Gosses de Tokyo (1932) de Yasujiro OZU

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Gosses de Tokyo (1932) de Yasujiro OZU
Gosses de Tokyo (1932) de Yasujiro OZU
Une projection avec le pianiste Alain Moget le lundi 28 novembre 2011 à 18h dans la salle
polyvalente du lycée Alfred Kastler.
Synopsis : La famille de monsieur Yoshii emménage dans la banlieue de Tokyo, ce qui lui
permet de se rapprocher de son travail, et de son patron selon certaines mauvaises langues.
Ryoïchi et Keiji, ses enfants, ont quelques difficultés à s'adapter à leur nouvel environnement
scolaire. Alors qu'ils commencent à s'intégrer aux autres élèves, ils découvrent que leur père
fait des courbettes à celui de Taro, un jeune garçon qui se laisse pourtant facilement dominer.
Ils découvrent alors la rudesses des rapports sociaux. Ils décident de faire une grève de la faim
pour protester contre le comportement de leur père…
Fiche technique :
Interprètes principaux :
Titre : Gosses de Tokyo (Et pourtant nous sommes nés)
Titre original : Otona no miru ehon - Umarete wa mita keredo
Réalisateur : Yasujirô Ozu
Scénario : Akira Fushimi, Yasujirô Ozu
Directeur de la photographie, montage : Hideo Shigehara
Direction artistique : Yoshiro Kimura, Takejiro Tsunoda
Production : Shôchiku
Format : noir et blanc, muet, 1,37:1, 9,5mm
Hideo Sugawara.......................Ryoïchi
Tokkan Kozo............................Keiji
Tatsuo Saito..............................le père
Mitsuko Yoshikawa..................la mère
Takeshi SakaMoto....................le patron
A- Le Japon de Gosses deTokyo : la montée des périls
L’œuvre d’Ozu s’inscrit dans le Japon des années 30 où on assiste à une montée des périls. Alors que les nationalistes
veulent transformer le cinéma en outil de propagande, Ozu considère le cinéma comme un moyen d’investigation critique
de la société et, dans la mesure du possible (il risque la prison), il n’a pas cédé aux contraintes politiques que voulaient lui
imposer les autorités.
L’ère Shōwa (littéralement « Ère de paix éclairée ») est la période de l’histoire du Japon où l’empereur Showa (Hirohito)
régna sur le pays. Elle débute le 25 décembre 1926 et s’achève le 7 janvier 1989. Elle est aussi l’ère japonaise ( nengō,
littéralement « le nom de l'année ») qui suit l’ère Taishō et précède l’ère actuelle. Ce fut le plus long règne de tous les
empereurs japonais. Le nom officiel utilisé par l'État japonais était, comme lors des ères Meiji et Taishō, Empire du Japon
(Dai Nippon Teikoku). En 1947, après la défaite militaire du Japon en 1945 et l'adoption de la constitution de 1947, le
pays prend le nom officiel de Japon (Nihon ou Nippon).
La première partie du règne de Hirohito se caractérise par de fortes influences nationalistes (nationalisme japonais) et
entraîne l'expansion de l'empire. L'Empereur Hirohito, régent depuis plusieurs années, succède à son père en 1926. Le
Japon est frappé par la crise mondiale de 1929. Le pays, faible en matières premières, a du mal à nourrir une population
sans cesse croissante (un million de citoyens en plus chaque année). Le chômage sévit dans tous les centres industriels du
pays, des krachs financiers se produisent en chaîne. La caste des militaires veut réagir face à l'inaction du gouvernement et
reprend son emprise sur le gouvernement.
L'opinion publique accorde une audience enthousiaste, comme en Allemagne et en Italie, aux leaders politiques proposant
des conquêtes faciles, des marchés nouveaux ainsi que des politiques de « prestige ». Le Japon poursuit et amplifie sa
politique expansionniste et, en 1931, envahit la Mandchourie, annexant de fait la région et créant sur son territoire le
protectorat du Mandchoukouo, qui lui garantit le contrôle de très importantes ressources naturelles. Dans les années
suivantes, le Japon continue d'étendre son influence sur la Chine, multipliant les heurts avec l'armée chinoise et favorisant
des soulèvements indépendantistes en Mongolie-intérieure, dans le but de rééditer l'opération du Mandchoukouo.
À partir de 1932, sous l'influence d'idéologues militaires comme Sadao Araki, le Japon s'oriente vers une relance économique pour assurer la puissance du Japon et une politique militariste et nationaliste de plus en plus prononcée, concevant
le pays comme le seul garant légitime de la paix en Asie, et l'Empereur comme le garant divin de l'expansionnisme
national, agrémentant la nostalgie du bushido et du shogunat d'une émulation des régimes fascistes européens.
B- Une démarche sociologique originale
Ozu a toujours été extrêmement attentif aux rapports sociaux. Son cinéma, loin des films de genre (film de guerre,
films de samouraï) se concentre sur les microstructures de la société. En effet les films d’Ozu font de la famille le spectre de
la société japonaise et de ses transformations.
D’abord ce qui est en jeu dans le film c’est la relation entre les enfants et leur père. Alors que le père constitue
traditionnellement un modèle, son image est remise en question puisqu’il est également un employé subalterne, ce qui
équivaut dans le Japon de l’ère Meiji à une soumission humiliante. Selon Ozu, l'amour, la filiation, le bonheur de vivre avec
les siens en harmonie ont une importance décisive, à la fois différente et supérieure à l'importance sociale.
Le cadre socio-économique joue également un rôle remarquable. Les deux enfants de monsieur Yoshii, découvrent
que la hiérarchie sociale n'a pas forcément de rapport avec les capacités intellectuelles de chacun, mais que l'argent et les
connaissances sont responsables pour beaucoup. Pour protester contre leur père qui fait des courbettes à son patron
(patron qui se trouve être le père d'un de leurs camarades), ils décident, après une grosse colère, de faire une grève de la
faim. Par le biais de ce film et de ces deux enfants, Ozu parvient à dénoncer une hiérarchisation sociale fondée sur le
capital financier et social et qui perpétue la rigidité des relations sociales. Ce qui est en cause c’est une mentalité féodale
qui se surimpose à la hiérarchie de l’entreprise : peu importe la valeur de l’individu, c’est sa position dans la hiérarchie
qui détermine l’attitude des subalternes.
Ozu porte enfin un regard singulier sur l'enfance. Le film est construit en effet sur un double registre : le monde des
enfants et celui des adultes. La bande de gamin est une micro société traversée de constitue une bande traversée de conflits
à l’instar de la société des adultes. Mais les enfants voient le monde de manière assez primaire, presque naïve sans
comprendre les mécanismes complexes de la vie sociale. Mais cette vision contient aussi une certaine vérité dont les
adultes ont du mal à s'accommoder. Le père sait que, quelque part, ses enfants ont raison. Il n'a de cesse de leur répéter
qu'il faut travailler à l'école pour devenir quelqu'un d'important, et que lui-même avait les meilleures notes en calligraphie
(c’est-à-dire la maîtrise du Japonais dont l’écriture est idéogrammatique) et en calcul (les mathématiques sont devenus
depuis l’ère Meiji une base de l’enseignement moderne). Mais, à quoi cela sert-il d'être meilleur que le fils du patron, si
c'est pour devenir son employé ? Puisqu’ils n’appartiennent pas encore au monde des adultes, les enfants ont en fait un
regard extérieur, sur lequel repose l’ironie du film et qui permet au spectateur (japonais) de se distancier.
B- Un maître du septième art
Le cinéma a d’abord été un art muet Cette période s’étend de 1895 la projection des premiers films des frères Lumière
au café de la paix à Paris à 1927 la date du premier film sonorisé Le chanteur de jazz d’Al Jolson, tourné à Hollywood. Sur
les écrans actuellement, le film de Michel Hazanavicius (avec Jean Dujardin et Bérénice Bejo) retrace cette époque.
Tout comme Chaplin aux USA, Ozu va résister au parlant, et ne tournera son premier film parlant qu'en 1936,
Fils unique, soit cinq ans après le premier film parlant japonais. Le film muet permet de se concentrer sur l’image et le
travail des comédiens. Même si des cartons viennent scander le récit, voire indiquent les paroles échangées par les
personnages, l’essentiel est dans la capacité à rendre les images parlantes. Ozu a contribué à fixer ce langage par le choix
d’une caméra placée au niveau du sol (tatami), pour que son cinéma se mette au niveau des personnages. Les plans fixes
assez longs permettent de fixer l’expression des personnages. L’échelonnement des plans dans l’image et le travail sur la
profondeur de champ sont également notables.
Ozu est également très attentif au registre du film. Même en traitant un sujet de fond comme celui des Gosses de
Tokyo, il n'oublie pas de rester léger. Ainsi, une grande place est faite au comique, surtout au comique de gestes. Ainsi, il
joue beaucoup avec les grimaces des enfants, leurs expressions de visages etc.... Mais également avec le comique de
situation, entre autres la relation inverse du père, qu'ils entretiennent avec le fils du patron. Ce dernier se laissant facilement
dominer par les deux enfants lors de leurs jeux communs (pourtant, les deux enfants font aussi l'expérience de la courbette pour
obtenir les faveurs du fils du patron, puisqu'ils lui offre un œuf pour pouvoir avoir le droit d'assister à la projection faite par le patron).
D- Cinéma et musique
Les représentations étaient accompagnées au piano (la musique qui devait couvrir les salles bruyantes avec des
spectateurs commentant les films et en souligner les moments tragiques ou comiques). Alain Mogé reprend cette tradition
dans le spectacle auquel vous êtes conviés.
Voici un texte qui éclaire cette partie de l’histoire du cinéma. L’action se passe à Hanoï en Indochine
dans les années 30. La mère de Suzanne travaille à l’Eden Cinéma.
Marguerite DURAS, Un barrage contre le Pacifique (1950)
Le piano commença à jouer. La lumière s'éteignit. Suzanne se sentit désormais invisible,
invincible et se mit à pleurer de bonheur. C'était l'oasis, la salle noire de l'après-midi, la nuit des
solitaires, la nuit artificielle et démocratique, la grande nuit égalitaire du cinéma, plus vraie que la
vraie nuit, plus ravissante, plus consolante que toutes les vraies nuits, la nuit choisie, ouverte à tous,
offerte à tous, plus généreuse, plus dispensatrice de bienfaits que toutes les institutions de charité et
que toutes les églises, la nuit où se consolent toutes les hontes, où vont se perdre tous les désespoirs,
et où se lave toute la jeunesse de l'affreuse crasse d'adolescence. C'est une femme jeune et belle. Elle
est en costume de cour. On ne saurait lui en imaginer un autre, on ne saurait rien lui imaginer d'autre
que ce qu'elle a déjà, que ce qu'on voit. Les hommes se perdent pour elle, ils tombent sur son sillage
comme des quilles et elle avance au milieu de ses victimes, lesquelles lui matérialisent son sillage, au
premier plan, tandis qu'elle est déjà loin, libre comme un navire, et de plus en plus indifférente, et
toujours plus accablée par l'appareil immaculé de sa beauté. Et voilà qu'un jour de l'amertume lui vient
de n'aimer personne. Elle a naturellement beaucoup d'argent. Elle voyage. C'est au carnaval de Venise
que l'amour l'attend. Il est très beau l'autre. Il a des yeux sombres, des cheveux noirs, une perruque
blonde, il est très noble. Avant même qu'ils se soient fait quoi que ce soit on sait que ça y est, c'est lui.
C'est ça qui est formidable, on le sait avant elle, on a envie de la prévenir. Il arrive tel l'orage et tout
le ciel s'assombrit. Après bien des retards, entre deux colonnes de marbre, leurs ombres reflétées par
le canal qu'il faut, à la lueur d'une lanterne qui a, évidemment, d'éclairer ces choses-la, une certaine
habitude, ils s'enlacent. Il dit je vous aime. Elle dit je vous aime moi aussi. Le ciel sombre de l'attente
s'éclaire d'un coup. Foudre d'un tel baiser. Gigantesque communion de la salle et de l'écran. On
voudrait bien être à leur place. Ah ! comme on le voudrait.
L’Eden Cinéma à Hanoï, rue Catinat
Marguerite Duras et sa mère
Sites consultés et consultables
http://eiga.over-blog.fr/pages/gosses-de-tokyo-yasujiro-ozu-1932-3966384.html
http://books.google.fr/books?id=9uN8XNnGnbYC&pg=PA245&lpg=PA245&dq=Ozu+et+le+Japon+nationaliste&source=bl&ots=gfo0N6Kadi
&sig=Gq4LhXXxuQ2svi5TP0Ub1kCdSic&hl=fr#v=onepage&q&f=false