Animaux de compagnie à bord

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Animaux de compagnie à bord
Animaux de compagnie à bord, pour ou contre?
ALAIN LAVOIE OU ALOHA·19 AVRIL 2016
La présence des animaux de compagnie à bord des bateaux n’est pas un fait nouveau. Au temps des grands
voiliers long-courriers, les chats étaient d’ailleurs obligatoires à bord. Ils étaient inscrits sur la charte-partie
engageant l’armateur et le capitaine, ce qui les dégageait de leur responsabilité face aux assureurs pour
d’éventuels dégâts dans la cargaison et les vivres causés par les rats. Ils n’étaient par contre point cajolés par
l’équipage, qui par superstition, les craignaient plus souvent qu’autrement. De toute façon, pour être un bon
ratier, il fallait qu’ils soient affamés, alors il aurait été mal vu de les nourrir.
Donc, l’équipage respectait, mais ignorait le ou les chats du bord. Ils étaient plutôt des mâles, dû aux
inconvénients de grossesses éventuelles, on peut s’en douter, et on les voyait rarement sortir de l’entrepont ou ils
s’acclimataient parfaitement. Les hommes, par crainte, se gardait bien aussi de les agacer, et malheur si un fou
aurait eu l’idée de jeter le chat du bord à la mer, car cela aurait déclenché une terrible tempête! Pour ces mêmes
superstitions, la femme d’un marin se gardait bien de noyer une portée de chaton lorsque son époux était en mer.
Ces chats n’étaient donc pas de animaux de compagnie à proprement parler. On raconte qu’entre le 16ième et le
19ième siècle, les chats étant rares, on utilisait parfois des belettes et des mangoustes sur les navires pour la
même raison, mais celles-ci supportaient mal le froid, contrairement aux chats.
Pour les chiens c’était bien différent. Sur les grands voiliers du commerce, les capitaines en possédaient souvent
un qu’ils emmenaient avec eux à bord, et il arrivait aussi souvent que les hommes d’équipage adoptent un pauvre
chien errant, qui devenait alors la coqueluche de tous. Ces chiens étaient évidement cajolés et gâtés par tous les
marins du bord, et bien qu’ils étaient souvent mal alimentés, les matelots partageaient apparemment de bon
cœur leur bout de lard ou leur biscuit de mer avec ces bons compagnons. On raconte que ces chiens, débarquant
aux escales pour courir la galipote, manquaient parfois l’appareillage, et pouvaient rester des mois durant sur les
quais, attendant le retour éventuel de leurs maîtres. Des chiens furent récupérés, plus de deux mois après avoir
ainsi perdu leur bateau.
Les histoires de chien à bord ne sont malheureusement pas toutes heureuses, telle celle du capitaine Hanson, du
quatre-mâts Mneme de Hambourg, en route pour le Pérou en 1904. Le capitaine voulant qu’un voleur de saucisse
d’officier se livre, affama tout l’équipage. Après plus de deux semaines de jeûne sévère, le mousse de chambre
découvrit le coupable, qui n’était autre que le propre chien du capitaine! L’équipage, furieux, balança alors la
pauvre bête à la mer!
Le capitaine Hanson, frustré et peiné de la perte de son cher chien, maintint le jeûne, et encore pire, refusa de
remettre les avances aux matelots à l’escale, ce qui leurs auraient permis d’acheter de la nourriture. À leur retour,
les armateurs furent surpris en voyant la cambuse pleine de vivres et les hommes aussi squelettiques. La vérité
éclata, et le capitaine fut finalement congédié avec blâme.
Slocum
Le capitaine Slocum, premier navigateur solitaire, ne fût guère plus heureux avec ces animaux de compagnie. Il
avait assisté un jour à la mort d’un jeune Allemand, mort de la rage, et avait été également témoin d’un équipage
complet, réfugié dans la mâture alors qu’un roquet enragé courait sur le pont d’un bateau, pris d’un accès de
cette affreuse maladie. Aussi, refusa-t-il toujours d’embarquer un chien à bord du Spray, malgré sa solitude. Il
garda pourtant un jour à bord, un énorme crabe des îles Keeling qu’il tenta de ramener aux États-Unis, ce qu’il
regretta amèrement, lorsque ce compagnon brisa sa cage, mit son précieux ciré en pièces et menaça de tout
déchiqueter à bord, s’attaquant même à sa personne.
Il accepta pourtant un jour, d’embarquer une chèvre, qu’un ami bien intentionné lui avait apportée à bord. Ce
passage de son livre «Seul autour du monde» est des plus hilarants. Je vous laisse en juger : J’eus le tort de ne
pas l’enchaîner au mât, et de l’amarrer avec du mou dans le filin. Sauf le premier jour, jusqu’à ce que ma
chèvre ait le pied marin, je n’eus plus une minute de repos. Poussée sans doute par un esprit infernal, cette
incarnation du démon menaça de dévorer tout à bord, depuis le foc jusqu’aux chaumards de l’arrière : c’est le
plus redoutable pirate que j’ai rencontré pendant tout le voyage! Elle commença ses déprédations en mangeant
ma carte des Antilles, un jour que je travaillais à l’avant. Hélas, pas un filin, à bord, n’était capable de résister
à la dent de cette chèvre diabolique! Ensuite, ma chèvre dévora mon chapeau de paille. Ce dernier méfait
décida de son sort.
En effet, arrivé à l’île d’Ascension, le Maitre d’équipage d’un navire de guerre en garnison vint à bord du Spray.
Au moment où il accostait avec sa chaloupe, la chèvre sauta à bord et attaqua les matelots. Slocum les pria alors
d’emmener la pauvre bête à terre, et il la donna à un Écossais qui promit de la garder soigneusement.
Il est certain qu’il y a une différence énorme entre emmener un animal de compagnie à bord d’un bateau pour
une journée ou un weekend, et en avoir alors que l’on voyage. Les histoires de familles navigantes ou de solitaires
qui ont emmené chien ou chat à bord regorgent de passages touchants concernant ces bonne bêtes, mais aussi de
cauchemars lorsqu’ils arrivent dans certains pays, ces animaux leur causant d’immenses problèmes avec les
douanes. Certains furent ainsi mis en quarantaine sur des mouillages inconfortables, eurent des menaces
d’amendes salées dues à la présence d’animaux n’ayants pas les papiers ou vaccins nécessaires. Ils durent
malheureusement pour la plupart, se défaire de leurs compagnons au cours de leur voyage, sous peine de le
gâcher par toutes ces tracasseries administratives.
Moi de mon côté, j’ai commencé le bateau très jeune, et j’ai très vite compris l’esclavage et les désagréments que
les chiens pouvaient causer à bord, même pour des sorties de fin de semaine. Malgré que je les adore, j’ai opté
plutôt pour des chats, et j’en ai eu plusieurs, que je pouvais laisser à la maison deux, trois jours, avec la litière, la
nourriture et l’eau nécessaire. Il est vrai qu’au port, les chiens que l’on peut aller promener n’apportent aucun
problème majeur, mais comme nous couchions systématiquement à l’ancre, cela pouvait comporter son lot de
désagréments.
Skipper
Un de mes amis à une époque avait un gros chien noir appelé Skipper. C’était une bête adorable, intelligente et
obéissante, mais quelque peu encombrante il est vrai. Chaque matin, lorsque nous nous levions et nous
préparions à lever l’ancre, mon ami Yvon devait mettre à l’eau son dinghy, emmener le chien à terre pour qu’il
fasse ses besoins, revenir à bord et remonter son dinghy. Vu comme ça, la chose n’aurait pas été si pire, mais avec
les fonds vaseux des mouillages que nous fréquentions, le chien revenait systématiquement les pattes couvertes
de vase, et ensuite vous pouvez imaginer l’état du dit dinghy, sans parler du pont du bateau que mon ami n’avait
de cesse de laver à la brosse. Vous me jugerez peut-être paresseux, mais ces exercices ne m’ont jamais tenté plus
que nécessaire. Il est vrai qu’un petit chien, qui aurait pu s’accommoder d’une litière aurait été moins
demandant.
Je possédais à un moment, une chatte Himalayen magnifique, que je retrouvais avec plaisir en revenant chez moi
le Dimanche soir. Lors d’un voyage de deux semaines à Tadoussac, je laissai une fois Cannelle chez une tante
bien aimable, qui elle aussi possédait un chat. Ce furent hélas deux semaines fort pénibles, car mon chat
dominant le sien, son pauvre félin fut incapable de manger ni d’aller dans sa litière pendant des jours, et il en fut
bien traumatisé, ma tante aussi d’ailleurs. L’année suivante, je du donc me résoudre à l’emmener en vacance
avec nous. Elle s’acclimata très bien à la vie marine, et jamais, même dans des coups durs, elle n’eut le mal de
mer, contrairement à d’autres qui furent malades et vomirent partout à bord du bateau de leurs maitres, comme
ceux-ci me racontèrent.
Je lui avais aménagé une litière, dans un plat de plastique muni d’un couvercle étanche que je pouvais fermer par
forte mer. J’avais disposé cette litière sur le plancher de la cabine avant, dans la pince et elle s’en accommoda. Le
seul inconvénient, c’est que lors du souper, lorsque la table était dépliée et rendait la cabine avant inaccessible, ce
foutu chat attendait que l’on soit bien installé pour le repas, et alors que nous étions tous assis à table et
commencions à nous régaler, elle choisissait à tout coup ce moment pour aller dans sa litière, nous faire un beau
cadeau fumant et odorant, que le courant d’air du capot avant amenait à nos narines et qu’elle se gardait bien
d’enterrer, grattant stupidement le plancher de teck de sa patte velouteuse à côté du contenant, nous regardant
l’air de sourire, fière de son coup!
Ce furent par contre, les seuls désagréments que Cannelle nous causa pendant ces vacances, mis à part les poils.
Un Himalayen, c’est comme une fabrique de poils. Tu as beau le brosser, plus tu en enlèves, plus il y en a! Du
reste, il y a maintenant longtemps que Cannelle n’est plus de ce monde, malgré qu’elle ait vécue dix-huit belles
années. Je l’ai emmené à bord une seule fois, pendant deux semaines, et je vous jure, après vingt ans, je trouve
encore à bord des touffes de poils dans des coins de coffres inaccessibles!
Alors, avez-vous des animaux de compagnie à bord? Vivez-vous avec eux des inconvénients, ou sont-ils source
d’anecdotes et d’histoires amusantes que vous aimeriez partager? Pour moi c’est très clair! Je n’en ai plus, et je
n’en veux plus. Je ne crois pas qu’un bateau spartiate comme le mien soit la place pour un animal de compagnie.
Vous? Pour ou contre?
Alain Lavoie

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