Familles, je vous hais - Théâtre de Saint-Quentin-en

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Familles, je vous hais - Théâtre de Saint-Quentin-en
Date : 07/10/2015
Heure : 23:52:33
Journaliste : Trina Mounier
lestroiscoups.fr
Pays : France
Dynamisme : 7
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Familles, je vous hais
« Le Retour au désert », de Bernard-Marie Koltès, La Comédie de Saint‑Étienne
Les Trois Coups
C'est presque un vaudeville et c'est signé Koltès. De ce météore, on attendait
la lucidité, le cynisme, mais pas vraiment cette comédie flamboyante, bruyante…
C'est cette pièce pourtant qu'a choisie de monter Arnaud Meunier. Son « Retour
au désert » apporte encore la preuve qu'il est un grand metteur en scène.
Début des années 1960. Mathilde revient d'Algérie avec armes et bagages et
enfants. Avec armes surtout, et son frère Adrien qui occupait jusque-là la maison
familiale ne s'y trompe pas : ce n'est pas une victime qui rentre, chassée de ce
pays d'emprunt comme beaucoup, mais une femme qui entend d'abord récupérer
son bien et régler quelques comptes, en un mot faire la guerre. Dès le début, tout
est dit, sans masque, sans fard. Dans la bouche de ce notable sans doute habitué
aux ronds de jambe et autres hypocrisies commodes, aucune place pour le doute,
aucune pour l'accueil. Pas un mot de bienvenue : « Quand repars-tu ? ». Dès
les premiers mots, on est au-delà des bienséances et du bon ton. La réponse de
Mathilde est elle aussi sans ambiguïté : « Je suis revenue pour rester et reprendre
cette maison qui m'appartient, tu as eu l'usine, cela suffit ».
Autant dire que les portes vont claquer et les yeux se dessiller. Du vaudeville
bourgeois dans lequel on lâcherait la vérité toute crue, c'est-à-dire politiquement
incorrecte sans dissimulation, Freud dirait « avant le surmoi »…
Vaudeville politiquement incorrect
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Car tout n'est pas encore dit, et ces premières paroles vont ouvrir la porte à un
grand déballage : Adrien révèle que Mathilde est une mère célibataire qui s'est fait
engrosser d'on ne sait qui ; elle rétorque que sa première femme est morte dans
des conditions bizarres et que la seconde épouse (présente à côté d'Adrien et qui
prend tout de face avec une tranquillité désarmante) n'est qu'une sotte, une potiche
prétentieuse et vulgaire, etc. Tout ce que fait ou a fait l'un met l'autre hors de lui et
l'entraîne à son tour dans l'injure et l'invective. C'est que Mathilde fait voler en éclats
tous les faux-semblants, par exemple en appelant sa fille Fatima… Impensable ces
années-là dans une petite ville de l'est de la France, provocateur, un prénom à
supprimer et rayer de la carte comme un horrible secret de famille… Fatima, elle
n'y songe pas !
Car en arrière-plan de cette demeure cernée de hauts murs, il y a la France, celle
qui bastonne et qui jette à la Seine des gens dont les prénoms sont de la même
origine que celui-ci, justement. Des meurtres immédiatement oubliés, pardonnés et
dont on fait semblant de ne rien savoir. Le racisme cru s'exhibe dans la famille, dans
ce refus d'entendre un prénom trop chargé d'histoire, dans ce foulard porté par la
jeune fille et hâtivement délaissé. Il y aura encore un parachutiste africain tombé du
ciel au propre comme au figuré (d'où sort-il celui-là qui déteint dans cette maisonnée
résolument blanche ? De quelle guerre coloniale débarque-t-il ?…). Cette irruption
loufoque n'est pas la seule concession au fantastique dans la pièce : des fantômes
s'y promènent la nuit et tiennent de bien étranges discours.
Deux grands fauves en liberté : Hiegel et Bezace
Deux heures de combats de mots, de violence à nu entre le frère et la sœur
qui vont passer comme un éclair, rythmées par de courtes pauses, fantastiques,
poétiques, irréelles, bien nécessaires aux deux adversaires pour se reprendre. Des
affrontements qui plongent leurs racines dans l'enfance et, d'une certaine manière,
apportent familiarité et sécurité : ne perçoit-on pas toute la perversité, la dimension
ludique de cette joute qui les autorise à maltraiter tout le monde au passage ?
Bien sûr, on s'amuse beaucoup de cette cruauté, de ces répliques qui font mouche,
de ces provocations scandaleuses. C'est la seconde composante du vaudeville : la
violence y est incroyablement drôle.
Pour incarner ces deux fauves qui prennent tant de plaisir à se disputer, il fallait
deux grands acteurs. Catherine Hiegel est Mathilde, elle en a la gouaille, la force, la
présence résolue. Quant à Didier Bezace, il est tout aussi évidemment Adrien, un
roc, bien campé dans ses certitudes, assuré de régner en maître et dont l'univers
va lentement se fissurer. Leur jeu se complète, leurs répliques se renvoient la balle,
c'est un match dont on suit l'avancée passionnément. Les autres comédiens sont
à l'unisson, notamment René Turquois en Mathieu, fils de son père, effacé, un peu
perdu, à côté de lui-même… Ou Isabelle Sadoyan, la vieille bonne qui connaît tout
de cette famille et à qui reviendra le mot de la fin… grinçant et glaçant !
Enfin, il convient de saluer l'excellent travail du scénographe Damien Caille‑Perret
qui a conçu un décor tout de portes coulissantes en verre : on pénètre à l'intérieur
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pour découvrir l'intimité puis, grâce aux lumières de Nicolas Marie, on reste à
l'extérieur pour l'arrivée de Mathilde ou pour voir passer les fantômes la nuit.
Non seulement ce décor est absolument efficace puisqu'il permet toutes les
combinaisons, mais il est aussi esthétiquement abouti par sa légèreté même, offrant
des images d'une grande beauté.
En un mot une vraie réussite où la splendeur d'un texte est servie par des acteurs
toujours justes et précis. ¶
Trina Mounier
Le Retour au désert, de Bernard‑Marie Koltès
Le texte est édité aux éditions de Minuit
Mise en scène : Arnaud Meunier
Avec : Catherine Hiegel, Didier Bezace, René Turquois, Nathalie Matter,
Cédric Veschambre, Élisabeth Doll, Isabelle Sadoyan, Kheireddine Lardjam,
Adama Diop, Riad Gahmi, Louis Bonnet, Stéphane Piveteau, Philippe Durand
Assistantes à la mise en scène : Elsa Imbert, Émilie Capliez
Scénographie : Damien Caille‑Perret
Lumière : Nicolas Marie
Son : Benjamin Jaussaud
Vidéo : Pierre Nouvel
Costumes : Anne Autran
Élève dramaturge : Vivien Hébert
Régie générale : Philippe Lambert
Décors et costumes : Ateliers de La Comédie de Saint-Étienne
Photo : © Sonia Barcet
La
Comédie
de
Saint-Étienne
• 42048 Saint‑Étienne cedex 1
•
7,
avenue
Émile-Loubet
www.lacomedie.fr
Billetterie : +33 (0) 4 77 25 14 14
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Du 1er au 11 octobre 2015 à 20 heures
Durée : 2 h 15
Production : La Comédie de Saint-Étienne-C.D.N.
Coproduction : Les Célestins à Lyon, Théâtre de la Ville à Paris, Scène nationale
d'Albi, Théâtre national populaire
Tarifs de 9 € à 36 €
Tournée 2015-2016
La Filature à Mulhouse : 16 et 17 octobre 2015
Scène nationale d'Albi : 4 novembre 2015
Le Grand R à La Roche-sur-Yon : 9 et 10 novembre 2015
Théâtre Jean-Vilar de Vitry-sur-Seine : vendredi 13 novembre 2015
N.E.S.T.-C.D.N. de Thionville-Lorraine : 18 et 19 novembre 2015
Théâtre de l'Union à Limoges : 24 et 25 novembre 2015
La Faïencerie à Creil : 2 et 3 décembre 2015
Théâtre Dijon-Bourgogne-C.D.N. : 8 au 12 décembre 2015
Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines : 15 et 16 décembre 2015
Le Quartz à Brest : du 6 au 8 janvier 2016
La Coursive à La Rochelle : du 12 au 14 janvier 2016
Théâtre de la Ville à Paris : du 20 au 31 janvier 2016
Les Célestins à Lyon, en collaboration avec le T.N.P. : du 3 au 11 février 2016
Comédie de Caen : 24 et 25 février 2016
Les Scènes du Jura : 29 février 2016
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