Olivier Föllmi et Flo

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Olivier Föllmi et Flo
OLIVIER FÖLLMI ET FLORIMONT : LE SENS D’UNE RENCONTRE
Ignorer l’existence d’Olivier Föllmi est de l’ordre du possible. En ignorer les photographies,
beaucoup moins : chacun de nous en a déjà vu, peut-être même regardé. Dans ce cas,
chacun n’a pu qu’admirer certains clichés particulièrement saisissants. Certes, Olivier Föllmi
est un photographe internationalement reconnu. Mais cela n’explique pas le pourquoi de
cette conjonction entre ce photographe-voyageur en particulier et l’Institut Florimont…
Il n’est pas de conjonction sans convergences. Certaines d’entre elles font que cette
rencontre devait avoir lieu… Depuis 2003 surtout, Olivier Föllmi parcours la planète. Pour lui,
la recherche de beaux paysages ou de beaux visages n’est pas en soi un but mais un
moyen : «Je souhaite montrer qu’il existe une humanité profonde au-delà des différences de
culture, de croyance, de peau […] Mes photos cherchent à montrer cette unité, cette
humanité»1. Autant dire que le photographe, avide de connaître autrui et sa multiplicité,
découvrait à l’Institut une sorte de condensé du monde puisque Florimont accueille des
élèves de soixante nationalités. De leur côté, les enfants (à qui il s’adresse, classe par
classe) ne s’y trompent pas : quelqu’un leur parle un langage qu’ils entendent parfaitement.
Le petit Éthiopien, l’Indien, le Mexicain… retrouvent dans son témoignage les échos d’une
sensibilité qui vibre seulement chez ceux qui ont expérimenté un lieu.
Hormis ce cosmopolitisme vécu, un autre trait d’union relie Olivier Föllmi et notre école. Il
s’agit d’une certaine conception de la culture. Outre les disciplines académiques et leur
apprentissage nécessaire, Florimont vise plus que jamais à développer « l’entendement
raisonné des choses », comme on disait à l’époque de Montaigne2. Notre époque, elle, tend
à former des spécialistes, se nourrit beaucoup d’abstractions… Or les jeunes esprits ont
besoin d’une culture plus ouverte et qui soit en symbiose avec le réel, celui qui se voit,
s’écoute, se touche… Le fonds photographique qu’Olivier Föllmi a mis dans sa totalité à la
libre disposition des enseignants permet d’ajouter une dimension visuelle aux cours,
(expérimentale, pourrait-on dire) que ce soit en Économie, en Histoire-géographie, en
Sciences, etc. Des projets ont fleuri dans chaque discipline et se développeront tout au long
de l’année scolaire (voir sur notre site la plate-forme du projet). Nul doute qu’ils donneront
aux sujets appréhendés intellectuellement une plus-value sensible, un relief, une densité qui
sont ceux de la « vraie vie » et non de son évocation abstraite.
Nos enfants voyagent. Mais comment voyagent-ils ? Comment regardent-ils ? Pourraient-ils
reprendre à leur compte le conseil du philosophe déjà cité, à savoir : visiter les pays voisins
«pour frotter et limer [leur] cervelle contre celle d'aultruy»; en d'autres termes, pour se
débarrasser de leurs préjugés nationaux, élargir l'horizon de leur intelligence ? Cette
découverte de l’authentique qui n’appartient plus au « tourisme » - avec ce qu’il suppose
souvent de vulgaire – non seulement ils entendent Olivier Föllmi leur en parler, mais mieux,
ils en ressentent le sens profond, la nécessité ; non pas comme on ressent un discours
convenu, mais comme on s’imprègne en direct d’une expérience irremplaçable : celle du
vécu montré… « J’ai appris au cours de trente ans de voyages à ne pas estimer les hommes
selon leur nationalité ni leur croyance, ni leur statut », dit celui qu’on désigne aussi comme le
« photographe d’humanité ». Ses œuvres, plus que tous les mots (jamais uniques, eux, par
conséquent bien usés) ne disent que cela. Chaque portrait est une expérience d’humanité,
d’empathie pour des êtres saisis dans leur vérité, donc dans ce qu’ils possèdent de plus
universel. Chaque portrait, à qui se laisse aller simplement à regarder (ce n’est pas si facile),
est une confrontation avec ce que l’humain porte en lui de plus essentiellement humain… et
qui, finalement est de l’ordre du sacré. Rares sont les chercheurs d’absolu, les artistes
animés par ce don : franchir la gangue des apparences pour atteindre la Pépite. Le monde
qu’on voit et qu’on donne à voir est d’abord celui qu’on porte en soi. Celui qu’Olivier Föllmi
1
2
Interview accordée au Monde 14.10.2009 (Claire Gilly)
Qui, lui-même, affirmait : «Il faut s'enquérir qui est mieulx sçavant, non qui est plus sçavant.»
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capte est a priori visible par tous. Pourtant ses photographies donnent accès à ce qui, sans
son regard à lui, resterait caché, un mystère. Elles ont un surprenant pouvoir de
dévoilement. Si c’est une question de lumière, alors ce n’est pas seulement de lumière
physique qu’il s’agit…
Ce dernier point est peut-être le plus important quant au rôle que peut jouer la présence
d’Olivier Föllmi en un lieu tel que Florimont. Il appartient à cette catégorie rare des
« passeurs - éveilleurs ». Juristes, médecins, industriels, commerçants, banquiers,
enseignants, nous risquons de nous laisser emprisonner dans notre profession. A longueur
d’année nous côtoyons des gens qui nous ressemblent, et l’espace dans lequel vivent aussi
nos enfants, peut manquer de lumière – ou d’air frais. Notre actualité, nos centres d’intérêts,
se limitent à des frontières parfois étriquées. Le contact avec des êtres aux semelles de vent
n’en devient que plus nécessaire. « Depuis trente ans, mon actualité est essentiellement
faite de rencontres bouleversantes, enrichissantes, généreuses, constructives. Je ne peux
qu’être séduit par le monde et les hommes ». Celui qui élargit, dans l’espace géographique
et social, son cadre de vie, devient apte à mieux comprendre autrui, à s’ouvrir davantage à la
différence, à accueillir ce qui heurte les habitudes sclérosantes. Son exemple, en tout cas
celui d’Olivier Föllmi, ne peut qu’inciter les adolescents à aimer ce qui est digne de l’être, à
considérer les antagonismes, les hasards et les crises comme des compagnons
d’apprentissage, des guides, et non des menaces. Nous retrouvons alors cette vérité de
Nicolas Bouvier : nous ne faisons pas de voyages, ce sont eux qui nous font. Nous font en
nous aidant à découvrir d’autres paysages, tout intérieurs ceux-là, et si rayonnants, qu’aucun
appareil photographique ne peut les capturer.
Rien de mieux que la fréquentation d’un tel voyageur pour faire naître, surtout dans des
consciences en devenir, le désir d’une expérience plus éclairante, une soif d’ouverture sur le
monde, sur autrui et, au final, sur soi. J’ai croisé (dans ma vie et dans mes lectures) un
certain nombre de globe-trotters : aucun qui ne soit habité ! Tous, malgré les épisodes
parfois tragiques qu’ils ont traversés, se sont sentis « reliés ». Aux esprits d’un lieu, au
cosmos… A Dieu, parfois, à l’humanité, toujours (… mais est-ce si différent ?) Plus rien de
mesquin en eux. Ils ont redéfini leurs priorités, appris à respirer plus généreusement, à voir
plus juste et à penser plus profond, au-delà des apparences. Ceux qui ont quitté les sentiers
battus et rebattus savent que le seul moyen d’être en harmonie avec les autres, les
« différents », c’est d’accepter d’être celui qu’on est – et de l’être le plus justement possible.
Donc d’être fidèle à soi-même – à ce qui est plus beau et plus grand que soi, qu’en Inde on
appelle le Self et en Occident le Divin. Que souhaiter de mieux à nos enfants – à nos
élèves ? C’est aussi cela (cette découverte d’une identité intrinsèquement universelle,
nécessaire à la vraie compréhension du monde) que retiendront les jeunes Florimontains,
bien longtemps après le passage d’Olivier Föllmi. Peut-être, à leur tour, partiront-ils à la
recherche de leurs semblables et, aux confins de ce qui les distingue, de cette part
commune qui échappe au petit moi, le transcende. Recherche qui dit rarement son nom
jusqu’au jour où, surprise, une part de nous-même, la plus précieuse, touche au rivage de ce
Lieu inconnu et pourtant reconnu immédiatement… parce qu’on le porte au plus profond de
soi. Pour ce faire il n’est pas nécessaire de viser les lointains de notre planète.
On l’a compris, c’est d’abord à cette découverte, à ce dévoilement que le travail d’Olivier
Föllmi peut nous inviter. Les kilomètres favorisent cette démarche, certes, mais aussi
nombreux soient-ils, ils sont là d’abord pour nous ramener à une proximité toute intérieure
qui peut aussi se cultiver sans mise à distance préalable. L’essentiel d’un voyage est l’esprit
dans lequel nous le faisons. Comme le suggère François de Sales3, mieux vaut accomplir de
« petits pas » que de grandes enjambées si ces « petits pas » nous permettent d’avoir « des
ailes à voler » !
3
Lettre à une novice, sept. 1620, E.A. Livres XIX, p. 332
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