le mâle est fait - Femme Majuscule

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le mâle est fait - Femme Majuscule
le mâle est fait
entre un fils et sa mère
se nouent des liens
déterminants pour son
équilibre à l’âge adulte et
ses relations aux femmes.
La relation mère-fils a fait couler beaucoup moins d’encre que la relation mère-fille,
sur laquelle des dizaines d’ouvrages se sont penchés. Serait-elle moins complexe ?
« Le grand risque dans la relation maternelle est toujours celui de la fusion. La présence du pénis chez le petit garçon instaure une différence radicale, le pose immédiaPar Bernadette Costa-Prades
tement comme un sujet indépendant de sa mère », analyse la psychanalyste Brigitte
Allain Dupré (1). Celles qui ne se sont pas très bien entendues avec la leur peuvent
souffler : en mettant au monde un garçon, elles ne reproduiront pas le schéma familial ! Cela ne signifie pas qu’il n’y a jamais d’inquiétude : après tout, puisqu’il est différent de moi, vais-je savoir le comprendre ? s’interroge la mère de garçon.
La fabrique des petits coqs Même les plus féministes en témoignent : accoucher d’un mâle soulève une fierté particulière. Oui, oui, encore au xxie siècle !
deux mille ans de valorisation masculine, et les mentalités profondes mettent touOn n’efface pas d’un coup de gomme
jours plus longtemps à se transformer que les évolutions de la société. « Cela reste
une sorte de miracle pour la femme de mettre au monde un homme. D’ailleurs, d’après
l’anthropologue Françoise Héritier, le machisme s’explique en grande partie parce
que les hommes ne supportent pas que les femmes soient capables non seulement de
fabriquer de l’humain, mais qui plus est, un humain identique à eux ! Quoi qu’ils
fassent, quoi qu’ils disent, ils ne peuvent pas nier cette donnée : ils devront toujours
leur existence à une femme », explique la spécialiste. Toutefois, les mères vont avoir
elles aussi à balayer devant leur porte si elles veulent que la situation évolue : « Je
peste un peu contre les féministes qui ont toujours préféré accuser les hommes de tous
les maux, sans jamais remettre en question leur propre comportement. Or toutes les
PHOTOS MEYER / Tendance Floue
Psycho
statistiques montrent que les mères sont plus indulgentes avec leur garçon, qu’elles lui
pardonnent plus volontiers ses excès, qu’elles lui évitent des corvées dont elles ne dispensent pas leur fille. Tant que cela n’évoluera pas, les petits coqs continueront d’agiter leur crête », constate Brigitte ­Allain Dupré.
Mon fils ? Je l’aime trop ! Non, ce n’est pas la réplique d’une maman juive ou
italienne, mais le cri du cœur d’une femme majuscule, Anne-Marie, qui m’assure
quand même qu’elle plaisante… « Avec Tristan, dit-elle, tout est simple et évident. On
rigole beaucoup, on joue, on plaisante. Je n’ai jamais eu cette relation avec mes deux
filles, même si nous nous entendons bien. » La psychothérapeute Nicole­Prieur (2), ellemême mère de trois garçons, n’en est guère étonnée. « Il n’y a pas avec un fils cette rivalité, cette ambivalence qui existe toujours entre une mère et une fille, les relations
sont donc plus complices, plus apaisées. » Avec le garçon toutefois se pose la dimension de l’attirance sexuelle. « La plupart du temps, la mère joue avec le corps de son
bébé sans qu’aucune dimension érotique
n’intervienne. Sauf que certaines, inconsciemment bien sûr, sont excitées par le
pénis de leur enfant. Dans ce cas, soit la mère va tenir trop à distance son bébé, sentant
inconsciemment cette excitation illégitime, soit elle laisse parler son attirance, titille
le pénis de son bébé avec jouissance, le prend plus tard dans son lit, une situation dont
son fils aura beaucoup de mal à se remettre », explique Brigitte Allain Dupré. Ainsi,
Vincent a dormi avec sa mère jusqu’à l’âge de 12 ans, au gré des périodes de solitude
de cette dernière : elle le prenait comme une bouillotte dans son lit dès qu’elle se retrouvait sans compagnon. Résultat ? « Dix ans passés sur le divan du psychanalyste à
tenter de m’en remettre ! » témoigne-t-il aujourd’hui en riant, à 52 ans.
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Psycho
Des conséquences souvent désastreuses Le personnage de la mère
de fils abusive est une mine pour les humoristes, mais dans la vraie vie, c’est beaucoup moins rigolo… « Le garçon aura souvent bien du mal par la suite à établir une
relation stable et de confiance avec les femmes. Certains deviennent des dons juans
toujours prêts à la conquête mais jamais à l’engagement car il leur rappellerait trop
leur mère étouffante. D’autres se remettent dans la position du petit garçon, avec une
femme qui accepte de leur tenir lieu de maman : le couple fait des enfants, mais l’érotisme s’éteint vite, il fonctionne plus sur un mode parental que conjugal », détaille la
psychanalyste Brigitte Allain Dupré. Face à une mère dans l’excès, la stratégie du
garçon sera souvent la fuite… « La mienne ne supporte pas qu’il y ait une autre
femme qu’elle dans ma vie, c’est caricatural, mais c’est comme ça. Je vis auQuand tout tourne autour de lui Quel serait alors le comportement, non
jourd’hui en Belgique, à 1 000 kilopas idéal, mais au moins adéquat d’une mère de garçon devenu jeune adulte ? « Il
mètres de chez elle : ce n’est peut-être
faut que la mère pousse son fils à ne pas trop l’aimer, à ne pas trop vouloir la protéger,
ce que les garçons ont tendance à faire. Elle doit lui montrer que son équilibre affectif
pas très courageux, mais c’est la seule
solution que j’ai trouvée pour me proténe repose pas uniquement sur ses épaules, surtout si elle vit seule avec lui. Enfin, elle
ger », soupire Luc.
doit s’assurer qu’elle a un discours respectueux vis-à-vis des hommes : elle est peutêtre tombée sur des salauds, cela ne signifie pas que tous les hommes le soient. Comment un ­garçon peut-il grandir sereinement avec une telle prophétie ? », interroge
Nicole Prieur. Plus encore que les paroles, ce sont les gestes qui comptent. « Certaines mères s’y entendent pour disqualifier en permanence leur compagnon, levant
les yeux au ciel quand il parle, établissant une complicité avec leur grand garçon. Il
Un puissant
est important qu’elle donne à son homme une place respectable et respectée, qu’elle
antidote
prenne en compte son avis, bref, qu’elle offre à son fils un modèle de couple où l’homme
Vous craignez d’être une
a sa place », ajoute Brigitte Allain Dupré.
mère abusive ? Courrez vite
acheter Ailleurs (1), le
dernier livre du romancier
américain Richard Russo.
Il y raconte avec une verve
réjouissante ses relations
avec sa mère. Petit, il
passait sa vie à s’inquiéter
pour elle, à vivre selon son
tempo, comme s’ils étaient
un duo indissociable. Son
grand-père l’avait prévenu :
« Tu as le choix, tu peux
faire ce qu’elle veut ou
regretter de ne pas l’avoir
fait… » Un livre à offrir aux
mères de garçons !
« Je sentais bien
que notre
relation n’était
pas équilibrée »
« J’ai perdu mon mari
dans un accident de
voiture quand Théo avait
10 ans. Nous avons vécu
ce deuil collés l’un
à l’autre. Je me suis
éloignée de ma famille,
il n’y avait plus que
lui dans ma vie. Je lui
parlais de mes soucis
de travail, d’argent…
Je sentais bien que
notre relation n’était pas
équilibrée, qu’il aurait dû
prendre ses distances,
voir plus ses copains.
1. Éd. Quai Voltaire.
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o
Myriam, 50 ans
un fils, Théo, 17 ans
Dès que j’avais le regard
un peu perdu, il
s’inquiétait : « Ça va
Maman ? » Et puis j’ai
rencontré Marc. Pendant
un an, nous nous
sommes vus en cachette
de mon fils, ce que
Marc désapprouvait
totalement. Un soir, il a
débarqué à la maison
sans me prévenir avec le
repas sous le bras. Nous
avons dîné tous les trois
et Théo était ravi de
la soirée. À partir de ce
jour-là, il a commencé
à sortir avec ses copains,
à partir seul en
vacances. Il a une petite
amie et s’entend très
bien avec mon nouveau
compagnon. J’avais
peur qu’il me juge, qu’il
pense que je trahissais
la mémoire de son père,
mais non ! Et puis, mes
problèmes, maintenant,
j’en discute avec Marc. »
faire Une vraie place au père C’est une évidence qu’il faut marteler : pour se
construire, le garçon a besoin d’un père et/ou d’images masculines positives autour
de lui. La mère a-t-elle un compagnon qui la respecte ? Qui respecte les femmes ?
« Mes fils n’ont jamais entendu leur père dénigrer une femme, faire des blagues salaces. C’est au moins aussi important que le comportement de la mère pour en faire
des hommes respectueux », assure Nicole Prieur. Certains pères n’arrivant pas à
trouver leur place auprès de leur fils prennent bien à tort celle du copain. « Mon
père m’invitait pour que je lui parle des filles, il ne me trouvait pas assez conquérant !
Il me laissait entendre qu’il avait eu beaucoup d’aventures à mon âge, qu’il fallait que
j’en profite. Ces discussions me mettaient très mal à l’aise et j’ai mis du temps à ne pas
me sentir minable parce que je ne suis pas du genre cavaleur », se souvient Rémi. Et
c’est encore aux pères de prendre leur
place, de ne pas laisser les femmes abuser de leur pouvoir. À la société patriarcale d’antan, sommes-nous en train
d’assister à l’avènement d’un matriarcat triomphant ? « Observez les photos des personnalités en vue quand elles se promènent avec leur progéniture. Systématiquement, la femme avance fièrement entourée de ses enfants, tandis que le père suit avec la poussette à trois pas derrière elle. Le
message subliminal ? Sa place est accessoire », analyse Brigitte­Allain Dupré. Pas sûr
que nos enfants y gagnent, les garçons encore moins que les filles. Attention, il ne
s’agit pas d’un cri du cœur passéiste : « La féminisation du masculin est précieuse :
les hommes sont désormais plus sensibles, capables de s’émouvoir, ils ont une personnalité plus riche. Ce serait dommage que certaines ogresses toutes-puissantes leur
fassent regretter une évolution favorable à tous », conclut la spécialiste. ✦
1. Auteure de Guérir de sa mère, éd. Eyrolles. 2. Petits Règlements de compte en famille, Albin Michel.
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