professeur cottinus ou un rat de bibliotheque
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professeur cottinus ou un rat de bibliotheque
Souvenirs de Didier Béoutis, élève de 1964 à 1971 . Pierre Cottin, bibliothécaire des années 60. DB 3 I 2005 Didier Béoutis en 1966. LE PROFESSEUR COTTINUS OU LE RAT DE LA BIBLIOTHEQUE DU LYCÉE MONTESQUIEU « Hé bien, mon ami ! tu n’es guère bavard ». C’est par ces mots, de sa forte voix assortie d’un accent du terroir roulant les « r », que M. Pierre COTTIN, adjoint d’enseignement au lycée d’Etat de garçons du Mans (et non, comme certains lycéens l’écrivaient, « d’état de garçon », ce qui a, évidemment une toute autre signification), concluait généralement l’interrogation orale d’un élève, en lui infligeant une note en deçà de la moyenne. M. COTTIN avait déjà dépassé la soixantaine lorsque je fis mon entrée au lycée d’Etat de garçons du Mans –qui ne s’appelait pas encore « Montesquieu »-, en classe de sixième, en septembre 1964. De taille moyenne, mais bien enveloppé, rond et rouge de visage, joufflu, un éternel mégot collé sur sa lèvre inférieure qu’il avait charnue, l’œil vif et l’aspect jovial, se déplaçant sur une vieille bicyclette, Pierre COTTIN, dont l'aspect général pouvait rappeler Sir Winston Churchill, ne passait pas inaperçu et aurait pu faire la joie des caricaturistes. Entré au lycée comme surveillant d’études, il avait poursuivi sa carrière comme répétiteur et, amoureux des belles lettres classiques, il s’était vu confier, en fin de carrière, la responsabilité de la bibliothèque du lycée. Heureuse époque où l’on appelait un chat un chat, et une bibliothèque ce qui allait devenir plus tard un « C.D.I » où les cassettes (pardon, les K7) et CD-Rom prennent progressivement la place des livres reliés, et les bandes dessinées (pardon, les BD), celle des romans d’aventure pour la jeunesse. Pierre COTTIN complétait son service de bibliothécaire par des surveillances de permanence et des remplacements d’enseignants. L’administration du lycée lui confia même, dans les dernières années, le cours de français de la classe de 3ème moderne, la classe des non-latinistes, et lors de sa dernière année scolaire d’activité, en 1966-67, les cours semestriels d’instruction civique des cinq classes de quatrième. J’ai donc connu M. COTTIN en tant qu’usager de la bibliothèque, de septembre 1964 à juin 1967, et en qualité d’élève de son cours d’instruction civique, de septembre 1966 à février 1967. La personnalité de M. COTTIN, son ancienneté au lycée lui avait valu plusieurs surnoms : à mi-chemin entre savant Cosinus et professeur Nimbus, « professeur Cottinus » marquait un personnage à la fois savant et féru de citations latines. « Bibendum », du nom latin du pneumatique auvergnat qui buvait l’obstacle, était moins amène et pointait un ventre replet. « Capacité 2.000 litres », selon le mot d’un camarade, voulait être une comparaison 1 gargantuesque, mais entre M. COTTIN et le héros de Rabelais, il y avait sans doute autant de distance qu’entre la grenouille et le bœuf de la fable. Le « dictionnaire des noms de famille » d’Albert DAUZAT renvoie « Cottin » à « Cotin » qui serait un diminutif du prénom « Jacques » (Jacques donnant Jacquot débouchant sur Jacotin diminué en Cotin ou Cottin). Je ne sais si cette étymologie est vérifiée pour notre bibliothécaire, mais, si c’est le cas, celui-ci aurait porté le nom de deux apôtres, celui qui porte la clef et celui qui tient la coquille. La coquille de Cottin, c’était le savoir qu’il avait accumulé au fil des années ; la clef de Pierre, c’était l’enseignement qu’il dispensait à ses élèves. La bibliothèque selon Cottin avait son Seigneur, ses disciples, mais aussi les us et coutumes qui constituait son Evangile. Située au premier étage desservi, depuis la cour des Marronniers, par l’escalier monumental de bois, au-dessus des cuisines, la bibliothèque se composait d’une grande entrée donnant accès à deux salles, l’une fermée et contenant des ouvrages anciens et notamment une collection de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, l’autre ouverte aux élèves, contenant les ouvrages et dictionnaire utiles aux études. Les élèves trouvaient place autour de plusieurs tables rondes, et au fond de la salle, dans une odeur de chou montant des cuisines, corrigeant des copies ou lisant un livre, le maître des lieux surveillait d’un œil les allées et venues, en réduisant les plus dissipés au silence. Les élèves de 6ème et 5ème, soumis sans doute à une période probatoire, n’avaient accès au lieu saint que durant la récréation de 16 heures. Ils ne pouvaient qu’emprunter des ouvrages de type « bibliothèque verte » ou « nouvelle bibliothèque rose », rangés dans une armoire, et encore, il fallait qu’ils se pressassent. « Dépêchez-vous, les sixièmes » lançait le brave homme de son bureau, visiblement agacé par les allées et venues d’une organisation qu’il avait lui-même mise en place. M. COTTIN tenait un cahier d’écolier sur lequel il mentionnait le nom de l’emprunteur et le titre de l’ouvrage. Les élèves, à partir de la 4ème, étaient mieux lotis. Ils pouvaient fréquenter la bibliothèque aux heures de permanence, entre 10 et 12 h et de 14 à 16 heures et, partant, utiliser sur place toute la documentation. Mais, il n’y avait pas que des élèves modèles à la bibliothèque. Certains élèves préféraient l’autorité bonhomme du « père » Cottin à celle, plus redoutable, du pion qui tenait la permanence au premier étage de la cour des marronniers, sous la galerie. D’autres venaient y chercher la traduction toute faite en français de la version latine, grecque ou anglaise qu’il devaient rendre à leur professeur. D’autres, enfin, y cherchaient la lecture facile ou leste qu’ils ne pouvaient trouver dans la bibliothèque de leurs parents. Mais ils en étaient généralement pour leur déplacement. Les chercheurs de la fameuse lettre par laquelle Mme de SÉVIGNÉ racontait à sa fille Mme de GRIGNAN sa nuit de noces ne trouvaient que des éditions expurgées de la correspondance de la célèbre marquise. Quant au divin marquis, il était inutile d’aller le chercher dans les armoires de M. COTTIN. Y avaitil même un Enfer dans la bibliothèque ? Oui, il contenait au moins le très mesuré « dictionnaire des œuvres » que le bon M. COTTIN avait soustrait de la consultation des élèves, considérant que certains d’entre eux s’attardaient plus longtemps que de raison sur les représentations des statues de nus féminins. La fréquentation de la bibliothèque avait ses codes : certains élèves, coupables d’avoir perturbé la règle du silence, se voyaient temporairement interdits de séjour et intimés de repartir en permanence. D’autres, pour revenir en grâce, étaient astreints à des travaux d’intérêt général : pour éviter une retenue qui supposait la toujours délicate signature des parents, ils devaient aider le maître à « recouvrir les livres ». Tout ouvrage destiné au prêt était en effet recouvert par du papier d’emballage de couleur marron, découpé dans de grandes feuilles par le bibliothécaire lui-même qui cherchait une main d’œuvre bénévole. Une fois le 2 livre recouvert, M. COTTIN y inscrivait manuellement le nom de l’auteur et le titre, en lui donnant un numéro. Pas de recours au système officiel thématique de numérotation des bibliothèques. On commençait par le n° 1 et on continuait dans l’ordre cardinal. Pas de recours à l’informatique, bien entendu – nous étions dans les années soixante- ni même à la machine à écrire à ruban. Papier d’emballage, paire de ciseaux, ruban adhésif transparent, stylo à plume ou à bille, tels étaient les attirails, rudimentaires, mais finalement fort suffisants, de M. COTTIN. La bibliothèque fermait dès le début de juin et M. COTTIN s’affairait à la préparation de la distribution solennelle des prix qui avait lieu au théâtre municipal en fin de mois, sous la présidence conjointe du proviseur et d’un universitaire convié pour l’occasion, honorée par un passage, généralement rapide, du maire du Mans. Ce jour là, M. COTTIN officiait dans les coulisses et donnait aux élèves, appelés pour l’occasion, les ouvrages qu’ils se faisaient officiellement remettre par le professeur de leur choix. Surveillant, répétiteur, entouré d’enseignants agrégés ou certifiés, Pierre COTTIN désirait et aimait enseigner. Son manque évident d’intérêt pour les petits 6è et 5è avait amené l’administration à lui confier l’enseignement du français dans la classe de 3ème des non latinistes, ce qui lui permettait d’expliquer les auteurs classiques et sans doute d’instiller à ses élèves fâchés avec la langue de Cicéron (mais sans doute pas avec celle d’Esope) une pointe de latin, car il était un fervent propagandistes des pages roses du dictionnaire Larousse . Celles-ci, comme on le sait, insérées entre les noms communs et les noms propres, recensaient les locutions latines et étrangères pour les lecteurs de la période pré-petit-Robertienne. Pour sa dernière année de service, le proviseur avait demandé à M. COTTIN d’assurer l’enseignement de l’instruction civique aux classes de quatrième. A l’époque, l’instruction civique constituait un parent pauvre de l’enseignement secondaire : un semestre par an limité au premier cycle, pas de notes, ni de compositions, absence donc totale de mention de la matière sur les carnets de notes ou les relevés trimestriels, matière confiée à qui on pouvait, notamment aux professeurs qui peinaient à arriver à un service complet d’enseignement. Pour l’exemple, j’ai eu comme enseignant d’instruction civique, en 6è un professeur de français extérieur à la classe, en 3è un professeur d’histoire également extérieur à la classe, … et en 4 ème, un adjoint d’enseignement, en l’occurrence, M. COTTIN. Cet enseignement par M. COTTIN, qui portait sur les institutions administratives françaises, est resté comme l’un des meilleurs souvenirs de mon parcours lycéen. Bien qu’adjoint d’enseignement, M. COTTIN avait davantage une vocation d’enseignant qu’une vocation d’adjoint. Il avait pris très au sérieux sa tâche et nous dispensait un véritable cours, là où d’autres aurait transformé la classe en une aimable garderie. Son enseignement avait une propension à la référence littéraire et historique, en privilégiant souvent l’anecdote. Je me fis remarquer dès le premier cours, ayant été le seul à pouvoir lui dire les années de naissance et de décès de Victor Hugo. M. COTTIN, qui admirait beaucoup Hugo et le citait souvent, admirant son lyrisme tant en vers qu’en prose, mais aussi son parcours politique et son discours social, était fier d’être lui aussi un « enfant de l’an deux », étant né cent ans après l’auteur de la « Légende des siècles ». L’heure d’enseignement de M. COTTIN avait un rythme ternaire : interrogation orale au tableau d’un élève sur la leçon de la semaine précédente, ensuite cours proprement dit, enfin prise, sous la dictée, du résumé dudit cours à apprendre pour la semaine suivante. Cet agencement était parfait sur le papier. Sa déclinaison se faisait chaque fois de la même façon. M. COTTIN appelait un élève au tableau, régulièrement peu ravi d’être ainsi interrogé compte tenu du traitement qu’il savait devoir subir. En effet, à peine l’élève avait-il articulé trois phrases que le maître le reprenait pour compléter son propos ou pour citer une anecdote 3 appropriée : l’interrogation sur l’organisation départementale française permettait à M. COTTIN de nous faire un développement sur la façon dont Mirabeau s’était, à l’Assemblée constituante, opposé au découpage au cordeau proposé par Thouret, en faisant adopter un découpage tenant compte des données géographiques et sociologiques, et assurant des noms de lieux ou de fleuves aux départements qui ne devaient initialement recevoir que des numéros. Un autre jour, l’interrogation sur le service public postal allait permettre à M. COTTIN de nous évoquer « l’affaire du Courrier de Lyon, une très grave erreur judiciaire » … très grave en effet, puisqu’elle allait faire monter sur l’échafaud une personne dont la culpabilité n’a jamais été prouvée… Après avoir raconté ses anecdotes, Pierre COTTIN se souvenait brusquement qu’il était en train d’interroger un élève… Alors, pour faire la liaison, retentissait le fameux « Alors, mon ami, tu n’es guère bavard… Il faut apprendre mieux les leçons. Retourne à ta place… ». M. COTTIN traçait manuellement, en ordonnée, sur la feuille de note de la classe non prévue à cet effet, une colonne « instruction civique » et gratifiait, dans le meilleur des cas, d’un huit ou d’un sept sur vingt, l’élève qui avait patiemment attendu debout qu’on s’aperçut qu’il existât. On passait ensuite au cours proprement dit… qui durait plus longtemps que prévu, pour les mêmes raisons anecdotiques. Il ne restait donc au maître plus que dix minutes pour dicter un résumé qui était fait pour tenir vingt minutes. C’était le dernier cours, il était 16 heures 50…Alors, commençait une course contre la montre… « J’abrège, l’heure tourne » disait plusieurs fois M. COTTIN en forçant sur les « r ».… M’ayant remarqué dès son premier cours, M. COTTIN me fit l’amabilité de ne jamais me faire venir au tableau et se contentait des prises de parole que je pouvais demander durant le cours. J’étais censé à ses yeux savoir mes leçons, et il avait la gentillesse de me montrer de temps en temps en exemple à mes camarades. J’étais très fier de cette confiance dont il m’honorait, mais en étais-je vraiment digne ? Le fait de savoir qu’il ne m’interrogerait pas pouvait, à la fin, m’inciter à apprendre mes leçons sans trop forcer… En tout état de cause, le cours de M. COTTIN m’a donné, dès l’âge de douze ans, un premier aperçu de nos institutions françaises que j’allais fréquenter par la suite. Cher M. COTTIN, cher professeur Cottinus, quelle gratitude je vous garde pour tout ce que vous m’avez apporté ! M. COTTIN partit en retraite en juin 1967, à la fin de l’année scolaire. On peut dire qu’il est parti au bon moment, puisque je doute qu’il ait fort apprécié l’esprit d’ouverture qui se dégageait des évènements de mai 1968. Le fameux slogan « Sous les pavés, la plage » ne cadrait guère avec « Sous la couverture marron, le livre de prêt »… On ne revit plus Pierre COTTIN au lycée. Des travaux furent entrepris pour agrandir le périmètre de la bibliothèque, en y adjoignant un bout de couloir attenant… Puis on vit arriver, après la Toussaint, le successeur de M. COTTIN, une jeune dame portant le nom d’une comète, qui avait un âge, une formation et des méthodes radicalement différentes, puisque son premier soin fut… de faire enlever toutes les couvertures de papier brun, détruisant le long et patient travail de M. COTTIN assistés de ses élèves consignés... La Renaissance succédait au Moyen-âge… et la logique à l’obscurantisme ou au merveilleux, c’est selon… Désormais, la bibliothèque ne sera plus un lieu de travail, mais une salle de lecture, puisqu’il fallait laisser son cartable en arrivant et qu’il était interdit d’amener cahier ou matériel de classe. Autre différence avec l’organisation précédente : c’étaient les petits 6è et 5è qui étaient accueillis en priorité... Les dictionnaires de langues mortes ou vivantes, ou même les atlas ne servaient plus à rien… Une seule solution s’offrit donc à moi : je pris le chemin de la bibliothèque municipale, rue Gambetta. 4 Quelque temps après, je rencontrai M. COTTIN dans une rue du Mans. Toujours bon pied, bon œil, il portait allègrement son état de retraité. Je ne pus m’empêcher de lui dire combien il était regretté –au moins par un élève-, et aussi de lui raconter l’enlèvement des couvertures… Je le sentis déçu… « Pourquoi a-t-elle fait ça » me dit-il d’un air désabusé… Les œuvres, même les plus pérennes, ne résistent pas à l’usure du temps. Il a fallu encore moins de temps au successeur de M. COTTIN pour déshabiller ses livres qu’il n’en aura fallu, l’année suivante, au ministre Edgar FAURE pour supprimer définitivement le latin en sixième… « Sic transit gloria mundi »… ou, puisque M. COTTIN aimait les citations latines : « Sic transit gloria Cottini » ! . /. Didier BÉOUTIS Trois photos de Pierre Cottin. 5