CATHEDRALE NOTRE DAME de STRASBOURG L`opium du peuple ?

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CATHEDRALE NOTRE DAME de STRASBOURG L`opium du peuple ?
CATHEDRALE NOTRE DAME de STRASBOURG
25 septembre 2016
26 dimanche du temps ordinaire – année C
e
Homélie du Chanoine Bernard XIBAUT
L’opium du peuple ?
L’évangile de ce jour prête le flanc à la fameuse critique exprimée par Marx à l’égard de la
religion chrétienne : être l’opium du peuple, en ce sens qu’elle promet la consolation céleste à
ceux qui ont souffert sur la terre, les dissuadant dès lors, pensait-il, de se révolter sur la terre. Ainsi
donc, ce serait les classes nanties et dirigeantes qui entretiendraient le mythe de leur propre
condamnation au ciel pour acquérir la tranquillité de mener leurs sombres affaires sur la terre !
Ce n’est cependant pas exactement ainsi, vous le devinez, que je vous propose d’accueillir
ce passage de l’évangile. Il me semble plutôt que ce texte nous livre des indications libératrices,
aussi bien pour notre vie d’aujourd’hui que pour notre destinée future. J’en retiens trois.
1. Réduire la distance entre richesse et pauvreté :
La première chose qui ressort de cette parabole, c’est la cohabitation scandaleuse entre la
richesse la plus insolente et la pauvreté la plus extrême. Notons que seul le pauvre reçoit un nom
dans la bouche de Jésus – il s’appelle Lazare – tandis que le riche reste anonyme. Il faut bien
reconnaître que cette scène s’est reproduite à tous les siècles qui ont suivi selon l’annonce
prophétique de Jésus : « Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous ! ». D’une certaine
manière, les différences sociales finissent hélas par sembler naturelles tant elles sont habituelles.
Et cela vaut aussi bien pour un quartier de ville que pour l’humanité en général. Regardons Mère
Teresa ou Sœur Emmanuelle : pendant des années, elles vivaient leur vocation religieuse comme
enseignantes au service des jeunes filles de la bourgeoisie, sans trop voir combien la misère
prospérait dans des villes comme Calcutta ou le Caire….
Une chose est donc de prendre conscience de la présence des pauvres au milieu de nous,
autre chose est de prendre des initiatives pour résorber l’écart, la « fracture » dont parlait un
ancien président de la République aujourd’hui très affaibli. Et il faut se réjouir que les Chrétiens, à
travers les siècles, se sont montrés très inventifs en ce domaine et le sont toujours.
2. Réaffirmer la justice de Dieu :
La prédication et la catéchèse ont tellement mis l’accent, ces dernières années, sur la
miséricorde de Dieu qu’on en a oublié un aspect qui occupe une très grande place dans la Bible,
Ancien et Nouveau Testament, à savoir sa justice. Un Dieu qui passe son temps à condamner n’est
pas le Dieu chrétien. Mais un Dieu qui ne rend pas aux uns et aux autres selon la justice n’est pas
non plus le Dieu chrétien. Car alors, vers qui pourraient crier ceux qui souffrent précisément de
l’injustice de ce monde, si même Dieu ne fait pas justice !
Ce thème de la justice de Dieu mérite, me semble-t-il, d’être réhabilité, à condition, bien
évidemment, d’être conjugué avec les autres qualités de Dieu.
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Jadis, on a cherché à convertir les récalcitrants en agitant les flammes de l’enfer. Ce n’est
certainement pas une méthode à réactiver. Mais il ne s’agit pas non plus de nier la justice de Dieu
et de laisser croire que tout péché sera automatiquement pardonné.
Ce n’est pas honorer la liberté et la responsabilité de l’homme que de le dégager
totalement de prendre part aux injustices qu’il a suscitées, aux malheurs qu’il a engendrés.
Dans sa prédication, Jésus n’a pas hésité, après avoir annoncé le bonheur à ceux qui
subissent les injustices, de proclamer « malheureux » ceux qui les exploitent.
3. Croire en la communion des saints :
Je me souviens qu’enfant, entendant cette parabole au catéchisme, je me désolais que la
revendication du riche ne soit pas entendue par Dieu : aller prévenir ses frères. L’explication
donnée par Jésus a sa cohérence : tous les avertissements possibles sont présents dans la Bible. À
quoi bon en ajouter ?
Dans le mystère de la communion des saints, qui figure nommément dans notre Credo, nul
n’est pourtant abandonné à lui-même dans la course au salut. Chacun, sur terre, est invité à se
soucier des autres, y compris en les avertissant sur leur conduite, sans sombrer, bien entendu,
dans un moralisme caricatural. Mais chacun bénéficie surtout de la prière des saints.
Comme l’affirmait en effet Gilbert Cesbron, dans son beau roman Les saints vont en enfer,
ceux-ci ne peuvent être pleinement heureux en pensant que tous ne partagent pas leur bonheur.
Faut-il rappeler ici, alors que nous sommes si prompts à prier les saints, à commencer par la Vierge
Marie, pour leur demander ceci ou cela, que la prière chrétienne la plus authentique, que l’on
retrouve dans la Litanie des saints, ne consiste pas à « prier les saints », mais à leur demander de
« prier pour nous » ?
Et qui pourrait croire que la prière des saints soit inutile ?
***
Décidément, cet évangile de Lazare ne nourrit pas la résignation des pauvres en leur
promettant des consolations futures et le châtiment des méchants. Bien plutôt :
- il nous invite à ouvrir nos yeux et nos cœurs sur les misères du monde ;
- il nous rappelle que Dieu aime la justice et la fait respecter ;
- il nous situe dans le beau mouvement de la communion des saints, où ceux qui sont en
avance ne cherchent pas à semer ceux qui les suivent, comme dans une course cycliste,
mais veillent au contraire à les entraîner avec eux.
Textes du jour :
Am 6, 1a.4-7 ; Ps 145, 6c.7, 8.9a, 9bc-10 ; 1 Tm 6, 11-16 ; Lc 16, 19-31.
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