universite de rouen - Cours du Professeur Julie KLEIN

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universite de rouen - Cours du Professeur Julie KLEIN
UNIVERSITE DE ROUEN
Année Universitaire 2013-2014
Travaux dirigés – 2ème année Licence Droit
FAIT JURIDIQUE - Cours de Mme le Professeur Julie KLEIN
QUATRIEME SEANCE
LE FAIT DES CHOSES
I.
PREMIER
THEME : L’EMERGENCE
RESPONSABILITE DU FAIT DES CHOSES
DU
PRINCIPE
GENERAL
DE
A ce stade, il faut mettre de côté l’ensemble des régimes spéciaux de responsabilité du fait des
choses que l’on retrouvera ultérieurement pour se concentrer sur l’article 1384 alinéa 1er du Code
civil et sur la construction édifiée par la jurisprudence à partir de ce texte.
Le sort des victimes d’accidents entraînés par l’emploi de choses n’est pas totalement ignoré par
les rédacteurs du Code civil. L’amélioration de leur condition s’est alors manifestée, à l’époque de
la rédaction du Code civil, au moyen d’un procédé du droit de la preuve : la présomption.
Elle permet à la victime de profiter d’un renversement du fardeau de la preuve. Ainsi, parce qu’il
y a fait d’une chose, la responsabilité du gardien de cette chose va être, à certaines conditions,
présumée. Et il s’agit alors de savoir dans quels cas existe cette présomption et de quelle manière
celui sur qui elle pèse, va pouvoir se dégager.
Les rédacteurs du Code civil n’avaient estimé nécessaire d’améliorer la situation de la victime que
dans deux cas bien précis :
à propos des accidents causés par des animaux (1385) ;
à propos des accidents causés par la ruine d’un bâtiment (1386).
Au premier alinéa de l’article 1384 du Code civil, figurait seulement une disposition de caractère
général, ainsi rédigée : « On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son
propre fait, mais encore de celui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou
des choses que l’on a sous sa garde ». Dans l’esprit des rédacteurs du Code civil, il s’agissait là
d’une simple transition servant à annoncer les dispositions suivantes, relatives aux cas de
-1-
responsabilité du fait d’autrui (art. 1384, al. 2 et s. ; on les verra au cours d’une séance ultérieure)
et aux cas de responsabilité du fait des choses, spécialement prévus par les rédacteurs du Code
civil (art. 1385 et 1386).
Toute l’évolution jurisprudentielle a consisté, à partir du développement du machinisme et des
accidents du fait des choses qui se sont alors multipliés, à améliorer la situation des victimes de
dommages dont les causes étaient souvent inconnues.
On tenta tout d’abord d’interpréter largement les exceptions figurant aux articles 1385 et 1386.
Mais cela ne pouvait suffire.
Et c’est dans ces conditions que, par l’arrêt Teffaine du 11 juin 1896, la jurisprudence a « inventé»
au sujet de la responsabilité du fait des choses inanimées (s’agissant des animaux, il y avait l’art.
1385) un principe général de la responsabilité du fait des choses en le fondant sur l’article 1384,
alinéa 1er du Code civil : « On est responsable… par le fait… des choses que l’on a sous sa
garde». Par l’effet créateur de la jurisprudence, cette formule cessa ainsi d’avoir pour seul objet
d’annoncer les articles 1385 et 1386. Elle devint le fondement d’un principe général de
responsabilité du fait des choses.
Là-dessus, la jurisprudence a édifié toute une construction. Plusieurs questions devaient en effet
être résolues.
Quels types de choses relevaient du principe général de responsabilité du fait des choses d’abord :
Tous les choses inanimmées ? Seulement celles dotées d’un dynamisme propre ou d’un vice
interne ? Seules les choses mobilières ?
Mas encore et surtout quelle était la nature de la présomption pesant sur le gardien : présomption
de faute ou de responsabilité ? L’enjeu est fondamental. Dans le premier cas, le gardien peut
s’exonérer en prouvant son absence de faute ; dans le second, il ne peut s’exonérer que par la
preuve d’une cause étrangère.
Le débat a été intense en doctrine. La jurisprudence n’a été fixée que par l’arrêt Jand’heur des
Chambres réunies du 13 février 1930. Cet arrêt est essentiel et sans doute le plus célèbre de tout
le droit de la responsabilité.
Il permet tout d’abord d’affirmer la généralité de l’article 1384 al. 1er, évitant la
casuistique selon que la chose était ou non dirigée par la main de l’homme, atteinte d’un vice
propre ou non, dangereuse ou non… Selon cet arrêt, « il n’est pas nécessaire que la chose ait un
vice inhérent à sa nature et susceptible de causer un dommage, l’article 1384 al. 1er rattachant la
responsabilité à la garde de la chose et non à la chose elle-même ». Ainsi, pour l’application de la
présomption qu’elle édicte, la loi ne distingue pas suivant que la chose qui a causé le dommage
était ou non actionnée par la main de l’homme.
Il a également pour intérêt d’affirmer que l’article 1384 al. 1er pose une présomption de
responsabilité.
-2-
Document 1 : Ch. réunies, 13 février 1930, arrêt Jand’heur ; Grands arrêts de la
jurisprudence civile, T. II, n° 199 ; D. 1930, 1, 57, note Ripert.
Cet arrêt doit être connu et bien connu. La suite s’ordonne à partir de lui.
II.
DEUXIEME
THEME
: LA
NOTION DE GARDE
-
USAGE, CONTROLE,
DIRECTION.
Pour être applicable, l’article 1384 al. 1er requiert un dommage causé par une chose, et un gardien
de la chose sur qui pèsera la responsabilité. La garde est la notion centrale, comme l’a montré
l’arrêt Jand’heur : c’est dans la notion de garde que le principe de la responsabilité du fait des
choses trouve son fondement.
La notion a dû être définie. L’arrêt Franck, du 2 décembre 1941, a posé les trois critères qui,
réunis, font la garde d’une chose : l’usage, le contrôle, la direction. Est gardien de la chose celui
qui a ces trois pouvoirs sur la chose.
Le gardien n’est donc pas le propriétaire. Il peut l’être ; il peut ne pas l’être. Il l’est sans doute le
plus souvent dans les faits. D’où une nouvelle présomption – simple cette fois : le propriétaire est
présumé gardien. Il devra établir qu’il a transféré la garde de la chose à un tiers, c’est-à-dire
prouver qu’un autre que lui avait, au moment de la réalisation du dommage, les pouvoirs d’usage,
de direction et de contrôle de la chose. Ces trois pouvoirs sont donc des pouvoirs de fait et non
des pouvoirs de droit sur la chose.
Document 2 : Ch. réunies, 2 décembre 1941, arrêt Franck ; Grands arrêts de la
jurisprudence civile, T. II, n° 200 ; D.P. 1942, 25, note Ripert.
L’arrêt est presque aussi connu – ou doit l’être – que l’arrêt Jand’heur.
Document 3 : Cass. Civ. 2ème, 19 juin 2003, Bull. civ. II, n°201.
Document 4 : Cass. civ. 2ème, 14 janvier 1999, Bull. civ. II, n° 13.
Si un propriétaire transfère à autrui la garde de la chose ou si on lui vole celle-ci, il cesse d’être le
gardien au moment même où une autre personne le devient. L’exemple illustre une règle souvent
affirmée selon laquelle la garde est alternative et non cumulative.
Le terme signifie qu’à un moment donné une chose ne peut avoir qu’un seul gardien. Il n’en reste
pas moins que la garde peut être exercée concomitamment par plusieurs personnes qui sont alors
co-gardiens.
Document 5 : Cass. Civ. 2ème, 7 novembre 1988, Bull. civ. II, n° 214.
-3-
Document 6 : Cass. Civ. 2ème, 28 mars 2002 ; Bull. civ. II, n° 67 ; D. 2002, 3237, note
D. Zerouki ; LPA, 4 septembre 2002, p. 8, note J-B. Laydu.
De même la jurisprudence a inventé une distinction entre la garde de la structure et la garde du
comportement, pour des choses douées, par hypothèse, d’une structure (dangereuse). Dans cette
hypothèse, le gardien de la structure ne sera pas le même que le gardien du comportement. Mais
le caractère non cumulatif de la garde n’est pas pour autant remis en cause, car à un même
moment, il n’y a pas deux gardiens de la structure et deux gardiens du comportement, mais bien
un seul.
Document 7 : Cass. 2ème sect. civ., 5 janvier 1956, arrêt Oxygène liquide ; D., 1957.261
note Rodière, Grands arrêts de la jurisprudence civile, T. II, n° 201-202.
Document 8 : Cass. civ. 2ème, 13 décembre 2012, pourvoi n° 11-28181.
Voici donc où l’on se trouve :
-
l’article 1384 pose une présomption de responsabilité qui pèse sur le gardien de la chose ;
le gardien est celui qui a les pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle ;
la chose n’importe pas, puisque l’article 1384 alinéa 1er s’applique à toutes choses
inanimées (ne relevant pas d’un régime dérogatoire spécifique).
le propriétaire est présumé gardien, mais peut avoir transféré la garde.
La définition de la garde a soulevé une difficulté particulière s’agissant des personnes dépourvues
de discernement. Peut-on être gardien sans avoir la faculté de discernement ? La direction et le
contrôle ne supposent-ils pas la faculté de discerner ?
Document 9 :
-
Civ. 28 avril 1947, Grands arrêts de la jurisprudence civile, T. II, n° 203-205 ;
Civ. 2ème, 18 décembre 1964, Grands arrêts de la jurisprudence civile, T. II, n°
203-205 ; D. 1965.191, concl. Schmelck, note Esmein ;
Ass. Plén. 9 mai 1984, Gabillet, Grands arrêts de la jurisprudence civile, T. II, n°
203-205 ; D. 1965.525, 3ème arrêt concl. Cabannes, note Chabas.
-4-
III.
TROISIEME THEME : LE FAIT DE LA CHOSE
Logiquement, la chose n’importe plus depuis l’arrêt Jand’heur (v. supra). Toutefois, on voit
réapparaître dans le régime même de l’article 1384 al. 1er, des distinctions : ainsi, la distinction
entre la garde de la structure et la garde du comportement rappelle la distinction ente les choses
douées ou non d’un dynamisme propre voir les choses dangereuses ou non. (v. supra).
De même, une difficulté se pose pour les choses inertes. Les choses inertes, comme toutes les
autres, peuvent entraîner la responsabilité de leur gardien.
Mais l’application de l’article 1384 al. 1er suppose que la chose soit à l’origine du dommage : il
faut un fait causal de la chose. Or, s’agissant des choses inertes, la question a été de savoir si elles
peuvent être la cause du dommage. Réponse affirmative. Mais, à partir de quand ? La
jurisprudence exige qu’elles aient un rôle actif dans la réalisation du dommage, qu’elles soient
intervenues dans la réalisation du dommage. Quand y a-t-il rôle actif ? Lorsque la chose présente
un caractère anormal ? On comparera avec l’hypothèse de la chose en mouvement.
Document 10 : Cass. Civ. 2ème, 29 mars 2012, Bull. civ. II, n° 66 ; JCP, 2012, n° 701,
note Dumery ; RCA, 2012, n° 150, obs. H. Groutel.
Document 11: Cass. Com. 13 mars 2007, pourvoi n° 06-11704, RCA 2007, comm. 180.
IV.
QUATRIEME
THEME : L’AVENIR DU
RESPONSABILITE DU FAIT DES CHOSES
PRINCIPE
GENERAL
DE
La construction jurisprudentielle d’un principe général de responsabilité du fait des choses est
apparue en réponse à la multiplication des dommages trouvant leur source dans une cause
inconnue afin d’améliorer le sort des victimes de ces dommages.
Depuis quelques années cependant, les régimes spéciaux de responsabilité, très favorables aux
victimes, se sont multipliés : loi sur les accidents de la circulation, sur la responsabilité du fait des
produits défecteux… au point que les situations qui ont provoqué la construction d’un régime
général de responsabilité du fait des choses (accidents du travail ou de la circulation pour
l’essentiel) apparaissent aujourd’hui relever de régimes spéciaux.
L’existence d’un principe général de responsabilité du fait des choses a-t-il encore dans ce
contexte une pertinence ? Le débat anime la doctrine, entre partisans et opposants du régime
général de responsabilité du fait des choses.
Document 12 : J.-S. Borghetti, La responsabilité du fait des choses, un régime qui a fait
son temps, RTD Civ., 2010, p. 1 s. (extraits).
Document 13 : Ph. Brun, De l’intemporalité du principe de responsabilité du fait des
choses, RTD Civ., 2010, p. 487 (extraits).
-5-
V.
EXERCICE :
La matière de la responsabilité du fait des choses est jurisprudentielle par excellence. Il
faut donc d’abord et avant tout bien lire les arrêts, faire les fiches d’arrêts, et s’arrêter sur
les arrêts fondateurs.
L’exercice consiste ensuite en un commentaire comparé des documents 5 (Civ. 2ème, 7
novembre 1988) et 6 (Civ. 2ème, 28 mars 2002).
Si l’exercice du commentaire comparé d’arrêts peut paraître délicat, il ne présente en
réalité pas plus de difficultés que l’exercice du commentaire comparé simple. Bien au
contraire, deux arrêts, c’est plus de matière première, et donc plus de pistes d’analyse et de
réflexion.
Quelques conseils de méthode :
La méthode est proche de celle du commentaire d’arrêt isolé. Il suffit de l’adapter à un
commentaire comparé d’arrêts, en prenant garde d’éviter quelques écueils.
-
L’intérêt du commentaire comparé d’arrêts est de mettre en perspective les deux
arrêts qui vous sont présentés. Il s’agit donc de les comparer, et non pas de les
traiter successivement. Le commentaire d’arrêts comparés ne doit pas se réduire à
des « commentaires juxtaposés », consistant à commenter la première décision en
première partie et la seconde décision en seconde partie. Les arrêts commentés
doivent être analysés et comparés dans chaque partie et sous-partie de votre
commentaire.
Commenter et comparer : il s’agit non seulement d’expliquer le sens, d’étudier la
valeur et d’apprécier la portée des décisions commentées, mais également de
confronter ces décisions les unes par rapport aux autres (visas, fondements, motifs,
appréciation et interprétation des éléments de fait et de droit, solutions retenues,
justification des divergences…).
-
L’introduction suit les mêmes étapes qu’en matière de commentaire d’arrêt
classique. Simplement, quelques adaptations là encore :
o il faut résumer les faits et la procédure de chaque arrêt à commenter. Il faut
donc faire un effort de concision ici en sélectionnant les éléments
pertinents. Il faut présenter les faits et la procédure de chaque affaire
successivement, affaire par affaire.
o La problématique devra être déterminée en fonction de l’ensemble des
décisions à commenter. La problématique correspondra ainsi à une même
question que les juges étaient amenés à trancher dans les différentes
affaires. Si une question ne se pose que dans l’un des arrêts, elle pourra,
dans la plupart des cas, être éludée.
o Les solutions des arrêts commentés doivent être présentées successivement,
en insistant sur leur identité ou au contraire sur leur antagonisme.
-6-
Document 1 : Ch. réunies, 13 février 1930, arrêt Jand’heur ; Grands arrêts de la
jurisprudence civile, T. II, n° 199 ; D. 1930, 1, 57, note Ripert.
Document 2 : Ch. réunies, 2 décembre 1941, arrêt Franck ; Grands arrêts de la
jurisprudence civile, T. II, n° 200 ; D.P. 1942, 25, note Ripert.
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Document 3 : Cass. Civ. 2ème, 19 juin 2003, Bull. civ. II, n° 201.
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Amiens, 14
septembre 2001), que, le 16 avril 1998, M.
X..., tondant la pelouse de M. Y..., s’est
blessé aux doigts en voulant dégager de
l’herbe coincée sous la lame de la tondeuse
appartenant à ce dernier ; que M. X... a
assigné M. Y... en réparation de son
préjudice, sur le fondement de l’article 1384
du Code civil ;
déterminé dans son propre intérêt, que M.
X... n’avait pas été autorisé à se servir de la
tondeuse pour son usage personnel, ni à la
sortir de la propriété ;
Sur le premier moyen :
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Attendu que M. Y... fait grief à l’arrêt de
l’avoir déclaré entièrement responsable du
dommage subi par M. X... et de l’avoir
condamné à réparer l’intégralité de son
préjudice, alors, selon le moyen, qu’est
gardien de la chose son utilisateur qui, en
dehors de tout lien de subordination envers
le propriétaire, en a l’usage, la direction et le
contrôle ; qu’en se fondant pour considérer
que M. X..., qui selon ses propres
constatations tondait la pelouse de M. Y...
avec la tondeuse de ce dernier, n’était pas
gardien de la tondeuse, sur la circonstance
exclusive de tout lien de subordination qu’il
n’avait pas été autorisé à se servir de la
tondeuse pour son usage personnel, ni à la
sortir de la propriété, la cour d’appel a violé
l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;
Sur le second moyen :
Que de ces constatations et énonciations, la
cour d’appel a pu déduire que M. Y... était
demeuré gardien de la tondeuse ;
Attendu que M. Y... fait grief à l’arrêt de
l’avoir déclaré entièrement responsable du
dommage subi par M. X... et de l’avoir
condamné à réparer l’intégralité de son
préjudice, alors, selon le moyen, qu’en
statuant ainsi, sans rechercher si la faute
commise par M. X... qui avait approché sa
main de la lame de la tondeuse en marche,
n’était pas de nature à exonérer totalement
ou partiellement M. Y... de la responsabilité
qu’il encourait en sa qualité de gardien, la
cour d’appel a privé son arrêt de base légale
au regard de l’article 1384, alinéa 1er, du
Code civil ;
Mais attendu que le moyen est nouveau,
mélangé de fait et de droit et, comme tel,
irrecevable ;
Mais attendu que l’arrêt, après avoir énoncé
que le propriétaire d’une chose est réputé en
avoir la garde, que, bien que la confiant à un
tiers, il ne cesse d’en être responsable que s’il
est établi que ce tiers a reçu corrélativement
les pouvoirs d’usage, de direction et de
contrôle de la chose, retient que M. Y...
n’avait confié sa tondeuse à M. X... que pour
un court laps de temps et pour un usage
D’où il suit que le moyen n’est pas recevable;
PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ;
-8-
Document 4 : Cass. civ. 2ème, 14 janvier 1999, Bull. civ. II, n° 13.
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 19
novembre 1996), que M. X..., qui achetait
des plaques de bois aggloméré dans un
magasin exploité par la société des
Etablissements Leroy Merlin (la société), en
utilisant un chariot mis à la disposition de la
clientèle, a été blessé par la chute de ce
chariot et des marchandises qu’il y avait
déposées ; qu’il a assigné, en réparation de
son préjudice, la société et son assureur, la
compagnie Cigna ;
liée à l’usage et aux pouvoirs de direction et
de contrôle qui caractérisent la garde ;
Et attendu que l’arrêt, après avoir relevé, par
motifs adoptés, que le chariot en cause ne
pouvait être considéré comme une chose
intrinsèquement
dangereuse,
énonce
exactement qu’en disposant librement du
chariot hors toute directive de la société
quant à l’usage, le contrôle et la direction de
celui-ci qui lui avait été prêté à l’état inerte et
qui était dépourvu de tout dynamisme
propre, M. X... s’en était vu transférer la
garde dans toutes ses composantes ;
Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt d’avoir
rejeté cette demande, alors, selon le moyen,
que, d’une part, selon l’article 1384, alinéa
1er, du Code civil, qui a été violé, conserve la
garde de la chose confiée à un tiers le
propriétaire qui n’a pas établi que ce tiers
avait reçu toute possibilité de prévenir le
préjudice qu’elle pouvait causer, ce qui
implique, à la charge du propriétaire,
l’obligation d’informer de manière suffisante
le détenteur de la chose sur le risque qu’elle
peut présenter ; que, d’autre part, le juge ne
peut, sans violer l’article 16 du nouveau
Code de procédure civile, écarter des débats
un constat d’huissier de justice dressé à la
demande d’une des parties, dès l’instant que
son adversaire a été à même d’en débattre
contradictoirement ; qu’enfin, la société
propriétaire d’un magasin a l’obligation
d’informer sa clientèle d’une manière ou
d’une autre sur les précautions à observer
pour l’utilisation des chariots qu’elle met à sa
disposition pour le transport des
marchandises et sur les risques liés à leur
usage ;
Que l’arrêt retient d’autre part, après avoir
souverainement apprécié la valeur probante
d’un constat d’huissier, et des témoignages
soumis au débat, qu’on ne pouvait reprocher
à la société une absence de notice
d’utilisation et de fonctionnement des
chariots, soit sur ces derniers, soit sur les
murs du magasin, tant il était évident que
l’extrême simplicité d’emploi de ces biens
tombait sous le sens de tout un chacun, et
qu’on ne pouvait pas non plus reprocher à la
société l’absence d’indication de la charge
maximale admise par ce type de chariot ;
Que de ces constatations et énonciations, la
cour d’appel a déduit, à bon droit, sans
violer le principe de la contradiction, que la
société, qui n’avait pas la garde du chariot
lors de l’accident, n’avait pas commis de
faute en relation de causalité avec le
dommage subi par M. X... ;
Qu’en ne relevant pas le manquement à cette
obligation, la cour d’appel a violé l’article
1382 du Code civil ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Mais attendu que la responsabilité du
dommage causé par le fait d’une chose est
REJETTE le pourvoi.
PAR CES MOTIFS :
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préjudice à M. Y..., père d’un des " assiégés
", et à son assureur, la Mutuelle de la ville de
Thann ; que la caisse primaire d’assurance
maladie de Mulhouse est intervenue à
l’instance ;
Document 5 :
Cass. civ. 2ème, 7
novembre 1988, Bull. civ. II, n° 214.
Vu l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil,
ensemble l’article 1203 de ce Code ;
Attendu que pour débouter les consorts X...
de leurs demandes, l’arrêt, après avoir retenu
que la garde de l’instrument du dommage
appartenait au groupe des assiégés, énonce
que, sur le fondement d’une responsabilité
collective, la responsabilité d’un seul
membre du groupe ne pouvait être retenue
sans provoquer la mise en cause des autres ;
Attendu que lorsque la garde d’une chose
instrument d’un dommage est exercée en
commun par plusieurs personnes, chacun
des cogardiens est tenu, vis-à-vis de la
victime, à la réparation intégrale du
dommage ;
Attendu, selon l’arrêt infirmatif attaqué,
qu’au cours d’un jeu collectif, le mineur X...
qui, avec plusieurs enfants, attaquait une
baraque défendue par un autre groupe, a été
blessé à l’oeil par l’un des " assiégés ", tous
armés de flèches ; que l’auteur du jet de
flèche n’ayant pu être identifié, les consorts
X... ont demandé la réparation de leur
En quoi la cour d’appel a violé le texte
susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de
statuer sur les autres griefs des pourvois :
CASSE ET ANNULE.
Document 6 : Cass. civ. 2ème, 28 mars 2002 ; Bull. civ. II, n° 67 ; D. 2002, 3237,
note D. Zerouki ; LPA, 4 septembre 2002, p. 8, note J-B. Laydu.
Vu l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;
dont il résultait que la raquette avait été
l’instrument du dommage, la cour d’appel a
violé le texte susvisé ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la mineure
Dounia X..., participant à un jeu collectif
improvisé inspiré du base-ball, a été blessée à
l’oeil droit par une balle de tennis relancée
en sa direction par le jeune Mohamed Y... au
moyen d’une raquette de tennis tenant lieu
de batte de base-ball ;
Sur les deuxième et troisième branches du
moyen :
Vu l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ;
Attendu que pour rejeter l’action en
réparation de M. Omar X..., la cour d’appel
a, par motifs propres et adoptés, retenu
encore qu’en participant à ce jeu, la jeune
Dounia avait accepté les risques qu’il
comportait,
circonstance
excluant
l’application à son profit du texte susvisé ;
Attendu que pour rejeter l’action en
réparation de M. Omar X..., ès qualités
d’administrateur légal des biens de sa fille
Dounia, la cour d’appel a, par motifs propres
et adoptés, retenu que l’usage commun de la
balle de tennis, instrument du dommage,
n’autorisait pas la joueuse blessée à réclamer
réparation sur le fondement du texte susvisé;
Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle a constaté
par ailleurs que le dommage s’est produit à
l’occasion d’un jeu improvisé par des
mineurs, et non dans le cadre d’une
compétition sportive, la cour d’appel n’a pas
donné de base légale à sa décision ;
Qu’en statuant ainsi, tout en constatant que
la balle de tennis avait été projetée vers la
victime par le moyen d’une raquette de
tennis dont le jeune Mohamed Y... avait
alors l’usage, la direction et le contrôle, ce
Par ces motifs : CASSE ET ANNULE, (…)
- 10 -
Document 7 : Cass. 2ème sect. civ., 5 janvier 1956, arrêt Oxygène liquide ; D.,
1957.261 note Rodière, Grands arrêts de la jurisprudence civile, T. II, n° 201-202.
Vu l’article 1384, alinéa 1er du Code civil ;
réparation, dirigées, sur la base de l’article
1384, alinéa 1er, du Code civil, contre la
société "L’Oxygène liquide", la Cour d’Appel
appuie sa décision sur ce motif que "seul,
celui qui a la garde matérielle d’une chose
inanimée peut être responsable de cette
chose", ce qui n’était pas le cas pour la
défenderesse ;
Attendu que la responsabilité du dommage
causé par le fait d’une chose inanimée est
liée à l’usage ainsi qu’au pouvoir de
surveillance et de contrôle qui caractérisent
essentiellement la garde ; qu’à ce titre, sauf
l’effet de stipulations contraires valables
entre les parties, le propriétaire de la chose
ne cesse d’en être responsable que s’il est
établi que celui à qui il l’a confiée a reçu
corrélativement toute possibilité de prévenir
lui-même le préjudice qu’elle peut causer ;
Mais attendu qu’au lieu de se borner à
caractériser la garde par la seule détention
matérielle, les juges du fond, devaient, à la
lumière des faits de la cause et compte-tenu
de la nature particulière des récipients
transportés et de leur conditionnement,
rechercher si le détenteur, auquel la garde
aurait été transférée, avait l’usage de l’objet
qui a causé le préjudice ainsi que le pouvoir
d’en surveiller et d’en contrôler tous les
éléments ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt confirmatif
attaqué que la société "L’Oxygène liquide"
avait expédié, par voie ferrée, au "Comptoir
des carburants" un certain nombre de
bouteilles métalliques remplies d’oxygène
comprimé ; qu’à l’arrivée en gare, ces
bouteilles furent prises en charge par X...,
entrepreneur de transports ; qu’au cours de
leur livraison dans les locaux du comptoir
destinataire, l’une d’elles éclata ; que la cause
de cette explosion, en l’état de l’expertise
effectuée, serait restée inconnue, encore qu’il
n’ait point été prouvé, ni même allégué, que
l’accident fût la conséquence d’un acte ou
d’une circonstance extérieurs à l’objet ; que
Y..., préposé de X..., ainsi que Z..., employé
au service du "Comptoir des carburants"
furent blessés par les éclats de la bouteille ;
Attendu qu’en refusant de se déterminer sur
ce point, la Cour d’appel n’a pas mis la Cour
de cassation à même d’apprécier quel était,
en l’espèce, le gardien de la chose, au sens de
l’article visé au moyen ;
D’où il suit que l’arrêt attaqué manque de
base légale ;
Par ces motifs :
Casse et annule les deux arrêts rendus entre
les parties par la Cour d’Appel de Poitiers le
29 octobre 1952 et les renvoie devant la
Cour d’Appel d’Angers.
Attendu que, pour débouter lesdites
victimes, ensemble les Caisses de sécurité
sociale intervenantes de leurs actions en
- 11 -
Document 8 : Cass. civ. 2ème, 13 décembre 2012, pourvoi n° 11-28181.
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 6
octobre 2011), qu’un incendie s’est déclaré le
15 avril 2004 dans le parking souterrain d’un
ensemble
immobilier,
endommageant
plusieurs véhicules en stationnement ainsi
que la structure de l’immeuble et divers
équipements ; qu’une mesure d’expertise
confiée à M. X..., assisté de deux sapiteurs, a
été ordonnée en référé à la demande
notamment du syndicat des copropriétaires
Ponts jumeaux, ayant en charge les
infrastructures à usage commun de
l’immeuble et les parkings en sous-sol ;
qu’après dépôt du rapport d’expertise ayant
conclu que l’incendie avait pris naissance
dans un véhicule de marque Renault Laguna,
stationné dans le sous-sol au moment des
faits, le syndicat des copropriétaires a assigné
en indemnisation de ses préjudices sur le
fondement de la loi du 5 juillet 1985, la
société Temsys, venant aux droits de la
société Locaplan, propriétaire du véhicule
litigieux, la société Terreal, titulaire d’un
contrat de location de longue durée sur ce
véhicule, et l’assureur de cette dernière, la
société Covea fleet, venant aux droits des
Mutuelles du Mans assurances ; (…)
peut causer ; qu’en se bornant néanmoins à
affirmer, pour juger que la société Terreal
était la gardienne de la structure du véhicule
Renault Laguna, que ce véhicule ne
constituait pas une chose dangereuse, sans
rechercher si la société Terreal avait les
moyens de prévenir l’échauffement spontané
des faisceaux électriques à l’origine du
dommage, spécialement après avoir relevé
que l’entretien du véhicule, dont la société
Terreal était en partie chargée, n’avait joué
aucun rôle causal dans l’accident, la cour
d’appel a privé sa décision de base légale au
regard de l’article 2 de la loi n° 85-677 du 5
juillet 1985 ;
Mais attendu que l’arrêt retient qu’il résulte
du contrat de location que la société
propriétaire a confié la garde du véhicule au
locataire qui est le titulaire exclusif de la
garde et assumera la responsabilité
conformément aux dispositions de l’article
1384 du code civil ; qu’un véhicule
automobile ne constitue pas une chose a
priori dangereuse et que la société Terreal et
son assureur ne démontrent pas que le
véhicule Laguna était atteint d’un vice caché
;
Sur le premier moyen, pris en sa seconde
branche :
Qu’en l’état de ces énonciations, la cour
d’appel, qui n’avait pas à procéder à une
recherche que ses constatations rendaient
inopérantes, a pu décider que la société
Temsys avait la qualité de gardienne du
véhicule impliqué dans l’accident, au sens de
l’article 2 de la loi du 5 juillet 1985 ;
Attendu que la société Covea fleet fait grief à
l’arrêt de juger que la société Terreal doit, en
tant que gardienne du véhicule Renault
Laguna, indemniser les victimes de l’incendie
causé par celui-ci et de condamner la société
Covea fleet, in solidum avec la société
Terreal, à payer diverses sommes à titre de
dommages-intérêts, alors, selon le moyen,
que le gardien d’un véhicule impliqué dans
un accident de la circulation est celui qui
dispose des pouvoirs d’usage, de direction et
de contrôle sur le véhicule lors de la
réalisation du dommage ; que le locataire
d’un véhicule n’est le gardien de la structure
de celui-ci que s’il a la possibilité de prévenir
lui-même le préjudice que cette structure
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
[…]
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
- 12 -
Document 9 :
- Civ. 28 avril 1947, Grands arrêts de la jurisprudence civile, T. II, n° 203-205.
-
Civ. 2ème, 18 décembre 1964, Grands arrêts de la jurisprudence civile, T. II, n°
203-205 ; D. 1965.191, concl. Schmelck, note Esmein.
-
Ass. Plén. 9 mai 1984, Gabillet, Grands arrêts de la jurisprudence civile, T. II, n°
203-205 ; D. 1965.525, 3ème arrêt concl. Cabannes, note Chabas.
- 13 -
Document 10 : Cass. Civ. 2ème, 29 mars 2012, Bull. civ. II, n° 66 ; JCP, 2012, n° 701,
note Dumery ; RCA, 2012, n° 150, obs. H. Groutel.
Attendu, selon le jugement attaqué,
(juridiction de proximité de Dinan, 24 juin
2010), rendu en dernier ressort, que M. X...,
sorti de son véhicule garé sur une place de
l’aire de stationnement d’un centre
commercial, a heurté un muret en béton
séparant celle-ci de l’allée piétonne donnant
accès à la réserve de chariots et à l’entrée du
magasin et s’est blessé en chutant au sol ;
qu’il a assigné en indemnisation de son
préjudice la société Super U-Somadis (la
société) ; que l’assureur, la société MMA, est
intervenu volontairement à l’instance ;
; qu’en statuant par des motifs impropres à
caractériser l’imprévisibilité et l’irrésistibilité
de la faute d’inattention imputée à M. X..., le
juge de proximité à violé l’article 1384, alinéa
1er du code civil ;
Mais attendu que le jugement retient que M.
X... a chuté en heurtant un muret en béton
en bon état large de 50 cm, haut de 10 cm et
peint en blanc délimitant un chemin d’accès
piétonnier à l’entrée de la surface de vente ;
que la couleur blanche tranche avec la
couleur gris foncé du bitume recouvrant le
parking et que la configuration des murets
les rend parfaitement visibles pour une
personne normalement attentive ; qu’il n’est
de surcroît pas obligatoire de les franchir
pour se rendre dans le magasin, le parking
étant conçu comme tout parking qu’il soit
privé ou public et laissant donc le choix au
client du passage qu’il souhaite ; que M. X...
ne démontre pas que ce muret a joué un rôle
actif dans sa chute ;
Attendu que M. X... fait grief au jugement de
le débouter ainsi que la caisse primaire
d’assurance maladie des Côtes-d’Armor, de
leurs demandes, alors, selon le moyen :
1°/ qu’en statuant ainsi quand il résultait de
ses propres constatations que l’un des
murets en béton délimitant le passage piéton
avait été l’instrument du dommage, la
juridiction de proximité a violé l’article 1384,
alinéa 1er, du code civil ;
Que de ces constatations et énonciations,
procédant de son pouvoir souverain
d’appréciation de la valeur et de la portée des
éléments de preuve, et dont il résultait que le
muret en béton, chose inerte, n’était pas
placé dans une position anormale et n’avait
joué aucun rôle actif dans la chute de la
victime, la juridiction de proximité a
exactement déduit que le muret n’avait pas
été l’instrument du dommage ;
2°/ qu’en s’abstenant de rechercher, ainsi
qu’il était invité à le faire, si le muret blanc
sur lequel il avait chuté, seulement surélevé
de 10 centimètres en son centre et de 5
centimètres sur les côtés, ne présentait pas
une anormalité dans sa conception, à
l’origine du dommage, dès lors qu’il pouvait
être confondu avec la signalisation des
passages piétons peinte au sol dans la même
couleur, le juge de proximité a privé sa
décision de base légale au regard de l’article
1384, alinéa 1er, du code civil ;
D’où il suit que le moyen, inopérant en sa
troisième branche, n’est pas fondé pour le
surplus
3°/ que la faute de la victime n’exonère
totalement le gardien de sa responsabilité
que si elle constitue un cas de force majeure
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
- 14 -
Document 11 : Cass. Com. 13 mars 2007, pourvoi n° 06-11704, RCA 2007, comm.
180.
Vu l’article 1384, alinéa 1er, du code civil ;
manoeuvre s’est déroulée normalement, que
la société CIM ne formule aucune critique à
l’encontre du jugement en ce qu’il a constaté
que l’accostage s’est déroulé dans des
conditions normales et que la certitude d’un
lien de causalité entre l’accostage du navire
et les dommages constatés sur le duc d’albe
n’est pas établie ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que le navire
Le Laconia, dont le propriétaire armateur
était la société Crest international shipping
corporation (la société Crest), a fait escale au
port du Havre ; que la société Compagnie
industrielle maritime (la société CIM),
concessionnaire d’outillage public au port
autonome du Havre, ayant constaté des
dommages sur le duc d’albe auquel s’était
amarré le bâtiment, a assigné en
indemnisation la société Crest et le capitaine
commandant le navire ;
Attendu qu’en statuant ainsi, alors que le
navire en mouvement entré en contact avec
le dispositif d’accostage endommagé avait
nécessairement contribué au dommage, peu
important que la manoeuvre eût été
effectuée dans des conditions normales, la
cour d’appel a violé le texte susvisé ;
Attendu que pour rejeter la demande de la
société CIM, l’arrêt retient que la société
Crest et le capitaine du navire font justement
valoir que les dommages constatés après
l’accostage d’un navire ne peuvent être
présumés en résulter dès lors que la
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, (…)
Document 12 : J.-S. Borghetti, La responsabilité du fait des choses, un régime qui
a fait son temps, RTD Civ., 2010, p. 1 s. (extraits)
L’absence de justification du régime général de responsabilité du fait des choses
9. Il ne s’agit pas de s’étendre ici sur l’absence de justification textuelle de l’actuel régime général
de responsabilité du fait des choses. Que le législateur de 1804 n’ait jamais envisagé que l’article
1384, alinéa 1er, du code civil pût fonder un régime de responsabilité applicable à tous les types
de choses, et non pas seulement aux choses considérées comme particulièrement dangereuses à
l’époque, à savoir les animaux et les bâtiments, cela est aujourd’hui aussi certain que de peu
d’intérêt pratique. Au demeurant, si un facteur a contribué à ruiner la valeur de l’argument
exégétique en matière de responsabilité civile, c’est bien la construction jurisprudentielle relative à
la responsabilité du fait des choses. Mais s’il n’est plus possible de reprocher à ce régime son
absence de justification textuelle, il faut en revanche dénoncer son absence de justification
substantielle. En effet, non seulement on serait bien en peine de trouver un fondement rationnel
qui puisse légitimer l’existence d’un régime de responsabilité sans faute associé à la garde d’une
chose quelconque, mais de plus les raisons pratiques qui ont pu un temps justifier l’existence d’un
régime général de responsabilité du fait des choses ont aujourd’hui disparu.
L’absence de justification théorique
10. Tout manuel ou cours de droit de la responsabilité civile contient, en France, un passage
obligé sur le fondement de la responsabilité civile. L’obligation de réparer le dommage causé à
autrui est-elle fondée sur la faute, le risque, la garantie, la solidarité, la précaution ou quelqu’autre
- 15 -
notion encore ? On pourrait à vrai dire douter de la nécessité de ces figures imposées. Dans un
contexte doctrinal aussi profondément positiviste que le nôtre, est-il vraiment nécessaire de savoir
quelles sont les bases extra-juridiques des règles qui sont appliquées ? Et cela change-t-il quelque
chose de savoir que tel régime de responsabilité est fondé sur la faute ou sur le risque, voire,
comme c’est parfois le cas, ne semble pouvoir être expliqué par aucune théorie ? Une telle
approche sceptique peut à la rigueur se défendre tant que l’on envisage les choses de lege lata et
que l’on cherche d’abord à connaître les règles du droit positif. Si l’on se demande quel devrait
être le droit de lege ferenda, cependant, il faut bien se poser la question de la raison d’être des
règles envisagées. Le droit, quelle que soit sa définition, a une finalité. En matière de
responsabilité, il faut donc s’interroger sur ce qui, en amont des règles de droit positif, justifie que
certains faits soient source d’une obligation de réparer. Quelle fin poursuit-on ainsi, et quel
objectif espère-t-on atteindre ?
11. En ce qui concerne la responsabilité du fait des choses, comme il a déjà été dit, il ne suffit pas
d’affirmer qu’un régime de responsabilité sans faute facilite l’indemnisation des victimes. Car si
cette indemnisation est le principal objectif du droit de la responsabilité, pourquoi limiter la mise
en oeuvre de cette responsabilité sans faute aux cas où le dommage a été causé par l’intermédiaire
d’une chose ? Mais si l’indemnisation des victimes n’est pas, comme nous le pensons, la seule fin
que doive poursuivre la responsabilité civile, il faut rechercher ce qui justifie un tel cas de
responsabilité sans faute, alors que la responsabilité pour faute reste, bon an mal an, le principe
de base de notre responsabilité.
12. Bien évidemment, si l’on cherche à légitimer l’existence et le régime de la responsabilité sans
faute du fait des choses, la théorie du risque vient immédiatement à l’esprit. Nul n’ignore que
c’est sur cette théorie que Saleilles et Josserand, suivis par beaucoup d’autres, ont cherché à
fonder l’émergence de la responsabilité sans faute, dont la responsabilité du fait des choses a
longtemps été le plus beau fleuron. Le problème est que cette théorie, que l’on envisage la
variante du risque-profit ou celle du risque créé, est incapable de justifier le régime de la
responsabilité du fait des choses tel que l’a façonné la jurisprudence. Maints auteurs ayant déjà
dénoncé les insuffisances de la théorie du risque, nous nous contenterons de souligner ici les
contradictions les plus manifestes entre cette théorie et le droit positif.
13. Si l’on envisage la théorie du risque-profit, tout d’abord, il paraît évident qu’elle ne saurait
expliquer les contours actuels de la responsabilité du fait des choses. L’idée d’associer le profit tiré
de l’exploitation d’une chose à la charge des dommages que cette chose est susceptible de causer
est tout à fait pertinente et elle était assurément en mesure de justifier l’existence d’une
responsabilité sans faute du fait des choses tant que les accidents de travail semblaient devoir
constituer son principal champ d’application. L’application de 1384, alinéa 1er, à cette matière a
cependant fait long feu et il est difficile de parler sérieusement de risque-profit depuis que la
responsabilité du fait des choses concerne tous les types de choses, y compris, pour ne prendre
que des exemples récents, les barbecues et les boîtes aux lettres. Cette déconnexion d’avec l’idée
de profit est confirmée, s’il en était besoin, par la définition de la garde, fondée sur l’usage, la
direction et le contrôle de la chose et non directement sur le profit pouvant être tiré de celle-ci.
14.Quid ensuite de la théorie du risque créé ? Le problème est alors inverse de celui que pose la
théorie du risque-profit. Car si cette dernière ne permet pas de justifier une responsabilité aussi
étendue que notre actuelle responsabilité sans faute du fait des choses, la première rend au
contraire inexplicable la limitation du champ d’application de cette responsabilité. En effet, si la
simple création d’un risque justifie que celui qui en est à l’origine soit obligé à réparation,
pourquoi restreindre l’application de la responsabilité sans faute aux hypothèses où, selon les
termes de la jurisprudence, une chose a été l’instrument du dommage ? De plus, comme l’ont
- 16 -
pertinemment fait remarquer certains, un dommage n’est jamais le résultat du seul fait de l’«
auteur » : « Pour que le dommage se réalise, il faut nécessairement supposer un fait actif ou passif
de la victime qui, elle aussi, bénéficie des avantages de cette activité ou de cette passivité.
Comment, dès lors, ne pas considérer le dommage comme une conséquence au moins partielle de
cette dernière activité ? ». Plus généralement, si l’on adopte comme maxime que tout fait
dommageable de l’homme engage sa responsabilité par cela même qu’il traduit la réalisation d’un
risque, pourquoi maintenir une responsabilité pour faute ?
15. Il est donc clair que les théories du risque, quelle qu’ait pu être leur influence dans
l’émergence de la responsabilité fondée sur l’article 1384, alinéa 1er, sont incapables d’expliquer
les contours et le régime de la responsabilité du fait des choses dans sa forme actuelle. Il en va de
même des autres théories qui ont pu être proposées. En particulier, la tentative des frères
Mazeaud de rattacher la responsabilité du fait des choses à la responsabilité pour faute, via la
notion de faute dans la garde, est aussi ingénieuse que peu convaincante. C’est en effet une faute
bien étrange que celle qui ne peut pas ne pas exister à partir du moment où une chose a été
l’instrument du dommage. Il semble au demeurant qu’aujourd’hui presque tous les auteurs aient
renoncé à identifier le fondement de la responsabilité du fait des choses.
16. Est-ce à dire qu’il faille considérer que la responsabilité du fait des choses est injustifiable, du
moins d’un point de vue théorique ? Assurément non. On peut trouver des justifications très
solides à certaines formes de responsabilité du fait des choses. L’idée que celui qui crée un risque
spécifique de par l’utilisation ou la mise en circulation de choses présentant une dangerosité
particulière doit être obligé, même sans faute de sa part, à réparer le dommage résultant de la
réalisation de ce risque particulier paraît ainsi un fondement solide sur lequel bâtir un régime de
responsabilité. A vrai dire, une telle logique conduira souvent à instaurer un régime de
responsabilité sans faute ne se limitant pas au dommage causé par certaines choses, mais couvrant
l’ensemble des conséquences dommageables d’une activité particulièrement dangereuse, qu’elles
aient ou non été produites par l’intermédiaire d’une chose. Plusieurs exemples d’une telle
responsabilité existent au demeurant tant en France qu’à l’étranger, mais ils ne concernent le plus
souvent qu’une activité dangereuse en particulier. Il est toutefois possible de concevoir un régime
général de responsabilité sans faute du fait des activités ou des choses particulièrement
dangereuses, quelles qu’elles soient. Un tel régime existe notamment en Italie et aux Pays-Bas.
Son introduction en droit français a également été préconisée par l’avant-projet Catala - mais sans
que soit prévue la suppression du régime général de responsabilité du fait des choses, ce qui nous
paraît très discutable - et des propositions similaires se trouvent dans les projets d’harmonisation
européenne du droit de la responsabilité civile.
17. Il ne s’agit donc pas de prétendre qu’une responsabilité sans faute du fait des choses est par
essence sans fondement théorique valable. Au contraire, il existe de très bonnes raisons de
prévoir une responsabilité sans faute du fait des choses dans certains cas, et notamment lorsque le
dommage causé résulte d’une dangerosité particulière de la chose. Le droit français, par l’arrêt
Jand’heur, a cependant clairement refusé de restreindre la responsabilité fondée sur l’article 1384,
alinéa 1er, aux seules choses dangereuses. Assurément, il n’est pas facile de définir ce qu’est une
chose dangereuse. Le résultat de ce choix est toutefois qu’il est aujourd’hui impossible de trouver
une justification théorique valable au régime général de responsabilité du fait des choses tel qu’il
existe en France. Pourquoi le simple fait d’une chose doit-il être source d’une responsabilité sans
faute, même quand cette chose n’est pas particulièrement dangereuse, alors que le fait de
l’homme n’engage pour sa part la responsabilité de son auteur que lorsqu’il est fautif ? Voilà une
question à laquelle il est, selon nous, impossible de donner une réponse satisfaisante sur le plan
théorique. La distinction entre le fait de l’homme et le fait de la chose, qualifiée par certains de
métaphysique, ne constitue tout simplement pas un critère conceptuellement valable sur la base
- 17 -
duquel articuler le droit de la responsabilité. Dira-t-on alors que le régime français de
responsabilité du fait des choses s’explique par l’histoire et qu’il se justifie par son utilité pratique
? Mais si l’histoire permet effectivement de comprendre pourquoi et comment la responsabilité
du fait des choses s’est développée et a pris sa forme actuelle, les raisons pratiques qui ont pu
justifier l’existence d’un tel régime ont aujourd’hui toutes disparu.
L’absence de justification pratique
18. Il est admis que la « découverte » par la Cour de cassation d’un principe autonome de
responsabilité du fait des choses à l’article 1384, alinéa 1er, du code civil s’est d’abord voulue un
moyen de résoudre le problème de l’indemnisation des accidents du travail. Ayant refusé de
reconnaître dans le contrat de travail une obligation de sécurité à la charge de l’employeur, la
Haute juridiction choisit la voie de l’article 1384 afin de dispenser les victimes de la charge de la
preuve d’une faute de l’employeur. A peine porté sur les fonds baptismaux, et alors que ses
contours étaient encore bien mal définis, le nouveau régime de responsabilité se trouva cependant
chassé du domaine auquel on le destinait et dans lequel il aurait sans doute pu être fort utile par le
vote de la loi du 9 avril 1898 sur les accidents du travail. Exit donc la première raison pratique qui
aurait pu justifier l’existence d’un régime général de responsabilité du fait des choses.
19. La loi de 1898 ne signa toutefois pas l’arrêt de mort du nouveau régime. Les tribunaux en
firent dans les premières années du 20e siècle d’assez nombreuses applications, mais sans que
celles-ci parussent fondées sur la nécessité impérieuse de mettre en oeuvre une responsabilité
sans faute dans les domaines concernés - sauf à considérer comme un problème social majeur
incompatible avec le maintien d’une responsabilité pour faute les dommages causés par
l’explosion des siphons d’eau de Seltz à la terrasse des cafés parisiens. C’est en fait des années
1920-1930 qu’il faut dater la deuxième et véritable naissance du régime général de responsabilité
du fait des choses. C’est à cette époque en effet que les tribunaux, confrontés à cette nouvelle
source majeure de dommages que constituaient les accidents liés à la circulation automobile, se
saisirent de l’article 1384, alinéa 1er, afin de faciliter l’indemnisation des victimes. On sait
comment les accidents de la circulation ont fourni le matériau qui a servi à façonner le régime de
la responsabilité du fait des choses dans sa forme actuelle : de Jand’heur à Franck, la plupart des
grands arrêts relatifs à l’article 1384, alinéa 1er, concernent des affaires où la chose ayant causé le
dommage était une automobile ou une motocyclette.
20. En tant que régime spécial d’indemnisation des accidents de la circulation, le régime général
de responsabilité du fait des choses a joué un rôle majeur et sans doute irremplaçable en droit
français des années 1920 aux années 1980. Palliant l’inertie du législateur, la jurisprudence a grâce
à ce régime fourni une protection relativement satisfaisante aux victimes d’accidents de la
circulation. Il s’en faut d’ailleurs qu’elle ait été optimale, sans quoi on s’expliquerait mal les efforts
d’un André Tunc pour obtenir le vote d’une loi sur la question, la provocation de l’arrêt
Desmares et enfin l’adoption de la loi du 5 juillet 1985. Quelqu’imparfait qu’il ait pu être,
cependant, il est incontestable que ce régime a rendu d’inestimables services pendant plus d’un
demi-siècle et il est dès lors heureux qu’il ait existé - sauf à considérer que si tel n’avait pas été le
cas, le législateur eût été contraint de se saisir du problème des accidents de la circulation bien
plus tôt ; mais ce n’est qu’une hypothèse, et les droits étrangers fournissent à cet égard des
exemples contrastés.
21. Depuis que la loi de 1985 a privé la responsabilité du fait des choses de son principal champ
d’application, néanmoins, on peine à voir quelle réelle utilité pratique conserve le régime de
l’article 1384, alinéa 1er. De l’aveu même de ses plus fervents partisans, ses applications sont
aujourd’hui peu nombreuses. C’est en matière d’accidents de transport ferroviaire que ce texte est
désormais le plus souvent invoqué, c’est-à-dire dans un domaine où l’adoption d’un régime
- 18 -
spécial, qui unifie les règles contractuelles et délictuelles, comme cela s’est fait pour les accidents
de la route, serait souhaitable. Abstraction faite des accidents de train, un rapide survol de la
maigre jurisprudence relative à la responsabilité du fait des choses témoigne de ce que les
dommages dont elle permet la réparation relèvent le plus souvent de l’anecdote - non pas pour
ceux qui en sont les victimes, bien évidemment, mais au sens où ces différents cas particuliers ne
forment pas ensemble un contentieux cohérent, qui appellerait un traitement commun et pour
lequel l’existence d’une responsabilité sans faute paraîtrait particulièrement justifiée. Par ailleurs,
l’article 1384, alinéa 1er, semble de plus en plus fréquemment invoqué aux fins de permettre
l’indemnisation de préjudices purement économiques. La responsabilité du fait des choses,
initialement conçue comme un outil d’indemnisation du dommage corporel, voit ainsi sa finalité
initiale s’estomper et son bien-fondé s’amoindrir d’autant, car si l’existence d’une clause générale
de responsabilité délictuelle sans faute peut éventuellement se défendre en ce qui concerne les
atteintes à la personne, elle est à notre sens injustifiable dès lors qu’il s’agit de protéger des
intérêts purement patrimoniaux. Ajoutons à cela que dans de nombreux cas où les tribunaux font
application de la responsabilité du fait des choses, les faits de l’espèce, tels qu’ils sont résumés par
les juges, donnent à penser qu’une faute du défendeur aurait aisément pu être caractérisée. Sans
doute le recours à l’article 1384, alinéa 1er, plutôt qu’à l’article 1382, offre-t-il alors une facilité de
preuve. Mais même cela n’est pas évident, du moins si l’on considère avec quelle facilité les juges
admettent parfois la démonstration de l’existence d’une faute. En outre, notamment lorsque
l’instrument du dommage est un immeuble, la théorie des troubles de voisinage pourrait
fréquemment être invoquée en lieu et place de la responsabilité du fait des choses.
22. L’utilité pratique de cette dernière est donc aujourd’hui très réduite. Qui plus est, dans les
quelques cas où l’article 1384, alinéa 1er, s’applique alors que l’article 1382 ou la théorie des
troubles voisinages ne pourraient pas être mis en oeuvre, on peine à voir ce qui justifie que le
demandeur obtienne réparation. Certes, il a subi un dommage, mais pourquoi celui-ci est-il
réparable alors qu’il n’est le résultat d’aucune faute et qu’il ne donnerait lieu à aucune
responsabilité s’il n’avait été causé par l’intermédiaire d’une chose ? Parce qu’il faut indemniser les
victimes, diront certains. Mais nous avons déjà vu que cet argument ne saurait justifier à lui seul
les contours de l’actuel régime de responsabilité du fait des choses. De plus, la complexité des
conditions de mise en oeuvre de ce régime entraîne pour les victimes une incertitude et un coût
qui viennent grandement amoindrir le bénéfice qu’il est censé leur procurer. En témoigne
notamment l’abondance du contentieux relatif aux causes d’exonération en matière de
responsabilité du fait des choses.
23. Au constat qui précède de l’inutilité actuelle de la responsabilité du fait des choses, il serait
toutefois possible d’objecter que l’intérêt de ce régime ne doit pas seulement se mesurer aux
contentieux auxquels il apporte aujourd’hui une solution satisfaisante, mais aussi à tous les
problèmes, à ce jour encore inconnus ou à peine émergents, qu’il permettra demain de résoudre.
L’article 1384, alinéa 1er, n’est-il pas un formidable outil d’adaptation du droit aux nouvelles
conditions socio-économiques, comme le prouve la manière dont il a servi à prendre en charge
l’indemnisation des accidents de la circulation, à laquelle les instigateurs de l’arrêt Teffaine
n’avaient assurément pas pensé ? A cela, on peut répondre que le droit français dispose déjà, à
l’article 1382 du code civil, d’une clause générale de responsabilité, dont la capacité d’adaptation
aux situations nouvelles n’est plus à démontrer. Or, notre droit a-t-il vraiment besoin de deux
clauses générales de responsabilité, l’une à l’article 1382 et l’autre à l’article 1384, là où beaucoup
de droits étrangers n’en ont aucune et ne s’en portent le plus souvent pas si mal ? Il est
sérieusement permis de penser, au vu des applications actuelles de l’article 1384, alinéa 1er, du
code civil, que l’existence de cette deuxième clause générale est en fait parfaitement inutile.
- 19 -
24. Si l’on regarde quels semblent être aujourd’hui les contentieux émergents, ou si l’on essaie
d’imaginer à quels nouveaux cas de figure il serait possible d’appliquer dans un avenir proche le
régime de la responsabilité du fait des choses, rien n’indique que celle-ci soit promise à une
spectaculaire renaissance. On pourrait certes envisager d’y recourir afin de faire face au problème
des dommages causés par les choses immatérielles. Dans le contexte plus général de la prise de
conscience contemporaine de l’importance de l’immatériel dans l’univers juridique, la question de
l’application du régime général de responsabilité du fait des choses aux dommages causés par les
choses immatérielles a été à plusieurs reprises soulevée au cours des dernières. N’est-ce pas là un
autre domaine où la « vieille » responsabilité issue de l’arrêt Teffaine pourrait faire la preuve de
son adaptabilité et de son utilité, en offrant à la société de l’information - car l’information est très
certainement la « chose » immatérielle la plus courante - le régime de responsabilité qui lui
convient ? Nous ne le pensons pas. Il est tout d’abord évident que l’application de l’article 1384,
alinéa 1er, aux choses immatérielles nécessiterait en fait la création d’un nouveau régime, dans la
mesure où plusieurs notions centrales de la responsabilité du fait des choses dans sa forme
actuelle n’auraient guère de sens dans l’univers immatériel. Que signifierait ainsi avoir l’usage, la
direction et le contrôle d’une information ? Par ailleurs, impossible à justifier rationnellement
dans l’univers des choses ayant une existence physique, une responsabilité sans faute fondée sur
le simple fait de la chose ne le serait pas plus dans celui des choses immatérielles. Mieux vaut ne
pas imaginer ce que donnerait une responsabilité sans faute reposant sur le simple « fait » de
l’information. Donner une information, même exacte, mais causant un dommage à autrui,
deviendrait-il ainsi source de responsabilité ? En dépit du régime protecteur particulier dont
bénéficient les organes de presse en vertu de la loi de 1881, il est douteux qu’une telle évolution
présente un progrès pour la liberté d’expression et la démocratie. Le régime général de
responsabilité du fait des choses est donc totalement inadapté, nous semble-t-il, au domaine des
choses immatérielles et ce n’est pas dans cette direction qu’il trouvera un substitut aux vastes
espaces où il s’ébattait avant que la loi de 1985 ne l’en chasse. Par ailleurs, si l’on songe aux autres
défis qui se présentent aujourd’hui au droit de la responsabilité civile, il ne semble pas que l’article
1384, alinéa 1er, constitue un outil particulièrement adapté pour y répondre. Pas plus que les
autres articles du code, il ne fournit de solution aux problèmes posés par l’appréciation de la
causalité en situation d’incertitude scientifique, les dommages de masse ou encore les préjudices
diffus. Certes, il serait bien téméraire d’affirmer que plus jamais et en aucun cas, le régime général
de responsabilité du fait des choses ne retrouvera un domaine d’application significatif, mais à
court et moyen terme, il est difficile de voir où le véritable besoin d’un tel régime pourrait surgir.
25. Précieux instrument par le passé, le régime général de responsabilité du fait des choses est
aujourd’hui largement inutile et privé de perspectives d’avenir. Sombre constat, mais qui ne fait
que relayer le fameux jugement porté en son temps par le doyen Carbonnier : « un immense
gaspillage d’intelligence et de temps, c’est peut-être le bilan que l’on dressera un jour de notre
célèbre jurisprudence » ; et qui permet de conclure que la responsabilité fondée sur l’article 1384,
alinéa 1er, pourrait sans dommage être supprimée, le cas échéant à l’occasion d’une réforme
législative du droit de la responsabilité civile. A elle seule, cependant, cette conclusion ne suffirait
peut-être pas à convaincre le législateur et ceux qui le conseillent de franchir le pas d’une
abrogation du régime général de responsabilité du fait des choses. Car si même l’on admet que ce
régime est aujourd’hui inutile, pourquoi faire disparaître ce symbole, ce vieux grognard qui a bien
mérité du droit de la responsabilité et de la protection des victimes ? A cela, il convient de
répondre que l’existence même de la responsabilité du fait des choses a des incidences majeures,
et malheureusement négatives, sur l’architecture du droit français des obligations. En particulier,
c’est son existence qui a imposé l’adoption par la jurisprudence de la règle du non-cumul des
responsabilités contractuelle et délictuelle.
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Document 13 : Ph. Brun, De l’intemporalité du principe de responsabilité du fait
des choses, RTD Civ., 2010, p. 487 (extraits).
De la prétendue inconsistance juridique du principe général de responsabilité du fait des
choses
16. Le droit français de la responsabilité ne serait-il en définitive qu’une constellation de vieilles
lunes dépourvues de toute justification théorique, à rebours de ces joyaux d’ingéniosité et de
rationalité juridique qu’offre le droit comparé ? C’est un peu l’impression qui se dégage de l’article
ici évoqué, dont il faut se souvenir que l’attaque en règle menée contre le principe de non-option
ne se voulait être - selon les dires de l’auteur en tout cas - qu’une illustration des effets pervers du
principe général de responsabilité du fait des choses. Ayant répliqué sur ce point, reste à
considérer la critique du principe général en lui-même dont on nous dit, entre autres critiques
dirimantes, qu’il est lui aussi, « dénué de justification théorique. » On pourra se permettre d’être
beaucoup plus bref sur ce point. Sans aller jusqu’à énoncer que le procès instruit contre le
principe général de responsabilité du fait des choses est faux et inutile, on peut soutenir que les
arguments avancés sont discutables et que l’entreprise peut de surcroît sembler assez vaine.
La fragilité de la contestation théorique du principe de responsabilité du fait des choses
17. Pour l’essentiel, le réquisitoire contre la clause générale de responsabilité du fait des choses se
ramène à l’idée qu’une telle règle serait en quelque sorte « contre nature », qu’elle aurait été
imposée par la jurisprudence pour les besoins d’une cause aujourd’hui prise en charge par
d’autres moyens. Non seulement pareille posture suppose de considérer qu’il existe des « essences
» en droit qu’il y aurait lieu de faire prévaloir sur les constructions artificielles, mais on ne peut
manquer de souligner l’arrière plan dogmatique que révèle une telle critique. A plusieurs reprises,
on nous assène en substance - sans trop s’en expliquer - que la « norme » en notre matière serait
la responsabilité pour faute, qu’il faudrait avoir de bonnes raisons pour y déroger, et que ces
bonnes raisons feraient défaut s’agissant de responsabilité du fait des choses. Autrement dit, on se
propose de dénoncer la désuétude d’un dispositif - on n’ose dire de le « ringardiser » - en
s’appuyant sur une conception de la responsabilité que ne désavouerait sans doute pas Georges
Ripert ! On peine en tout cas à nous convaincre que la question du fondement de la
responsabilité civile peut se laisser résumer à une opposition entre la responsabilité pour risque et
la responsabilité pour faute. A consulter attentivement les « manuels ou cours de droit de la
responsabilité civile » et leur « passage obligé sur le fondement de la responsabilité », on ne
manquerait pas de constater que la problématique s’est largement renouvelée depuis les années
1960, et que la justification juridique du principe général de responsabilité du fait des choses peut
être aperçue, dans d’autres considérations que des notions telles que le risque-profit ou les
activités anormalement dangereuses, et en particulier dans celle selon laquelle il est légitime que
celui dans la sphère d’autorité duquel se trouve une chose qui par son fait anormal cause un
dommage ait à en répondre. En quoi le fait incorrect d’une chose que l’on a sous sa garde devraitil être tenu, sur le plan théorique, comme une cause moins satisfaisante de l’obligation de réparer
que le fait défectueux d’une personne ?
18. Il est vrai que pour admettre si ce n’est la pertinence du moins la viabilité de ce genre d’idées,
il faut aussi considérer que la mise en oeuvre de l’article 1384 alinéa 1 suppose de lege lata, un fait
anormal de la chose. Or, tel n’est pas le cas de l’argumentation déployée contre le principe général
qui suggère que la responsabilité du fait des choses pourrait être engagée en dehors de tout fait
anormal prouvé ou présumé. Qui a donc prétendu pourtant que la seule justification de la
jurisprudence Jand’heur et de ses suites tiendrait dans la nécessité de « protéger les victimes » ?
L’idée selon laquelle la déclinaison de la responsabilité du fait des choses sous forme de cas
particuliers plutôt que sous forme de principe général serait préférable est parfaitement
admissible, surtout quand (contrairement à l’article dont il est question ici) la critique des clauses
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générales se veut plus systématique. Cela ne doit pas conduire il nous semble à caricaturer une
création jurisprudentielle dont la rationalité n’a rien à envier à bien d’autres dispositifs, et dont on
a justement loué la souplesse. Au demeurant, nul ne pouvant se prétendre dépositaire de la raison
juridique, on peut, sans se reconnaître dans le portrait de nostalgiques d’un « vieux grognard qui a
bien mérité du droit de la responsabilité civile », voir dans la règle de l’article 1384 alinéa 1er autre
chose qu’un pur artifice juridique fruit d’un utilitarisme de circonstance. En quoi cette création
prétorienne est-elle juridiquement moins fondée que d’autres, pourtant plus insolites telle la
responsabilité pour troubles anormaux de voisinage ? Veut-on suggérer qu’il faut songer à
éradiquer plus généralement les principes d’origine jurisprudentielle dont la justification théorique
a pu donner lieu à discussion et qui ne sont de surcroît pas consacrés dans les mêmes termes par
nos voisins européens ? Ainsi, estimera-t-on bientôt sur ce double motif que l’obligation au tout
des coresponsables a « fait son temps » ? A vouloir ainsi prendre appui sur un terrain dogmatique
aussi mouvant par définition, on s’expose au reproche de contester ou trop, ou pas assez... Au
reste, l’entreprise eût-elle paru convaincante dans ses principales conclusions théoriques que son
utilité pratique eût pu être mise en doute sérieusement.
La vanité de la contestation du principe général de responsabilité du fait des choses au
plan pratique
19. L’entreprise de déconstruction proposée s’autorise essentiellement au plan pratique de sa
propriété à débarrasser le droit des obligations des scories que la responsabilité du fait des choses
aurait engendrées, et en particulier du principe (honni) de non-option entre les deux ordres de
responsabilité. Le grief étant loin de s’imposer à l’esprit avec la force de l’évidence, ceux dont
nous sommes qu’il n’aura pas convaincus auront tendance à considérer qu’il n’y a pour le reste
dans l’argumentation développée, au mieux guère de raisons importantes d’abandonner ledit
principe, voire pire, qu’on y trouve quelques bonnes raisons de le conserver, fût-ce seulement
comme une relique. Rappelons avant toute chose, pour demeurer un instant sur cette question de
l’interdiction de l’option et les effets pratiques à son égard d’une hypothétique suppression du
principe général de responsabilité du fait des choses, que ceux-ci seraient de toute évidence à peu
près nuls, puisque dans le contentieux actuel, l’applicabilité de la responsabilité du fait des choses
en présence de dommages imputables à l’inexécution d’un contrat n’est en discussion devant les
tribunaux que très marginalement, et que les enjeux principaux se situent sur d’autres questions
(V. supra).
20. Pour le reste, il n’est pas à exclure qu’à vouloir traquer toutes les insuffisances et les
contradictions du principe général de responsabilité du fait des choses, on ne s’expose à un grand
écart juridique inconfortable. On ne voit pas très bien en tout cas comment l’on peut tout à la
fois vouer au rebut une règle pour cause de désuétude et soutenir que sa suppression permettrait
d’enrayer la fuite en avant « victimaliste » à laquelle le droit français de la responsabilité serait en
proie. Comment donc un « vieux grognard » d’application marginale pourrait-il être le bras armé
de l’idéologie de la réparation, et se révéler qui plus est liberticide ?
21. En définitive, que met fondamentalement en cause le réquisitoire de notre collègue ? S’agit-il
de souligner que la distinction des responsabilités délictuelle et contractuelle a ses exigences et
que l’ordonnancement des deux ordres n’est pas sans susciter des difficultés ? Veut-on suggérer
que notre séculaire droit commun de la responsabilité du fait des choses n’est pas l’alpha et
l’omega de la responsabilité du 21e siècle ? Tout cela n’est pas faux sans doute, mais ne justifie en
rien croyons-nous une remise en cause radicale du principe de non-option et moins encore une
disqualification hâtive du principe général de responsabilité du fait des choses. Donnons-nous
encore le temps de la réflexion, avant de jeter l’enfant avec l’eau du bain !
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