Éducation sexuelle compréhensive

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Éducation sexuelle compréhensive
Éducation sexuelle compréhensive
Contexte
Une éducation sexuelle qui fournit aux étudiant(e)s les compétences nécessaires pour naviguer un monde divers et
numérique doit aller au-delà de la biologie. Elle doit inclure des activités et notions adaptées à divers groupes d’âge
traitant des droits de la personne, de la sexualité humaine, de l’égalité des genres, des relations amoureuses et sexuelles,
et de la santé sexuelle et reproductive. À ces fins, l’éducation sexuelle doit se fonder sur des données factuelles, scientifiques et neutres, et elle doit renforcer les compétences de prise de décision, la pensée critique et les aptitudes de
communication et de négociation.1 Une éducation sexuelle compréhensive vise à éliminer les normes et stéréotypes
sexospécifiques, ainsi que la discrimination et la stigmatisation, tout en embrassant la diversité et le respect de l’évolution des capacités des enfants et des jeunes.
Cela exige un effort concerté et soutenu pour contrer la négativité entourant les questions de sexe, de sexualité, de
genre et de santé, au profit d’une approche outillant les jeunes pour aborder leur sexualité de façon positive. Un curriculum d’éducation sexuelle mis en place pleinement et efficacement reconnait les contextes économiques, sociaux
et politiques dans lesquels la sexualité et le genre sont construits et comment la stigmatisation et la discrimination
existent en leur sein. De plus, il reflète et prend compte des diverses expériences de la sexualité et du genre à raison de
la race, le handicap, l’orientation sexuelle, l’identité et l’expression du genre, la classe, la religion, l’origine ethnique, et
le long d’autres lignes.
Les Nations Unies jugent fondamental le droit des enfants et des jeunes à une éducation
sexuelle compréhensive, tel qu’exprimé tant par le Rapporteur spécial sur le droit à l’éducation auprès de l’Assemblée générale des Nations Unies que par le Comité des droits de
l’enfant des Nations Unies dans son Observation générale no 4 et par le Comité des droits
économiques, sociaux et culturels des Nations Unies dans son Observation générale no
14.2 Ces deux derniers comités reconnaissent entre autres que le droit des jeunes et des
adolescents d’accéder à une éducation et à de l’information est essentiel à leur santé, notamment sexuelle et reproductive.
L’éducation étant de compétence provinciale au Canada, il revient à chaque province ou territoire de concevoir et
d’implanter ses programmes d’études. Le gouvernement du Canada, signataire de nombreux traités internationaux
portant sur les droits de la personne, est toutefois chargé de faire respecter le droit fondamental de chaque personne à
une éducation sexuelle compréhensive, tenant de ce fait les provinces responsables de faire la preuve qu’elles remplissent intégralement cette obligation, sans diluer leur programme d’éducation sexuelle, ni refuser de l’appliquer.
L’implémentation de curriculums en éducation sexuelle au Canada n’a pas été, à ce jour, consistante, cohérente, efficace
ou mise en œuvre d’une manière qui reconnaît les droits des jeunes. Ceci peut renforcer la stigmatisation de leur sexualité,
peut mener à la discrimination et avoir des effets négatifs en matière de santé. Des études démontrent qu’actuellement,
les jeunes au Canada manquent de connaissances en santé sexuelle et reproductives. En 2011, plus d’un quart des tests
positifs pour le VIH ont été attribués à la tranche d’âge entre 15 et 29 ans. Les femmes sont surreprésentées dans ce groupe
démographique, représentant 56,5 % du total des tests VIH positifs déclarés. D’autres groupes sont particulièrement
touchés par le VIH, notamment les jeunes autochtones. De plus, il est notable que les jeunes Canadiens et Canadiennes
aient les taux les plus élevés d’infections transmissibles sexuellement (ITS) au pays et que les taux de chlamydia, de gonorrhée et de syphilis soient en hausse constante depuis la fin des années 1990. Selon les données nationales de surveillance sur les taux d’ITS de 2010, 81 % des nouveaux cas de chlamydia, 67 % des nouveaux cas de gonorrhée et 27 % des
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nouveaux cas de syphilis infectieuse ont été parmi les jeunes.3
Les taux élevés de violence contre les jeunes femmes et les filles démontrent en outre un manque de sensibilisation
concernant les normes et stéréotypes sexospécifiques, ainsi que les comportements respectueux dans le contexte de
relations interpersonnelles. Les jeunes femmes sont huit fois plus susceptibles que les garçons d’être victimes d’une
infraction sexuelle;4 près de la moitié (46 %) des filles du secondaire en Ontario sont victimes de harcèlement sexuel.5
Les filles autochtones sont confrontées à des incidents violents plus fréquemment que les filles non-autochtones, avec
17 % des femmes autochtones disparues et assassinées ayant moins de 18 ans.6
Lorsque implémenté et mis en pratique efficacement, un curriculum en éducation sexuelle reconnaît la réalité des
jeunes et fournit de l’information sur la prévention des ITS et des grossesses non désirées, de même que les outils nécessaires pour cultiver des relations amoureuses et sexuelles saines. Aux Pays-Bas, où l’enseignement de la sexualité est
débuté obligatoirement dès l’école primaire, des études démontrent que la majorité des premières expériences sexuelles
sont positives, que 90 % des adolescent(e)s ont utilisé des moyens contraceptifs lors de leur première relation sexuelle,
que le taux de grossesse adolescente (6 naissances pour 1 000 jeunes femmes âgées de 15 à 19 ans) est l’un des plus
bas au monde (il est de 14 pour 1000 naissances au Canada). Ceci est le produit du fait qu’au Pays-Bas, l’éducation
sexuelle compréhensive s’accompagne aussi d’une offre d’information et de services de santé sexuelle et reproductive –
incluant une gamme de moyens contraceptifs – adaptés aux jeunes.7
Au Canada, le gouvernement fédéral a deux rôles à jouer : il doit faire avancer les droits sexuels et reproductifs des
jeunes (notamment par le biais d’une éducation sexuelle compréhensive), en plus de colliger et d’analyser les données
liées aux tendances canadiennes en matière de santé sexuelle et reproductives. Ceci permet aux autres paliers de gouvernement d’ajuster leurs programmes et politiques et, lorsque nécessaire, d’en instaurer de nouveaux pour améliorer la
santé publique et lutter contre la stigmatisation et la discrimination. Ainsi, en 2008, l’Agence de la santé publique du
Canada (ASPC) a révisé ses lignes directrices en éducation sexuelle dans le but d’encadrer l’élaboration et l’évaluation
de programmes factuels et complets d’éducation sexuelle. Toutes les provinces et tous les territoires n’ont malheureusement pas appliqué ces lignes directrices de façon consistantes ou cohérente, alors que, concurremment, aucun
mécanisme ne permet d’évaluer les divers programmes d’éducation sexuelle actuellement en place.
Ces lignes directrices fournissent un contexte utile pour l’élaboration de politiques et de programmes d’éducation
sexuelle efficaces et intégrateurs au Canada. Leur révision doit tenir compte des besoins suivants: de débuter l’éducation sexuelle dès l’école primaire; d’y incorporer une méthodologie participative et le recours aux technologies de
l’information et de communication du jour; d’implanter les programmes dans les écoles, mais aussi en dehors de ces
dernières (en présence de politiques et de dispositions juridiques connexes); d’y adjoindre des mécanismes efficaces de
renseignements et de références; du respect de la vie privée des gens et de la confidentialité de leur information; de la
formation des enseignant(e)s; et de l’implication active les jeunes dans l’élaboration, l’implantation, le suivi et l’évaluation des programmes d’éducation sexuelle.8
En Alberta, certaines commissions scolaires permettent à des groupes religieux d’offrir
leurs curriculums en éducation sexuelle, et ceux-ci incluent parfois des informations inexactes et trompeuses en matière de santé sexuelle et reproductive, de diverses compositions familiales et de données scientifiques. En 2014, une étudiante d’Edmonton a déposé
une plainte auprès de la commission provinciale des droits de la personne, fournissant la
preuve qu’un de ces groupes religieux en question livrent des informations trompeuses
aux étudiant(e)s sur les questions liées à la contraception et les ITS dans le cadre d’une
approche pédagogique fondée sur l’abstinence. Une telle approche a le potentiel d’augmenter la prévalence des ITS, des grossesses non désirées et, généralement d’avoir des
effets négatifs en matière de santé, car elle limite l’accès des jeunes à une information
scientifique complète et vérifiable en matière de santé sexuelle et reproductive.
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Au Québec, il n’existe aucun programme d’éducation sexuelle en tant que tel, l’approche
retenue privilégiant plutôt l’intégration de divers sujets telles l’identité de genre ou les
ITS dans les cours de base. Cette approche permet aux conseils scolaires, aux écoles et
aux enseignant(e)s d’avoir entière discrétion pour ce qui est de la matière enseignée et
de la façon dont l’information est communiquée. Ce n’est donc pas surprenant que suivant cette absence d’indications sur la façon d’enseigner l’éducation sexuelle, le Québec a
connu une hausse des taux d’ITS, des taux de violence conjugale et de violence sexuelle
dans les dix dernières années.9
Par ailleurs, les commissions scolaires d’une même province ne sont pas nécessairement tous sur la même longueur
d’onde. Ainsi, en Ontario, certains membres de commissions scolaires catholiques ont tenté de convaincre leurs conseils de soustraire leurs écoles à l’introduction du nouveau curriculum en éducation sexuelle que vient d’adopter le
gouvernement provincial.10
Il est impératif de mener des études nationales à intervalles réguliers pour juger de l’efficacité des programmes d’éducation sexuelle et déterminer s’ils contribuent effectivement à améliorer la santé publique et à, entres autres choses,
réduire la stigmatisation et la discrimination. Ces études doivent aller plus loin que la simple comptabilisation des
taux de ITS, de VIH et des grossesses non désirées, et toucher notamment à des notions plus subjectives, par exemple
la satisfaction des jeunes par rapport aux curriculums, leur capacité d’obtenir de l’information et des services adaptés à
leurs besoins, la baisse des diverses formes de violence et l’évolution de l’opinion publique.
Bien qu’ils soient limités, il existe certains mécanismes permettant à la population canadienne d’obliger ses dirigeants
à assurer aux jeunes une éducation sexuelle compréhensive. L’un de ces mécanismes est le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE) qui permet aux individus de déposer des plaintes contre les États qui ne
respectent leurs obligations liées aux droits de la personne, une fois que les recours internes ont été épuisés. Les comités
des Nations Unies auxquels sont confiés le suivi de pareils traités internationaux et le traitement des plaintes qui en
découlent sont chargés de veiller au respect des obligations des États membres en matière de droits de la personne et
d’instaurer des correctifs concrets advenant une violation ou un déni de ces droits. Les protocoles facultatifs aident
également à assurer des mécanismes décisionnels transparents et démocratiques à quelque palier de gouvernement que
ce soit. Dans le cas de la CDE, son protocole facultatif a été ratifié par 46 États membres, mais pas par le Canada.
Les Nations Unies en sont actuellement à élaborer un cadre global de développement
pour la période 2015-2030, axé sur des objectifs de développement durable qui viseront
tous les pays, abstraction faite de toute considération économique, sociale ou politique.
Le Canada sera donc obligé de répondre au droit des personnes à une éducation sexuelle
compréhensive et de le protéger, notamment en respectant les cibles suivantes :
3.7 D’ici à 2030, assurer l’accès de tous à des services de soins de santé sexuelle et procréative, y compris
à des fins de planification familiale, d’information et d’éducation, et la prise en compte de la santé procréative dans les stratégies et programmes nationaux
3.8 Faire en sorte que chacun bénéficie d’une assurance santé, comprenant une protection contre les
risques financiers et donnant accès à des services de santé essentiels de qualité et à des médicaments et
vaccins essentiels sûrs, efficaces, de qualité et d’un coût abordable
4.7 D’ici à 2030, faire en sorte que tous les élèves acquièrent les connaissances et compétences nécessaires
pour promouvoir le développement durable, notamment par l’éducation en faveur du développement et
de modes de vie durables, des droits de l’homme, de l’égalité des sexes, de la promotion d’une culture de
paix et de non - violence, de la citoyenneté mondiale et de l’appréciation de la diversité culturelle et de la
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contribution de la culture au développement durable
5.6 Assurer l’accès de tous aux soins de santé sexuelle et procréative et faire en sorte que chacun puisse
exercer ses droits en matière de procréation, ainsi qu’il a été décidé dans le Programme d’action de la
Conférence internationale sur la population et le développement et le Programme d’action de Beijing et
les documents finals des conférences d’examen qui ont suivi
Nous demandons au gouvernement du Canada de :
Réclamer du ministre de la Santé qu’elle ou il confie à l’ASPC le mandat de réviser ses lignes directrices en éducation sexuelle avec la participation active de divers partis-prenant, incluant les jeunes, les professionnel(le)s de la
santé, le milieu universitaire et les organismes de la société civile canadienne œuvrant en éducation sexuelle, et autres
experts, ainsi que de s’assurer qu’elles seront assortis de mécanismes efficaces de suivi.
Effectuer des études nationales périodiques, notamment par le biais de sondages à grande échelle, portant sur des
indicateurs de santé sexuelle éprouvés et désagrégés entre autres selon le genre, l’âge, le lieu et l’ethnicité. L’une des
approches possibles serait de demander à l’ASPC de mener à intervalles réguliers l’Enquête canadienne sur les indicateurs de santé sexuelle dont elle avait effectué l’essai pilote et la phase de validation en 2012. Une autre possibilité
serait d’élargir substantiellement la portée du module sur les comportements sexuels de l’Enquête sur la santé dans les
collectivités canadiennes, en y ajoutant des questions portant notamment sur la contraception et les grossesses.
Impliquer activement les jeunes et les adolescent(e)s dans l’élaboration, la conception, l’implantation et l’évaluation des politiques et des programmes qui les visent, et ce, en consultant des adolescent(e)s et des jeunes de tous
genres et lieux et de toutes ethnicités et orientations sexuelles, notamment, sur leurs perceptions quant à l’utilité de
l’éducation sexuelle qu’ils ont reçue en ce qui touche les débuts de leurs vies sexuelles actives, incluant leurs premiers
rapports sexuels, et en tenant compte de ces données subjectives lors de la révision des programmes d’éducation sexuelle.
Accorder à l’ASPC une enveloppe budgétaire suffisante pour mener des campagnes de sensibilisation entre autres
sur les notions de consentement sexuel et de sexualité positive et épanouie, sur la santé sexuelle et reproductive, et sur
la stigmatisation et la discrimination.
Ratifier le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications.
Confier au Comité permanent de la santé de la Chambre des communes le mandat d’étudier les programmes
actuels d’éducation sexuelle au Canada et de recommander des mesures pour mieux encadrer et rendre plus efficaces
la conception et l’implantation de tels programmes à travers le pays.
Notes de fin
Voir le rapport intitulé « Recommandations pour la CIPD après 2014 : santé et droits pour tous en matière de sexualité et de procréation », publié par le Groupe de travail de haut niveau sur la Conférence internationale
sur la population et le développement en 2013. http://icpdtaskforce.org/resources/recommandations-strategiques-pour-la-CIPD-apres-2014.pdf
2
Voir le rapport déposé le 23 juillet 2010 auprès de l’Assemblée générale des Nations Unies par le Rapporteur spécial sur le droit à l’éducation http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N10/462/14/PDF/
N1046214.pdf?OpenElement; voir aussi l’Observation générale no 4 déposée le 1er juillet 2003 par le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies sur « La santé et le développement de l’adolescent dans le contexte de
la Convention relative aux droits de l’enfant » http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G03/427/25/PDF/G0342725.pdf?OpenElement; voir enfin l’Observation générale no 14 déposée le 11 août 2000 par le
Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies sur « Le droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint » http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G00/439/35/PDF/G0043935.
pdf?OpenElement
3
Voir les notes du chapitre 3 du Rapport d’étape sur les populations distinctes : VIH/sida et autres infections transmissibles sexuellement et par le sang parmi les jeunes au Canada, publié par l’Agence de la santé publique
du Canada en 2010. http://www.phac-aspc.gc.ca/aids-sida/publication/ps-pd/youth-jeunes/chapter-chapitre-3-fra.php#notei
4
Voir l’étude sur la Mesure de la violence faite aux femmes : tendances statistiques, publiée par Statistique Canada en 2013. http://www.statcan.gc.ca/pub/85-002-x/2013001/article/11766-fra.htm
1
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Voir l’étude (en anglais seulement) intitulée Sexual Harassment and Related Behaviors Reported Among Youth from Grade 9 to Grade 11, publiée en février 2008 à Toronto par D. Wolfe et D. Chiodo. http://pantone201.
ca/webskins/mpp/pdf/490.pdf
6
Voir le manuel (en anglais seulement) sur la violence faite aux filles et femmes autochtones, publié par l’Association des femmes autochtones du Canada en 2013. http://www.nwac.ca/wp-content/uploads/2015/05/2013-NWAC-AFN-Ending-Violence-Workbook.pdf
7
Voir l’article (en anglais seulement) intitulé « Kids don’t usually learn about the birds and the bees in kindergarten, unless, of course, they’re Dutch », publié par le site Upworthy le 7 juin 2015. http://www.upworthy.com/
kids-dont-usually-learn-about-the-birds-and-bees-in-kindergarten-unless-of-course-theyre-dutch
8
Voir la note 1, supra.
9
Voir l’article (en anglais seulement) intitulé « Will Quebec learn lessons from Ontario’s new sex ed program? », publié par le Montreal Gazette le 26 février 2015. http://montrealgazette.com/news/local-news/will-quebeclearn-lessons-from-ontarios-new-sex-ed-program
10
Voir l’article (en anglais seulement) intitulé « Catholic trustees reject call for delay to sex-ed changes », publié par le Toronto Star le 11 juin 2015. http://www.thestar.com/yourtoronto/education/2015/06/11/catholictrustees-call-for-delay-in-sex-ed-changes.html
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