MILLE, B (2007) - Etude technique du cheval de bronze de Neuvy
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MILLE, B (2007) - Etude technique du cheval de bronze de Neuvy
MILLE, B (2007) - Etude technique du cheval de bronze de Neuvy-en-Sullias, in GORGET, C. & GUILLAUMET, J.-P. (eds.) Le cheval et la danseuse, à la redécouverte du trésor de Neuvy-enSullias, Paris, Somogy, p. 88-99 et 264-265. , Etude technique du cheval de bronze de Neuvy-en-Sullias BENOÎT MILLE BIBLIOTHEQUE C2RMF CARROUSEL Le cheval de bronze de Neuvy-en-Sullias est un témoignage tout à fait exceptionnel de la grande statuaire antique en bronze, de par son état de conservation - il nous est parvenu intact -, et de par la qualité de sa réalisation (cf fig. 1, p. 49). Indépendamment de la question de son réalisme anatomique (cf l'article de Patrice Méniel), il s'agit là de l'œuvre d'un excellent sculpteur. En témoigne la fière allure de l'ensemble et le souci de rendu du moindre détail. Le cheval de Neuvy-en-Sullias se classe ainsi parmi les plus admirables bronzes découverts en Gaule romaine. La stature du cheval de Neuvy-en-Sullias (hauteur du sol à la pointe de l'épaule) est de 63 cm, qu'il faut comparer aux 140 à 150 cm des premiers « grands chevaux» de la période romaine, soit une réduction d'un facteur 2,2 à 2,4 (renseignement Patrice Méniel). Le présent article s'attachera à discuter de la technique de fabrication de ce bronze, en examinant tour à tour la composition du métal qui le constitue et la technique de fonte. Il sera également fait état de quelques observations au sujet du socle. L'étude technique ici menée a mobilisé diverses techniques d'analyse et d'examen: examen visuel d'abord et avant tout, mais également radiographie X, endoscopie, analyse élémentaire du métal et coupe métallographique pour l'étude des soudures. Enfin, et le fait est assez rare pour qu'il mérite d'être souligné, il a fallu faire appel à une étude stylistique du mode de représentation des crinières de chevaux dans l'art grec et romain, réalisée pour l'occasion, afin de réussir à interpréter complètement les observations techniques effectuées dans la zone de la crinière] (Mascardi, à paraître). Étude technique du cheval Composition élémentaire du métal La composition élémentaire du métal du cheval de Neuvy-en-Sullias a été déterminée par échantillonnage des différentes pièces qui le constituent. Vingt-deux prélèvements ont été effectués par forage à la microperceuse (forets de 1 mm de diamètre, env. la mg de métal prélevés). Les copeaux métalliques recueillis sont soigneusement contrôlés sous la loupe binoculaire pour éviter une éventuelle contamination par les produits de corrosion, et dissous dans une solution d'acide chlorhydrique et nitrique (eau régale). Les solutions ainsi obtenues sont analysées en les injectant au sein d'un plasma d'argon produit par couplage inductif, et en mesurant le spectre d'émission atomique qui en résulte (ICP-AES : Inductive Coupled Plasma - Atomic Emission Spectrometry)2. 1. Cette étude n'aurait pu être effectuée sans l'aide d'un certain nombre de llles collègues du C2RMF : Thierry Borel, qui a remarquablement su radiographier le cheval malgré les conditions peu habituelles (cave du musée) ; Dominique Robcis dont l'assistance m'a été précieuse pour l'examen endoscopique et le prélèvement pour métallographie; David Bourgarit pour son aide apportée aux analyses de composition, J'ai également bénéficié de l'oeil et de l'expérience Jean Dubos irremplaçables ; il a su relever de 11lieux que 1110i certains indices très importants pour une meilleure compréhension de la fabrication du cheval. Je tiens également à remercier Sophie Descamps. du département des Antiquités grecques, étrusques et romaines du 111usée du 30 25 1 OSn III .Pb œ1J 20 l "" 15 1 10 •~ .~• ~j[~~" ~i ~l ~ ~~ il~" ü -4;.2 1 .~ Louvre. qui a accepté de superviser le travail mené par Marta Mascardi, Enfin. j'ai profité d'exceptionnelles conditions de travail grâce à la disponibilité et à la gentillesse de Catherine Gorget et de son équipe au Musée historique de l'Orléanais. 2, Le protocole d'analyse détaillé dans Bourgarit, 2003, ~~ ~ Ob 0,6 0,5 0,4 0,3 0,2 0,1 Fig, l Teneurs cumulées en éléments d'alliage (cheval de Neuvyen -Sullias) Fig.2 Teneurs cumulées en impuretés (cheval de Neuvy-en-Sullias) est Mille, 89 90 Le dépôt de Neuvy-en-Sullias Douze prélèvements concernent le cheval lui-même, ils sont localisés sur les figures 7 et 8. Deux prélèvements ont été effectués sur le socle, un sur la plaque avant qui porte l'inscription et l'autre sur la plaque supérieure. Les huit derniers prélèvements proviennent des différents types d'anneaux retrouvés dans le dépôt de Neuvy-en-Sullias, et qui, selon une hypothèse déjà formulée par Mantellier3, serviraient à porter ou suspendre le cheval. Les résultats complets des analyses sont reportés en annexe (tableau 1, p. 264-265). La composition élémentaire des différentes pièces constituant le cheval ne nécessite pas le développement d'un long commentaire. Toutes les parties sont faites d'un bronze au plomb (teneurs moyennes: Sn : 8,6 ± 1,3 %, Pb: 5,7 ± 2,1 %) (fig. 1). Le cortège d'impuretés qui accompagne cet alliage affiche également une certaine homogénéité. Si l'on met de côté le soufre et le fer, qui sont en teneurs assez variables4, les autres éléments sont présents en teneurs assez constantes (fig. 2). La seule composition qui diverge du lot est celle du métal d'apport pour la soudure de la queue: le bronze ne contient pas ou peu de plomb ajouté (0,95 %), et nettement moins d'argent, d'arsenic, d'or, de bismuth, de cobalt et de nickel. Il est donc possible que la soudure initiale de la queue ait été refaite. Rien ne permet en revanche de distinguer la queue et la crinière des autres pièces du cheval, ces deux pièces sont donc bien contemporaines de la fabrication du cheval, il ne s'agit pas de parties remplacées. La plaque supérieure du socle est un bronze à faible teneur en plomb (1,2 %), ce qui n'est pas le cas de la plaque avant portant la dédicace qui s'intègre parfaitement au sein des compositions d'alliage du cheval. Le spectre d'impuretés du métal de ces deux pièces du socle ne se distingue pas de celui du cheval. Pour ce qui concerne les grands anneaux munis d'un anneau portegoupille (cal. 18-21), les quatre analyses effectuées montrent encore une fois le même cortège caractéristique d'éléments en trace. Il n'en va pas de même pour les alliages: ce sont des bronzes à très forte teneur en plomb (23 % de plomb en moyenne). Il est pourtant certain que ces anneaux figuraient bien sur le socle, en lieu et place des anneaux aujourd'hui présentés (cf plus loin, « Un seul socle, mais deux états pour le dispositif de portage / suspension»). Et concernant justement les anneaux actuellement fixés au socle, leur composition élémentaire (alliages et impuretés) se range sans difficulté avec les autres pièces du chevaP. Pour conclure sur la composition élémentaire du métal du cheval de Neuvy-en-Sullias, il faut remarquer que l'on a uniquement eu recours au bronze au plomb, à deux exceptions près, la plaque supérieure du socle et la soudure d'assemblage de la queue sur le corps du cheval. La teneur moyenne en étain oscille autour de 8,6 %, celle du plomb autour de 5,7 %, sauf pour les quatre grands anneaux de suspension (cal. 18-21), nettement plus chargés en plomb. Enfin, les spectres d'impuretés des différentes pièces du cheval, du socle et des anneaux présentent de très fortes affinités entre eux. Notons cependant le caractère très ubiquiste de ce spectre d'impure- Étude technique du cheval tés. Si l'on compare la figure 6 à la figure 2 de l'article « Composition élémentaire et radiographie des statuettes de Neuvy-en-Sullias)} (p. 198), les différences s'expriment essentiellement par le niveau d'impureté du métal, nettement plus faible dans le cas du cheval (taux global généralement inférieur à 0,5 %) que pour la majorité des statuettes (souvent autour de 1 %). 3. Mantellier, 5. Il faut excepter J'anneau gauche, qui est une restauration moderne Technique de fonte Fonte pleine Chauffe @ Confection du moule de coulée Façonnage du modèle en cire o Cuisson du moule de coulée et évacuation de la cire Fonte en creux sur positif (procédé direct) o Confection du noyau 0 Façonnage de la cire e@@ autour du noyau -+ t:;; -+ cg -+ -+ Chauffe Coulée Coulée Chauffe @ Confection du moule de coulée avant (cf l'article de documentée C. Proust. p. 36), et facilement détectée par sa forte teneur en zinc. Les examens radiographique et endoscopique révèlent que le cheval de Neuvyen-Sullias est une pièce entièrement creuse fabriquée par l'intermédiaire du procédé de fonte à la cire perdue. Le principe de ce procédé est simple: un modèle en cire est confectionné, enrobé d'un moule réfractaire, la cire est évacuée du moule par étuvage, et le métal est coulé à la place de la cire. Si le principe est simple, sa mise en oeuvre peut en revanche se révéler extrêmement complexe; on distingue trois variantes principales pour la période antique (fig. 3). Le premier cas ne vaut que pour les fontes pleines, dont les statuettes du dépôt de Neuvy-en-Sullias sont un bon exemple (cf « Composition élémentaire et radiographie des statuettes de Neuvy-enSullias)} par B. Mille et T. Borel, p. 194). Le second cas correspond au procédé dit direct, où la pièce creuse est obtenue en confectionnant un noyau sur lequel la cire est directement sculptée. La grande statuette représentant un homme vêtu d'un sagum (cal. 31) illustre cette variante (idem). Le troisième cas de figure, qualifié de procédé indirect, fait intervenir un plus grand o 1865. 4. Ces teneurs ne peuvent être utilisées pour discriminer les pièces entre elles: lors de la fusion, ces deux élélnents sont très sensibles aux conditions redox. Fig.3 Principe du procédé de fonte à la cire perdue. Les trois principales variantes attestées pour la période antique sont représentées CJ o CJ CJ CJ Objet Coulée Cuisson du moule de coulée et évacuation de la cire Terre crue Terre cuite Plâtre (?) Cire Bronze Objet Fonte en creux sur négatif (procédé indirect) Confection Confection du modéle en plusieurs du moule parties Mise en place d'une couche de cire Remontage du modèle en cire Mise en place du noyau, Confection du moule de coulée Cuisson du moule de coulée et évacuation de la cire Objet 91