2010_06_17_telegramm..
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15. Brest. Le fait du jour Jeudi 17 juin 2010 Le Télégramme Chasse sous-marine. Pratique à haut risque spot et au cours de longues apnées. Combien de chasseurs sous-marins se noient chaque année en France et en Bretagne ? Qui succombe à ces accidents et dans quelles conditions ? Sport nature exceptionnel et très à la mode depuis le début des années 90, la chasse sous-marine comporte des risques parfois sous-estimés. (Photos DR) Les plus ardents défenseurs de la chasse en mer vous diront que la pratique n’est pas plus périlleuse qu’une autre activité extérieure et nautique. À condition de ne pas présumer de ses forces et de pas s’approcher dangereusement de ses limites. Les statistiques sur le sujet sont difficiles à réunir, puisque les accidents mortels sont comptabilisés alternativement par les Cross ou les municipalités où sont retrouvés les corps (bande des 300 mètres). Accidents d’apnée en mer et en plongéebouteille mêlés, on dénombrerait chaque année en France entre 40 et 60 morts, soit deux tiers de chasseurs sous-marins, la plupart en Méditerranée qui concentre le plus grand nombre de pratiquants. La raréfaction du poisson et son retrait en profondeur pourraient expliquer une certaine recrudescence de ces accidents en Méditerranée. Une plus grande clarté de l’eau inciterait également les pratiquants à descendre Bien distinguer les niveaux « Plus de 80 % de ma clientèle pratique une chasse tranquille », estime Gilbert Guivarc’h, du magasin Scubaland. Au magasin Scubaland, au port de commerce, on prend soin de distinguer les pratiquants et leur niveau ; les chasseurs les plus exposés n’étant pas toujours les moins expérimentés. « 80 % de ma clientèle est composée de modestes pratiquants qui se contentent de rester en surface à guetter le poisson. La plupart évoluent dans moins de cinq mètres d’eau, et plutôt dans moins de deux mètres si l’on rétablit la vérité », observe Gilbert Guivarc’h, le patron du magasin. « S’ils se sont correctement assurés de la météo, s’ils sont en bonne forme physique, sont correctement équipés contre le froid et indiquent suffisamment clairement leur présence en surface, je ne vois pas ce qui peut leur arriver ». Il est conseillé de commencer sa séance en remontant le courant et de se faire accompagner, les premières fois, par un chasseur expérimenté. « Évidemment, une formation de deux heures dans notre piscine dédiée sera un atout considérable pour acquérir les bases et renforcer sa confiance », estime celui qui, à 62 ans, continue à chasser jusqu’à 15 mètres de profondeur. « Les accidents surviennent chez ceux qui multiplient les apnées de longue durée. On considère qu’audelà d’une apnée d’une minute et quinze secondes, la plongée devient risquée ». Hormis les sportifs de très haut niveau qui ont appris à se connaître et à ne pas commettre d’imprudence tout seul dans leur coin, les accidents concernent les plongeurs qui descendent assez profondément en s’approchant trop de leurs limites. Le poisson dans peu d’eau en Bretagne « C’est l’esprit de compétition, la recherche de performance, qui peut faire prendre des risques ». Cette envie de prouver aux autres ou à soi-même que l’on peut chasser toujours plus longtemps, toujours profond, que l’on peut ramener le plus et les plus beaux poissons. Et de toute façon, à part les plus gros lieus, le poisson breton ne se traque jamais très profondément ! Plus de 6.000 pratiquants autour de Brest Jusqu’à l’année dernière, 4.700 chasseurs sous-marins étaient enregistrés auprès des Affaires maritimes de Brest. On peut estimer qu’au moins un tiers de pratiquants supplémentaires ne prenait pas la peine de se déplacer. Depuis juin 2009, il n’est plus nécessaire de se manifester auprès des Affaires maritimes, même si l’assurance en responsabilité civile reste obligatoire. « On n’obtient pas tout, tout de suite. C’est un sport qui demande de l’expérience… » François Talarmin, président fondateur de « L’Agachon tranquille ». plus que de raison… Le paradoxe de l’expérience Paradoxalement, il semblerait qu’une majorité de victimes soient plutôt des pratiquants expérimentés, davantage enclins à s’approcher de leurs limites. Au contraire, le pratiquant plus modeste, celui qui officierait dans moins de profondeur, parfois même sans jamais réaliser une véritable apnée au cours de sa séance, s’exposerait plus rarement au phénomène de perte de connaissance (syncope) à l’origine de la grande majorité des noyades. L’épuisement dû aux courants et à de mauvaises conditions météo peut également être la cause de ces accidents fatals. Des apnéistes confirmés comme François Talarmin, président fondateur du club brestois « L’Agachon tranquille », recommandent de plonger à deux, particulièrement en cas de découverte d’un En forme, tranquille « L’état de forme physique et mentale joue un rôle considérable », observe de son côté Francis Le Gall, responsable de la section apnée au Groupement MancheAtlantique de plongée. « Ses capacités physiques peuvent varier du simple au double d’un jour à l’autre, avec des limites variables. À chacun d’être attentif sur ses capacités et de s’astreindre à une certaine hygiène de vie, au moins la veille des sorties ». « On n’obtient pas tout, tout de suite. C’est un sport qui demande de l’expérience, de la patience et une certaine hygiène de vie. Combien d’accidents après avoir fait la fête la veille ? », regrette François Talarmin. « Il est également important d’éviter les ceintures de plomb trop lourdes, qui s’avèrent très pratiques pour descendre rapidement mais qui peuvent se payer cash ». Idem pour les palmes trop longues et trop consommatrices en réserves et en oxygène. « La règle de base est de ne jamais pousser ses apnées en mer », appuie Francis Le Gall, habitué aux entraînements et compétitions en piscine des plus encadrés. Après 30 ans de chasse sous-marine, François Talarmin continue de prodiguer ses bons conseils, lui qui garde à l’esprit la quarantaine de connaissances et de bons copains disparus en mer. Stéphane Jézéquel Une activité à ne surtout pas prendre à la légère Très peu encadrée, plutôt solitaire, la chasse sous-marine générerait trois à quatre fois plus d’accidents mortels qu’en plongée bouteille. Et, la plupart du temps, pour des causes bien spécifiques. Les médecins Josiane Arvieux et Anne Henckes font partie de l’unité de médecine hyperbare de l’hôpital de La Cavale-Blanche. À l’unité de médecine hyperbare de l’hôpital de La Cavale-Blanche, on suit comme on peut le phénomène. De près, puisque le service reçoit régulièrement des plongeurs victimes d’un incident de plongée. De loin, parce que ces médecins sont loin d’avoir connaissance et accès à tous les accidents, notamment les décès de chasseurs sous-marins non encadrés, non licenciés. Peu d’enquête complémentaire, pas d’autopsie, encore moins de demande particulière des familles, peu de compilations de chiffres… « Pourtant, la pratique est loin d’être anodine ! », rappellent les médecins de l’unité spécialisée. Consulter avant de plonger Sur la trentaine de plongeurs pris en charge chaque année dans leur service (1 % des 3.000 séances assurées au caisson hyperbare chaque année, pour d’autres prises en charge médicales), la plupart arrivent pour des dysfonctionnements de leur système auditif (barotraumatismes). Perte ponctuelle ou définitive de l’audition, trouble de l’équilibre lorsque l’oreille interne est touchée… Au cours d’une séance de chasse, le cœur est également fortement sollicité. À l’effort physique s’ajoute le fait d’évoluer dans une eau froide qui augmente d’autant plus l’activité cardiaque. « Il est nécessaire de consulter son médecin ou un médecin du sport avant de commencer l’activité », insistent les médecins Josiane Arvieux et Anne Henckes. Un trouble du rythme cardiaque ou un souffle au cœur non détecté peut avoir des conséquences dramatiques. Une descente trop radicale, au-delà de deux mètres de profondeur, sans maîtriser les manœuvres d’équilibrage et les dégâts peuvent être considérables pour l’oreille ; une violente douleur pouvant occasionner, à elle seule, une perte de connaissance fatale. Mais c’est bien le manque d’oxygène (et souvent la dette d’oxygène qui s’accumule au fur et à mesure de la séance) ainsi que les arrêts répétés de la respiration qui font de l’apnée un sport particulièrement à risques s’il n’est pas encadré et ne respecte pas les principes de prudence élémentaires. À noter également que l’activité est tout à fait contre-indiquée chez les personnes diabétiques suivant un traitement ou les personnes consommant des médicaments (tranquillisants) agissant sur le rythme cardiaque. La syncope, l’ennemie nº 1 du chasseur sous-marin Plongées trop profondes, répétées, condition physique insuffisante, fatigue… Le manque d’oxygène est à l’origine de la cause la plus courante d’accident en apnée, la syncope. Privé d’oxygène, le cerveau se place en mode survie ou de veille. Le plongeur perd conscience parfois sans signe avant-coureur. Avant de s’évanouir, les plus chanceux ont le temps de ressentir de légers picotements au bout des doigts ou sont sujets à des gestes désordonnés (perte de contrôle moteur), ce que les plongeurs appellent entre eux « la samba ». À ce stade, la perte de connaissance est toute proche et il est parfois trop tard pour celui qui ne peut compter sur le soutien d’un partenaire. La pâleur du visage ainsi que les lèvres cyanosées sont des signes avant-coureurs à ne pas négliger. Encore faut-il être accompagné pour le remarquer. C’est au pratiquant de bien connaître ses limites et d’éviter de trop solliciter sa réserve d’oxygène. Un certain temps après la perte de connaissance, c’est la reprise du cycle respiratoire qui occasionne la noyade. Sans intervention extérieure et sans remontée à la surface dans les secondes qui suivent (en bouchant les orifices respiratoires de son partenaire), l’issue est malheureusement fatale.