Fouille corporelle: problèmes et directives pour les résoudre
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Fouille corporelle: problèmes et directives pour les résoudre
Strasbourg, le 28 septembre 2001 CPT (2001) 66 COMITE EUROPEEN POUR LA PREVENTION DE LA TORTURE ET DES PEINES OU TRAITEMENTS INHUMAINS OU DEGRADANTS (CPT) __________ FOUILLE CORPORELLE: PROBLEMES ET DIRECTIVES POUR LES RESOUDRE __________ Document préparé par M. Pétur HAUKSSON -2- A. Introduction 1. La fouille corporelle peut être perçue comme une expérience dégradante et inévitable par la personne concernée; elle est parfois utilisée à titre punitif. Lorsqu’elle est effectuée par un professionnel de la santé, la fouille peut poser des dilemmes éthiques. Concrètement, la fouille est exécutée par palpation ou à nu (avec ou sans exploration des cavités et des orifices naturels), soit manuellement soit à l’aide d’un équipement échographique. Elle peut s’accompagner d’un prélèvement de fluides corporels (pour le dépistage de drogues) ou d’échantillons biologiques (en vue d’une analyse de l’ADN). Il convient en outre de garder à l’esprit l’effet dégradant des recherches menées à l’aide de chiens. 2. Les fouilles s’inscrivent dans le cadre d’un soupçon de transport, dissimulation et possession de denrées illégales de toutes sortes ou de la recherche de preuves. Elles sont effectuées par des officiers des douanes, de la police ou de l’administration pénitentiaire ou bien par des personnes ayant suivi une formation médicale. L’obligation pour les professionnels de la santé de respecter un double système de règles professionnelles peut parfois susciter des conflits. Les personnes fouillées sont généralement des voyageurs, des passagers, des individus arrêtés, des suspects et des prisonniers. Il arrive également que des fouilles soient opérées sur des patients, internés volontairement ou pas, dans un établissement psychiatrique ou bien dans un centre de traitement ou de désintoxication pour toxicomanes ou alcooliques, ainsi que sur des mineurs détenus dans un centre pour jeunes délinquants. Des allégations faisant notamment état de recours abusif aux fouilles aux fins d’intimidation et d’humiliation ainsi que sur des préjugés raciaux ont été proférées. Rares sont pourtant les directives concernant les fouilles corporelles et aucun accord international ne couvre ce sujet. 3. Les similitudes entre les méthodes de fouille corporelle et les techniques courantes de torture démontrent la facilité avec laquelle les représentants de l’autorité peuvent traumatiser les personnes concernées et leur infliger un traitement dégradant et inhumain, fût-ce involontairement. L’humiliation de la nudité est fréquemment exploitée par les tortionnaires qui n’hésitent pas non plus parfois à insérer des objets dans les orifices corporels. B. Les problèmes 1. Douanes 4. Les voyageurs suspectés de contrebande peuvent être détenus par les fonctionnaires des douanes. En cas de refus de se soumettre à une fouille ou à une radiographie, ils peuvent rester détenus le temps de devoir uriner ou déféquer. Les fonctionnaires peuvent alors examiner leurs excrétions. Ce retard constitue parfois un véritable danger de mort pour les personnes transportant des stupéfiants in corpore (les «mules») en cas de rupture du contenant. Il est rare que des professionnels de la santé soient appelés pour procéder à des fouilles par palpation ou même à nu. -3- Les détenus peuvent être transférés dans un hôpital en vue d’y subir une fouille interne, un prélèvement d’urines ou de selles ou une radiographie. Le personnel de l’hôpital est alors confronté à la question de savoir s’il convient de déclencher des procédures effractives à but non médical pour répondre à la demande des autorités. Il n’est pas toujours aisé pour lui de distinguer entre ses devoirs de médecin pénitentiaire et ses obligations médicales envers son «patient». Quant au détenu, il n’est pas vraiment en mesure de choisir en raison des pressions exercées sur lui et du nombre restreint d’options dont il dispose. De nombreuses fouilles corporelles sont aussi effectuées dans des aéroports, lorsque des implants orthopédiques activent les détecteurs de métaux (Grohs 1997). 2. Entrée ou immigration illégale et arrestation par la police 5. Les fouilles peuvent être effectuées dans le but de chercher des armes ou des objets que la personne concernée pourrait utiliser comme arme pour infliger des blessures à des tiers ou à elle-même. Un refus peut mener à une fouille forcée. Dans la plupart des cas, la fouille s’effectue en l’absence d’un personnel de santé et il serait irréaliste d’espérer le contraire. La fouille corporelle d’un immigrant déjà traumatisé et parfois aussi torturé peut provoquer des dommages irréversibles. 3. Prisons 6. Dans les prisons, il peut s’avérer nécessaire de fouiller des individus, voire un groupe de détenus, suspectés de dissimuler des stupéfiants ou bien des objets dangereux ou interdits. Des chiens spécialement dressés sont aussi parfois utilisés. Tous les types de fouilles peuvent se révéler intimidants et dégradants. En prison, le risque existe toujours de voir la fouille utilisée à des fins d’intimidation. Même lorsqu’elle apparaît superflue s’agissant par exemple d’une enquête sur un trafic de stupéfiants ne requérant pas spécifiquement de fouille - elle est malgré tout effectuée pour ses vertus intimidantes. Or, le prisonnier n’est pas vraiment en mesure de s’y refuser, même s’il est inadmissible que des moyens de contrainte ou de pression excessifs soient exercés sur lui (Pownall 1999). 4. Etablissements pour adolescents 7. Les fouilles corporelles effectuées sur des mineurs détenus dans des établissements pour adolescents soulèvent un problème encore plus délicat en raison du risque accru de dégradation et de traumatisme. -4- 5. Préjugés raciaux 8. Des allégations de préjugés raciaux, révélés par les médias et des audiences du sénat des Etats-Unis, incitèrent les services des douanes de ce pays à réviser leurs règles en la matière et à publier un manuel décrivant la procédure d’approbation des fouilles, les critères de sélection, la consignation dans un registre, l’autorisation pour les personnes retardées de contacter une personne à l’extérieur, le transfert dans un service médical, etc. En outre «un entraînement spécial à la diversité» est dispensé aux fonctionnaires des douanes pour prévenir la discrimination raciale. 6. Prélèvements 9. Des prélèvements sont opérés sur les prisonniers en vue de détecter l’absorption éventuelle de substances illicites. Le traitement de ces prélèvements et des résultats des tests soulèvent des questions complexes et la frontière entre ce qui relève du monde médical et non médical est facilement franchie. Les résultats d’un test de dépistage obligatoire peuvent notamment être utilisés pour justifier l’application d’un traitement médical à un détenu. 10. Certains gouvernements ont proposé des prélèvements obligatoires en vue du dépistage de stupéfiants ou d’un test d'empreintes génétiques sur les personnes arrêtées pour des infractions graves mais pas encore inculpées : une initiative qui pose des questions éthiques importantes aux professionnels de la santé (Forrest 2000). Une telle information pourrait en effet favoriser les abus et soulever de nombreux problèmes éthiques. Toute personne accusée d’un simple vol à l’étalage risquerait de se voir introduite de force un tampon dans la bouche pour prélever un échantillon de sa salive. La collecte, sous la contrainte, d’un peu de sueur sur le front d’un suspect réticent - aux fins d’un test de dépistage de stupéfiants - ne serait pas moins indigne. Et pourtant, les professionnels de la santé ne disposent toujours d’aucune directive précise pour savoir comment affronter ce type spécifique de situations. C. Directives 11. La 29e Assemblée Médicale Mondiale (AMM) tenue à Tokyo en 1975, adopta des Directives à l'intention des médecins en ce qui concerne la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en relation avec la détention ou l'emprisonnement. Cette Déclaration de Tokyo stipule que le médecin ne devra jamais fournir les locaux, instruments, substances, ou faire état de ses connaissances pour faciliter l'emploi de la torture ou autre procédé cruel, inhumain ou dégradant ou affaiblir la résistance de la victime à ces traitements. Elle stipule également que le médecin ne devra jamais être présent lorsque le détenu est menacé ou soumis à la torture ou à toute autre forme de traitement cruel, inhumain ou dégradant. Le médecin doit avoir une indépendance clinique totale pour décider des soins à donner à une personne placée sous sa responsabilité médicale. Le rôle fondamental du médecin est de soulager les souffrances de ses semblables et aucun motif d'ordre personnel collectif ou politique ne pourra prévaloir contre ce noble objectif. -5- 12. La même Association Médicale Mondiale publia également, lors de sa 45e assemblée mondiale (tenue en 1993), une déclaration sur la fouille corporelle de prisonniers. Elle demande instamment que tous les gouvernements et autorités responsables de la sécurité publique reconnaissent que la nature intrusive d'une telle fouille constitue une grave atteinte à la vie privée et à la dignité de la personne et présente un risque de préjudice corporel et psychologique. Elle prévoit que, lorsque la pratique de la fouille corporelle s'impose, les autorités publiques responsables garantissent que les personnes qui procèdent à la fouille possèdent les connaissances et les compétences médicales suffisantes pour pouvoir l'effectuer sans risques et que l’intimité et la dignité de l’individu soient respectées. Enfin, l’AMM demande instamment aux gouvernements et aux autorités publiques responsables que ces fouilles soient effectuées, dans toute la mesure du possible, par un médecin, chaque fois que l'exige l'état physique de l'individu. La demande spécifique, émise par le prisonnier, d'avoir affaire à un médecin devrait être, dans toute la mesure du possible, respectée. 13. Certains pays ont adopté une législation visant spécifiquement les fouilles corporelles. C’est ainsi que le droit norvégien réglemente la fouille des suspects par la police. Lorsque l’intéressé refuse la fouille (qui peut inclure des prélèvements tels que des échantillons d’ADN), la police est tenue d’obtenir au préalable une ordonnance délivrée par un tribunal. Seules les méthodes de fouille indolores sont permises et le recours à la gastroscopie ou le prélèvement d’urines à l’aide d’un cathéter sont interdits. Certaines procédures ne peuvent être appliquées que par un personnel médical qualifié, de préférence un médecin ; c’est le cas notamment des prises de sang, des examens radiologiques, des explorations rectales et vaginales et de l’utilisation d’émétisants ou de laxatifs. 14. La British Medical Association a publié un ouvrage intitulé «Guidelines for doctors asked to perform intimate body searches» [directives à l’usage des médecins priés d’effectuer des fouilles corporelles intimes], 1994 (révisé en avril 1999). Ces directives prévoient que le médecin doit vérifier si l’autorisation de procéder à la fouille a été obtenue et si cette autorisation et le consentement du patient ont été dûment consignés dans le registre de détention. En cas de refus éclairé du patient (c’est-à-dire lorsque l’intéressé maintient son refus après avoir été informé des conséquences de celui-ci et des options qui s’offrent à lui), le médecin doit respecter sa décision et s’abstenir de toute participation supplémentaire à la fouille. -6- 15. Dans l’arrêt Valašinas c. Lithuanie du 24 juillet 2001, la Cour européenne des Droits de l’Homme a estimé que la fouille corporelle d’un prisonnier mâle, en raison des procédures utilisées, constituait un traitement dégradant et violait l’article 3 de la Convention européenne des Droits de l’Homme: 117. La Cour considère que, si les fouilles intégrales d'une personne peuvent parfois être nécessaires pour assurer la sécurité en prison ou pour prévenir les troubles ou les infractions, celles-ci doivent être réalisées de façon adéquate. Obliger le requérant à se dévêtir complètement en présence d'une femme, puis toucher ses organes génitaux et sa nourriture à mains nues, témoignent d'un manque clair de respect pour le requérant, et portent atteinte en effet à sa dignité humaine. Il a dû ressentir de l'angoisse et un sentiment d'infériorité de nature à l'humilier et l'avilir. La Cour conclut donc que la fouille du 7 mai 1998 s'apparentait à un traitement dégradant au sens de l'article 3 de la Convention. 118. Partant, il y a une violation de l'article 3 en l'espèce. D. CPT 16. Un médecin pénitentiaire est un médecin traitant. Par conséquent, afin de préserver la relation médecin-patient, il ne doit pas être appelé à certifier qu'un détenu est apte à subir une punition. Il ne doit pas non plus procéder à des fouilles ou à des examens corporels demandés par une autorité, sauf urgence lorsqu'un autre médecin ne peut être requis («Chapitres des rapports généraux du CPT consacrés à des questions de fond», paragraphe 73). E. Recommandations 17. Le CPT devrait élaborer des recommandations concernant les fouilles corporelles, sur la base de la note d’information CPT (2001) 51 (Lycke Ellingsen 2001). Il conviendrait peut-être de prendre aussi en compte, en plus des suggestions formulées dans ce document, la situation spécifique de groupes particulièrement vulnérables : personnes traumatisées, réfugiés, mineurs, etc. Il serait également utile de mentionner le risque de voir les fouilles aggraver certains traumatismes ou servir à des abus dans le cadre de manœuvres d’intimidation. -7- F. Références British Medical Association: Guidelines for doctors asked to perform intimate body searches. January 1994, Revised April 1999. www.bma.org.uk. Accessed 24.7.2001. Carlé, P., Helweg-Larsen, K., Jacobsen, P, Kelstrup, J., Rasmussen, O.V., Rehof, L.A. & Thomsen, J.L.: Lægers medvirken ved politiets efterforskning (Physicians involvement in police investigaitons). Juristen, Kbh. 1988, p. 294-312. European court of human rights: Case of Valašina v. Lithuania. (Application no. 44558/98) Strasbourg, 24.7.2001. Forrest, A.R.W.: Guidelines are needed if drug testing of those arrested by the police becomes compulsory (Letter). British Medical Journal, 2000;320:56 (1 Jan) Grohs, J.G., Gottsauner-Wolf, F.: Detection of orthopedic prostheses at airport security checks. The Journal of Bone and Joint Surgery (Br), Vol. 79-B(3), May 1997, p.385-7. Lykke Ellingsen, I.: Examination of bodily orifices. (Unpublished, confidential CPT document) CPT (2001) 51, Strasbourg, 2.7.2001. Pownall, M.: Doctors should obtain informed consent for intimate body searches. British M