François Maniquet, Prix Francqui 2010

Transcription

François Maniquet, Prix Francqui 2010
CONNEXION
PARCOURS D’ANCIEN
FRANÇOIS MANIQUET,
Prix Fancqui 2010
Économiste (option analyse) de la promotion 1988 aux FUNDP, et docteur (FUNDP)
depuis 1994, François Maniquet a reçu le Prix Francqui 2010 pour sa contribution
aux théories économiques de la justice sociale.
Lorsque vous étiez dans le
secondaire, étiez-vous un
premier de classe ?
Non, pas du tout. J’étais assez fort
en math. Et pour le reste, j’étais
vraiment moyen, parfois même faible dans certaines branches. Mais je
n’ai jamais doublé et ai pu continuer
mon parcours facilement.
Avez-vous un bon souvenir de
guindaille ou une anecdote
qui vous a particulièrement
marqué lors de votre vie
estudiantine à Namur ?
Wouaw ? ! Je conserve de bons
souvenirs de guindailles et un très
bon souvenir en général de Namur,
mais en particulier… Le premier
souvenir qui me vient en tête, c’est
celui de soirées qui se déroulaient,
place Saint-Aubain, au-dessus de
la Taverne Henry (devenue Brasserie François depuis). Lorsqu’il
était temps d’arrêter, les organisateurs lançaient des boules puantes.
C’était vraiment infect et tout le
monde partait en trois minutes ! Je
ne sais pas comment ils nettoyaient
ensuite, mais c’était radical pour
mettre fin à la soirée.
Quand et comment vous
est venu ce désir de
faire de la recherche,
de faire sortir le
meilleur de vousmême ?
Assez tard en fait : en 2e
licence 1. C’est à partir de
ce moment que la science
économique a commencé à
me plaire parce que j’y voyais
beaucoup de possibilités et de
choses intéressantes à comprendre. C’est aussi le moment où je me
suis rendu compte que j’avais peutêtre un certain talent pour réfléchir
par moi-même à ce genre de
questions. En outre, travailler avec
quelques-uns des professeurs que
j’avais à ce moment m’intéressait.
Est-ce que votre mémoire
était déjà en lien direct avec
votre préoccupation centrale
qui gravite autour de l’idée
que « toutes les inégalités
ne sont pas nécessairement
injustes » ?
Pas vraiment, même s’il concernait les théories de l’exploitation
(mémoire réalisé sous la direction du
professeur Jean-Philippe Platteau) et
si les questions de l’économie juste
étaient déjà là. Mais c’est vrai que
finalement ce sont ces questions qui
m’ont toujours véritablement intéressé. Je ne pourrais pas poursuivre
des recherches en économie dans
une autre thématique.
Qui était le promoteur de
votre doctorat et que vous a
t’il apporté ?
C’était le professeur Louis Gevers,
qui avait créé à Namur le Groupe
de Recherche en Économie du
Bien-Être (GREBE). Il m’a apporté
énormément ! En gros, il m’a appris
mon métier ! Être professeur et
chercheur professionnel, je n’avais
guère l’idée de ce que ce pouvait
être, et j’ai eu la chance d’avoir
Louis Gevers pour me l’apprendre.
Les discussions innombrables que
j’ai eues avec lui (nous dînions pratiquement tous les jours ensemble)
ont été essentielles. Nous parlions
à bâtons rompus de ce qu’a fait un
tel, de comment telle idée est apparue, etc. Et c’était évidemment un
chercheur remarquable. Les méthodes qu’il m’a enseignées m’ont été
très utiles (l’approche axiomatique
notamment).
aller au bout de l’exercice, il faut
mettre la théorie en œuvre. Cela
nécessite de faire l’économie empirique et d’appliquer, par exemple, à
la société belge, des théories de la
justice. Je ne suis pas capable de le
relever seul car je n’ai pas les bases
suffisantes en économie empirique,
mais je travaille avec des gens dont
c’est le métier, en particulier des
chercheurs de la K.U.Leuven.
Le deuxième défi, c’est que, pour
continuer à se développer, la théorie
doit s’enrichir d’autres approches
et d’autres méthodes que celles
que j’ai privilégiées jusqu’à présent.
Je retourne donc sur les bancs de
l’école… Parce que, c’est bien d’être
spécialiste dans son domaine, mais
si vous êtes le seul à comprendre ce
que vous faites, cela n’a plus aucun
impact sur la profession. Pour éviter ce danger, il faut que la théorie
prolifère, touche d’autres branches
de l’économie et soit à l’origine de
la création d’une large communauté
scientifique.
L’économiste donne à l’idée du philosophe
un contenu concret, et identifie les outils qui
permettent d’évaluer des politiques sociales
à partir de cette philosophie. Au risque de
ne pas pouvoir tenir compte de toute la
richesse de l’idée initiale du philosophe…
Obtenir une distinction
comme le Prix Francqui,
c’est déjà une forme de
couronnement. Quel
est le défi suivant que
vous comptez relever ?
J’aimerais relever deux
défis scientifiques. J’ai
fait de l’économie théorique jusqu’à présent et
j’arrive à un point où, pour
Pourriez-vous nous dire
pourquoi les économistes
et les philosophes gagnent
certainement à se fréquenter
davantage ?
Parce que chacun des deux groupes
a besoin d’éléments de réflexion
fournis par l’autre pour avancer. Les
économistes travaillent de manière
formalisée : ils ramènent le monde à
quelques grandeurs et variables, ce
que les philosophes ne font pas. Je
me souviens d’un philosophe, qui,
sous forme d’une boutade, disait que
sa discipline est celle qui ne résout
jamais aucun problème. Et c’est vrai,
parce qu’à partir du moment où leur
modèle c’est le monde, ils doivent
parler de tout. Évidemment, ils n’ont
jamais fini ! Alors que les économistes, grâce à leurs modèles, solutionnent certains problèmes. Mais
le problème résolu par les économistes est toujours « trop
petit » ! (rires). Les solutions
des économistes sont donc toujours
incomplètes ou contestables, et les
philosophes soulèvent continuellement de nouvelles questions.
Ainsi, les idées naissent souvent
chez les philosophes mais ils ne
disposent pas nécessairement des
données et des éléments objectifs
qui permettent d’asseoir leurs intuitions. Par exemple, l’idée que toutes
les inégalités ne sont pas injustes
vient des philosophes. Par contre,
donner à cette idée un contenu
concret, et identifier les outils qui
permettent d’évaluer des politiques
sociales à partir de cette philosophie, c’est ce que les économistes
font. Au risque de ne pas pouvoir
tenir compte de toute la richesse de
l’idée initiale du philosophe…
Qu’est-ce que le contact avec
les jeunes chercheurs vous
apporte au quotidien ?
Il y a deux types de jeunes chercheurs qui passent au Center for
Operations Research and Econometrics (CORE – UCL) : les doctorants et les post-doctorants. Les
doctorants, il faut les former - et
j’avoue qu’en tant qu’enseignant,
c’est la partie de mon métier que
je préfère. C’est tout ce que j’ai
appris de plus fondamental que je
peux alors enseigner. De plus, un(e)
doctorant(e) est, en partie, un(e)
« fils(fille) intellectuel(lle) ». Actuellement, deux anciens doctorants qui
sont à l’étranger appliquent ce que
j’ai contribué à développer.
Quant aux « post-doc », travailler
avec eux, c’est le confort, car ils
proviennent d’excellentes universités, ils abattent un travail considérable, marquent beaucoup de points
en terme de recherche et publient.
Mais c’est aussi très stimulant, car
ils sont contents de travailler avec
des « seniors » et viennent plusieurs
fois par semaine pour vous demander si vous avez avancé sur tel ou
tel point…
Est-ce que l’exercice de votre
talent d’acteur a servi votre
recherche ?
Indirectement oui, parce que mon
équilibre est de faire les deux :
recherche et cinéma. Directement
non bien sûr, puisque je ne me
consacre pas à un domaine tel que
l’économie culturelle par exemple.
Mais je m’amuse beaucoup à comparer les deux secteurs. Et en fait, le
monde de la recherche scientifique
et le monde du théâtre et du cinéma
se ressemblent pas mal…
Propos recueillis par
Charles Angelroth
1
Soit la quatrième année d’étude, qui
correspond à l’actuelle première année de
maîtrise.
10
MAGAZINE DE L’UNIVERSITÉ DE NAMUR