« Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m`as
Transcription
« Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m`as
« Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ? » La dernière parole de Jésus en Croix dans l’Evangile de Marc est particulièrement terrible. L’Evangéliste Marc ne cherche rien à gommer du caractère tragique de la mort de Jésus, une mort qui scelle l’échec de la vie de celui en qui beaucoup avaient cru voir celui qui allait libérer Israël, celui qu’ils avaient acclamé quelques jours plus tôt « Hosanna au fils de David. » Chez Luc, c’est moins désespéré, Jésus meurt sur une parole de confiance « Père en tes mains je remets mon esprit », juste après avoir prononcé une parole de miséricorde destinée au Bon Larron « Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le Paradis ». Chez Jean Jésus meurt, souverain, « Consumatus est, tout est accompli » : sa mort, royale, permet la remise de l’Esprit, et le don à l’Eglise née de son corps transpercé à cette fin, des sacrements qui la feront vivre. Rien de tout cela chez Marc ni, dans une moindre mesure, chez Matthieu : « Eli, eli lama sabbachtani. Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Marc précise même que Jésus meurt après avoir prononcé ces paroles, « en poussant un grand cri. » Dans une déréliction que ne parviennent même pas à épuiser les mots d’un des psaumes pourtant les plus angoissés des psaumes de la tradition d’Israël. On a bien voulu atténuer le réalisme tragique de la relation marcienne de la mort de Jésus en faisant remarquer que le psaume, après un long cri de souffrance, s’achève, comme plusieurs des grands psaumes de souffrance, sur une ouverture, sur une certaine espérance « Ils loueront le Seigneur, ceux qui le cherchent ». Oui mais, qu’on le veuille ou non, le texte de Marc nous dit que Jésus meurt dans un grand cri après avoir hurlé : « Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ? » N’allons pas imaginer, parce que ça nous arrangerait, le bon Jésus attendant pour mourir d’avoir fini de psalmodier la finale du psaume 21. Non Jésus meurt, seul ou presque, dans la nuit. Les disciples se sont envolés. Les femmes regardent mais de loin et, dans la première rédaction de l’Evangile, on nous dira même qu’au matin de Pâques, elles s’enfuirent, toutes tremblantes, mortes de peur, tellement tétanisées que dans un premier temps, elles ne diront rien à personne. C'est la force du texte de Marc que de nous livrer le récit de la Passion dans son âpreté native, sans aucune ou presque de ces relectures théologique postpascales qui feront par ailleurs la richesse et la fécondité de l’ensemble du Nouveau Testament, Paul compris. Une seule remarque de Marc vient cependant briser l’âpreté de ce tableau : l’Evangéliste précise que le centurion, préposé à la garde de Jésus « voyant comment celui-ci avait expiré, déclara : vraiment cet homme était Fils de Dieu » C’est un païen qui, chez Marc, confesse le premier, avant même la résurrection, la foi déjà pascale, de l’Eglise. Et c’est à la manière dont celui dont il savait bien qu’il était innocent, mis à mort pour d’obscures raisons politco-religieuses qu’il ne comprenait pas, c’est donc en considérant la manière dont Jésus était mort, que le centurion pose le premier acte de foi de l’histoire de l’Eglise. Il y avait bien eu des actes de foi auparavant mais là, c’est un acte de foi au pied de la Croix, un acte de foi qui ouvre la voie à notre propre profession de foi, en Jésus mort et ressuscité, une foi déjà pascale, confrontée au scandale de la Croix et pas seulement une confiance plus ou moins intéressée en un Jésus thaumaturge ou maitre de sagesse dont nous espérerions quelque bienfait physique ou spirituel. Je remarquais la semaine passée que le Carême de l’année B nous conduisait avec une âpreté très insistante au pied de la Croix. Nous y voilà, nous y voilà avec toutes celles et tous ceux qui sont au pied de la Croix, dans les nuits de la persécution, de la maladie, de l’angoisse, du vice, de la folie, des multiples addictions. Victimes et bourreaux mêlés dans un unique peuple hagard car c’est pour eux tous, pour nous tous que Jésus a poussé ce grand cri, pour toutes celles et tous ceux qui se sentent abandonnés par Dieu, pour toutes celles aussi qui errent parce qu’ils ont abandonné Dieu. Nous sommes donc ce soir au pied de la Croix, et ce qui nous est demandé, c’est de faire ce qu’a fait le centurion, poser un acte de foi. Pas forcément celui qu’il a posé « Vraiment cet homme était le Fils de Dieu » mais un acte personnel, celui-là même que nous poserons toute à l’heure dans le Notre Père. Au pied de la Croix, dire simplement « Père que ta volonté soit faite » car nous savons, y compris dans la nuit, y compris dans l’inévidence la plus éprouvante, que Sa volonté est ultimement une volonté de vie, une volonté de liberté, une volonté de lumière. Parce que nous savons, comme probablement le centurion, que la volonté de Dieu peut et veut tracer un chemin au creux des plus insupportables, des plus obtuses des impasses humaines. Oui, redisons, avec confiance, au pied de la Croix du Christ, avec Jésus qui l’a prononcée à Gethsémani et, peut-être dans le secret de son cœur de Fils sur la Croix, cette parole dont Augustin disait qu’elle était le condensé de toute parole vraiment chrétienne, cette parole que Péguy n’a jamais pu articuler tellement il la prenait au sérieux : « Père, que ta volonté soit faite » Amen !