sibylle kraft

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sibylle kraft
Sibylle Kraft entourée des oeuvres de sa collection d’art ainsi que de celle de son mari, Alexander Kraft (PDG de Sotheby’s International Realty France-Monaco)
Sibylle Kraft
collectionneuse
Quand avez-vous commencé à collectionner des œuvres d’art et sentées dans mes expositions. Ce sont alors les pièces qui ont fait
partie de ma vie quotidienne et dont je n’ai pas voulu me séparer.
quelle a été votre motivation principale ?
J’ai commencé à collectionner au moment où j’ai gagné juste un peu
plus d’argent que nécessaire « pour survivre », après l’université et
après l’ouverture de ma galerie « sm.ART » à Munich en Allemagne.
Ma motivation principale, c’est toujours ma passion. Lorsque je « découvre » une œuvre / un artiste, il y a quelque chose qui me touche profondément, me fascine et m’attire… et qui me re-attire sans
cesse. Je n’achète jamais tout de suite. En revanche, je prends du
temps pour voir si l’œuvre reste ancrée dans mes pensées ; si oui, je
retourne la voir… peut-être plusieurs fois… je l’achète... et suis super
heureuse – chaque fois que je la regarde. Je peux passer des heures
devant une telle œuvre sans me fatiguer ; c’est donc dans un état
bien contemplatif ou plutôt méditatif que l’œuvre me fait tomber.
Pouvez-vous nous parler de la composition de votre collection et des
œuvres auxquelles vous êtes plus particulièrement attachée ?
J’ai découvert la plupart des artistes de ma collection, il y a environ
10 ans, pendant mes années à San Francisco, aux États-Unis où je
travaillais dans une galerie d’art contemporain et au SFMOMA (San
Francisco Museum of Modern Art). Ayant déjà, en ce temps-là, l’idée
d’ouvrir une galerie à Munich dès mon retour, j’ai visité beaucoup
de galeries, d’expositions, assisté à des évènements privés, etc. J’ai
pris contact directement avec les artistes qui m’ont plu et je leur ai
rendu visite dans leurs ateliers. Pendant toutes ces années de collaboration, j’ai pu établir des relations très proches avec la plupart
d’entre eux, je leur ai acheté un bon nombre d’œuvres que j’ai pré-
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Je suis bien attachée à toutes ces œuvres, mais oui, en fait, il y en
a bien une, qui est ma préférée, qui est la plus forte pour moi : « Menta »,
une photographie en noir et blanc de Mona Kuhn datant de 2000.
Cette photo est représentée sur l’invitation de l’ouverture de ma galerie en avril 2003 – donc cette œuvre marque mon début à Munich.
Avez-vous des critères de sélection exhaustifs ou prépondérants ?
Ces critères ont-ils évolué avec le temps ?
Comme je l’ai déjà décrit ci-dessus, je dois, tout d’abord, être
fascinée, inspirée. Je suis mon cœur, mon instinct. Après, l’œuvre
doit passer le test plus précis en ce qui concerne la qualité : pour
moi, il est important qu’un artiste connaisse bien son métier car,
en même temps, il est aussi un artisan. Je veux donc voir un certain
savoir-faire et ressentir la passion de l’artiste. De plus, une œuvre doit
exprimer quelque chose d’authentique, d’unique, d’individuel, ce que
je ne peux pas trouver chez d’autres artistes, ce que je n’ai jamais
vu avant… et, dans l’idéal, quelque chose qui ne m’ennuiera jamais !
Comme facteur commun de tous mes artistes, on peut constater une
certaine sérénité, silence, tranquillité. Naturellement, ces critères ont
évolué au cours des années, avec l’expérience acquise en observant
beaucoup d’œuvres d’art. Cette expérience est basée également
sur la période avant mon séjour à San Francisco pendant laquelle j’ai travaillé dans deux maisons de ventes aux enchères dont
« Sotheby’s ». Avec le temps, l’œil voit de mieux en mieux… et le cœur
est de plus en plus sûr, plus vite, de ce qui le touche profondément
sur le long terme.
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Quelle est l’anecdote la plus étonnante qui se rattache à votre
collection ?
C’est probablement l’histoire triste de deux œuvres d’Ishan Clemenco.
Il fait des dessins très fragiles et travaille souvent directement sur
un mur. En automne 2004, je lui ai consacré une exposition dans ma
galerie située au rez-de-chaussée de ma maison. Quand la maison
a été vendue quelques années plus tard, deux œuvres (une grande
de 2 x 1 m environ et une petite de 50 x 50 cm) mises directement
sur les murs du salon ont été perdues ! C’était dur car je m’étais
tellement habituée à vivre avec elles que pendant longtemps elles
m’ont, vraiment, fortement manqué.
Est-il important selon vous de rencontrer les artistes, de visiter leur
atelier et de vous imprégner de leur univers avant d’acquérir une
de leurs pièces ? Si oui, quel est l’artiste qui vous a le plus marqué
et pourquoi ?
De rencontrer les artistes personnellement et de visiter leurs ateliers,
c’est bien sûr un grand privilège et une expérience sans pareille si on
en a l’opportunité. Mais franchement, je ne trouve pas que ce soit
absolument nécessaire pour un collectionneur. En revanche, pour un
galeriste oui. Un vrai collectionneur est touché par une œuvre ou pas,
c’est très simple. Une visite chez l’artiste, à mon avis, ne changerait pas grande chose. Cela est différent pour un collectionneur qui
souhaite soutenir un certain artiste car dans ce cas-là il commence
une relation beaucoup plus proche et importante avec lui. Mais en
général, je trouve qu’on doit laisser en paix les artistes afin qu’ils
puissent travailler tranquillement. La galerie est l’endroit de rencontre, soit aux vernissages, soit par rendez-vous. L’artiste qui m’a
marqué le plus, c’est la peintre Patsy Krebs. À chaque visite, elle
me reçoit chez elle, une petite maison proche de San Francisco,
son atelier, avec son jardin juste à côté. On passe presque toute
la journée ensemble et chaque fois elle nous prépare un déjeuner
délicieux, c’est donc un accueil très chaleureux et personnel. Cela
donne une expérience profonde de tout son univers, côté privé
inclus. J’ai quatre de ses œuvres dans ma chambre, c’est donc
la première et la dernière chose que je vois le matin et le soir.
Ses œuvres m’apportent un calme absolu.
Exposition des œuvres d’Ishan Clemenco à Munich en 2004
Vous appuyez-vous sur les avis d’un conseiller artistique, galeriste
ou autre critique d’art avant d’acquérir une nouvelle pièce ?
Non. Certes j’essaye de rester toujours ouverte à d’autres avis et
points de vue, mais cela change très rarement mes propres opinions.
Une œuvre d’art me touche, me fascine et m’attire d’une façon naturelle et instinctive – ou pas.
Mona Kuhn, Menta, 2000, impression n/b à la gélatine argentique, 38,1 x 38,1 cm
Vous est-il arrivé de regretter un achat et pour quelles raisons ?
Non, jamais.
Sieglinde Van Damme, Untitled Grid, 2008, impression intaglio photopolymère, 12,7 x 40,64 cm
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Quelles seraient vos préconisations pour un amateur d’art ou un
investisseur qui souhaiterait commencer une collection d’œuvres
d’art aujourd’hui ?
Je trouve qu’il est, tout d’abord, une question très importante à
savoir si un collectionneur est plutôt intéressé par l’investissement
ou par l’amour pur de l’art car il s’agit de deux types de collectionneurs bien différents avec des buts différents. Cherchez un bon
conseiller en art avec beaucoup d’expérience et auquel vous pouvez
faire confiance. Demandez beaucoup d’avis au début et regardez
beaucoup d’œuvres d’art d’une façon profonde, entraînez votre œil.
Prenez votre temps avant d’acheter. Cela tient aussi de la mission du
professionnel d’art d’identifier l’intérêt principal de son client et de le
conseiller et guider d’une façon appropriée. À mon avis, un « vrai »
collectionneur suit uniquement sa passion ; l’aspect d’investissement
est toujours une considération secondaire pour un vrai passionné.
Au contraire, un vrai collectionneur va plutôt se ruiner que s’abstenir
d’une œuvre qu’il admire. Spécialement sur le long terme, de tels
achats peuvent s’avérer comme des investissements brillants ; mais
il y a très peu de gens qui ont une telle compréhension et vision du
marché qui leur permet de se concentrer dès le début sur les futurs
retours. Pour nous autres, amateurs « normaux », j’ai un seul conseil :
suivez votre cœur et votre instinct ! Un vrai collectionneur doit donc
avoir plusieurs qualités : Tout d’abord, il doit aimer l’art pour l’art, et
ne pas le considérer comme un investissement ou un trophée. De
plus, il doit être passionné par son amour pour l’art, son enthousiasme et sa fascination qui le pousse à toujours continuer le processus
de collectionner : un vrai collectionneur n’a jamais assez d’œuvres,
il est un vrai accro. Et finalement, un grand collectionneur réussi à
toujours garder un œil frais pour découvrir chaque jour de nouvelles
merveilles. Pour les investisseurs, spécialement dans l’art contemporain, il faut toujours faire attention aux modes éphémères où souvent
des œuvres médiocres sont offertes à des prix démesurés car un
« hype » artificiel a été créé par certains galeristes ou collectionneurs.
Quand la mode est passée les prix baissent et vous perdez votre
investissement. Les artistes qui sont trop vite devenus de grandes
stars, souvent, accomplissent de longues listes de commandes sous
haute pression et ne sont plus capables de développer une vraie
œuvre en toute tranquillité. Je connais un bon nombre d’artistes
qui m’ont refusé la collaboration afin de sécuriser la qualité de leur
travail. Faites toujours confiance à vos propres valeurs esthétiques
et suivez ce qui vous semble avoir une valeur stable – si cette valeur se trouve dans l’investissement ou dans l’amour pour l’art, c’est
votre décision personnelle.
La collection réunie du couple comprend plus de 250 oeuvres d’art
Quelles sont les plus grandes satisfactions et les difficultés principales liées à votre collection ?
La plus grande satisfaction et joie pour moi, c’est d’être entourée des
œuvres que j’adore et de vivre avec elles tous les jours. Jusqu’ici,
je n’ai pas encore rencontré de difficultés. La seule chose à laquelle on doit vraiment faire attention, c’est que les œuvres ne soient
jamais directement exposées à la lumière du soleil qui change pendant l’année : en hiver, le soleil est beaucoup plus bas et peut passer
directement par les fenêtres, sur des parties de murs qui ne sont
normalement pas illuminées pendant le reste de l’année. Dans notre maison, un grand nombre d’œuvres doit être protégé en hiver ;
mais c’est simple – on doit juste fermer les rideaux et y penser avant
de partir de la maison.
Aimeriez-vous, si vous en aviez l’occasion, ouvrir votre collection
au public ? Avez-vous des projets spécifiques dans ce sens ?
Sharon Harper, FLUG (FLIGHT), France mise en scène.vi, 1997
impression à la gélatine argentique, 50,8 x 60,96 cm
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Comme vous le savez, entre-temps, j’ai déjà eu une galerie qui était
située au rez-de-chaussée de ma maison à Munich. C’était, bien sûr,
une expérience magnifique, mais désormais je ne veux plus partager
mon espace privé et montrer au public les œuvres avec lesquelles
je vis. Je les regarde vraiment comme étant quelque chose de très
privé et personnel. Néanmoins, je n’ai jamais arrêté la collaboration
avec mes artistes. Vous pouvez voir les artistes que je présente sur
mon site – www.smartcurating.com – avec un focus sur une sélection
d’artistes contemporains, soit émergeants, soit établis, spécialement
originaires des États-Unis (Californie et New York). Depuis que j’ai
fermé ma galerie à Munich (et plus tard à Zurich), j’agis en tant que
consultant d’art privé à titre international. En ce moment, je présente à Paris une exposition de la série « FLUG (FLIGHT) » de Sharon
Harper, une photographe de New York qui a déjà eu des expositions dans des institutions importantes comme le Whitney Museum
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of American Art et le MoMA à New York. Ces photographies en noir
et blanc ont l’effet de dessins au fusain car elles sont prises d’un
TGV pendant des voyages en France, en Allemagne et en Italie.
L’exposition est à voir jusqu’en mai 2012 chez « Paris Ouest Sotheby’s International Realty » dans le 16e arrondissement.
Notre magazine s’appuie sur l’alliance de l’art contemporain émergent et de l’immobilier de luxe. Vous semble-t-il pertinent de réunir
ces deux thèmes et pourquoi ?
Oui, cette réunion me semble absolument pertinente, sinon logique
car il s’agit très souvent de la même clientèle : Les belles maisons
luxueuses doivent être « remplies » et un collectionneur doit posséder, en général, aussi l’espace où poser sa collection – donc une
grande maison. C’était également la raison pour laquelle Sotheby’s,
la fameuse et plus ancienne maison de vente aux enchères, a créé
il y a 35 ans la partie immobilière, Sotheby’s International Realty :
dans le but de fournir des services immobiliers privilégiés à sa clientèle de marque.
Y a-t-il un point que nous n’avons pas encore évoqué et que vous
aimeriez développer ?
cependant, est que l’on peut facilement perdre ses repères sur un
marché tellement grand et varié. La mondialisation peut donc avoir
cet effet néfaste ; d’une interaction avec l’art trop superficielle. Ce
ne sont alors plus la qualité et la découverte profonde qui comptent.
L’art fait désormais partie du quotidien. Ce sont aujourd’hui les milliardaires et hedge fund managers qui ont pris la place des anciens
mécènes et spéculateurs. Aujourd’hui, comme toujours, l’art est
utilisé comme « un vernis de savoir-faire » et un trophée. La création
des nouvelles fortunes gigantesques dans les vingt dernières années
a accéléré cette tendance. On doit quand même admettre que ce fût
toujours le cas au cours des siècles : déjà dans l’Antiquité, au Moyen
Âge ou à la Renaissance, des régents se sont entourés d’artistes
pour créer une certaine image d’eux-mêmes. Autrement, des artistes comme Donatello, Léonardo da Vinci ou Michelangelo, n’auraient
probablement pas pu survivre. Dans un passé plus proche, les aristocrates et cléricaux ont été remplacés par des industriels et d’autres
nouveaux riches. Cependant, je suis convaincue que le marché
va toujours se corriger d’une façon naturelle et que chaque bulle va
exploser un jour. À la fin, seule la qualité va survivre.
Claire Griffiths
Oui, j’aimerais parler de deux phénomènes importants qui ont
récemment influencé fortement le marché de l’art et, par cela,
également l’histoire de l’art. Grâce aux nouvelles technologies,
les acheteurs et les amateurs d’art sont beaucoup mieux informés
que dans le passé. Internet permet de s’informer et de suivre les
tendances du marché en temps réel, à n’importe quel endroit dans le
monde entier. À mon avis, c’est un développement assez révolutionnaire, spécialement si l’on considère le fait que le monde de l’art a
toujours été, pendant des siècles, un « club très fermé » ! Le marché
de l’art s’est démocratisé. Un des désavantages de ce phénomène,
Chris McCaw, Grandpa’s Almond Orchard, Manteca, CA, 1997
impression au platine (déposé à la main) palladium en contact direct, 17,78 x 43,18 cm
La demeure provençale de Monsieur et Madame Alexander et Sibylle Kraft
Chris McCaw, Detail #11, Grandpa’s shop, Manteca, CA, 2001
impression au platine (déposé à la main) palladium en contact direct, 17,78 x 43,18 cm
Sibylle Kraft devant des oeuvres de Chris McCaw et Sieglinde Van Damme
Sieglinde Van Damme, Illusion, 2008, impression intaglio photopolymère, 27,94 x 40,64 cm
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