L`autre héritage, plus sombre, de Shimon Peres

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L`autre héritage, plus sombre, de Shimon Peres
L’autre
héritage,
plus
sombre, de Shimon Peres
Haggai Matar – +972 – 28 septembre 2016
Shimon Peres, dernier membre de la génération fondatrice
d’Israël, a été fêté internationalement comme un visionnaire
de la paix. Son héritage est, en réalité, beaucoup plus
complexe, et souvent abominable.
President Shimon Peres visits Border Police’s
counterterrorist unit’s base.
Photo: President Peres’ fire power display with
soldiers of the unit.
áé÷åø ðùéà äîãéðä ùîòåï ôøñ ááñéñ äéçéãä äîéåçãú
ììåçîä áèøåø (éî »î) ùì îùîø äâáåì.
öéìåí: äðùéà ôøñ áîôâï ëç…àù òí ìåçîé äéçéãä.
Le Président Shimon Peres en visite dans une unité antiterroriste de la police israélienne, en 2011. (Amos Ben
Gershom/GPO)
La disparition de Shimon Peres, à l’âge vénérable de 93 ans, a
précipité un débordement de nécrologies élaborées et d’éloges
funèbres partout dans le monde, avec des médias notant que sa
vie politique s’était étendue sur toute l’histoire de l’État
d’Israël depuis sa fondation en 1948. Peres était en fait le
dernier membre de la génération fondatrice – des hommes et des
femmes qui s’installèrent pour des raisons idéologiques dans
la Palestine alors sous mandat britannique et qui consacrèrent
leur vie à y construire l’État d’Israël. Mais si dans sa vie
ultérieure, il fut connu sur la scène internationale comme un
homme d’État visionnaire et à la recherche de la paix, son
héritage est, en réalité, beaucoup plus complexe, et souvent,
vraiment sombre.
En tant que protégé précoce de David Ben Gourion, Peres fut
nommé, au très jeune âge de 29 ans, directeur-général du
ministère de la Défense d’Israël. Dans cette situation, Peres
construisit et développa le commerce des armes d’Israël avec
la France. Il contribua également à l’installation du réacteur
de Dimona. Du fait de la censure israélienne, les journalistes
ne furent pas autorisés à admettre l’existence de ce réacteur
nucléaire. Mais des « sources étrangères » (et Colin Powell)
affirmèrent que c’est avec le réacteur de Dimona que l’arme
nucléaire fut introduite au Moyen-Orient.
Avec Peres au ministère de la Défense, Israël joua un rôle
primordial dans la campagne du Sinaï en 1956. Il exploita ses
relations avec la France pour positionner Israël comme un État
satellite des puissances européennes, et pour se lancer dans
une guerre dont les premiers objectifs furent : établir un
contrôle israélien sur la péninsule du Sinaï ; retirer le
Canal de Suez du contrôle souverain des Égyptiens et en
remettre les rênes aux Français et aux Britanniques ; et
affaiblir les forces anticoloniales dans la région. Les ÉtatsUnis et la Russie, alors les deux nouvelles superpuissances du
monde, contraignirent finalement Israël à se retirer
totalement du Sinaï, mais le message envoyé par Israël à ses
voisins était clair : nous sommes avec les autres types – avec
les Européens.
Peres servit par la suite comme secrétaire d’État dans les
gouvernements qui suivirent la guerre de 1967, et qui
impulsèrent l’entreprise coloniale de peuplement – un projet
continu de vols de la terre et d’oppression, le gouvernement
sachant, depuis le premier jour, que ce projet violait le
droit international. Mais à ce tout début, les colonies
d’Israël en Cisjordanie, dans la bande de Gaza et dans le
Sinaï, furent présentées comme la continuation du même
mouvement colonial qui avait établi des dizaines de kiboutzim
à travers Israël dans les années 30, 40 et 50.
En 1975, c’est Peres qui accorda le soutien du gouvernement à
la première itération de la Hilltop Youth (la jeunesse du haut
des collines), et qui soutint activement la création de la
colonie Kedumim et du mouvement Gush Emunim, que Rabin
décrivit comme le cheval de Troie des colons. En tant que
ministre de la Défense, Peres conserva l’élan du mouvement
colonial de peuplement et refusa de rendre le territoire (de
la Cisjordanie) dans un accord de paix avec la Jordanie.
Aujourd’hui, les Hilltop Youth sont les colons les plus
violents, les plus radicalisés, en Cisjordanie.
Ce furent aussi les années où Peres, sur le point d’obtenir le
prix Nobel de la Paix, encouragea les ventes d’armes à divers
pays dans le monde. Un rapport d’enquête du Guardian trouva
une documentation selon laquelle Peres avait aidé à vendre des
ogives nucléaires à l’Afrique du Sud, alors qu’elle était
gouvernée par le régime d’apartheid. Le cabinet du Président
réfuta ces allégations.
Des dizaines d’années plus tard, alors qu’il était Président,
les marchands d’armes restèrent les amis de Peres et souvent,
ils financèrent ses célébrations extravagantes.
Peu après avoir été élu à la tête du gouvernement d’union
nationale en 1985, Peres – avec Yitzhak Moda’i du Likoud – mit
en avant le plus important plan de privatisation de biens
publics jamais vu dans l’histoire israélienne à cette époque.
À côté de mesures destinées à réduire la dette nationale et
les dépenses de l’État, ils firent surtout disparaître l’idée
même d’État-providence. Ils jetèrent les bases d’une économie
néolibérale qui guida la politique israélienne par la suite.
Mais si le plan économique de Peres fut une réponse à la crise
massive provoquée par le gouvernement Likoud, il tira ses
remèdes des écoles capitalistes de sciences économiques, et
non de la pensée économique socialiste à laquelle le parti
travailliste appelait à souscrire.
Le Premier ministre Menahem Begin et Shimon Peres, le 20
juillet 1981. (Herman Chanania/GPO)
En 1984, lors de son premier et court mandat comme Premier
ministre, Peres tenta de blanchir les assassins des pirates
palestiniens dans l’affaire du Bus 300. Cette affaire, où il
fut révélé que les pirates avaient été frappés à mort lors de
leur interrogatoire après avoir été photographiés vivants et
en détention sur les lieux du piratage, cette affaire
déclencha à l’époque un grand scandale en Israël. Peres
contribua à faire obtenir la grâce pour les enquêteurs qui
avaient assassiné les prisonniers palestiniens.
Mais il refusa par contre de gracier le dénonciateur du
nucléaire, Mordechai Vanunu, qui avait révélé au monde
seulement une petite partie de ce qui se passait à Dimona. En
réalité, c’est aussi Peres qui donna l’ordre au Mossad
d’enlever Vanunu en Europe et de l’amener en Israël, où il fut
condamné à 18 années de prison après un procès à huis clos.
Ce n’est qu’en 1992, quand Yitzhak Rabin fut Premier
ministre, que certaines lueurs commencèrent à apparaître dans
la carrière politique de Peres. Comme Ron Gerlitz et Nidal
Othman l’écrivent ici, les relations entre l’État et ses
citoyens arabes atteignirent leur plus haut niveau quand son
gouvernement, pour la première et dernière fois dans
l’histoire israélienne, s’appuya sur un partenariat avec les
membres arabes de la Knesset pour former une coalition de
pouvoir. Peres contribua également à renforcer le soutien
public à la paix sur la base de deux États, proposition qui
jouit toujours du soutien d’une majorité d’Israéliens et
Palestiniens.
Les lauréats du prix Nobel de la Paix, Arafat, Peres et Rabin,
en 1994. (GPO)
Et pourtant, les Accords dont il fut en fin de compte le
responsable, les Accords d’Oslo, furent une catastrophe. Sans
mettre vraiment fin à l’occupation, Peres réussit à libérer
Israël de ses responsabilités du bien-être et de la vie
quotidienne des Palestiniens en créant l’Autorité
palestinienne (AP). Ainsi, alors qu’Israël gardait le contrôle
sur presque tous les aspects de la vie dans les territoires
occupés, l’Autorité palestinienne en récupérait toute la
responsabilité, sans la moindre autorité pour agir
indépendamment d’Israël.
Les Accords d’Oslo préservaient la suprématie israélienne sur
le territoire à l’ouest du Jourdain, avec une force militaire
et un contrôle sur les ressources naturelles, comme l’eau,
mais ils conduisirent aussi à la création d’une classe, dans
la population, qui prospéra avec des intérêts acquis – allant
de bureaucrates de l’AP à des entrepreneurs privés – et dont
les moyens d’existence furent totalement dépendants des bonnes
grâces d’Israël. Et ce n’est là que la partie visible de
l’iceberg (en lire davantage ici).
Pourtant, et en dépit de tout cela, après l’assassinat de
Rabin, Peres aurait pu choisir de tirer parti de la colère et
du choc de la nation pour faire avancer le processus de paix.
Au lieu de cela, un mois avant les élections nationales, il
décida de se lancer dans une campagne militaire dévastatrice
au Liban, l’ « opération Raisins de la colère », qui tua 113
civils libanais (et trois soldats israéliens, 21 combattants
du Hezbollah et de l’armée syrienne). Pour une grande partie,
ces victimes furent assassinées dans le « massacre de Cana »,
quand Israël bombarda une installation des Nations-Unies où
des centaines de civils avaient trouvé refuge. (Eh oui, la
responsabilité du massacre de Cana repose sur les épaules de
Peres, elle aussi). Peres n’obtint jamais la crédibilité en
sécurité qu’il avait recherchée avec cette opération
militaire. Dans les mêmes moments, il rata l’occasion de se
lancer comme l’unique dirigeant engagé dans la recherche de la
paix, et de finir le processus commencé par Rabin.
Après avoir laissé le poste de Premier ministre à Benjamin
Netanyahu en 1996, Peres revint finalement au gouvernement en
1999-2002, début de la Deuxième Intifada et de la violente
répression qui s’ensuivit, baptisée « opération Bouclier
défensif ». À la fin de cette année-là, il quitta une nouvelle
fois le gouvernement. Pour revenir, quelques années plus tard,
dans la coalition afin de soutenir le désengagement de la
bande de Gaza par Ariel Sharon. Ce désengagement consista en
un retrait unilatéral qui récompensait le Hamas plutôt que de
s’appuyer sur un accord négocié avec l’OLP. Ce fut une erreur
qu’il reconnut plus tard.
« Birthright »‘s (Taglit) Bar Mitzvah
festivities at Nokia Arena in Tel Aviv, in the
presence of President Shimon Peres.
Photo, from right to left: President Peres, Dr.
Miriam and Sheldon Adelson.
‫אירועי בר המצווה של פרוייקט » תגלית « בהיכל‬
.‫ במעמד נשיא המדינה שמעון פרס‬,‫נוקיה תל אביב‬
‫ הנשיא פרס וד «ר מרים ושלדון‬:‫ מימין לשמאל‬,‫צילום‬
‫אדלסון‬.
Shimon Peres avec Sheldon et Miriam Adelson. (Mark Nayman/GPO)
Dans le cabinet, pour une grande part cérémoniel, du Président
(2007-14), Peres démontra son détachement des besoins sociaux
des Israéliens moyens. Le budget de fonctionnement de la
résidence du Président doubla durant sa fonction au cabinet
(budget qui fut revu à la baisse sous le Président Rivlin). La
luxueuse « Conférence du Président » qu’il organisa chaque
année fut financée par des industriels, des gens de Wall
Street, et des marchands d’armes, certains ayant des liens
avec des régimes tyranniques et assassins. Ce n’est pas un
hasard si Peres fut récompensé du prix de l’« Esprit de
Davos » par le Forum économique mondial, un groupe qui se
consacre à la promotion de l’économie néolibérale à l’échelle
mondiale.
Une fois son mandat de Président arrivé à terme, Shimon Peres
devint un lobbyiste de la plus importante banque d’Israël, la
banque Hapoalim, et du géant de la pharmacie internationale,
Teva. Il resta également impliqué dans le Centre Peres pour la
paix, qu’il fonda humblement sous son propre nom.
Le Centre Peres résume exactement ce qu’est l’héritage du
lauréat du prix Nobel, ancien Premier ministre et Président.
Le Centre, qui est devenu lui-même un forum d’extravagances
pour les riches, fut construit dans l’une des zones les plus
pauvres du quartier Ajami de Jaffa. Il surplombe la mer, mais
il tourne le dos à Jaffa et à ses habitants palestiniens.
Derrière ce palais décadent de la paix, de l’autre côté d’une
rue en mauvais état se trouvent leurs vieux immeubles, pauvres
et prêts à s’effondrer. Sur trois côtés, le Centre ressemble à
une monstruosité fortifiée ; sur un seul côté, face à la mer,
dans un regard révélateur sur l’Occident, on peut voir sa
façade de verre, magique et accueillante. C’est peut-être la
métaphore parfaite pour l’héritage de Shimon Peres.
Le côté du Centre Peres pour la paix qui fait face à la mer.
(Lior Mizrahi/Flash90)
Traduction : JPP pour l’Agence Média Palestine
Source: +972

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