Aux temps de la plume Sergent-Major et de l`encre violette

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Aux temps de la plume Sergent-Major et de l`encre violette
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Dossier spécial
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Aux temps de la plume Sergent-Major
et de l'encre violette ...
« Mamie ! C’est ma plus belle rentrée ! » C’est le cri du cœur de Pierre, élève de l’école de Clonas au soir de ce jeudi
2 septembre 2010. C’est vrai qu’elle avait été belle et même « spectaculaire », saluée par les huit avions de la patrouille
de France… L’école… Nostalgie… Quels souvenirs heureux ou pas, vous en restent-ils ? Dix petits élèves clonarins nous
aident à retrouver leur école d’autrefois… Replantons le décor : un bâtiment en cailloux, au milieu la Mairie, à droite :
l’école de filles, à gauche : l’école des garçons… Nous entrons…Un poêle, un tableau noir, un bureau sur une estrade,
une carte de France au mur. Dans leur salle de classe, assis derrière leurs pupitres, nos écoliers sont en train de discuter…
Laissons-les échanger leurs souvenirs de 1901 à 1972…
Christian : et bien pour moi, ma plus belle rentrée, celle qui m’a le plus marqué,
c’est celle de l’année du Certificat d’Etudes Primaires ! C’était ma dernière
année à Clonas et je savais qu’il fallait travailler pour réussir
cet examen et donner ainsi satisfaction à mon maître qui
m’avait toujours aidé !
Aline : aucune rentrée ne m’a particulièrement marquée.
Comme j’étais fille unique, j’étais surtout contente de retrouver
mes copines mais aussi de rentrer toute habillée de neuf, les
vêtements, la blouse…
Renée : nous avions toutes une blouse noire souvent avec un
petit filet bleu ou rouge ! Et toi Marthe ?
Marthe : je ne crois pas que c’était obligatoire mais tous les
enfants avaient un tablier, c’était l’habitude, ils étaient noirs
en général.
Martial : pour nous, la blouse était grise comme celle du maître.
Marie-Jo : moi, les miennes c’est maman qui me les faisait. J’en avais une à manches
longues, en vichy rouge et bleu, avec un croquet à la ceinture.
Aline : ça évitait bien de tâcher les vêtements comme on écrivait avec le porteplume ! Il fallait d’ailleurs le secouer au-dessus de l’encrier car des fois il y avait
des boulettes de buvard…
Arlette : et ça faisait des pâtés !
Renée : la maîtresse faisait son encre dans une bouteille et c’était nous qui remplissions les encriers.
Martial : il y avait même Maurice qui la buvait !
Christian : écrire à la plume sergent-major très pointue, très fine ! Faire les pleins
et les déliés… pour faire un « l », tu montes
le « l » très léger et pour descendre, tu
appuies…
Marthe : quand tu rentrais, tu écrivais au
crayon et ensuite au porte-plume sur du
papier ; sur l’ardoise, on écrivait au crayon
d’ardoise !
Arlette : l’ardoise était un peu notre cahier
de brouillon.
Georges : dans le plumier, le crayon à papier,
la règle… pour taper sur les doigts ! Et le
porte-plume bien-sûr, des cahiers, des
livres. Tout ça fourni par l’école.
Marie-Jo : maman couvrait mes livres avec une sorte de papier kraft.
Martial : du papier kraft bleu non ?
Marie-Jo : non, elle utilisait le papier des sacs de 5 kg de sucre pour faire les
confitures. Enfin, chez nous, c’était comme ça ! Et les protège-cahiers en plastique ?
Ils étaient vendus à la boulangerie par trois. Je n’ai pu en avoir qu’en 1955, un rouge,
un vert et un bleu.
Marthe : et la classe ? La mienne était simplement blanchie à la chaux : une
bibliothèque au fond, deux tableaux noirs, peut-être une carte de France au mur
et un poêle au milieu pour décoration.
Georges : hou… la décoration de notre classe aussi était simple… il n’y avait pas
de fioriture ! Il y avait le poêle !
Christian : nous, il y avait aussi nos dessins que M. Guichard affichait, enfin les
plus jolis.
Renée : tout à l’heure, Georges a parlé du poêle. Et bien, l’hiver c’est nous qui
l’éclairions. J’avais même apporté plusieurs fois un fagot de petit bois pour l’allumer.
Chacun à notre tour, on apportait du petit bois.
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Marthe : quand on arrivait, souvent le poêle n’était pas éclairé ; alors, il fallait
le faire soi-même !
Georges : nous, nous l’allumions chacun à notre tour et
comme nous brûlions du charbon, je crois que c’était
l’instituteur qui l’entretenait.
Martial : ah oui ! Le charbon était en bas, sous les escaliers et on allait le chercher. On allumait le poêle et c’était
l’instituteur qui mettait le charbon.
Christian : et cela me rappelle Jacky, un des élèves.
Quand le poêle était allumé, il quittait ses chaussures
montantes plus ou moins mouillées, les posait contre
la grille du poêle et mettait ses pantoufles !
Marthe : comme ça, il ne salissait pas ! Nous, on nettoyait
aussi la classe et les cabinets, deux fois par semaine.
Martial : moi, je ne me rappelle pas avoir balayé la classe, non…
Jean-Pierre : le nettoyage du tableau, si… Quand on était de service, on arrivait
un quart d’heure plus tôt.
Arlette : mais, c’était plus aussi pour vider la corbeille à papier, ramasser les
cahiers, distribuer les cahiers le matin, remplir les encriers.
Renée : comme Marthe, nous faisions le service deux fois par semaine et cela
voulait dire : nettoyer les sanitaires, essuyer toutes les boiseries, les bureaux…
Balayer l’école… On arrosait beaucoup, comme ça, ça ne fumait pas ! On était
regroupé par équipes de trois ou quatre.
Aline se lève, elle tend ses bras, montre le dessus de ses mains, les retourne,
puis s’adressant aux autres…
Aline : ce geste du début de journée vous rappelle-t-il quelque chose ?
Tous en chœur : l’inspection de propreté !
Marie-Jo : le matin, il fallait montrer les mains…
Martial : et des fois, chez la maîtresse, il fallait quitter les chaussettes pour montrer
si les pieds étaient propres !
Jean-Pierre : elle s’arrêtait là heureusement…
Aline : cette inspection dans la classe de Mme Chastagnier m’a laissé un vrai
souvenir : examen des ongles, des oreilles… Cela allait même plus loin… jusqu’aux
sous-vêtements !
Renée : nous, c’était l’inspection des mains et des chaussures : mains propres,
recto verso, et souliers ou galoches cirés. Donc, tous les soirs, ma grand-mère
brossait mes galoches.
Georges : moi, c’était chez M. Barret. Si l’un de nous n’avait pas les mains propres,
il devait aller les laver au lavabo qui était dans le couloir.
Arlette : moi, je me souviens d’être allée me laver les mains… C’est terrible ça…
Ça me le remémore maintenant parce que je ne m’en souvenais plus… C’était
humiliant ! Elle ne le faisait pas à tout le monde. Tu entendais voler les mouches
dans la classe !
Christian : et tout de suite après l’inspection de propreté, c’était la leçon de
morale ! Et j’aimais bien la leçon de morale chez M. Guichard, parce que c’était
un plaisir de l’écouter !
Marthe : apprendre à bien se conduire dans la vie, à être aimable…
Aline : M. Guichard nous marquait une phrase de morale qui nous servait de
modèle d’écriture.
Renée : et il y avait le calcul… Du 1er jour au dernier jour de l’école, j’ai récité la
table de multiplication de 2 jusqu’à 10. On la récitait comme une ritournelle.
On faisait bien-sûr des problèmes d’arithmétique, des fractions…
Jean : les trains, les fontaines… Et beaucoup de calcul mental ! Avec la craie, on
notait la réponse sur l’ardoise et on la montrait au maître.
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Georges : il y avait aussi la dictée, l’après-midi : Jean : à une autre époque, M. Brochier voulait, lui aussi, à tout prix la réussite de
c’était la rédaction, la géographie…
ses élèves, mais avec des méthodes différentes. Mon oncle Marthoud me parlait
Marthe : en géographie, il fallait dire les cours
d’ailleurs souvent de lui. Figurez-vous qu’en 1902 ou 1903, le jour de son
d’eau qui arrosaient la France, les départements,
Certificat, mon oncle est parti de Clonas, avec son instituteur et les autres
connaître les Préfectures…
candidats, à pied à Roussillon. Dès qu’ils sont sortis du village, M. Brochier les a
Renée : nous aussi, et on faisait des cartes, on fait répéter, leur a posé des questions… Tout le long, à tous, sans arrêt jusque
dessinait la France, les colonies…
dans la cour de l’école de Roussillon. Et attention, il ne fallait pas se tromper…
Martial : et l’histoire ? Que je n’aimais pas l’hisParce que quand ils ne répondaient pas, il les « alignait » !
toire ! Je me disais : « il vaut mieux voir ce qui va
Marie-Jo : hou là là ! Pour nous, la méthode de révision était différente ! Avant
se passer après, mais avant, j’en n’ai rien à faire ! »
de passer le certificat, on faisait des épreuves blanches.
Marie-Jo : il y avait aussi la leçon de choses.
Jean-Pierre : comme ça, l’instituteur voyait ce qui avait bien
Jean-Pierre : et en plus, on travaillait section par section, mais
marché ou pas. Et ensuite, on était trois ou quatre par an à
c’était organisé. C’était calme, jamais ça criait. Je me rappelle
passer le Certificat.
aussi qu’il arrivait qu’un élève s’absente pendant la classe…
Martial : il n’y avait pas bien d’échec parce que ceux qui n’étaient
Martial : comme moi ! J’étais enfant de chœur, alors le curé
pas suffisamment bons, on ne les présentait pas. Et maintenant,
venait me chercher pour les enterrements ou les mariages.
je me rappelle, qu’en cas de réussite on avait un livret de Caisse
Marthe : mais à l’école, on ne vous enseignait pas le catéchisme ?
d’Epargne de 5 francs ! J’ai même retrouvé le mien il y a
Tous : non ! Le catéchisme avait lieu à l’église ou à la cure, en
quelques années !
principe le jeudi et la plupart des élèves y venaient.
Aline : et le reste de l’année… Les bons points ! Des images qui
Christian : à l’école, il y avait aussi des cours de dessins et c’étaient
représentaient des animaux le plus souvent.
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surtout des dessins géométriques, j’adorais ça !
Marthe : moi, je ne m’en souviens pas. Les récompenses, on
Marie-Jo : oui, pour les garçons, c’était le dessin, et nous, c’était
ne les avait que si on avait son certificat !
la couture. Les filles qui étaient chez M. Guichard passaient
Renée : si ! Les bons points ! Mais quand on était plus petits.
chez Mme Chastagnier et inversement. Est-ce que tu te rappelles,
Au bout de 10, on avait une image.
Martial, quand M. Guichard vous avait fait faire des maquettes
Marie-Jo : oui chez la maîtresse, chez les petits, mais je ne sais
d’avion ?
pas chez le maître… Après, c’était des notes.
Martial : ah oui ! En bois léger, du balsa, avec un élastique pour
Renée : nous, sur le cahier mensuel, la maîtresse mettait
moteur, je crois. On allait les faire voler au Pré de la Croix, il n’y
notre comportement et ses appréciations.
avait pas une seule maison alors, seulement des vaches.
Christian : et aussi ta moyenne mensuelle. Et en fin de mois, les
Marthe : le travail manuel des filles, c’était apprendre à faire un
parents devaient signer ce cahier.
ourlet, des points de côté, des boutonnières… des choses comme ça.
Arlette : le fameux « cahier de composition »…
Aline : personnellement, j’avais horreur de ça ! Je préférais les petits ouvrages en
Aline : et il y avait le classement et ça… C’était pas bien ! Ça cataloguait trop les
plâtre qu’on faisait pour la Fête des Mères.
élèves… En plus, le maître nous plaçait : le 1 er était toujours devant, le dernier au fond.
Marthe : à mon époque, ça n’existait pas, on ne les fêtait pas, les mères !
Martial : moi, je trouvais ça bien… Ça me faisait bosser, ça me stimulait… Parce
qu’on était toujours trois à se bagarrer pour être le « 1 er » !
Renée se lève et fait des mouvements avec les bras en scandant : « 1-2-3-4,
Marthe : les notes, les images, les bons points… Mais je ne vous entends pas parler
1-2-3-4… », Jean, Georges, Martial la rejoignent et comme elle, ils exécutent
de lignes à écrire 20, 30 fois… Pourtant, je me souviens bien qu’il y avait aussi
de simples mouvements de gymnastique en cadence.
des punitions pour celles qui les méritaient !
Renée : et voilà, c’était ça, notre gymnastique ! On en faisait l’année du Certificat…
Jean : si, Marthe tu as raison, les punitions existaient bien ! J’ai même vu une fois
C’était vite fait !
un élève avoir 500 lignes à faire !
Marthe : nous, on n’en faisait pas ! La gymnastique, on la faisait chez soi, dans
Christian : mais les punitions, c’était aussi : « à la porte » dans le couloir ou alors
les champs ! Parce que dans le village, c’était tous des paysans !
privé de récréation.
Christian : peut-être, mais pour nous, comme pour Renée, il y avait des épreuves
Renée : ou avec le bonnet d’âne et à genoux sur le trottoir, pour que les gens
sportives au Certificat. Donc, on faisait de la course à pied, du saut en longueur,
voient que l’élève est punie !
du saut en hauteur… Tout ça dans la cour !
Aline : quelle punition ! La discipline devait être stricte dans votre classe ?
Aline : il y avait aussi le grimper à la corde, sous le préau… Ce n’était pas ma tasse
Renée : la discipline ? On était tous sages ! Non, mais c’est vrai, on écoutait
de thé !
mieux que maintenant. La discipline, on ne s’en est jamais plaint… Parce que les
Jean-Pierre : oh ! Et le chant ? Les vocalises « ouaééouaéou ». Ça ne vous dit rien ?
parents, il ne fallait pas leur dire qu’on était puni, sinon…
Marie-Jo : si ! Chez Monsieur Guichard, on avait des cours de chant. A l’heure
Jean : … sinon, tu prenais une paire de claques ! Mais, quand même, en classe,
prévue, il allumait le poste radio, il y avait des programmes spéciaux pour
la discipline, c’était sévère !
apprendre des chansons et la Marseillaise...
Christian : la discipline dans la classe de M. Guichard était simple : il élevait la
Marthe : Ohhh ! Nous, on ne chantait pas, non. Des poésies, beaucoup, mais pas
voix et punition !
de chant.
Aline : parler de la discipline chez Mme Chastagnier, c’est plus difficile : il y avait
Georges : moi aussi, j’ai appris la Marseillaise et j’ai eu un instituteur qui jouait
les coups de règle sur les doigts, le pincement des joues ou de la cuisse…
du violon, mais à l’église. Cet instituteur n’était d’ailleurs capable de faire l’école
Arlette : et les parents ne disaient rien ; on recevait aussi une bonne baffe en renque le matin !
trant. Dans ma classe, cette maîtresse « s’acharnait » toujours sur le même élève,
Christian : et pourquoi ?
il était devenu sa « bête noire ».
Georges : parce qu’après avoir déjeuné au café, il n’allait plus et il dormait sur son
Aline : oui, mais elle avait aussi ses chouchous… Et son bambou ! Vous vous en
bureau, son chapeau posé à côté de lui. Un élève, Charles, du fond de la classe,
souvenez ?
en profitait pour essayer de faire tomber ce chapeau, à l’aide de billes de plomb
Martial : bien-sûr, le bambou de Mme Chastagnier ! Il allait jusqu’au fond de la
qu’il lançait avec une fronde !
classe. Et tu sais qui l’avait fourni ?
Rires de l’ensemble des écoliers…
Marie-Jo : Bernard, mon frère.
Aline : pour le Certificat, en plus de la Marseillaise, on avait appris « le Chant des
Jean-Pierre : et quand il a cassé, il lui a dit « mon grand-père veut plus que j’en
Partisans ».
coupe ! ».
Jean-Pierre : et oui, au Certificat, c’était chant ou dessin selon le tirage au sort,
Un grand éclat de rire couvre la fin de la phrase de Jean-Pierre…et Georges
tu avais ou l’un ou l’autre !
se tourne vers Jean…
Renée : ah ! Parlons-en du Certificat ! Je devais le passer à 12 ans, comme tout
Georges : tu te rappelles, Jean, la séance que nous faisait M. Barret quand nous
le monde à cette époque. Et bien non ! Au lieu d’aller au Certificat, je suis allée
ne levions pas notre béret si nous croisions quelqu’un ? Parce qu’à la sortie, il restait
à l’hôpital de Vienne me faire opérer de l’appendicite !
sur les marches d’escalier tant qu’il nous voyait, alors bien-sûr…
Aline : pour nous, ce n’était plus 12 ans l’âge normal, mais 14 ans ! Monsieur
Jean et Martial approuvent tout en faisant semblant de lever un béret.
er
Guichard en a fait beaucoup arriver et réussir au Certificat d’Etudes, et même 1
Jean-Pierre : oh ! Et puis autrefois, il y avait aussi davantage le respect de l’autorité…
du Canton, comme Renée Nicollet, en 1963 !
Renée : de toute façon, on avait envie d’apprendre, alors à part de rares cas d’élèves,
Christian (très ému) : moi, je reconnais que si j’ai eu mon Certificat d’Etudes, c’est
on s’est tous en allés en sachant lire et écrire !
grâce à Monsieur Guichard. Comme j’avais des difficultés, il m’aidait, me gardait
quelques fois après la classe… Il s’intéressait à ceux qui avaient moins de facilités.
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Dossier spécial
Georges : et pourtant, souvent, en rentrant de l’école, au lieu de faire les devoirs,
il fallait aider les parents : arracher de l’herbe au jardin, en ramasser pour les
lapins, aller en champs les chèvres…
Jean-Pierre se lève, s’approche de la fenêtre qui surplombe la cour de récréation,
il s’écrie : le « mur de Berlin » est tombé ! Vite descendons ! Tous descendent
par l’escalier intérieur et se retrouvent dans la cour…
Marthe : elle a changé ! Autrefois elle était séparée par un mur.
Aline : ah bon ? A mon époque, elle n’était pas séparée du tout. On avait
seulement les WC installés au milieu de la cour.
Georges : mais c’est plus récent, parce qu’avant, comme l’école, la cour était
séparée, mais par un mur qui devait faire 1m50, il y avait des WC de chaque
côté et un bassin…
Jean-Pierre : tu vois Georges, moi, ma classe était mixte et pourtant j’ai aussi
connu cette cour séparée avec les garçons d’un côté et les filles de l’autre.
Marie-Jo : regardez les préaux ! A notre époque, ils n’étaient pas du tout fermés !
Marthe : mais ils étaient aussi séparés… chacun son préau. L’institutrice avait
des fois un cochon là-bas… sous le préau, et puis des poules !
Martial : M. Guichard aussi avait des poules, mais dans son poulailler. Alors à
la récré, il prenait un œuf, et « schll… », il le gobait !
Jean-Pierre : et toi, tu apportais quoi pour ton goûter ?
Martial : moi, c’était une banane ! Mais il y avait un élève qui allait boire son lait
chez lui. Le maître le laissait partir.
Marthe : ah, ça me fait penser à un de nos jeux de récréation : « Oh grand Guillaume,
as-tu bien déjeuné ? »… Mais on jouait aussi « aux barres » ou aux « quatre coins »,
et vous ?
Renée : nous, les filles, on sautait à la corde, on faisait des marelles…
Et toi Jean, à ton époque, les garçons jouaient au ballon, non ?
Jean : oui, avec M. Barret, on avait le ballon. D’ailleurs, il devait
adorer le foot ! Et alors, pendant les récréations, il avait un
truc incroyable : il envoyait trois élèves sur la place et, d’en
bas, il prenait grand plaisir à donner un coup de pied dans
le ballon, le faisait passer au-dessus de l’école…pschitt…
Et puis ça loupait jamais… Et un élève le redescendait…
Il faisait ça trois fois… Ça passait la moitié de la récréation !
Jean s’arrête, montre le muret à côté du portail d’entrée :
c’est là que nous prenions nos photos de classe !
Renée : moi, je me rappelle qu’on nous avait placés devant
les préaux et le photographe s’était caché sous son drap
noir… ! Et comme personne ne savait qu’il allait venir, on
était comme d’habitude avec nos blouses !
Georges : ah, c’était un évènement, quand même ! Moi, je
me rappelle d’une photo prise devant la Mairie.
Renée : bien sûr que c’était important, mais tous les
parents ne pouvaient pas acheter ces photos.
Georges jette un regard à sa montre. Il y a 15 ou 20 mn
qu’ils sont dans la cour, soit le temps d’une récréation…
Il tape dans ses mains : « En rang ! La récréation est finie ! »
Tous s’exécutent, mais Marthe dit : ma maîtresse, elle,
n’était pas dans la cour avec nous ! Elle nous appelait de la fenêtre !
Tous les autres : alors, elle ne surveillait pas les élèves ?
Marthe : non ! Elle tricotait dans sa classe pendant ce temps !
Ce souvenir de Marthe les laisse sans voix, ils remontent et regagnent leur
place en silence…
Arlette s’adresse à Marthe : à ton époque tous les élèves rentraient chez eux pour
le repas de midi ?
Marthe : bien sûr, et à pied, même ceux qui habitaient loin de l’école.
Jean : comme à mon époque. Et l’hiver, certains qui habitaient vers la Nationale
7, traversaient toutes les Fraches dans la neige.
Arlette : moi, je me rappelle d’un élève qui était de Louze, et bien il apportait
son repas de midi et le mangeait à l’école.
Pendant cette discussion, Marie-Jo a sorti de son casier un petit recueil…
Marie-Jo : c’est un carnet de voyage scolaire. Avant de partir nous préparions
notre voyage avec le maître.
Renée : nous, la plus grande sortie de l’école qu’on a faite, c’est d’aller voir, à
pied, avec un goûter, à Saint-Alban, la Varèze qui se jette dans le Rhône, voilà !
On était contentes !
Jean : nous, le maître nous avait emmenés voir le bac à traille, à Saint Pierre de
Bœuf. On était parti à pied, tout seuls avec l’instituteur. Ça faisait quand même
une petite tirée pour des enfants de 8, 9 ans.
Aline : c’est certain ! Heureusement, comme Marie-Jo, j’ai eu la chance de bénéficier de voyages de fin d’année et j’en garde de supers souvenirs. Comme nous
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étions essentiellement des enfants d’agriculteurs, on ne partait pas en vacances,
alors c’était l’occasion de voyager…
Arlette : moi j’ai vu la mer grâce au voyage scolaire. Et puis, c’était la sortie du
village ! C’était une institution ! Parents d’élèves ou pas, tout le monde avait
accès à ce voyage.
Aline : et que de bons souvenirs ! Comme ceux de la fête de Noël ! Dans la classe
de M. Guichard, on faisait un grand sapin de Noël avec ces premières bougies
qui partaient comme un petit feu d’artifice… On avait un petit goûter, et on
présentait des petits spectacles d’une classe à l’autre.
Arlette : oui ! J’ai le souvenir de grands qui étaient venus faire une représentation ;
c’étaient des ombres chinoises ; derrière un drap, ils simulaient une opération…
Marie-Jo : moi, je me rappelle, pour Noël, une fois avec le maître, on avait fait
un petit spectacle. Il nous faisait produire sur l’estrade et devant le reste de la
classe. J’avais une blouse blanche…
Jean-Pierre : une blouse blanche ? Tiens, ça me fait penser à la visite médicale
scolaire…
Renée : ah bon ? Moi, je n’ai pas connu les visites médicales scolaires, la vaccination à la Mairie, oui. Un médecin nous vaccinait. Il y avait d’ailleurs des
parents qui ne voulaient pas qu’on vaccine leurs enfants.
Martial : comme mon père ! Quand il y avait visite médicale ou vaccination je
n’allais pas à l’école !
Marie-Jo : et bien moi, c’est à l’occasion d’une visite médicale qu’on a décelé que
j’avais besoin de lunettes !
Arlette se penche, regarde l’heure au clocher et s’écrie : « il est 11 h ½, l’école
est finie ! » Les écoliers ne peuvent y croire. Le temps est passé si vite. Ils
étaient si heureux de revivre leur enfance et cette
scolarité qui les a tant marqués ! Malgré eux,
comme par habitude, ils quittent leurs bancs, sortent de la classe. Alors qu’ils arrivent sur le palier,
Aline leur dit : par ces escaliers, je suis allée une fois chez
Mme Chastagnier voir, à la télévision, le mariage de la
reine Fabiola et du roi Baudoin.
Marie-Jo enchaîne : moi c’était chez M. Guichard, une
étape du Tour de France, avec un coureur qui s’appelait
Gérard Saint.
Les voilà reparties dans leurs souvenirs… Georges ouvre
la porte principale et tous se retrouvent sur la place…
Marthe : elle était plus jolie avant, il y avait des platanes
tout autour et là-bas, au pied des escaliers de l’église, il y
avait une fontaine.
Arlette : nous, là-bas, les samedis, jours de mariages et
jours d’école, on allait ramasser les dragées.
Jean, plus sérieux : la rue, la place… Tout me fait penser à
l’arrivée des allemands sur leur char, pendant la guerre.
Georges : et que nous n’avions pas eu classe lorsque la 7
et le pont de la Varèze avaient été bombardés…
Des images, des souvenirs qu’ils croyaient avoir oubliés sont là, ils veulent
les partager… ils n’arrivent pas à se quitter, ils sont si bien…
Alors, pourquoi ne se retrouveraient-ils pas pour dérouler encore le fil des
souvenirs ?
Remerciements à :
Georges BOUVIER, Martial CAILLET, Jean-Pierre CHEYNIS, Marie-Jo CHEYNIS
•
née Cortot, Aline CHOLLET née Sauzey, Christian FALCOZ, Renée MARCHAND
née Guillot, Jean ROBERT, Arlette ROZELIER née Defaix, qui ont aimablement
accepté de répondre à nos questions.
Marthe PALANDRE est décédée en 1992. Elle avait évoqué ses années d’école en
1981, lors d’une rencontre avec les CE2-CM1-CM2 de la classe de Mme STELLA.
Dossier spécial
Les ecoliers...
Renée Nico llet
Marthe Palandre
Elève de M. Guichard, a passé son Certificat de Fin d’Etudes en juin
1963 l’année de ses 14 ans. Elle l’a brillamment réussi et s’est classée
1ère du canton. En récompense, Renée Nicollet a reçu un livret offert par
la Caisse d’Epargne avec un premier dépôt de 10 nouveaux francs, une
somme qui a été doublée par Monsieur Dufeu, sénateur-maire du Péage.
Née en : 1894
Scolarité à Clonas de : 1901 à 1906
Enseignante : Mme SANDIER
Renée Guillo t
Née en : 1926
Scolarité à Clonas de : 1931 à 1939
Enseignante : Mme TRANCHAND
Jean Robert
Né en : 1931
Scolarité à Clonas de : 1935 à 1943
Enseignants : MM. GALIN-MARTEL,
BARRET…
Georges Bouvier
Né en : 1933
Scolarité à Clonas de : 1938 à 1946
Enseignants : MM. BARRET,
COMBES, RIVIERE…
Rythme scolaire
Nos dix écoliers vont à l’école 30 heures par semaine, 5 jours sur 7.
Les horaires sont : 8h ½ - 11h ½ et 13h ½ - 16 h ½
Marthe a 6 semaines de congés l’été et une à Pâques.
Renée peut employer les 2 semaines de congés supplémentaires d’été accordées depuis
1922 à aider dans les travaux des champs, comme beaucoup d’autres élèves de France.
Certains remplacent ainsi les hommes rentrés mutilés après la guerre de 14-18.
Jean, puis Georges peuvent profiter dès 1936 de ce que leur « offre » le Front Populaire :
les vacances de Noël et l’allongement de 15 jours de leurs vacances d’été en 1939.
Arlette connaîtra, en 1964, la division en plusieurs zones ; en 1969, la suppression des cours
le samedi après-midi, son temps de présence hebdomadaire passe alors de 30 à 27 heures.
Mais, nos dix écoliers ne connaîtront pas :
le passage de la journée libérée du jeudi au mercredi, en 1972 ;
~
l’apparition des samedis vaqués (un sur trois) en 1989, soit 26 heures par semaine ;
~
la libération du samedi en 2008, entraînant un temps de présence de 24 heures.
~
Ecole
Martial Caillet
Né en : 1942
Scolarité à Clonas de : 1947 à 1956
Enseignants : Mme CHASTAGNIER,
M. GUICHARD
M a r i e -J o C o r t o t
Née en : 1945
Scolarité à Clonas de : 1950 à 1959
Enseignants : Mme CHASTAGNIER,
M. GUICHARD
Jean-Pierre Cheynis
Né en : 1945
Scolarité à Clonas de : 1958 à 1959
Enseignant : M. GUICHARD
Christian Falcoz
Né en : 1950
Scolarité à Clonas de :
1955 à 1957 ; 1961-1964
Enseignants : Mmes BIANCIOTTO,
CHASTAGNIER, M. GUICHARD
A l in e S a u z e y
Le bâtiment, en cailloux, a été construit en 1889, il comporte trois niveaux :
Au rez de chaussée : à droite l’école des filles, à gauche l’école des garçons et au milieu,
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la mairie.
A l’étage : les appartements de fonction des instituteurs.
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Au sous-sol : deux préaux ouverts sur une cour partagée par un mur (il sera démoli au
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début des années 1960).
Née en : 1951
Scolarité à Clonas de : 1956 à 1965
Enseignants : Mmes BIANCIOTTO,
GARIN, CHASTAGNIER,
MM. GUICHARD, CHOLLET
Chaque école compte une seule classe dite « unique » où tous les niveaux sont réunis.
Après la guerre, il est admis que filles et garçons puissent être regroupés dans une seule
classe. A Clonas, c’est le début de la mixité scolaire.
Au début des années 50, l’effectif permet d’ouvrir une troisième classe pour accueillir les
plus jeunes écoliers : « la classe enfantine » est alors située dans un local de la cure.
Arlette Defaix
A noter :
En 1958, un bâtiment peut enfin accueillir « la classe enfantine » (c’est l’actuel restaurant
scolaire). Au 1 er étage, se trouve un 3 ème logement de fonction. C’est en 1985 que l’école
élémentaire (4 classes) et l’école maternelle (2 classes) sont réunies avec la construction du
groupe scolaire actuel.
Née en : 1960
Scolarité à Clonas de : 1964 à 1972
Enseignants : Mmes GARIN,
CHASTAGNIER, M. JANET
Certains enseignants de nos ecoliers de 1901 à 1972 ...
Mme SANDIER
M. BROCHIER
Mme TRANCHAND
M. BARRET
Mme CHASTAGNIER
M. COMBES
M. GUICHARD
Mme GARIN
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