Artisanat africain, jeunesse et emploi

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Artisanat africain, jeunesse et emploi
Artisanat africain,
jeunesse et emploi
Partenariat entre
le musée Dapper et la 12e édition du SIAO
29 octobre – 7 novembre 2010
Intervenante auprès du jeune public : Fatou CAMARA
Depuis plus de vingt ans, à Paris, le MUSÉE DAPPER a pour vocation de faire connaître
les arts de l’Afrique et de ses diasporas en organisant des expositions.
Celles-ci sont accompagnées d’ouvrages publiés par les éditions Dapper et qui
réunissent des textes de spécialistes. Chacun d’entre eux, selon sa vision et son
domaine (histoire, histoire de l’art, anthropologie ou ethnologie), retrace la vie
des objets pour en dégager leur sens ou leur fonction au sein de la société qui les
a créés.
Le musée Dapper organise des visites commentées pour le jeune public afin de
le sensibiliser aux arts et aux cultures de l’Afrique. C’est une façon de
contribuer à l’évolution du regard des jeunes visiteurs sur la diversité et la
richesse culturelles.
Fatou CAMARA
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L’ARTISANAT AFRICAIN : UN PATRIMOINE EN MUTATION
1/ L’ARTISANAT : UNE RICHESSE ANCESTRALE
Le premier tisserand, c’est l’araignée ;
le premier bâtisseur, c’est la fourmi ;
le premier artisan, c’est le forgeron.
Proverbe d’Afrique centrale
a) Les principales pratiques artisanales abordées
Même si certaines productions ont disparu, l’artisanat reste encore très présent dans le monde, et
notamment sur le continent africain, car il répond depuis toujours à un besoin tant utilitaire qu’esthétique.
SECTEUR
ACTIVITÉ
Fils : coton, laine de mouton, soie,
synthétique aujourd’hui
 métiers à tisser
 Colorants issus de pigments végétaux
(indigo, terre) ; aujourd’hui, utilisation
Teinture
également de matières chimiques
 Tissu
 Motifs en réserve obtenus après
couture, ou application de cire ou de pâte
amidonnée à base de farine
Poterie
 Argile
 Eau
 Four
Ferronnerie
 Métal
 Four
Fonte à cire perdue  Métal en fusion
(moulage)
 Terre cuite
 Cire
Tissage
TEXTILE
TERRE
MÉTAL
MATÉRIAUX UTILISÉS
PRODUCTIONS

Pagnes, vêtements, tissus
d’ameublement…
Canaris, jarres, plats, cruches…
Bijoux, sculptures, luminaires,
pièces d’ameublement, grilles…
Il ne faut pas oublier la tannerie (travail du cuir), la vannerie ou l’artisanat alimentaire.
b) Quelle présence de l’artisanat africain dans les musées ?
Ce sont en particulier les arts cultuels et de cour qui ont retenu l’attention des conservateurs de musées :
statuaire, étoffes, coiffes, bijoux, armes, sièges…
Ces objets étaient sculptés dans le bois ou l’ivoire, modelés dans la terre, façonnés dans le métal. Ils
étaient avant tout destinés aux dirigeants et à leurs dignitaires qui étaient parés d’étoffes richement
ornées.
Le travail des artisans de chaque contrée était vu par le plus grand nombre lors des cérémonies
importantes. Cela favorisait l’émulation des créateurs, ainsi que la circulation des techniques.
Aujourd’hui très présentes dans les musées, toutes ces productions participent de la connaissance de
l’artisanat africain d’une part, et des cultures africaines d’autre part.
Fatou CAMARA
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Quelques exemples d’œuvres exposées au musée Dapper
et des récits les introduisant
Statue – Fon, Bénin – H. : 105 cm
Tissu kente – Akan, Asante, Ghana
L. : 290 cm ; l. : 190 cm
Ananse, l’araignée, aurait transmis son savoir-faire à
des tisserands asante qui essayaient de rivaliser, en
vain, avec sa toile aperçue dans la forêt.
Le nom de kente, « quoi qu’il arrive, il ne se
déchirera pas », suggère la robustesse de ces tissus
dont certains motifs ne pouvaient être portés que par
le roi des Asante, l’Asantehene.
Il s’agit probablement d’un portrait
idéalisé du roi Glèlè, se rattachant à
l’évocation de Gu, dieu de la guerre et
du fer.
En 1893, voici la description qu’on
donnait du roi Glèlè, alors âgé d’une
quarantaine d’années : « Il a un
physique d’athlète, dépassant 1,80 m,
souple, agile, la taille mince et de
larges épaules, des membres musclés,
des poignets bien tournés et des
chevilles fines. […] La mâchoire
puissante rend le visage plus “carré”
qu’ovale. »
Tête – Akan, Ghana – H. : 28 cm
Chaque fois qu’un chef akan ou un personnage
important mourait, la tradition voulait qu’une
vieille potière renommée et douée de clairvoyance
réalise une représentation idéalisée du défunt.
Ici, il s’agit d’un portrait de reine mère.
Cuiller – Dan, Côte d’Ivoire – H. : 42,5 cm
Ce type de cuiller cérémonielle était considéré
comme une récompense prestigieuse : sa
propriétaire, la « femme la plus hospitalière »
d’un village, était une cultivatrice qui était
capable, avec ses coépouses, de produire une
grande quantité de nourriture pour diverses
fêtes. L’esprit qui venait l’aider se manifestait
dans sa cuiller.
Masque nwantantay – Bwaba, Burkina Faso – H. : 187 cm
On raconte que le visage représenterait Binluio, l’être mythique qui
aurait tenté d’avaler le soleil ; d’où la présence des traits près de la
bouche, en rappel de cette transgression qui serait à l’origine de
l’apparition de la première femme et du premier homme bwaba.
Fatou CAMARA
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2/ L’ARTISANAT AFRICAIN : UN PATRIMOINE EN CONSTANTE ÉVOLUTION
« La modernité n’est pas l’antithèse de la tradition.
La plupart du temps, la modernité, même quand
elle procédait de la rupture, s’est construite à
partir de certains éléments de la tradition. »
Doulaye KONATÉ, archéologue et historien
L’artisanat est reconnu par l’UNESCO comme
« étant la manifestation la plus matérielle du
patrimoine culturel immatériel. […] Le
patrimoine est l’héritage du passé dont nous
profitons aujourd’hui et que nous transmettons aux générations à venir. »
De nos jours, des savoir-faire ancestraux se maintiennent. L’évolution de la société, due notamment à
l’urbanisation, permet d’élargir le nombre de destinataires des productions artisanales : les chefs ou les
personnes riches ne sont plus les seuls à pouvoir profiter d’objets utilitaires qui soient beaux.
a) La mode : haute couture et prêt-à-porter
À la suite de précurseurs comme Chris Seydou (aujourd’hui disparu), des
couturiers renommés tels que Nawal El Assad ou Karim Tassi, par exemple,
continuent de montrer au monde entier que le patrimoine artisanal africain est
digne de participer aux défilés internationaux.
Car, pour concrétiser leurs idées, ces créateurs ont besoin de divers artisans –
tisserands, couturiers, brodeurs, mais également tanneurs ou forgerons – qui
appliquent leurs savoir-faire aux vêtements modernes.
NAWAL EL ASSAD, Côte d’Ivoire
.
L’histoire de la tenue
créée par Alphadi, et dont
la conception du bustier
fut confiée à des
forgerons traditionnels,
illustre cette
interdépendance entre
différents artisanats.
KARIM TASSI, Maroc
CHRIS SEYDOU,
Mali
ALPHADI, Niger
Tunique, Bénin
La haute couture est une vitrine pour toutes les techniques utilisées,
même si une minorité seulement a les moyens de s’habiller avec ce
A STOU COUTURE
type de vêtements.
Les grands couturiers ont souvent leur propre marque de prêt-à-porter : Gilet, Sénégal
ils rendent ainsi leur mode accessible à un plus grand nombre de
personnes, valorisent le travail des artisans, et montrent comment les
productions de ces derniers s’adaptent à la vie de tous les jours.
Les diverses personnalités africaines qui font appel aux couturiers du
continent pour leurs tenues montrent qu’elles sont fières de leur
patrimoine artisanal. Elles aident ainsi à la diffusion du prêt-à-porter,
qui reste cependant à développer localement et pour l’export.
Les mondes du spectacle et du cinéma peuvent offrir d’autres possibilités aux créateurs
du monde textile et donc aux artisans qui les entourent ; ainsi les Sénégalaises Mame
Faguèye Bâ et Oumou Sy ont créé les habits de scène de certains artistes, mais également
des costumes de films.
OUMOU SY : costume pour le film
Hyènes de Djibril Diop Mambéty, 1992
Fatou CAMARA
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b) L’aménagement intérieur : design
Le but du design est, entre autres, de rendre un objet de la vie courante plus beau. Cette idée n’est pas
nouvelle en Afrique, elle fait même partie de la tradition, comme nous avons pu le voir à travers les
exemples de créations présentes dans les musées.
Selon les époques et les lieux, le terme « design » ne recouvre pas la même réalité. Il peut être perçu
comme une modernisation de l’artisanat car, sur des bases traditionnelles de travail, les objets créés
s’adaptent aux besoins et aux goûts d’aujourd’hui, tout en innovant dans la forme, les couleurs et les
motifs utilisés.
Aujourd’hui le design africain est internationalement reconnu, et les diverses
manifestations qui lui sont dédiées le prouvent. Citons, entre autres,
l’exposition internationale et itinérante Design, made in Africa accueillie au
SIAO en 2004 et la future exposition du musée des Arts et du Design de New
York, The Global Africa Project, qui réunira à partir de novembre 2010 les
œuvres d’une soixantaine d’artistes du continent.
ALASSANE DRABO, Burkina Faso
Meuble tiroir d’Afrique
La plupart du temps, la frontière entre artisanat, design, art contemporain et arts appliqués africains reste
floue ; cela représente une formidable opportunité : les créateurs peuvent naviguer d’une catégorie à
l’autre en toute liberté, sans restriction pour leur imagination. Ils inventent ainsi de nouvelles alliances de
matériaux et de formes pour réinventer les objets du
quotidien.
OUSMANE M BAYE, Sénégal
Table et chaises
Le cas de l’ancien artisan frigoriste devenu designer,
Ousmane Baye, est ainsi exemplaire : « J’ai appris un
métier, je l’ai transformé et je me suis écouté. »
Après avoir séduit le marché occidental, ses meubles,
conçus à partir de métaux de récupération, sont
maintenant appréciés d'une clientèle africaine.
CENTRE LUKARÉ,
Burkina Faso
Banquette tissée
SELASSIE TETEUIE,
Ghana
Chaise
YOUNES DURET, Maroc
Bibliothèque Zelli
Fatou CAMARA
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c) Les accessoires
Les accessoires, comme leur nom l’indique, ne sont pas indispensables, mais ils ont leur
utilité et enjolivent le quotidien. Ils sont d’une taille plus réduite que celle des éléments
de décoration intérieure, et leur conception nécessite moins de matières premières : elle
rend possible une production à un coût inférieur et donc une vente à un prix accessible
par plus de monde.
La création de boîtes, bijoux, sacs… n’est pas une nouveauté, mais, comme pour
Porte-crayons
le design, l’évolution de la société africaine permet des innovations : l’artisan
Capsules recyclées
peut donc exprimer sa créativité de diverses manières, avec les matériau usuels
Sénégal
(bois, calebasse, métal…), mais aussi en utilisant des matériaux de récupération.
Il ne faut pas perdre de vue que les accessoires africains agrémentent de plus en
plus le quotidien des Européens. Cela permet non seulement de faire connaître
plus largement la production traditionnelle africaine et de faire évoluer le style
des objets selon les goûts d’une clientèle à la culture différente.
Collier
Perles de verre et bronze
Togo
Boîte de N. Nabayaogo
Pneu et bois
Centre Lukaré,
Burkina Faso
Foulard
Coton et soie artificielle
Éthiopie
Boucles
Trois métaux
Mali
Bracelet
Corne
Sénégal
Sac
Cuir et bogolan
Mali
3/ POURQUOI S’INTÉRESSER À L’ARTISANAT ?
« C’est cette combinaison du travail
de création avec un travail manuel
intensif qui me plaît »
N’Dary Lo, artiste
« Les mondes moderne et traditionnel trouvent
leurs forces dans l’échange. Un va-et-vient
qui reste la source d’inspiration »
Nawal El Assal, styliste
a) Enjeux
Boîte
Vannerie
Guinée
Pour un jeune se lancer dans l’artisanat, c’est :
 d’abord apprendre un métier, source de revenus ;
 maîtriser un savoir-faire traditionnel ; selon la motivation, le talent et
l’inventivité, cette maîtrise fait évoluer le statut de l’artisan, dont le rôle de
créateur est ainsi mis en valeur. Elle n’est donc pas une fin, mais un moyen ;
 éprouver le plaisir et la fierté de créer de beaux objets en puisant dans la
richesse artisanale de sa culture pour répondre aux besoins du monde actuel, urbain
et international ;
 véhiculer une image positive de l’Afrique à travers sa culture, son patrimoine,
et participer au développement économique de son pays.
Fatou CAMARA
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b) Opportunités
Comme nous l’avons vu, les activités artisanales touchent des domaines et des publics plus variés
qu’auparavant. Les changements des mentalités, ainsi que la mondialisation, font que l’on recherche
aujourd’hui des produits originaux, de qualité et dont la production respecte les créateurs et leur
environnement.
Le marché est local – avec les Burkinabè, les expatriés et les touristes –, mais il est aussi international,
notamment avec :
 les diverses manifestations organisées sur le continent, comme le SIAO, le Salon du design de la
Biennale de Dakar ou le FIMA (Festival international de la mode africaine) à Niamey. Elles montrent une
prise de conscience de la valeur des productions artisanales et l’importance accordée à l’activité des
créateurs. Ces évènements donnent l’occasion aux artistes d’exposer leur travail, mais également de voir
ce qui se fait sur le continent et en dehors, d’échanger des idées et des techniques.
 les structures locales visant à la formation des personnes ou à la connaissance du patrimoine sont
importantes.
Ainsi, le centre Lukaré de Ouagadougou qui « a pour activités, la formation
des jeunes, la production et la vente des objets d’art utilitaire et décoratif »
permet une transmission et un échange de savoir-faire ; c’est également un
espace d’exposition et de vente.
Les musées, eux, contribuent à la connaissance d’un patrimoine en partie
disparu (surtout dans les villes) ; les fréquenter offre la possibilité –
Coupe de R. Ilboudou,
notamment au jeune public – de découvrir la beauté des objets traditionnels
Calebasse
Centre
Lukaré,
Burkina
Faso
et de former son regard, de l’aiguiser.
 les structures qui se font les relais des produits artisanaux. Les villages des artisans, les organisations de
commerce équitable, les galeries d’art… touchent une clientèle plus large certes, entre autres avec les nouvelles
technologies, mais permettent également de voir des productions différentes et de montrer les siennes pour
connaître les goûts, la demande des potentiels acheteurs.
J’espère que le moment que nous avons passé ensemble t’aura donné envie de
t’intéresser à l’artisanat, cette tradition bien vivante en pleine évolution, et pourquoi
pas, de te former à l’un des métiers que tu auras découverts durant le Salon !
Fatou CAMARA
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Fatou CAMARA
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