DENIS DE ROUGEMONT, AUJOURD`HUI L`UNITÉ, LA DIVERSITÉ

Transcription

DENIS DE ROUGEMONT, AUJOURD`HUI L`UNITÉ, LA DIVERSITÉ
DENIS DE ROUGEMONT, AUJOURD’HUI
Manifestations neuchâteloises mises en place à l’occasion du
Centième anniversaire de la naissance de Denis de Rougemont
CH – COUVET, les 8 et 9 septembre 2006
L’UNITÉ, LA DIVERSITÉ ET LE PACTE
Conférence introductive
de
Jacques-André Tschoumy
Co-organisateur
Maison de l’Europe transjurassienne
[email protected]
www.maisondeleurope.ch
www.europe-tomorrow.org
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RESUMÉ
Denis de Rougemont est né à Couvet, en Suisse, le 8 septembre 1906. Sous le titre Denis de
Rougemont, aujourd’hui, à l’occasion du Centième anniversaire de sa naissance, les 8 et 9
septembre 2006, trois Organisations citoyennes, neuchâteloises et franc-comtoises, en
partenariat avec plusieurs autres, ont mis en place un ensemble de manifestations, au lieu
même de sa naissance, à l’intention de publics locaux.
Parallèlement, un colloque international a analysé l’actualité de la pensée fédéraliste de
Denis de Rougemont en regard de la crise européenne d’aujourd’hui. Formalisée au XXe
siècle, la pensée de Denis de Rougemont est-elle de nature à inspirer des sorties de crise à
l’Europe d’aujourd’hui ? Des experts européens et suisses analysent ce lien possible. La
publication des Actes du Colloque est annoncée aux Editions L’Age d’Homme, Lausanne, en
fin d’année 2006, ainsi que sur les sites www.maisondeleurope.ch et www.arvt.ch.
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L’UNITÉ, LA DIVERSITÉ ET LE PACTE
Jacques-André Tschoumy
Denis de Rougemont est né il y a cent ans, jour pour jour, le 8 septembre 1906, ici, en Suisse,
dans le canton de Neuchâtel, à Couvet. Certes, son image est véhiculée sur la place publique ; une
ligne de bus neuchâteloise, qui mène à une rue Denis de Rougemont, porte nom de Denis de
Rougemont ; il y a un lycée Denis de Rougemont, implanté à la fois, ici, au Val-de-Travers, et en
ville de Neuchâtel.
Mais son image est-elle encore d’actualité ? Des problèmes du début du XXIe siècle peuvent -ils
trouver des pistes de résolution dans une pensée du siècle dernier ?
ACTUALITÉ COMTOISE ET NEUCHÂTELOISE
Dès le moment où quelques-uns d’entre nous, simultanément à Besançon et à Neuchâtel, avons
imaginé rendre hommage à l’homme, le jour du Centenaire de sa naissance, dès cet instant, une
évidence s’est imposée à notre esprit : une virgule allait séparer Denis de Rougemont et
aujourd’hui, soit l’homme, sa pensée, certes, mais confrontés aux exigences de notre temps, en
2006, à l’Europe et à ses contraintes démocratiques, si douloureuses en France et aux Pays-Bas.
C’est l’actualité de la pensée de Denis de Rougemont qui sera le fil conducteur, l’idée directrice
des diverses manifestations neuchâteloises de septembre 2006. Les Journées de Couvet ne sont
donc pas de simples commémorations de cet éveilleur de conscience que fut Denis de
Rougemont. Elles sont une contribution à l’actualisation de la pensée fédéraliste, au regard d’une
Europe en panne d’aujourd’hui. Il y a lieu de s’interroger en de tels termes.
D’un côté, nous l’avons vivement ressenti par les divers contacts pris à cette occasion, Denis de
Rougemont est une référence vivante pour des centaines d’acteurs de la vie publique, à Bruxelles,
en Europe, en France voisine, en Suisse, à Neuchâtel. A ce titre, est saluée aujourd’hui la
présence des autorités politiques fédérales, cantonales, franc-comtoises et locales. Européiste,
esprit libre et en avance sur son époque, moraliste, sans permis de conduire, un peu machiste, très
autoritaire, à l’écriture nocturne surtout, pensée enracinée dans une tradition helvétique et
protestante, l’homme au combat solitaire que fut Denis de Rougemont souhaitait non pas faire
l’Europe, mais indiquer les diverses facettes de sa construction. Le plaisir de l’écrivain, écrivaitil, consiste à dire le vrai en temps et hors du temps, dans le secret espoir d’être saisi par
quelques-uns1.
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Les citations sont empruntées à :
– Ecrits sur l’Europe, Œuvres complètes de Denis de Rougemont, édition établie et présentée par Christophe
Calame, Ed. de la Différence, 1994
– Entretien de Denis de Rougemont avec la TV tessinoise, le 6 septembre 1985, trois mois avant sa mort,
document au format DVD, 45 min., disponible au Département audiovisuel (DAV), Bibliothèque de la Ville
de La Chaux-de-Fonds
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Mais l’image du grand homme s’estompe. Les jeunes connaissent peut-être son nom, mais en
connaissent-ils la pensée ? Le doute est permis, même auprès de lycéens du Lycée Denis de
Rougemont.
Voilà pourquoi nous saluons l’effort de contribution de nos partenaires, le Lycée Denis de
Rougemont, à Neuchâtel, direction, professeurs et lycéens, ainsi que la troupe théâtrale des
Mascarons, de Môtiers, afin d’actualiser la pensée et l’action de Denis de Rougemont. Que
signifie être un intellectuel, selon Denis de Rougemont, et selon de jeunes lycéens de notre
époque ? Perverti , le terme d’intellectuel ne mérite-t-il pas d’être réfléchi à la lumière de la
pensée de Denis de Rougemont ? L’esprit rebelle du Val-de-Travers ne trouve-t-il pas sa
légitimation dans le pamphlet de Denis de Rougemont à l’égard des méfaits de l’Instruction
publique ?
ACTUALITÉ SUISSE ET EUROPÉENNE
La pensée de Denis de Rougemont pour l’essentiel, s’est développée à Pouilly, et a irradié de la
Villa Moynier, à Genève. Mais cette écriture et sa diffusion ont leurs racines. Ces racines sontelles ici, à Couvet, à Neuchâtel, années d’enfance, puis d’adolescence ? Voilà un des axes
originaux des manifestations neuchâteloises, en complément des autres évocations organisées cet
automne 2006 à Genève, hier vendredi 8 septembre 2006, à l’initiative de la Fondation Denis de
Rougemont pour l’Europe, à Genève, en octobre, à l’initiative de la Fondation européenne pour
la culture et de la Fondation Bodmer, rive gauche, et à Neuchâtel encore, à l’Office fédéral de la
statistique, Espace culturel, qui abrite une exposition toute nouvelle de Denis de Rougemont, et
intitulée : L’avenir est notre affaire.
LA PENSÉE FÉDÉRALISTE DE DENIS DE ROUGEMONT EST-ELLE
DE NATURE À RÉPONDRE À LA CRISE EUROPÉENNE D’AUJOURD’HUI ?
La pensée fédéraliste de Denis de Rougemont est tout entière attachée à l’histoire européenne de
la seconde moitié du XXe siècle. Né à Couvet en 1906, décédé le 6 décembre 1985 à Ferney, son
projet d’Europe s’est diffusé immédiatement après la fin de la deuxième guerre mondiale. Le 29
mai 2004, la France, puis les Pays-Bas, ont refusé par vote populaire leur adhésion au Traité
constitutionnel européen. L’Europe est en panne, on essaie de trouver une issue de crise, la
présidence allemande du premier semestre 2007 s’en est donné l’objectif. Le modèle européen du
XXe siècle ne convient plus en ce début du XXIe siècle.
Mais quel modèle ?
Trois mois avant sa mort, à la faveur d’une courte interruption de sa maladie, mais avec une
lucidité que vous êtes invités à découvrir, ici à Couvet, au 1er étage de l’Hôtel Central, Denis de
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Rougemont accordait à la TV tessinoise un regard d’ensemble sur sa pensée, dont il ressort ce qui
suit, bouclant, selon ses termes, l’ensemble de son œuvre :
• Le projet Europe est un projet pour l’homme d’abord, et non pour l’individu.
Le discours personnaliste traverse toute son œuvre et forme le socle de son projet d’Europe. Je
n’ai jamais démordu de cela, ajoute-t-il, depuis le temps des années 1930, où, avec Kierkegaard,
Heidegger, il fonde un mouvement de pensée à caractère personnaliste. L’homme est le but de la
société, et non l’inverse, prétend-il, prenant en exemple l’oubli des finalités des savants
atomistes. L’homme, la personne ont-ils été présents dans les modèles européens du XXe siècle ?
De Bruxelles, Bruno Boissière nous en dira son avis
• Personne libre, responsable, et engagée, ajoute-t-il. Ce ferment d’engagement dans la
société acquis ici, à Couvet, dans les années 1910, puis à Areuse et à Neuchâtel, dans les années
1920, dans cette maison de passage qu’était le presbytère, puis la cure protestante de son père,
pasteur d’Eglise libre, est le sens profond du terme amour qu’il développe dans L’Amour et
l’Occident . Non l’amour passion, souffert, au sens premier du mot, subit, romantique, sexuel,
passif, mais l’amour constructif, actif, engagé, soit-il au prix de quinze jours de forteresse, sans
visite, ni courrier, puis d’un exil aux USA, avec passeport diplomatique. Denis de Rougemont
avait produit un autre appel du 18 juin 1940, l’article paru en première page de la Gazette de
Lausanne de l’époque, fondant la Ligue du Gothard, et s’opposant à l’occupation de Paris par
l’Allemagne nazie. Son engagement était devenu résistance. L’engagement du citoyen et de la
personne a-t-il été mobilisé dans la construction de l’Europe du XXe siècle ? De Paris, JeanPierre Gouzy nous en dira son appréciation
• Ni gauche, ni droite, mais en avant, en devançant les problèmes. Tout au contraire,
l’Europe du XXe siècle n’est –elle pas produit du pragmatisme plus que d’une vision ?
• Engagement fédéraliste européen. Le jour de ses 40 ans, il y a donc 60 ans aujourd’hui,
Denis de Rougemont fut invité à rentrer des USA pour tenir une conférence aux toutes nouvelles
Rencontres de Genève. Ce jour-là, fort de ses entretiens avec St.Exupéry, St.John Perse, Max
Ernst, il prit l’avion pour la première fois de sa vie pour parler des maladies de l’Europe. S’il
rentrait en Europe, c’est avec une conviction forte : seul un fédéralisme européen serait de nature
à lutter contre ces maladies de l’Europe. A ce titre, il fut opposé à la vision de l’Europe de Jean
Monnet, dont la construction était basée sur le développement économique. Claude Haegi ne
manquera pas d’évoquer cette idée forte
L’Europe du XXe siècle fut donc, en un premier temps, celle des Etats-nations, fondée par
délégation sur l’économie d’abord, et sur un modèle centralisé, et non sur le modèle d’Europe
fédérale de Denis de Rougemont. Cette Europe-là a-t-elle répondu à l’attente des citoyens, des
personnes et des Régions ? Claude Haegi en parlera sans doute
Le fédéralisme européen ne peut se conjuguer dans une alternance qui sacrerait la loi d’un seul
parti qui aurait fait triompher sa loi. Au contraire, le fédéralisme européen devra concilier des
réalités diverses qu’il sera obligé de respecter en divers compromis, puisque le refus de
l’uniformité au sein de l’union est l’essence même du régime. « Dans une fédération, les partis
ne seront donc pas des partis pris, mais des parties constituantes ». L’alternance politique
française relève de la mort du roi, symbole du pouvoir. Nos invités français nous diront sans
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doute comment une telle culture politique, exceptionnelle en Europe, s’adaptera aux exigences
d’une Europe fédérale
• Fédéralisme suisse. La vision de fédéralisme suisse allie deux principes égaux en
importance, l’union et l’autonomie. Une union qui ne respecterait pas l’autonomie des parties
constituantes n’aurait pas lieu d’être appelée fédération. Ce serait simplement une union. La
Confédération suisse est le type même d’une authentique fédération, encore que son
fonctionnement interne doive être rénové. Gilles Petitpierre, ancien parlementaire fédéral, fut
l’initiant de telles démarches. Il vous en parlera tout à l’heure
• Régions vivantes. Le programme de Denis de Rougemont se conjugue essentiellement sur
de petites communautés vivantes, non fermées, communicantes, et rassemblant des personnes
d’abord. Pour « vivre ensemble « . L’Europe devra fédérer des régions vivantes, mobiles, dans un
cadre où l’homme soit un homme, et non une « bête à gagner ». Dans un cadre qui fédère au-delà
des nationalismes, dans un cadre « en tension », ainsi qu’il le disait souvent, soit un cadre de
nature à créer les meilleurs équilibres entre les individualités et leur participation à un projet
communautaire, deux exigences bien moins contradictoires que complémentaires. Yves Lagier,
président de l’UEF fondée par Denis de Rougemont à Montreux, en 1947 déjà, nous en parlera
sans doute avec tous ses partenaires comtois que nous saluons aujourd’hui
• Une Constitution. De plus, ce fédéralisme européen nouveau s’ancrera à une Constitution
fédérale de l’Europe, « afin que l’Europe recouvre, ajoutait-il, une souveraineté qui échappe de
toute manière à ses nations. Le fédéralisme européen concentrera tout son effort sur cet objectif
décisif. L’unité, la diversité et le pacte, telles sont les trois articulations du fédéralisme »,
rappellera sans doute Claude Haegi. Plusieurs de nos invités s’exprimeront sans doute sur cette
nécessité d’un acte politique, fondateur et fédéraliste qu’est la mise en discussion et la
ratification d’un Traité politique commun, et donc d’une relance du processus constitutionnel en
Europe
• Une Europe culturelle. Enfin, en septembre 1985 déjà, avant la chute du Mur, Denis de
Rougemont affirmait à la TV tessinoise la nécessité de l’élargissement à l’Est, prenant à témoin
la volonté explicite des pays d’Europe centrale et orientale à adhérer au projet Europe. Cette
vision reposait sur un message final, trois mois avant sa mort, de mettre en place une Fédération
européenne culturelle, qui mette fin aux folies des projets dévastateurs en Europe. « Je voudrais,
disait-il, trois mois avant sa mort du 6 décembre 1985, mettre sur pied un grand programme de
culture pour l’Europe, d’une culture au service de la construction fédérale de l’Europe ». Le
temps ne lui a pas permis de conduire ce projet à son terme. Nous nous réjouissons d’entendre M.
Bronislaw Geremek sur ce thème
• Une Europe en devenir constant. Enfin, la pensée fédéraliste de Denis de Rougemont
est-elle connue des jeunes aujourd’hui ? Ou est-elle trop connotée 1906, soit du XXe siècle ? Ou
de 1946, date de son engagement européen à Genève et à Montreux, soit de l’immédiat aprèsguerre ? Quel bilan en tirez-vous, Jeunes de 2006 ? Bilan que nous souhaitons mettre en tension
avec l’Europe d’aujourd’hui, celle qui ne va pas, avec celle de demain, qui se profile. Un lycéen
du Lycée Denis de Rougemont, de Neuchâtel, Julien Perrochet, nous le dira tout à l’heure.
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L’EUROPE, AUJOURD’HUI
L’Europe existe, sa réussite, en 60 ans, est indéniable : elle s’est pacifiée, monétarisée,
démocratisée, universitarisée, régionalisée. Son marché intérieur monte en puissance.
Or, cette Europe-là, faite sans Denis de Rougemont, est malade aujourd’hui. L’Union européenne
est en crise de confiance depuis le 29 mai 2004. Résistances, peurs et freins s’accumulent. Il est
devenu de bon ton de gloser sur l’Europe, sur le trop d’Europe, l’absence d’Europe, cette «
Europe-là ». L’Europe est perçue simultanément partout, nulle part, et surtout toujours ailleurs. A
l’évidence, le discours d’aujourd’hui est à l’euroscepticisme. Il est de plus omniprésent dans tous
les Etats, dans les pays fondateurs particulièrement, à l’exception très remarquée des nouveaux
Etats d’Europe, centrale et orientale, dont l’espoir en plus d’Europe est impressionnant. De plus,
ce débat n’est plus du seul discours de formations politiques souverainistes, mais atteindrait
toutes les couches sociales, économiques et culturelles. Certes, nombreux sont les clichés, fondés
sur la méconnaissance, ou la peur du changement, mais ces critiques témoignent d’un état
d’esprit dont il faudra bien tenir compte dans la construction d’une Europe citoyenne. Et il serait
maladroit de faire l’impasse d’une juste mesure de retenues souvent fondées.
L’euroscepticisme contamine :
•
Le citoyen souverainiste dans la mise en cause de son rapport à l’Etat : technocratie
bruxelloise, perte du poids national face à Bruxelles, déficit démocratique, Europe des
marchands, Constitution en panne
•
L’individu dans la défense de ses intérêts corporatistes : on défend ses acquis professionnels,
on craint le dumping salarial et les travailleurs venus de l’Est, on combat ce qu’on appelle une
concurrence déloyale, on défend une position toujours sectorielle. L’Europe pousse, l’usager,
le consommateur et le professionnel freinent
• La personne dans ses repères culturels : la juste échelle étant la planète, la mondialisation
ou le repli local sont pour certains les seules issues de crise à ce qu’on appelle la mondialisation.
Le transit par l’Europe serait temps perdu. En ces circonstances, tout est faux: l’ouverture à la
Turquie, l’alternative européenne au bouclier atlantique, l’aide européenne au développement, la
survie des petits, etc. Big ou small is beautiful, pas de milieu, pas de voie médiane. Le caractère
absolu de ces représentations démontre combien la personne est bousculée dans ses cartes
mentales, dans ses images, dans ses repères, dans ses convictions, dans ses certitudes.
Voilà le tableau européen nouveau, celui issu des échecs successifs des référendums sur le Traité
constitutionnel européen de la France, puis des Pays-Bas. Ce paysage, Denis de Rougemont ne
l’a pas connu. Il est à l’évidence foncièrement différent de celui qu’il a trouvé en 1946, à son
retour des USA, à l’issue de la 2e guerre mondiale, à Genève , aux Rencontres Internationales
qu’il inaugurait, le 8 septembre aussi, lorsqu’à 40 ans il prononça sa Conférence sur le
fédéralisme européen.
Ces trois formes d’euroscepticisme occupent le devant de la scène européenne et interrogent
l’opinion. Pourquoi n’y a-t-il pas – ou plus ? – envie d’Europe ? Pourquoi ses adhérents sont-ils
appelés, et avec quelque mépris, « euroturbos » ? Comment en est-on arrivé à cette situation,
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alors que se construit, sous nos yeux, le plus formidable projet fédérateur et démocratique que
l’Europe ait jamais connu ?
Une analyse et une nécessaire prise en compte des images et des mentalités eurosceptiques
s’impose aujourd’hui, si le projet Europe souhaite progresser.
Y renoncer serait rétrograder.
L’EUROPE, DEMAIN
Une Europe après l’Europe, une autre Europe, est à construire désormais, plus citoyenne.
C’est une nécessité. La simple délégation de pouvoir aux dirigeants des Etats est inappropriée
aujourd’hui. Cette vieille culture consistant à élire des représentants, après quoi on est déçu et on
proteste, sclérose l’Europe, et l’enfonce. Il convient donc de redonner du sens à l’Europe et de
reconstituer le sens de l’Europe auprès des citoyens par un travail en profondeur.
•
Sur le champ politique, par la création de relais entre les citoyens et l’Etat , de même
qu’entre les Régions et l’Etat, un obligation de résultat sur le front de l’emploi, une
redéfinition d’objectifs simples et communs
•
Sur le champ citoyen, par la mise en place d’Assises européenne, nationales et régionales,
réunissant les sociétés politiques et les citoyens ; par la création d’un nouveau dialogue social
et économique avec les entreprises, le syndicats, les associations et territoires
•
Sur le champ de la formation, par la création d’Ateliers Europe, plates-formes de formation
à tous les niveaux d’âge, à l’école, hors de l’école, à l’entreprise, hors de l’entreprise, selon
des modèles performants bien rôdés, et en cours de développement
C’est ce programme de sorties de crise que la Maison de l’Europe transjurassienne, en
partenariat avec cinq autres Maisons de l’Europe de plusieurs capitales d’Europe, contribue à
mettre en débat, toute cette année 2006, à Luxembourg, Santarém au Portugal, Paris et St. Genis
en France, Varsovie dans quelques jours, et Saarbrücken.
Notre programme tient en quatre lignes de forces :
• Renforcer l’implication des citoyens dans le processus décisionnel européen
C’est l’idée participative de Denis de Rougemont. Le projet de Constitution incluait un chapitre
sur la démocratie participative. Une innovation saluée, incluant un droit de pétition attractif.
L’implication des citoyens dans le processus aurait remplacé le troc à huis clos, actuellement de
règle à Bruxelles.
A ce titre, nombreuses sont les initiatives à prendre : instauration de plates-formes de
dialogue et de relais entre les citoyens et l‘Etat, sociétés civiles reconnues interlocutrices et
disposant de moyens alloués par l’UE, obligation de résultat sur le front de l‘emploi
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• Inscrire les valeurs culturelles au processus de construction de l’Europe
Quelle est l’identité de l’Europe ? L’identité de l’Europe n’est pas donnée, elle se construit. Elle
se construit en puisant dans ses ressources, anciennes, mais futures surtout. De nombreuses
initiatives sont à prendre: généralisation des Ateliers Europe, création d’espaces publics de
formation à l’Europe, création d’espaces publics de communication européenne, opinion
publique alimentée par les médias, échanges obligatoires d’un semestre au moins dans un des
pays européens. Les valeurs culturelles sont des valeurs fondatrices de l’identité européenne.
Identité et culture européennes sont deux axes majeurs de la pensée fédérale de Denis de
Rougemont
• Relancer l’Union politique
L’axe Paris-Berlin date. Entre l’intergouvernemental et le supranational, la démocratie
représentative s’essouffle. Les institutions politiques ne sont pas efficaces. Une démocratie
plurinationale à double majorité est à inventer en une Fédération des Etats et des peuples, avec
une Présidence élue au suffrage universel, un doit de vote à majorité qualifiée, un développement
des coopérations renforcées et de l’opting out, un partage de compétences au sein de Régions qui
n’annulent pas les frontières, mais les dépassent, une logique de coopération liant les collectivités
locales, les régions frontalières, les Etats et l’Union. Le temps est venu de transformer l’Europe
diplomatique du XXe siècle en une Europe démocratique du XXIe siècle. Le fédéralisme de
Denis de Rougemont pourrait utilement inspirer les scénarios politiques futurs
• Doter l’Union d’un projet de développement solidaire
Les oppositions entre les champions du marché et ceux du social sont stériles. Les dépasser est
urgent. Une politique offensive de développement solidaire doit avoir la priorité absolue.
L’économie mixte de marché sera modèle européen en tant qu’enjeu de société. Les propositions
de Denis de Rougemont vers un développement équilibré montrent le direction
Voilà quatre lignes de force que nous mettons en débat aux quatre coins de l’Europe, et
dont vous trouverez le libellé sous www.europe-tomorrow.org.
Pourquoi faut-il une Constitution pour l’Europe ? Parce qu’une Communauté, confrontée à
des grands défis et en cours d’élargissement, a besoin de clarifier ses valeurs et ses objectifs. Il
faut donc en préserver ses avancées. Quant à la différence nationale, on ne peut, disait Denis de
Rougemont, se marier , en exigeant de rester célibataire. Les consultations nationales menées
pour le Traité constitutionnel ont montré qu’elles relèvent davantage de démarches populistes que
de principes démocratiques. Elles sont détournées de leur enjeu européen, et parasites : les
citoyens répondent en fonction de la confiance qu’ils ont ou n’ont pas envers ceux qui les
gouvernent. A l’avenir, seuls des référendums européens, communs et simultanés, peuvent être
légitimes, sur des enjeux d’intérêt commun.
Reste la Suisse, hors course de l’Europe formelle, malgré son statut reconnu de fédération
réussie, et en crise institutionnelle, elle aussi. Gilles Petitpierre, ancien parlementaire fédéral,
avait proposé des portes de sorties de crise qu’il actualisera tout à l’heure, en lien avec le thème
d’aujourd’hui. car, la Suisse n’est plus le peuple heureux dont parlait Denis de Rougemont, il est
complexe, et souvent déchiré.
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ACTUALITÉ DE LA PENSÉE DE DENIS DE ROUGEMONT
Vous avez constaté que nous avons délibérément focalisé le débat d’aujourd’hui sur un seul axe
de la pensée de Denis de Rougemont, l’axe politique, et encore fédéraliste, à l’exclusion de tous
les autres. Vous aurez constaté surtout que nous avons délibérément choisi d’actualiser sa pensée.
La pensée fédéraliste de Denis de Rougemont est-elle de nature à offrir des sorties de crise à
l’Europe ? Telle est la question posée en cette matinée, à Couvet, le jour de centième anniversaire
de la naissance.
Nous le croyons. La vision de l’Europe de Denis de Rougemont offre assurément les pistes
pour demain :
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La prise en compte du citoyen et de l’homme dans le processus européen est un chemin de
sortie de crise
Le pragmatisme européen doit céder, dans le processus européen, devant une vision à terme
de l’Europe à construire
Le temps d’une Europe fédérale est arrivé, selon le projet formulé en 1946 par Denis de
Rougemont
Cette crise du XXIe siècle est bien la crise de l’Etat-nation, dans lequel le citoyen ne place
plus sa confiance .
Les Régions sont des moteurs insuffisants
L’élargissement offre le cadre enfin retrouvé de l’Europe culturelle préconisée par Denis de
Rougemont.
Quant à vous, tous, amis de Denis de Rougemont, européens, suisses et français, familiers ou non
de son héritage, merci de nous avoir rejoints au Val-de-Travers.
Votre présence honore et notre action, et la pérennisation de la pensée d’un très grand
Neuchâtelois, d’un Européiste engagé, né ici même, en Suisse à Couvet, il y a cent ans.
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