Une belle Etude de Voies Romaines et les Conclusions à en tirer

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Une belle Etude de Voies Romaines et les Conclusions à en tirer
L. de la Bastide
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Une belle Etude de Voies Romaines et les Conclusions à en tirer
M. Emile Chénon vient de publier une étude considérable sur les voies qui ont sillonné le Berry. M. Chénon,
professeur à la Faculté de Droit de Paris, est un des membres les plus compétents de la Société des
Antiquaires du Centre.
Sans y faire aucune allusion et sans polémique inutile, M. Chénon rompt nettement en visière avec la
conception étroite du classement des voies antiques, tel qu'il a été fait par Desjardin et Longnon dans leur
grand travail de la Géographie de la Gaule. Ces auteurs n'ont à peu près admis comme authentique que le
réseau un peu incohérent qui nous est donné par l'Itinéraire d'Antonin et la Table Théodosienne. A leur suite,
s'est créée toute une école qui, si l'on peut dire, rabâche sur les vieilles voies et s'insurge contre les découvertes qui ont pu être faites par des chercheurs dégagés de toute idée préconçue et ne connaissant qu'une
chose : les restes visibles laissés sur le terrain.
M. Chénon s'est constitué un programme simple. II a pris la Capitale de sa Civitas, Bourges, et s'est demandé
comment cette ville correspondait avec les autres capitales de Civitates, ses voisines. D'où une première
tranche de voies à grand parcours que nous pouvons considérer comme Provinciales. Il constitue ainsi autour
de Bourges une étoile qu'il réalise sur le terrain par un rayonnement dans un grand nombre de directions.
Il prend ensuite ce que nous nommerons les Vici principaux des Bituriges, et les relie entre eux par des voies
dont un grand nombre se réalisent sur le terrain, les autres restant probables et à vérifier par les chercheurs
locaux d'après les règles qu'il donne.
Ces règles sont basées sur les limites de Communes et ont été énoncées, il y a un demi-siècle, par M. de
Longuemar dans les Annales des Antiquaires de l'Ouest. M. Chénon y ajoute deux observations très
intéressantes.
Lorsqu'une voie a servi de limite à plusieurs paroisses, les bornes milliaires ont souvent servi de repère pour le
décrochement des limites. En estimant la lieue gauloise à environ 2,350 mètres, on arrive ainsi à reconstituer
le bornage des voies d'après le décrochement des limites de communes. Cette règle se vérifie assez souvent en
Berry.
Quoi qu'on en ait dit, les Romains traversaient les lieux bas et les ravins sur des chaussées surélevées. Ces
chaussées ont été utilisées au Moyen-Age pour constituer des digues d'étangs. M. Chénon en cite de nombreux
exemples.
Si la vérification de la première loi demande un long travail pour les voies de notre région, il n'en est pas de
même pour la deuxième. La voie de Limoges à Poitiers par Saint-Christophe passe sur les digues des étangs
de la Boulonnie et de Brigueil.
La voie de Courbefy à Poitiers par Chassenon passe sur la chaussée du petit étang du Mas, au sud de Lesterps.
Le Chemin des Meules, qui va de Confolens vers Saint-Claud, passe sur la chaussée encore pavée de Château
Plat. Enfin la voie la plus récente de Limoges à Angoulême passe sur la chaussée de l'étang Bouchaud, près de
Chabanais, et sur celle de l'ancien étang de la Maurinie, entre Chabanais et La Péruse, Ce sont des
recoupements dont il ne faut pas exagérer la valeur, mais qu'il est bon de signaler au passage.
Si nous transportons ces données sur notre terrain angoumoisin, groupement agésinate problématique, détaché
de la Civitas des Santons, nous devons d'abord nous demander pour quelles raisons l'oppidum probable qui
occupait une petite partie du plateau dominant les confluents de la Charente avec la Touvre et l'Anguienne a
eu la bonne fortune de devenir la capitale de cette Civitas.
La seule qui se présente à l'esprit est que ce fut un carrefour de routes que la disposition des lieux rendait
d'une défense facile lorsque est apparue en Gaule la nécessité de la défense locale après les dévastations du
IIIe siècle: carrefour de routes et coude de la Charente qui déterminait un port important pour une navigation
que nous savons, par Ausone, avoir eu une certaine importance. Restent à déterminer ces routes.
La plus ancienne semble être la Voie de Périgueux à Aulnay qui passait au pied d'Angoulême pour longer la
colline des Bouchauds. Il n'est pas bien certain qu'Angoulême n'ait pas été relié à Montignac, point très
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important de passage de la Charente. Nous ne pouvons pas faire entrer en ligne de compte les voies venant de
la Péruse qui ont été un résultat et non une cause, de même que la déviation par Angoulême du chemin Boisné,
qu'après M. Castaigne, nous croyons avoir été la voie Périgueux - Saintes de la Table Théodosienne. Il y a
donc eu une autre voie qui venait faire d'Angoulême une sorte de carrefour.
Lorsqu'on examine le réseau routier romain tel qu'il est admis, on doit se demander pourquoi la grande
diagonale Cologne - Bordeaux, après être passée à Bourges, Argenton et Confolens, se serait dirigée sur
Saintes où elle retrouvait la route Argenton – Poitiers - Bordeaux, au lieu de se diriger sur Bordeaux par la
ligne droite. Ce crochet de Montignac - Saintes est conforme à l'orthodoxie, mais ne satisfait pas le
raisonnement, qui voudrait voir cette voie se diriger sur Bordeaux par Angoulême, ce qui est la ligne droite.
De Confolens, la voie se suit très bien jusqu'au Grand-Madieu. On peut en déterminer le parcours avec des
chances de vérité jusqu'à Cellefrouin. Au-delà tout devient conjectures, et le tracé Saint-Angeau – Villejoubert
- Montignac est des plus hypothétiques.
Du temps de l'abbé Michon le tracé Bourges Confolens n'était pas déterminé comme aujourd'hui; les
Bouchauds n'étaient pas connus et on n'en avait pas encore fait un centre d'attraction invincible. L'Abbé a
donc cherché la voie Bellac Angoulême qu'il suit bien jusque vers Cellefrouin, mais non plus loin. Les
renseignements qu'il donne ensuite sont assez déroutants. Sur son texte, il indique le chemin d'Agris, par Le
Pontouvre. Il y a de ce côté des indices fort intéressants qu'il n'a pas mis en valeur: à la sortie N.-E. de
Champniers se trouve un Temple. Il y en a un autre, avec un Querru à 2 kilomètres N.-E. de Brie de La
Rochefoucauld, avec directions possibles sur La Rochette où Coulgens, Sainte-Colombe et Artenac.
On trouve à la sortie N.-O. de Champniers une ligne droite bien intéressante par Champ de Goret, l'Ouest de
Jauldes, l'Aiguille, l'Ouest de Coulgens et de Sainte-Colombe, Chez-Tabarre et la Tâche.
Cependant, sur sa carte, l'abbé Michon indique un tracé par Saint-Angeau venant rejoindre à Tourriers sa voie
Angoulême Mansle. Cette voie est contestée, du moins entre La Chignole et Mansle, Mais il y a une ligne
parallèle bien intéressante qui part du Champ de Goret, traverse le Breuilh Paret et rencontrerait à Vedelle le
tracé par Saint-Angeau.
Quoi qu'il en soit, il serait du plus haut intérêt, pour fixer les origines d'Angoulême, d'arriver à réaliser cette
voie sur le terrain ,et les Membres de la Société qui en habitent les abords feraient œuvre utile en faisant les
recherches qui permettraient d'en fixer l'assiette avec des chances suffisantes d'exactitude.
De même pour le prolongement de la voie vers Bordeaux. Il est tout à fait improbable que notre capitale de
civitas n'ait pas été reliée directement à sa capitale de province, la 2e Aquitaine.
L'Abbé Michon s'est posé la question, sans la résoudre. Néanmoins, le départ d'Angoulême qu'il donne sur sa
carte semble excellent. Il s'embranche à la voie de Saintes près du pont de Bassau, longe a l'Ouest la forêt des
Moines, passe aux Vallades et sur la chaussée de l'étang de Saint-Estèphe.
Là se pose la question: la voie allait-elle directement à Bordeaux par un tracé analogue à celui de la Route
Nationale N. 101? Ou bien se dirigeait-elle sur Coutras pour y rejoindre la voie Périgueux Bordeaux? Les
deux solutions sont admissibles, et il n'est même pas impossible qu'elles aient existé toutes les deux.
Ces deux itinéraires possibles semblent se séparer à Franche Caille, un peu au Sud de Saint-Estèphe.
On peut jalonner la route directe de Bordeaux par Bussac, Nonaville. Elle se confondrait ensuite avec la route
du Pont de Brac à Barbezieux pour continuer par Montchaude, Lainerac et Baignes, où l'Abbé Michon la
suppose. La voie de Saintes à Coutras serait coupée vers le Monin, et celle que nous cherchons continuerait
par Sainte-Colombe, Chepniers et les environs de Bussac, pour se diriger sur Saint-André de Cubzac où la
Dordogne était passée par les voies venues de Blaye.
La route par Coutras aurait commencé par rejoindre la voie Saintes Coutras aux environs de Montguyon. On
peut la jalonner par le Chotard, Jurignac, qui était une vicairie et par conséquent centre probable de voies; le
Né aurait été traversé au Moulin-Grolet; la voie semble avoir suivi la crête qui domine la rive droite de la
Maury jusque vers Poullignac, pour obliquer vers le S.-O., passer à Chillac, et bifurquer entre Boisbreteau et
Guizengeard. Une branche Ouest aurait rejoint, la voie Saintes Coutras vers le passage du Lary, alors que
l'autre branche aurait poussé jusqu'à Montguyon.
Les recherches très minutieuses que demandent les études de ces parcours n'en permettent l'entreprise qu'aux
riverains de ces voies et aux distances de voisinage acceptables.
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Cela ne diminue pas leur intérêt au point de vue strictement angoumoisin, bien qu'une importante partie de ces
parcours appartienne à la Saintonge.
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