison, la parole des gnostiques demeure-t-elle vivifiée par l’esprit de
certitude, lequel continue à éclairer les œuvres des guides spirituels.
Si quelqu’un objecte : pourquoi ces soufis ne se contentent-ils pas de suivre la lettre du
Coran et de la sunna ? Cela ne leur suffit-il pas comme cela suffit à d’autres ? Je répondrais
que cette même objection pourrait être émise au sujet des imams fondateurs et de leurs
continuateurs. Car ceux-ci ne se sont pas arrêtés à la lettre des textes. Ils ont bien au contraire
déduit de ces textes un nombre incalculable de préceptes légaux et de règles comme on peut
aisément le vérifier. Aussi, si tu rejettes l’exégèse des gnostiques, dois-tu également rejeter
l’exégèse des imams, ce que personne ne défend. Et de même qu’il ne t’appartient pas de
contester la parole des imams fondateurs, sachant que ceux-ci n’ont fait que suivre le fil de
lumière de la voie légale, il ne t’appartient pas davantage de contester la parole des gnostiques
suivant l’exemple du Prophète - Dieu lui consente la grâce et le salut – dans les convenances
extérieures et intérieures. Et de même que les imams ont jugé interdits, déconseillés ou
conseillés certains actes extérieurs sur lesquels les textes de références ne statuaient pas de
manière explicite, de même les gnostiques ont-ils prescrit, proscrit, conseillé ou déconseillé
certains actes intérieurs. L’effort d’interprétation est valide dans ces deux domaines et l’un ne
peut se passer de l’autre. La voie spirituelle sans voie légale est invalide et la voie légale sans
voie spirituelle est déficience : je veux dire imparfaite.
Si quelqu’un demande : pourquoi les gens de la voie emploient-ils un symbolisme que
les fidèles ne peuvent comprendre qu’en y étant initiés comme il a été dit. Pourquoi ne pas
mettre ces sciences à la portée des gens, si celles-ci sont comme ils le prétendent ; et pourquoi
n’en parlent-ils pas publiquement comme le font les savants dans le domaine des sciences
légales ? Le fait que les gnostiques dissimulent leurs enseignements suscite la suspicion et
incite les gens à les accuser d’hérésie et de malveillance. Je répondrais que s’ils usent d’un tel
symbolisme, c’est par compassion et par miséricorde pour les fidèles comme l’a indiqué le
Sheikh Muhyî ad-Dîn en début de chapitre. Al-Hasan al-Basrî ainsi qu’al-Junayd, al-Shiblî et
d’autres maîtres ne parlaient d’unicité que chez eux, après avoir verrouillé les portes et avoir
placé la clé sous leur ceinture. Ils disaient à ce sujet : « Voulez-vous que les compagnons et
leurs successeurs dont nous tenons cette science soient accusés d’hérésie calomnieusement et
injustement ? » Car ils étaient dotés d’un discernement accru du fait qu’ils avaient purifié
leurs cœurs et les avaient débarrassés des souillures qu’y déposent les passions et les péchés.
Il n’appartient donc à personne de penser que ces grands hommes dissimulaient leur
enseignement parce qu’ils étaient égarés. A Dieu ne plaise.
Voilà donc la raison pour laquelle leurs successeurs consignèrent de manière
symbolique certaines notions qu’il ne convenait de révéler qu’oralement et jamais par écrit.
Du fait que la science risquait de disparaître avec les hommes qui la détenaient, ils jugèrent
nécessaire de consigner leur science. Ils le firent de manière symbolique parce qu’ils y
voyaient l’intérêt des fidèles et parce que leur considération pour les secrets de Dieu les
incitait à ne pas les divulguer à des gens aveuglés. Un poète a dit en ce sens :
30
Incontestablement, les symboles révèlent,
Le très sublime esprit que dissimule un cœur.
Les tenants de la gnose usent d’allégories,
D’un tour bien trop subtil pour l’esprit des censeurs.
Ceux-ci les taxeraient, sans ces soins, d’hérésie,
Et l’opprobre bientôt règnerait sous les cieux.
L’imam Abû Al-Qâsim al-Qushayrî – Dieu soit satisfait de lui – disait : « Assurément,
les symboles que les gnostiques emploient découlent de leur fervent attachement à la voie des
gens de Dieu. Ils répugnent à ce que des individus étrangers à cette voie en comprennent les
enseignements de manière erronée, puis qu’ils s’égarent et participent à l’égarement d’autres
croyants. C’est pourquoi les Cheiks interdisent aux aspirants de lire les écrits des maîtres
seuls, sans être accompagnés dans cette entreprise. »
Lorsque l’on demandait à Sîdî ‘Alî Ibn Wafâ – Dieu soit satisfait de lui – pourquoi les
gens de la voie usaient de symboles, il répondait : « Si vous comprenez la parabole suivante,
vous saurez pourquoi ils agissaient ainsi : Ce monde est à l’image d'une forêt où les âmes des
gens incapables de percevoir les évidentes vérités divines sont comme des bêtes fauves. Le
gnostique est comme un homme à la récitation coranique mélodieuse et à la voie agréable
pénétrant de nuit dans cette forêt. Cet homme sentant la présence des animaux féroces
s’empressent de se cacher dans un arbre. Il renonce à psalmodier et se tient silencieux par
crainte de leur nuisance. Le fait que cet homme se cache et renonce à réciter le Coran à haute
voix indique-t-il qu’il est savant et sage, ou indique-t-il le contraire ? Par Dieu, cela indique
incontestablement qu’il est savant et sage. Car s’il se montrait et se mettait à réciter le Coran,
les animaux ne seraient pas guidés sur le chemin droit pour autant. Ils ne comprendraient rien
à ses mots et ne tarderaient pas à se précipiter sur lui pour le mettre en pièce et le dévorer. Il
causerait dans ce cas sa propre perte, ce qui est interdit. Comprenez cette parabole et dites à
ceux qui reprochent aux gnostiques d’user de symboles que le Très-Haut a révélé à
Muhammad - Dieu lui consente la grâce et le salut – de nombreux versets coraniques
symboliques en début de sourates. Il a dit en outre : « En ta prière, ne récite pas [le Coran]
d’une voix forte ni d’une voix imperceptible. »57 Dieu lui ordonna de ne pas élever la voix au
point de se faire entendre des ignorants et des négateurs. Car ceux-ci seraient tentés
d’invectiver des gens qui ne le méritent pas. Mais Il lui ordonna néanmoins de ne pas le
réciter d’une voix trop basse, afin que les croyants l’entendent.
Aussi, de même que la dissimulation du Coran aux ignorants n’implique aucunement
que la récitation du Prophète soit infondée et mensongère, de même, la dissimulation de
l’enseignement spirituel aux détracteurs inconscients, n’implique pas que cet enseignement
soit sans objet et contraire à la voie légale.
Cependant, si le Seigneur réunit les conditions pour qu’un gnostique fasse état de ce
qu’il sait, et s’Il lui permet d’avoir autorité sur les négateurs par sa condition ou par son
argumentation, de sorte qu’ils reconnaissent finalement sa valeur, bon gré ou mal gré. Il peut
dans ce cas révéler son savoir publiquement, tout comme le Prophète récita le Coran devant
57
Coran 17 : 110.
31
les impies lorsque les conditions furent réunies et qu’il eut des soutiens suffisants pour se
préserver de leurs nuisances. Il apparaît donc que les gnostiques suivent l’exemple de
l’Envoyé de Dieu - Dieu lui consente la grâce et le salut. On sait aussi que L’imam Ibn
Hanbal – Dieu soit satisfait de Lui - disparu durant trois jours lors d’une période de trouble.
Puis il réapparut. Des gens l’avertirent que l’ennemi était encore à sa recherche, mais il
répondit que l’Envoyé de Dieu - Dieu lui consente la grâce et le salut – ne s’était pas caché
plus de trois jours dans la grotte. À l’évidence, l’être humain ne s’aventure pas à faire face
aux bêtes fauves à moins d’être sûr d’en avoir la force. Il faut pour cela qu’il ait pris des
dispositions, qu’il s’arme et se dote d’alliés de confiance.
Si l’on demande : pourquoi un tel gnostique ne renonce-t-il pas complètement à
révéler ses secrets et ne se contente-t-il pas de relayer les enseignements portés par la majorité
jusqu’à ce qu’il acquière une position et une autorité lui donnant plus de sécurité ? Je
répondrais que les gnostiques sont les héritiers de l’Envoyé de Dieu - Dieu lui consente la
grâce et le salut. Aussi, ne sortent-ils pas de la voie qu’il traça et suivent-ils scrupuleusement
son exemple, comme nous l’avons vu de l’imam Ahmad Ibn Hanbal. Et puisque l’Envoyé de
Dieu dissimula la vérité éclatante qu’il détenait et qu’il ne la révéla pas aux ignorants et
négateurs jusqu’à ce que l’ordre du Très-Haut lui prescrive de le faire, ses héritiers font de
même.
Sîdî ‘Alî Ibn Wafâ a dit aussi : « A quiconque dénonce le symbolisme employé par les
gens de la voie, il convient de répondre ceci : si des fous dénoncent un homme sensé qui
refuse de suivre leurs lubies et leur folie, doit-il céder et s’aliéner à leur image faisant fi de sa
raison pour avoir leur consentement, alors qu’il peut se mettre à l’écart et ne pas sacrifier sa
raison. Si un autre homme se retrouve parmi des loups féroces qui ne tolèrent sa présence qu’à
la condition qu’il marche à quatre pattes et hurle comme eux, doit-il rester parmi eux alors
qu’il pourrait s’enfuir et aller vivre parmi les hommes ? Non, par Dieu, quiconque a pouvoir
de faire le bien ne doit pas s’en abstenir pour faire plaisir aux gens de mal. Et les croyants ne
sauraient concourir à un contentement plus légitime que celui de Dieu et de Son Prophète.
Puisse le Seigneur nous préserver de revenir en arrière après avoir été guidé sur le droit
chemin.
Un gnostique disait : « Le langage des amants est étranger aux spectateurs bien qu’il
leur soit parfaitement clair. »
Tout ce qui vient d’être dit concerne les saints accomplis et maîtres d’eux mêmes.
Quant aux saints dominés par leur état, les gens de la voie doivent néanmoins les tenir en
estime, car leurs propos sont dictés par l’amour et non par la science au sens strict. On
rapporte qu’un oiseau mâle courtisait un oiseau femelle sur le dôme de Salomon. Comme la
femelle rejetait les avances du mâle, celui-ci lui déclara : « Je t’aime si fort que si tu me disais
de faire écrouler ce dôme sur la tête de Salomon et de ses armées, je le ferais. Le vent
transporta ce propos jusqu’aux oreilles de Salomon. Celui-ci manda un messager à l’oiseau
pour lui dire : « Ne prétendras-tu pas accomplir des choses à hors de ta portée ? » L’oiseau
répondit : « Ne t’emporte pas, ô Apôtre de Dieu, je suis un amant passionné, or les amants
parlent le langage de l’amour et de la passion, et leurs propos ne reflètent ni la science ni la
réalité. » Salomon agréa cette réponse. »
Ce fait disculpe largement les amants de la voie du Très-Haut comme Sîdî ‘Umar Ibn
al-Fârid et ses semblables – Dieu soit satisfait d’eux tous. Quant à l’histoire de Moïse et d’al32
Khidr – Puissent-ils bénéficier du Salut – elle disculpe aussi bien les savants du domaine de la
voie légale que les savants du domaine de la voie spirituelle. Et même si l’agissement de
Moïse était simplement dû à un oubli des conditions posées par al-Khidr, cette histoire
disculpe ceux qui condamnent autant que ceux qui font l’objet de condamnation en la matière.
Sachant que les détracteurs sont trop aveuglés pour comprendre leur voie, les gens de Dieu
s’abstiennent d’argumenter. Ils se contentent ainsi de dire comme al-Khidr : « C’est là que
nos chemins se séparent ! »58 Forts de la lumière éclatante qui les guide, si les gens de Dieu
voulaient confondre les négateurs par leurs arguments, ils le pourraient parfaitement. Ne
pense donc pas mon frère qu’ils sont incapable de faire entendre raison, car cela reviendrait à
les assimiler au commun des gens.
Sîdî ‘Alî Ibn Wafâ explique dans son livre Al-Wasâya que dans ce récit mettant en
scène al-Khidr, Moïse – Puisse-t-il trouver le salut - nous apprend à recevoir en gré les
sciences inspirées que prodiguent les saints. Puis, une fois ces enseignements admis, il
convient de considérer ce que dicte la voie légale sur la question. Si celle-ci prescrit de
réprouver tel ou tel propos ou telle ou telle attitude, il t’appartient de manifester
extérieurement cette réprobation, mais seulement pour sauver les apparences. Sans quoi des
personnes qui ne sont pas au niveau des saints en question risqueraient de les imiter. N’étaitce sa volonté de nous instruire de la sorte, Moïse n’aurait rien objecté aux entreprises d’alKhidr. Car les actes qu’ils accomplissaient ne peuvent se soustraire au jugement de la voie
légale : quiconque perce la coque d’un bateau sans l’autorisation de ses propriétaires et
déclare : « je l’ai percée pour éviter qu’un roi inique ne s’en empare », ne peut échapper à des
poursuites légales. Et quiconque tue un jeune homme et déclare : « J’ai craint qu’il ne les
entraine dans sa rébellion et son impiété »59 ne peut davantage échapper à des poursuites
légales.
Et la parole du saint 60 « Je ne l’ai pas fait de mon propre chef »61 ne convient pas à ce
genre d’actions, si l’on juge des apparences, même si sa sainteté est avérée. Car il n’a pas la
fonction d’envoyé de Dieu. Il apparaît donc que la réprobation que Moïse manifesta au
premier abord ne visait qu’à préserver l’ordre extérieur établi par la voie légale, le risque étant
que des gens ne l’imitent qu’en ces actions singulières. Puis il cessa finalement de le
réprouver pour que la volonté de Dieu relativement à l’élite de ses saints soit respectée et pour
que cela serve de « rappel pour tout être doté d’un cœur, prêtant l’oreille et observant avec
attention »62 Moïse sut à ce moment-là que le Très-Haut emploie des serviteurs pour révéler
les sciences procédant de Sa grâce et qu’il n’appartient à aucune des deux parties de contester
l’autre ou de l’empêcher de remplir la fonction qui lui est assignée, même si l’une se situe à
un degré supérieur à l’autre.
Il n’échappe à personne que les sciences se résument dans leur ensemble à trois
catégories : Les sciences cognitives, les sciences des états et les sciences des secrets.
58
Coran 18 : 78.
Coran 18 : 80.
60
C'est-à-dire al-Khidr.
61
Coran 18 : 82.
62
Coran 50 : 37.
59
33
Les sciences cognitives sont l’expression de toutes les formes de sciences nécessaires,
qu’elles soient élémentaires ou le fruit de déduction. Elles se fondent donc sur des preuves. La
marque de ces sciences est que plus elles sont adroitement exposées, plus elles s’imposent et
sont aisées à saisir et agréables à entendre.
Quant aux sciences des états, elles ne peuvent être acquises que par l’expérience. La
raison ne peut pas plus les cerner et les acquérir qu’elle ne peut connaître la douceur du miel
ou l’amertume de la myrrhe, ou gouter au plaisir des caresses. Cette science est une science
intermédiaire entre les sciences cognitives et les sciences des secrets. La plupart de ceux qui y
croient sont les hommes d’expérience spirituelle. Ces sciences sont plus proches des sciences
des secrets qu’elles ne le sont des sciences cognitives et théoriques. Seuls les hommes de
saine disposition spirituelle apprécient d’entendre parler de ces sciences, à moins qu’elles ne
proviennent de personnes non-préservées de l’erreur63. La marque des sciences acquises
intellectuellement est qu’elles se conforment aux critères de la raison ; à l’inverse, la marque
des sciences acquises par don gracieux est qu’elles ne se conforment pas aux critères de la
raison, si bien que celle-ci les rejette le plus souvent. Quant aux sciences des secrets, elles se
situent bien au-delà de la sphère de la raison. C’est pourquoi les gens qui les expriment sont si
promptement condamnés. Car celles-ci procèdent d’inspirations dont ne sont gratifiés que les
prophètes ou les saints. Lorsqu’elles sont exprimées, elles apparaissent grossières et
incompréhensibles. Les gens obtus et manquant de discernement ne prenant pas le temps de
les considérer et de les approfondir les réprouvent donc immanquablement. C’est pourquoi les
maîtres désireux de faire comprendre ces sciences à des gens peu clairvoyants ont
nécessairement recours à des paraboles et aux enseignements empruntés à la voie légale. La
plupart des sciences des hommes accomplis sont de cette nature. Le Sheikh Muhyî ad-Dîn Ibn
al-‘Arabî disait : « Il est donc évident que les sciences des secrets ne s’acquièrent pas par voie
de réflexion, mais par voie de contemplation et d’inspiration vraie, ou d’autres voies
semblables. On comprend donc pourquoi le Prophète - Dieu lui consente la grâce et le salut déclara un jour : « S’il est des hommes jouissant du discours intime dans ma communauté,
‘Umar est de ceux-là. » Le Sheikh Muhyî ad-Dîn mentionna ce hadith dans l’épitre qu’il
adressa au Sheikh Fakhr ad-Dîn ar-Râzî. Il s’agissait d’une épitre constituée d’environ trois
feuillets.
Si les gens de Dieu n’étaient pas susceptibles de faire l’objet de condamnations, et que
les hommes étaient tous dotés d’une saine clairvoyance, on ne comprendrait pas pourquoi
Abû Hurayra déclara un jour : « J’ai retenu de l’Envoyé de Dieu - Dieu lui consente la grâce
et le salut – deux registres64 [de sciences]. J’ai communiqué le premier. Quant au second, si
j’en faisais part, on s’empresserait de me trancher la gorge. » Dans cette hypothèse, on ne
comprendrait pas davantage la parole d’Ibn ‘Abbâs : « Si je vous révélais l’exégèse du verset
« Dieu à créé sept cieux et autant de terres. Son ordre descend entre eux graduellement » 65,
vous me lapideriez ou m’accuseriez d’hérésie.
Dans son ouvrage Ihyâ ‘Ulûm ad-Dîn, ainsi que dans d’autres livres, l’imam alGhazalî rapporte ces vers de Zîn al-‘Âbidîn ‘Alî Ibn al-Husayn – Dieu soit satisfait de lui :
63
Ma‘sûm.
Litt. : Deux récipients.
65
Coran 65 : 12.
64
34
Ah, ces perles de science oserais-je trahir,
Que l’on m’accuserait d’adorer les idoles ;
Les croyants jugeraient seyant que l’on m’immole
Et s’imagineraient, me saignant, bien agir !
Al-Ghazalî explique : « Cette science qui lui vaudrait d’être condamné s’il la révélait
n’est autre que la science inspirée, laquelle correspond à la science des secrets. Il ne s’agit pas
de la science de ceux qui reçoivent l’investiture califale ou en sont dépouillés. Car les savants
en science légale ne légitiment pas de verser le sang de quiconque révèle une telle chose, pas
plus qu’ils ne l’accusent d’adorer les idoles. »
Médite ce que nous avons dit dans ce chapitre, car cela te sera utile. L’orientation des êtres,
quoi qu’il arrive, appartient à Dieu.
35
Chapitre quatre
Des règles et principes à connaitre pour aborder la théologie (‘ilm
al-kalam)
Sache - que Dieu te fasse miséricorde – que les savants musulmans n’ont pas rédigé
des ouvrages dédiés à la doctrine pour s’assurer eux-mêmes du juste dogme à adopter, mais
pour répondre aux détracteurs sur plusieurs points. Car certains nient Dieu ou Ses attributs ;
d’autres nient la prophétie en général ou celle de Muhammad en particulier ; d’autres nient la
résurrection des corps ou d’autres faits semblables que ne réfutent que les impies. Pour cette
raison, les savants musulmans ont jugé nécessaire de faire entendre raison à ces gens par voie
de démonstration et de les ramener ainsi à la juste et indubitable foi. C’était là leur seule et
unique motivation. Et s’ils ne se sont pas empressés de les réduire au silence par l’épée, c’est
par miséricorde pour eux et par espoir de les voir revenir à la vérité. Ils considéraient la
persuasion comme un acte miraculeux capable de les reconduire à l’islam. Et chacun sait que
la foi d’un homme rallié par la persuasion est plus sincère que celle d’un homme rallié par
l’épée. En effet, la crainte de l’épée peut pousser l’individu à se montrer sous un faux visage.
Ce qui n’est pas le cas de la persuasion. Les savants établirent ainsi la science relative à la
substance et à l’accident et la théologie dialectique en général. Il suffit par ailleurs qu’un seul
savant par région s’emploie à cette tâche. » Le Sheikh Muhyî ad-Dîn s’étendit longuement sur
ce point au début des Futûhât. Puis il déclara : « A l’évidence, tout homme convaincu que le
Coran est le Verbe du Très-Haut veillera à puiser son dogme de ce verbe, sans tenter de
l’interpréter ou d’avoir recours à une argumentation rationnelle étrangère à ce que pose la
voie légale. Car le Coran est par lui-même une preuve irrécusable à la fois transmise et
intelligible 66. Or le Très-Haut affirme que dans Sa transcendance nulle créature ne Lui
ressemble et que Lui-même ne ressemble à nulle chose. Il dit en effet : « Rien ne Lui est
semblable et Il est l’Oyant et le Voyant. »67 Et Il déclare, entre autres paroles en ce sens :
« Exalté soit ton Seigneur - le Seigneur de la Toute-puissance - au-delà de ce qu’ils
décrivent. »68 Il affirme par ailleurs que les croyants Le verront dans l’au-delà : « Ce jour là,
il y aura des visages resplendissants, contemplant leur Seigneur. »69 C’est également ce que
l’on comprend de Sa parole au sujet des impies : « Certes non ! Un voile les privera ce jour
de voir leur Seigneur. »70 Ce qui laisse entendre que les croyants en revanche Le verront et
qu’Il ne leur sera pas voilé. Le Seigneur réfute d’autre part la possibilité de Le cerner : « Les
regards ne l’atteignent pas. »71 Il dit également : « Il cerne toute chose. »72 Il affirme être
tout-puissant : « Il est capable de tout. »73 Il affirme être omniscient : « Il cerne toute chose
66
La théologie musulmane distingue généralement les arguments fournis par les textes (sam‘î) et les arguments
énoncés par la raison (‘Aqlî).
67
Coran 42 : 11.
68
Coran 37 : 181.
69
Coran 75 : 22-23.
70
Coran 83 : 15.
71
Coran 6 : 103.
72
Coran 41 : 54.
73
Coran 67 : 1.
36
de Sa science. »74 Il établit l’autorité de sa volonté relativement au bien autant qu’au mal. Il
déclare en ce sens : « Il fait ce qu’Il veut. »75 Et Il déclare : « Il guide qui Il veut et égare qui
Il veut. »76 Il établit le fait qu’Il entend Sa création : « Dieu a entendu la parole de celle qui
controverse avec toi au sujet de son époux. »77 Il établit le fait qu’Il voit ce que font Ses
serviteurs : « Dieu voit ce que vous faites. »78 Il dit aussi : « Ne sais-tu pas que Dieu voit. »79
Il établit le fait qu’Il parle : « Dieu a bel et bien parlé à Moïse. »80 Il établit le fait qu’Il est
vivant : « Dieu, il n’est d’autre dieu que Lui, le Vivant, l’Autosuffisant. »81 Il établit le bienfondé de la fonction de Ses messagers : « Nous n’avons envoyé avant toi que des hommes
d’entre les habitants des villes, auxquels nous inspirions [la révélation] »82 Il établit le bienfondé de la fonction de messager de Muhammad - Dieu lui consente la grâce et le salut :
« Muhammad est l’envoyé de Dieu. »83 Il établit que Celui-ci est le dernier des prophètes
mandés aux hommes: « Et le sceau des prophètes. »84 Il établit que tout ce qui n’est pas Lui
est Sa création : « Dieu est le Créateur de toute chose. »85 Il établit l’existence des Djinns :
« Je n’ai créé les djinns et les hommes qu’afin qu’ils M’adorent. »86 Il établit que certains
djinns pourront entrer au paradis: « Elles n’auront été touchées auparavant par aucun
homme et aucun djinn. »87 Il établit la résurrection des corps en ces termes : « Lorsque le
contenu des tombes sera retourné. »88 Et il établit ainsi un certain nombre de faits semblables
à partir de preuves recensées dans les ouvrages précisant la doctrine, comme le devoir de
croire en le décret, le destin, la balance, la vasque prophétique, le chemin au dessus des
enfers, les comptes à rendre, le déploiement des registres, ou la création du paradis et de
l’enfer. Et le Seigneur exalté soit-Il, déclare : « Nous n’avons rien omis dans le Livre. »89 Il
établit l’inimitabilité du Coran comme un miracle accompli par notre prophète Muhammad Dieu lui consente la grâce et le salut : « Si vous avez un doute au sujet de ce que Nous avons
révélé à Notre serviteur, produisez une sourate semblable à celles-ci ! »90 Car le Coran tout
entier est le miracle accompli par le prophète. »
Et le Sheikh Muhyî ad-Dîn conclut : « Il apparaît donc qu’il n’est pas permis au
croyant de négliger les prescriptions relatives à ce monde que lui fait son Seigneur pour
employer la plus grande partie de son existence à répondre à des détracteurs inexistants dans
son propre pays ou d’arguer par anticipation sur des objections que personne n’a encore
émises. Assurément, l’épée de la voie légale est plus effrayante et plus dissuasive. Un hadith
authentique mentionne : « J’ai reçu l’ordre de combattre les gens jusqu’à ce qu’ils disent :
74
Coran 65 : 12.
Coran 85 : 16.
76
Coran 35 : 8.
77
Coran 58 : 1.
78
Coran 2 : 265.
79
Coran 96 : 14.
80
Coran 4 : 164.
81
Coran 2 : 255.
82
Coran 12 : 109.
83
Coran 48 : 29.
84
Coran 33 : 40.
85
Coran 39 : 62.
86
Coran 51 : 56.
87
Coran 55 : 74.
88
Coran 100 : 9.
89
Coran 6 : 38.
90
Coran 2 : 23.
75
37
« Il n’est de dieu que Dieu » et jusqu’à ce qu’ils croient en moi et en le message que
j’apporte. » Le Prophète ne nous a pas enjoints à polémiquer avec eux, mais simplement à les
combattre par l’épée s’ils s’obstinent à contester la vérité. Or il s’agit de la préoccupation
majeure des gens de notre époque. Ils épuisent leur existence à répondre à des objections
fictives ou à des objections existantes, mais relevant d’avis non prédominants dans telle ou
telle école juridique. Si bien que l’individu s’imagine controverser avec quelqu’un alors qu’il
ne controverse qu’avec lui-même.
Nous savons que nos prédécesseurs – Dieu soit satisfait d’eux – n’ont entrepris de
rédiger des ouvrages de théologie que pour donner la réplique aux détracteurs de leur époque,
ainsi que nous l’avons dit. Puisse Dieu les récompenser pour leur louable intention. »
Le Sheikh ajoute : « L’homme sensé de notre époque est celui qui se préoccupe des sciences
légales. Car celles-ci dispensent de la théologie, du fait qu’elles permettent à la religion
d’exister. Si un être humain meurt sans maîtriser la question théologique de la substance et de
l’accident, Dieu ne lui en demandera pas des comptes au jour du jugement. Puis si un
détracteur s’élève dans une contrée pour contester les lois révélées, par exemple, nous devons
nous concentrer sur les réponses spécifiques à donner à ses points de contestation. Dans ce cas
précis, il convient de s’appuyer exclusivement sur une argumentation logique et sans avoir
recours aux textes sacrés. Car si quelqu’un défend le brahmanisme, par exemple, une
argumentation fondée sur la révélation ne sera par recevable à ses yeux. Celle-ci ne suffirait
donc pas à déconstruire la croyance singulière qui est la sienne et qui conteste la révélation.
Car la révélation elle-même étant l’objet du débat, elle ne peut servir d’argument. C’est
pourquoi nous disons que le seul remède applicable à une telle personne consiste à
argumenter sur la base de la logique. On pourra lui tenir des propos tels que : « vois ce que la
raison te dicte sur telle question. »
Ce que nous avons dit révèle que tout homme désireux de préserver sa doctrine des
idées douteuses et des égarements doit la puiser directement dans le sublime Coran. Car le
Livre de Dieu nous est parvenu par une multitude de voies fiables ; il est indubitable et
préservé. On ne peut en dire autant de ceux qui fondent une doctrine sur la réflexion et
l’induction, sans que la révélation ou le dévoilement ne la conforte. Vois, mon frère, ce que
notre Prophète - Dieu lui consente la grâce et le salut – répondit lorsque des juifs lui
demandèrent de définir son Seigneur : il se contenta de leur réciter la sourate « Dis : Dieu est
Un… »91 Il ne chercha aucunement à discuter en leur soumettant des arguments intelligibles.
Car de fait, la parole du Très-Haut : « Dieu est Un » établit l’existence de l’Un et exclut la
multiplicité ; et elle établit que l’unicité appartient à Dieu, sans associé. Sa parole : « Dieu est
le Suffisant par Soi » exclue la corporéité. Sa parole « Il n’a pas enfanté et Il n’a pas été
enfanté » exclut qu’Il puisse avoir un père ou un fils. Et Sa parole : « Nul ne lui est égal. »
exclut qu’Il puisse avoir une compagne ou un associé. L’amateur d’arguments intelligibles
peut-il demander qu’on lui démontre de tels faits après qu’ils aient été établis par ces preuves
indubitables ? Ce serait faire preuve d’une très grande ignorance. J’ajouterais qu’on est en
droit de se poser la question suivante : quelle était la condition d’un individu qui cherche à
connaitre Dieu par l’argumentation et accuse d’impiété quiconque ne le fait pas, avant de se
91
Coran 112.
38
lancer dans sa recherche intellectuelle ; et quelle est sa condition après. Était-il croyant ou
non ? Lui semblait-t-il avéré que Dieu existe et que Muhammad est son Envoyé ou non ?
Priait-il et jeûnait-il ou non ? Si telle était sa condition avant sa recherche, c’est également
celle du commun des croyants. Il ne doit donc pas accuser d’impiété l’un d’entre eux. Si en
revanche, il ne croyait pas avant d’étudier la théologie, alors nous demandons à Dieu de nous
préserver d’une telle voie. Car le peu de discernement de cet homme l’a conduit à se départir
de sa foi. Le Sheikh Muyî ad-Dîn – Dieu lui fasse miséricorde - disait : « Les gens de Dieu
n’ont pas pour habitude de contester les vues des partisans de telle ou telle faction musulmane
à moins qu’ils ne contredisent les textes ou contestent un point consensuel. Car quiconque
entreprend de répondre à l’un d’eux sur une question n’est pas à l’abri de réfuter une idée
vraie. Parce que les musulmans, tant qu’ils demeurent dans le cadre de l’islam, n’adoptent que
des convictions vraies ou des convictions pertinentes parmi d’autres, à l’inverse de ceux qui
sortent du cadre de l’islam. »
Il déclare aussi dans le chapitre trente des Futûhât : « D’ordinaire, les gens de Dieu ne
cherchent pas à dénigrer les convictions des musulmans. Ils aiment en revanche chercher les
ressorts de ces convictions afin de savoir d’où les gens les tiennent et afin de voir quelle
épiphanie est à l’origine de l’adoption qu’ils ont adoptée. Ils s’inquiètent aussi de savoir si
celle-ci contribue à leur félicité ou non. Voilà ce à quoi ils s’en tiennent en matière de
théologie. Il apparaît donc que les convictions doctrinales du commun des musulmans
conforment à l’avis unanime des savants orthodoxes sont saines et exemptes de ces idées
douteuses que peuvent soutenir les théologiens spéculatifs ; et que ces gens observent les
règles de l’islam, même s’ils n’ont jamais consulté les ouvrages de théologie. Parce que Dieu,
exalté soit-Il, les maintient dans le juste dogme, ce dogme conforme à la nature primordiale
islamique selon laquelle Dieu a créé ceux qui professent l’unicité. Cela leur vient, soit de
l’instruction de leur père, soit d’une juste inspiration. Ils entretiennent ainsi une connaissance
relative au Très-Haut et à Sa transcendance conforme à la connaissance que pose la lettre du
Coran, la sunna et les enseignements des imams. Ils entretiennent un dogme juste tant qu’ils
s’abstiennent de vouloir faire l’exégèse des textes. Car l’exégèse peut ne pas être souhaitable
pour l’aspirant. Si quelqu’un cherche à gloser un verset ou une tradition prophétique, il
s’exclut du commun des musulmans sur cette question et il s’assimile à ceux qui se consacrent
à l’étude théorique et à l’exégèse. Alors, il rencontrera Dieu dans une disposition qui
dépendra de son interprétation. Soit il aura vu juste, soit il aura été dans l’erreur et aura adopté
des idées contraires aux indications explicites données par la voie légale immaculée. Médite
ce point, car il est précieux.
Le Sheikh de nos Sheikh, Kamâl ad-Dîn Ibn al-Hammâm – Dieu lui fasse miséricorde
– disait : « On ne peut raisonnablement penser que les gens adoptent des convictions par
imitation en matière de foi. Il est rare en effet de voir quelqu’un relayer une idée relative à la
foi en Dieu sans la fonder sur des arguments. C’est si vrai que les discussions des gens du
peuple dans les marchés abondent de récits étayant leur conviction de l’existence du TrèsHaut et de Ses attributs. L’imitation consiste à ce qu’un homme entende quelqu’un dire que
les êtres ont un Seigneur qui les a créés et qui a créé toute chose, un Seigneur qu’il convient
d’adorer seul et sans associé, puis que cet homme en soit convaincu du simple fait de la
confiance totale qu’il place en le discernement de son interlocuteur et du simple fait de la
39
haute opinion qu’il a de lui. S’il adopte si bien cette conviction qu’elle ne laisse aucune place
à la contestation, alors il s’acquitte de son devoir de foi. Car l’objectif de toute argumentation
en la matière n’est autre que d’arriver à cette même conviction. Or l’objectif de ce devoir
relatif à la foi est atteint. »
Et le Sheikh de nos Sheikh Kamâl ad-Dîn Ibn Abî Sharîf, a dit : « Le but de ce
développement est que l’individu ne tombe pas dans l’impiété en l’absence d’argumentation,
car son devoir consiste simplement à acquérir cette foi. Or si celle-ci est acquise,
l’argumentation est sans objet. Néanmoins, la foi par imitation peut aisément être ébranlée par
des contingences quelconques causant le doute, contrairement à la foi confortée par les
preuves. Celles-ci sont donc un meilleur gage de préservation. »
Dans son livre Sirâj al-‘uqûl, Le Sheikh Abû Tâhir al-Qazwînî rapporte qu’Ahmad Ibn
Zâhir as-Sarkhasî, un des plus proches compagnons du Sheikh Abû al-Hasan al-Ash ‘arî –
Dieu lui fasse miséricorde, lui raconta ce qui suit : « Lorsqu’Abû al-Hasan al-Ash‘arî sentit sa
fin venir dans ma demeure à Bagdad, il me demanda de rassembler ses compagnons. Une fois
qu’ils furent rassemblés, il nous dit : « Soyez témoins que je n’accuse d’impiété aucun
homme du commun des gens s’orientant vers La Mecque. Parce que j’ai pu constater qu’ils
pointent tous un unique adoré. Et l’islam les embrasse et les englobe sans exception. » Le
Sheikh Abû Tâhir commentait : « vois comme il les a appelés musulmans. » Quant à l’imam
Abû al-Qâsim al-Qushayrî – Dieu lui fasse miséricorde – il disait : « Quiconque prétend que
le Sheikh Abû al-Hasan al-Ash‘arî soutenait que la foi par imitation n’est pas valable est un
menteur. Parce qu’un imam de cette envergure est bien trop haut pour tenir au sujet des
convictions prédominantes des musulmans des propos diffamants conduisant à les accuser
d’impiété et à considérer leur foi comme irrecevable. »
Le Sheikh Tâj ad-Dîn as-Subkî a dit quant à lui : « En définitive, ce qui écarte tout
discrédit d’al‘Ash‘arî sur ce sujet est que si l’homme croyant par imitation adopte l’opinion
d’un autre sans preuve de sorte qu’il demeure sujet au doute ou à l’illusion, sa foi est
insatisfaisante, car elle n’est pas sûre. Or la foi affectée de la moindre hésitation n’en est pas
une. Si en revanche il adopte la conviction d’un autre sans preuve, mais qu’il en tire une
conviction certaine, sa foi est satisfaisante selon al-Ash‘arî et les autres savants. Al-Jalâl alMahallî déclare à ce sujet : « C’est ce qu’il convient de croire. » »
Le Sheikh Sa‘d ad-Dîn at-Tiftazânî et d’autres ont dit : « Après examen, voila ce qui
ressort de la question de l’étude théologique sujette à condamnation. La réflexion consistant à
établir et à définir les arguments théologiques, et à écarter les doutes et les ambiguïtés est un
devoir suppléable92 incombant aux gens prédisposés. Il suffit qu’un petit nombre de gens s’en
charge. Quant à ceux qui n’y sont pas prédisposés et qui risquent de tomber dans des
équivoques pernicieuses, il ne convient pas qu’ils s’y emploient. Al-Jalâl al-Mahallî a dit :
« C’est là l’objet d’interdiction que prononcèrent l’imam as-Shâfi‘î et d’autres savants parmi
nos prédécesseurs au sujet de la consécration à la théologie. »
92
Fard kifâya : devoirs pour lesquels quelques personnes peuvent suppléer à l’ensemble des gens. Opposé à
Fard ‘ayn : devoir incombant à chacun.
40
Le Sheikh Muhyî ad-Dîn Ibn al-‘Arabî disait pour sa part : « L’interdiction de s’investir dans
la théologie concerne ceux qui le font sur la base de l’examen théorique et de la réflexion.
Parce que la pensée se trompe souvent au sujet des questions relevant du divin. Quant à ceux
qui parlent de l’unicité et de ce qui s’y rapporte par voie de dévoilement, ils ne sont pas
concernés par l’interdiction de nos prédécesseurs. Car l’homme de dévoilement à la
particularité de s’exprimer sur les choses telles qu’elles sont et de ne pas faire erreur. »
Ainsi, ai-je pris le parti de fonder les positions doctrinales évoquées dans cet ouvrage
sur les paroles des gens de dévoilement à l’exclusion des théoriciens, et en particulier sur
l’enseignement du Sheikh Muhyî ad-Dîn Ibn ‘Arabî – Dieu soit satisfait de lui. Car celui-ci a
dit dans le chapitre trois cent soixante six des Futûhât : « L’ensemble des propos que je tiens
dans mes assemblées ou que je consigne dans mes ouvrages procède du très sublime et très
auguste Coran. J’ai reçu les clés de ses sciences, si bien que je puise toutes les connaissances
de lui. Et si je procède ainsi, c’est pour ne pas me couper de Sa présence et pouvoir continuer
à m’entretenir avec Lui par le biais de Sa parole ou de ce qu’elle dit implicitement.
Il dit par ailleurs dans un passage des Futûhât sur le sujet de l’appel à la prière : « Je
n’affirme rien dans ce livre – louange en soit rendue à Dieu – étranger au cadre légal. Je ne
m’écarte du Coran et de la sunna dans aucun de mes ouvrages. » Il dit aussi dans le chapitre
trois cent soixante six de ce même livre : « Rien de ce que je consigne dans mes écrits ne
procède de raisonnements ou de réflexions. L’ensemble procède d’un souffle de l’ange
inspirateur en mon cœur. » Il dit encore dans le chapitre trois cent soixante-sept : « Je n’imite
personne – grâce à Dieu – en dehors du Prophète - Dieu lui consente la grâce et le salut.
Toutes nos sciences sont ainsi préservées d’erreur. » Et il dit dans le chapitre dix des Futûhât :
« Grâce à Dieu, dans l’ensemble de nos propos, nous ne nous fondons que sur ce que le TrèsHaut projette dans nos cœurs, et aucunement sur ce que les mots suggèrent. »
Il dit encore dans le chapitre trois cent soixante-treize : « L’ensemble de ce que j’ai écrit et
continue à écrire procède d’une dictée divine, d’une projection seigneuriale et d’un souffle
spirituel au sein de mon être. Je suis ainsi dans la position d’un héritier [du Prophète] et non
pas dans celle d’un être indépendant. Car l’inspiration dans le cœur se situe à un niveau
inférieur à celui de la révélation du Verbe 93, de la révélation indicative et de la révélation
expressive94. Fais la distinction, mon frère, entre la révélation du Verbe et la révélation de
nature inspirative95 tu seras au nombre des savants éminents. »
Il dit dans le chapitre quarante-sept : « Sache que les sciences que nous dispensons,
nous et nos compagnons, ne procèdent pas de la réflexion, mais du débord de grâce divin. »
Il dit dans le chapitre deux cent quarante-six : « L’ensemble des sciences que nous dispensons
relève de l’expérience spirituelle et non d’autres sciences. Or ces sciences procèdent toutes
d’épiphanies. Il arrive aussi que des connaissances nous proviennent par transmission de gens
fiables ou d’une juste réflexion. »
93
La révélation du verbe correspond au Coran et aux livres révélés en général.
Ces formes d’inspirations correspondent respectivement au hadith et au hadith qudsî.
95
La révélation de nature inspirative (ilhâm) correspond aux inspirations dont sont gratifiés les saints : c’est la
science inspirée (ladûnî).
94
41
Il dit dans le chapitre quatre vingt neuf et le chapitre trois cent quarante-huit : « Sache que la
répartition des chapitres des Futûhât n’est pas le fait de mon choix personnel ou d’une
réflexion. C’est le Très-Haut qui nous dicte l’ensemble de nos écrits à travers la langue de
l’ange inspirateur. Et il arrive que nous exprimions une parole sans rapport avec celle qui la
suit et celle qui la précède, comme c’est le cas dans la parole de Dieu : « Soyez attentif à vos
prières et [en particulier] à la prière médiane. »96 Cette parole se situe en effet entre des
versets relatifs à la répudiation, au mariage et aux héritages. » Il s’est étendu longuement sur
ce sujet.
Il dit dans le chapitre huit des Futûhât : « Sache que les gnostiques – Dieu soit satisfait
d’eux – ne s’en tiennent pas dans leurs écrits aux sujets qu’annoncent les titres des chapitres.
Parce que leurs cœurs se tiennent sur le seuil de la présence divine. Ils guettent ce qui peut en
sortir et dès qu’une parole en émane, ils s’empressent de la livrer dans les limites de ce qu’ils
en perçoivent. Il arrive ainsi qu’ils intègrent à leur sujet des enseignements d’une autre nature,
pour se conformer à l’ordre de leur Seigneur, Celui-ci connaissant la sagesse qui motive cette
digression. »
Les textes évoqués indiquent que la parole des hommes parfaitement réalisés est en soi
dénuée d’erreur. Mais Dieu sait mieux ce qu’il en est.
Le Sheikh Muhyî ad-Dîn déclare aussi dans le chapitre soixante et onze des Futûhât : « Les
sciences nécessaires ont la précellence sur les sciences théoriques. Car toute science théorique
repose sur des arguments nécessaires ou procède d’arguments selon des rapports plus ou
moins lointains. Et si tel n’est pas le cas, la science en question ne repose sur aucune base
probante et fiable. »
Il dit dans le chapitre soixante huit des Futûhât : « Sache que les connaissances
doctrinales authentiques sont celles qui procèdent d’un dévoilement et d’une vision directe.
Quant à l’homme qui repose ses convictions doctrinales sur des faits relatifs et ne considérant
que certains aspects à l’exclusion d’autres aspects, il risque de ne pas reconnaitre le Vrai, si
Celui-ci se présente à lui selon un aspect autre que celui auquel il se confine. C’est pourquoi
l’homme parfaitement réalisé s’emploie à considérer la perspective dans laquelle se place
chaque vision doctrinale et à déterminer sur quoi se fondent les individus dans les propos
qu’ils soutiennent sur le sujet. » Le Sheikh s’étend longuement sur ce point. Puis il déclare :
« Il arrive qu’un homme hérite du dogme de ses parents ou de ses précepteurs, puis qu’il en
prenne conscience et soit capable de se faire sa propre opinion. Les savants divergent sur
l’attitude qu’il doit alors adopter. Certains sont d’avis qu’il doit se contenter de la doctrine
dont il a hérité. D’autres sont d’avis qu’il doit examiner les arguments sur lesquels elle se
fonde pour connaitre la vérité. Chacun de ses avis se fait l’écho d’un aspect de la question. »
Il dit par ailleurs dans le chapitre quatre cent soixante-seize : « Puis il est des sciences
relatives au Très-Haut qu’il ne convient pas de consigner dans les exposés doctrinaux, ni
même d’évoquer. Elles ne sont pas exprimées par les serviteurs élus à moins que ceux-ci ne
soient dominés par un état spirituel. Dans ce cas, leur état les protège et les disculpe, comme
l’homme enivré. Mais lorsqu’ils retrouvent leur esprit, la protection cesse. »
Il dit dans le chapitre trois cent quarante et un : « Pour les gens non encore accomplis, il ne
convient pas de consulter les livres des communautés dans l’erreur ou de religions égarées.
96
Coran 2 : 238.
42
Quant aux gens de dévoilement, ils peuvent les consulter afin de voir selon quelle perspective
se placent les différents auteurs dans les idées qu’ils professent. Car, fort de leur dévoilement
authentique, il n’y a pas de risque qu’ils adoptent leurs vaines idées. »
Il dit en outre dans le chapitre deux cent soixante quinze des Futûhât : « Tout
gnostique se doit de dissimuler les sciences secrètes dont le Très-Haut l’a gratifié. Il ne doit
pas les révéler au commun des gens afin que les détracteurs ne le prennent pas à partie. C’est
ainsi qu’Abû al-Qâsim al-Junayd, le maître des gens de cette voie, a déclaré : « Nul homme
n’atteint le degré de la vérité spirituelle avant que mille Véridiques ne témoignent qu’il est un
hérétique. » Parce que lorsqu’il révèle des vérités relevant du secret, les Véridiques n’ont
d’autre choix que de le condamner par souci de préserver les apparences de la voie légale
immaculée. » » Et le Sheikh Muhyî ad-Dîn ajoute : « Nous-mêmes et les gnostiques avons
connu de grandes épreuves en divulguant certaines connaissances et certains secrets. D'aucuns
nous accusèrent d’hérésie et nous firent endurer les pires tourments. Nous étions comme un
prophète discrédité par les siens et à qui ne se rallient que quelques individus. Nos plus
belliqueux ennemis ne sont autres que ces gens qui défendent des idées par imitation servile.
Quant aux philosophes, ils nous prennent pour des extravagants à l’imagination corrompue et
à la raison déficiente. Si seulement ils nous considéraient comme ils considèrent les gens du
livre et qu’ils ne nous dénigraient pas sur des propos qui ne contreviennent aucunement à la
voie légale, nous nous en accommoderions. Néanmoins, grâce à Dieu, les réprobations qu’ils
nous manifestent par ignorance ne nous touchent pas. »
Il dit dans le chapitre quatre cent trente-huit : « Les gens condamnent les sciences des
gens de Dieu, parce que celles-ci leur sont données par des voies singulières et
inaccoutumées, ces voies étant celles du dévoilement. En effet, la plupart des gens acquièrent
les sciences par voie de réflexions et ils nient de ce fait les sciences acquises par un autre
biais. De fait, tout le monde n’est pas capable de polir le miroir de son cœur par l’effort et
l’exercice spirituel, jusqu’à pouvoir comprendre la parole de Dieu et s’inclure parmi eux.
Mais s’il en est ainsi, c’est en vertu de sagesses et de secrets appartenant à Dieu. »
Et il dit dans le chapitre quatre cent trente-huit : « Si quelqu’un aspire à comprendre les
enseignements insaisissables du verbe de Dieu et de la parole de Ses prophètes et de Ses
saints, il doit renoncer à ce monde jusqu’à ce que sa pensée y soit complètement réfractaire et
jusqu’à ce qu’il soit enjoué lorsqu’il est privé de ce qu’il procure. Si un homme convoite ce
bas monde, il ne saurait en aucun cas pénétrer les connaissances hermétiques. »
Il dit encore dans le chapitre trois cent quatre-vingt-deux : « Quiconque aspire à
pénétrer les subtilités de la voie légale et résoudre les mystères des sciences de l’unicité, doit
renoncer à tous les jugements que lui livre sa raison et sa pensée, puis il doit se représenter la
révélation de son Seigneur et dire à sa raison, si celle-ci le dispute : « Tu n’es qu’un serviteur
comme moi. Comment pourrais-je faire fi de ce que le Très-Haut dit de Lui-même dans
certains versets, en termes d’attributs par exemple, sous prétexte que tu es incapable de le
comprendre. Tu ne parviens pas même à te connaître toi-même, comment pourrais-tu
connaître ton Seigneur. Si tu faisais preuve d’impartialité, tu te contenterais du jugement que
dictent la foi et les textes de références, et tu fonderais tes vues et tes démonstrations sur
l’enseignement de ton Seigneur, exalté soit-Il. » Il s’étend longuement sur ce sujet.
Il dit sur le même sujet, dans le chapitre deux cent quarante-six des Futûhât :
« Gardes-toi bien de ne pas mesurer les choses de la révélation à l’aune de ton opinion dans
43
les sciences officielles. Emploie-toi au contraire à faire selon ce qu’elle prescrit. Et si tu la
comprends différemment des gens sur un point que définit le sens obvie du texte, ne te fie pas
à ton jugement, car il s’agit d’une ruse divine maquillée en science divine dont tu n’as pas
conscience. » Il s’étend longuement sur ce sujet. Puis il dit : « Donner la prévalence à un
[prétendu] dévoilement sur les textes de référence n’est pas recevable selon nous. Car les gens
se laissent souvent abuser. Sans quoi, un dévoilement véritable est toujours conforme à ce que
dit explicitement la voie légale. Aussi, quiconque donne la prévalence à ses dévoilements sur
les textes, sort du fil unissant ces perles que sont les gens de Dieu et s’assimile aux hommes
œuvrant en pure perte. »
Il dit dans le chapitre cent quatre-vingt-cinq : « La balance de la révélation posée sur
terre correspond à la voie légale que détiennent les savants. Lorsqu’un saint s’écarte de cette
référence alors qu’il jouit de toute sa raison et demeure par conséquent responsable de ses
actes, il convient de le condamner. Si en revanche il est dominé par un état, il convient
d’accepter cet état et de ne pas le condamner. Car dans ce cas, il n’est pas soumis aux règles
applicables aux gens raisonnables. Néanmoins, s’il commet un acte impliquant une sanction
prescrite par la voie légale et que le juge l’établit formellement, la sanction doit lui être
appliquée. C’est incontournable. Il ne peut prétexter pour échapper à la sentence qu’il est
comme les gens de Badr, parce que les sanctions demeuraient applicables à ceux-ci dans ce
monde. C’est uniquement dans l’au-delà qu’ils n’encouraient plus aucune sanction. Car si le
Seigneur déclare à Son serviteur : « Fais ce que tu veux, je t’ai d’ores et déjà pardonné. »97,
c’est bien que ses transgressions éventuelles demeurent des transgressions du point de vue
légal. Parce que le pardon implique une faute. C’est pourquoi Dieu a dit : « Je t’ai pardonné et
n’a pas dit : « J’ai rendu caduque toute sanction à ton encontre. » Aussi, si un juge applique
une sanction et un châtiment contre un tel homme, ce juge en sera récompensé. Mais le signe
qu’un homme est sous l’emprise d’un état est qu’il est préservé de la personne en charge
d’appliquer les peines. Il arrive par exemple que la main de celui-ci se paralyse et ne
parvienne plus à se tendre vers lui. »
Il dit dans le chapitre deux cent soixante-trois : « Sache que l’essence de la voie légale
est l’essence même de la voie des vérités spirituelles. Car la voie légale évolue dans deux
cercles inscrits l’un dans l’autre, l’un étant supérieur à l’autre. Le cercle supérieur est celui
des gens de dévoilement et le cercle inférieur est celui des gens restreints au raisonnement. Il
se trouve que lorsque ces derniers examinent les paroles des gens de dévoilement et ne les
trouvent pas incluses dans le cercle de leur pensée, ils en concluent que ces paroles sont
étrangères à la voie légale. C’est pourquoi les gens du raisonnement condamnent les gens de
dévoilement, tandis que ces derniers ne condamnent pas ces premiers. L’homme alliant le
dévoilement au raisonnement est le sage de son temps. Les sciences intelligibles constituent
un des deux extrêmes de la voie légale et les sciences du dévoilement l’autre extrême. Ces
deux formes de sciences sont donc indissociables. Mais comme les hommes capables de les
réunir sont rares, les gens de sciences extérieures ont pour habitude de les dissocier. Si les
choses n’étaient pas ainsi faites, Moïse n’aurait pas cessé de condamner les actes d’al-Khidr.
S’il n’avait pas compris qu’il était dans le vrai, il aurait réprouvé ses actes à la fin de leur
rencontre comme au début. »
97
C’est ce que Dieu aurait dit au sujet des croyants ayant participé à la bataille de Badr selon un hadith.
44
Il dit dans le chapitre cinq cent vingt et un : « Sache que les bandits de grand chemin hantant
la route des vérités intelligibles sont les équivoques qui se présentent à la raison ; et les
bandits de grand chemin hantant la route des vérités révélées sont les interprétations abusives.
Or le voyageur n’a d’autre choix que d’emprunter un de ces deux chemins. S’il arrive à un
point dénué de toute équivoque et de toute interprétation, c’est que son voyage s’achève. »
Il dit par ailleurs dans le chapitre soixante-douze : « Les critères sur lesquels se basent les
saints abordant la théologie ne les sortent jamais de la voie légale. La protection dont ils
jouissent les préserve de la contredire en quoi que ce soit, même si les gens du commun
s’imaginent qu’ils le font. Car il ne s’agit pas d’avis contraires à la voie légale sur les points
concernés, mais de réalités qui apparaissent telles à ceux qui se basent sur des critères d’un
niveau inférieur. Et cela ne diminue en rien la science des gens de Dieu, exalté soit-Il. » Il
s’étend longuement sur ce point, puis il ajoute : « Les critères légaux sont au nombre de trois.
Le premier est le critère du consensus, le second celui du dévoilement et la troisième celui de
la déduction absolue98. En dehors de ces trois critères, toute position ne correspond qu’à un
avis personnel auquel les gens de Dieu n’accordent aucune autorité. »
Il dit dans le chapitre deux cent soixante six : « Garde-toi, lorsque tu entends une idée
étayée par un verset coranique, de dire hâtivement qu’il ne convient pas de vouloir créditer
cette idée par ce verset. Prends le temps de bien la considérer, car le rang du verbe divin est
tel qu’il englobe dans sa grandeur toutes les acceptions que les commentateurs d’entre les
imams reconnus ont pu exprimer. Ce qui n’est pas vrai d’autres livres. » Il s’étend longuement
sur ce point, puis il ajoute : « Mais il est évident que l’interprétation du Coran a pour
condition de s’en tenir à ce que la lettre peut comporter d’acceptions. Sans quoi l’individu qui
interprète le Coran sur la seule base de son avis personnel se comporte en impie. »
Il dit dans l’introduction des Futûhât : « Garde-toi de condamner en hâte une idée
soutenue par un philosophe ou un mutazilite, par exemple, et de dire que cette idée appartient
à la philosophie seule ou à la doctrine mutazilite seule. C’est l’attitude de gens peu avertis. En
effet, toutes les idées des philosophes ne sont pas fausses et il se peut qu’une idée soit la vérité
donnée en partage à tel ou tel philosophe. C’est d’autant plus justifié si le législateur - Dieu
lui consente la grâce et le salut – soutient expressément la même idée, ou si un savant de
référence, un compagnon, un successeur des compagnons ou un des imams orthodoxes la
soutient. Les sages d’entre les philosophes ont rédigé de nombreux ouvrages regorgeant de
sagesses, d’exhortations visant à s’affranchir des passions, de mises en gardes contre les
duperies de l’âme, d’études introspectives de la conscience humaine. Or tout cela correspond
à des sciences authentiques conformes aux prescriptions légales. Ne t’empresse donc pas,
mon frère, de les contester. Considère ce que dit le philosophe en question avec
circonspection jusqu’à en avoir une idée claire, car il se peut que sa parole soit juste et
concorde avec la voie légale, soit que le législateur lui-même l’ait exprimée, soit qu’un savant
l’ait fait. Si quelqu’un allègue que tel savant a entendu telle ou telle idée d’un philosophe, ou
l’a lu dans un ouvrage de philosophie, sans savoir que cette idée est vraie et conforme à la
voie légale, il fait preuve d’ignorance et se rend coupable de calomnie. Il se rend coupable de
calomnie parce qu’il allègue un fait sans en avoir été témoin ou sans en avoir une preuve
98
Ijtihâd mutlâq.
45
formelle ; et il fait preuve d’ignorance parce qu’il ne sait pas distinguer le vrai du faux sur le
point en question. Son allégation le sort ainsi du cadre de la science et de la sincérité pour
l’inclure au nombre des ignorants, des menteurs, des insensés et des incohérents, et elle
l’écarte de la voie des gens de vérité par son esprit de parti exacerbé 99. Reçois-donc, mon
frère, les idées qu’un philosophe ou un mutazilite te présente, puis examine-les
précautionneusement en cherchant en toi-même la guidance, jusqu’à ce que la signification
t’apparaisse avec clarté. Cela vaut mieux que de devoir dire au jour du jugement : « Malheur
à nous ! Nous étions inconscients de ce fait. Pire encore ! Nous étions iniques. »100
Il dit dans le chapitre deux cent vingt-six des Futûhât : « Sache que si les philosophes
font l’objet de certaines réprobations, ce n’est pas parce qu’ils s’appellent « philosophes »,
mais parce qu’ils énoncent des erreurs dans les sciences relatives au divin. Sans quoi, le nom
de philosophe en lui-même ne signifie rien de plus qu’aspirant à la sagesse, le terme sofia en
grec signifiant la sagesse. Et, assurément, tout être sensé aime la sagesse. Néanmoins, les
penseurs se basant essentiellement sur la raison sont plus souvent dans l’erreur que dans le
vrai concernant les sciences du divin, qu’il s’agisse de philosophes ou de mutazilites, les deux
se fondant sur des avis personnels. »
Le Sheikh Muhyî ad-Dîn déclare aussi dans son livre Lawâqih al-anwâr :
« J’accomplissais une retraite spirituelle et je cherchais à percer le mystère du prophète
Idrîs101. C’est alors que je compris l’erreur qui fit adopter aux philosophes des interprétations
abusives. C’est qu’ils reçurent leur science d’Idrîs – Dieu soit satisfait de lui. Or quand celuici fut élevé au ciel102, les gens divergèrent sur l’interprétation de la voie légale qu’il leur
légua, tout comme les savants musulmans divergent sur la nôtre : certain considérèrent licite
ce que les autres considérèrent illicite et inversement. »
Il dit dans l’introduction des Futûhât : « La véracité d’une doctrine est d’autant plus
grande qu’elle se fonde sur des références indubitables. C’est si vrai que ceux qui adoptent
une croyance reposant sur un héritage certain du législateur sont mieux préservés et
entretiennent une croyance plus fiable que ceux qui se fondent sur des arguments intelligibles.
Parce que si l’homme est un peu perspicace, il ne manquera pas de voir les points
d’incertitude et les contradictions qui peuvent affecter son argumentaire. Aussi verra-t-il que
ses pas sont chancelants et il craindra de se perdre complètement. » Le Sheikh s’étend
longuement sur ce sujet, et il dit : « Médite les paroles des gens du raisonnement103, tu verras
que lorsqu’ils s’emploient à examiner une question jusqu’à se forger un avis personnel en
trouvant les arguments pour le défendre, cela leur donne la conviction d’être parvenu au
signifié [du texte]. Mais voilà qu’un détracteur de la faction adverse, qu’il soit mutazilite ou
ascharite, vient bientôt leur opposer un fait contestant et ébranlant la conclusion
« péremptoire » à laquelle ils avaient abouti. Ils considèrent alors que leur premier argument
99
Hamiyya al-Jahilliyya : ou esprit clanique de la période d’ignorance préislamique.
Coran 21 : 97.
101
Idrîs est habituellement assimilé à Énoch, inventeur de l’écriture selon la tradition musulmane. D'autres
l’assimilent à Hermès, lequel serait l’initiateur de la philosophie.
102
Le Coran dit d’Idrîs : « Nous l’avons élevé en en lieu sublime. » Il aurait été élevé ainsi de son vivant, selon
la tradition. Mais les interprétations divergent sur ce que désigne ce lieu. On peut y voir le paradis ou une station
spirituelle éminente. Le terme coranique « ‘aliyân » vaut 111 et indique le lieu polaire.
103
‘Uqalâ’
100
46
était erroné et qu’il ne respectait pas pleinement leurs critères canoniques sur ce point ! Leur
connaissance est-elle comparable à celle d’hommes suivant avec lucidité l’héritage
indubitable que leur a légué le législateur ? Les connaissances que ces derniers acquièrent
sont à l’image des réalités nécessaires appréhendées par la raison : elles sont indubitables. Car
le discernement spirituel104 est aux gnostiques105, ce que les lois nécessaires sont à la raison.
Ce qui est à l’inverse des postulats émis par la raison. Ceux-ci demeurent en proie aux
incertitudes et aux doutes. C’est pourquoi les arguments des ascharites peuvent faire douter
les mutazilites et inversement. Et il n’est de doctrine établie par un glossateur 106 ou un
théologien qui ne puisse être mise en défaut. En outre, les acharites se définissent tous comme
tels, mais on constate pourtant qu’Abû al-Ma‘âlî conteste ce que dit al-Qâdî ‘Ayâd107 ; et que
ce dernier conteste ce que dit al-Ustâdh ; et que ce dernier conteste ce que dit le Sheikh Abû
al-Hasan al-Ash‘arî108. Tous se considèrent pourtant ascharites. Et il en va de même des
savants des autres écoles théologiques qu’ont fondées les glossateurs. » Le Sheikh s’étend sur
cette question, puis il dit : « Sache que les spécialistes de la théologie spéculative ne sont pas
excusables d’ignorer [les vérités dogmatiques] qu’il leur incombe de connaître ; et que les
connaissances héritées de manière certaine conduisent à un savoir plus fiable que les sciences
enseignées par la théologie spéculative. C’est ce qu’indique par exemple notre témoignage
concernant les communautés des époques passées. Nous reconnaissons en effet que le prêche
du Vrai, exalté soit-Il, leur est parvenu, alors que nous n’étions pas là pour le voir. Nous ne
faisons donc que prêter foi en la parole du Seigneur qui nous informe de ce fait dans Son
Livre au sujet des peuples de Noé, de ‘Ad, de Thamûd, de Pharaon etc. Or au jour du
jugement, la foi en cela ne sera acceptable que de la part de ceux qui en étaient convaincus en
ce monde. »
Il dit dans le chapitre deux cent quatre-vingt : « Sache que l’adoration d’un individu
n’est recevable que dans la mesure où il fonde sa connaissance du Seigneur sur des bases
certaines. Quant à l’homme qui se représente un adoré en lui-même sur la base de conjectures
et non de certitudes, sa croyance conjecturale lui sera fatalement source d’affliction et ne lui
sera d’aucun secours face à Dieu. »
Il dit par ailleurs en exergue des Futûhât : « Pour qu’une conviction puisse être
adoptée de manière certaine, une des conditions est qu’elle provienne d’un texte transmis par
des voies indubitables109 ou d’un dévoilement avéré. Quiconque ne possède qu’une source
d’information authentique sur la question qui l’intéresse, peut s’en suffire pour juger s’il
s’agit d’une question relative à ce bas-monde. Si en revanche il s’agit d’une question relative
à l’au-delà, il ne doit pas l’adopter comme une conviction clairement définie 110. Il doit se
dire : « Si cette information sur la question provient bien de l’Envoyé de Dieu telle qu’elle
m’est parvenue, alors j’y crois comme je crois à toute parole du Très-Haut et de Son Envoyé 104
Basîra.
Litt. Les savants [en sciences relatives] à Dieu.
106
Mujtahid
107
Le texte mentionne uniquement al-Qâdî. Il s’agit de l’un des sept saints de Marrakech dont le mausolée est
situé à la porte Aylen. Né en 476 H/1083 EC à Sebta au Maroc, Abû al-Fadhl ‘Ayâd est l’auteur du célèbre Kitâb
ach-Chifâ qui constitue un des plus beaux éloges du Prophète.
108
Savant qui donna son nom à la doctrine ascharite.
109
Mutawâtir.
110
Sans doute parce que les informations relatives à l’au-delà sont souvent exprimées de manière imagée
correspondant à des réalités indescriptibles.
105
47
Dieu lui consente la grâce et le salut – qu’elle me soit parvenue ou non. Il ne convient
d’adopter un dogme que sur la base d’information transmise de façon certaine, qu’elles
proviennent de textes hérités par des voies indubitables, ou qu’elles procèdent de preuves
rationnelles, à condition que celles-ci ne contredisent pas un texte certain avec lequel elles
sont parfaitement inconciliable. Dans un tel cas, il convient de renoncer à l’argument rationnel
et de se baser sur le texte. Le croyant doit s’en tenir à cette information, mais en la
considérant comme une connaissance, non comme une conviction, car la réalité évoquée peut
être différente de ce que la croyance laisse imaginer. Le Sheikh Abû al-Hasan ash-Shâdhilî –
Dieu lui fasse miséricorde – dit à ce sujet : « Les sciences qu’enseignent la théologie
spéculative ne sont que des illusions comparées aux sciences acquises par voie d’intuition. » »
Le Sheikh Muhyî ad-Dîn – Dieu soit satisfait de lui - déclare aussi dans le chapitre deux cent
soixante-treize : « Pour ce qui concerne la connaissance de Dieu, garde-toi de te satisfaire de
moins que le dévoilement, comme le font les gens de spéculation dogmatique et les
théologiens. Car ceux-ci s’imaginent être parvenus au but en posant quelques jalons et en
constatant certaines réalités. On les voit se reposer complaisamment sur le dogme figé auquel
ils ont abouti, et accuser d’impiété quiconque les contredit. C’est là une grande insuffisance
en fait de connaissance. S’ils élargissaient leur horizon, ils conviendraient que l’ensemble des
adeptes de l’unicité dispose [d’une] vérité 111. » Et Dieu en sait davantage.
Nous arrivons ainsi au terme de l’introduction de cet ouvrage, grâce en soi rendue au
Seigneur. Nous allons maintenant aborder différentes études relevant des sciences
théologiques en nous reposant sur les principes de base puis le développement de la doctrine
du Sheikh Muhyî ad-Dîn. Nous procéderons ainsi à l’inverse des détracteurs du Maître qui ont
pour habitude de citer de lui des paroles singulières et hors de leur contexte, si bien que le
lecteur n’a quasiment pas d’autre choix que de les rejeter. La sagesse veut en effet qu’un
accès soit précédé d’un corridor. J’ai introduit chaque étude du livre par les différents avis des
théologiens afin de faciliter la compréhension des paroles des gens de dévoilement. J’ai
ensuite rapporté un certain nombre de citations de ces derniers sur le sujet traité. Ma
démarche aura été en somme de présenter les questions qui se posent, puis d’y donner réponse
à travers des citations, afin que les problématiques soulevées apparaissent clairement à
l’étudiant, s’il plait à Dieu.
Puisse Dieu m’accorder le concours de sa gracieuse providence en cette tâche.
111
Ou qu’ils sont dans le vrai [d’une certaine manière].
48

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