Faire esthétiquement une histoire du cinéma

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Faire esthétiquement une histoire du cinéma
Séminaire doctoral commun Paris 1 / Paris 4
DÉCRIRE, ANALYSER, COMPARER, INTERPRÉTER : LES
PROCESSUS D’INVESTIGATION DE L’HISTORIEN DE
L’ART EN QUESTION
Séance 6 / La comparaison (I)
Maroussia DUBREUIL, Faire esthétiquement une histoire du cinéma.
Henri Langlois, fondateur en 1936 d’une institution inédite et spécifique – un Musée pour le
cinéma, la Cinémathèque française, fut un programmateur de talent. En rapprochant des films
au sein d’une séance, d’un cycle ou d’une rétrospective, il établit une méthode artistique qui
contribua à l’élaboration de l’histoire du cinéma. Sa programmation comme le grand montage
général du cinéma inscrivit son geste dans la perspective d’une histoire prouvée des styles.
En m’appuyant sur des exemples précis, je souhaiterais interroger cette méthode telle qu’elle
organise des rencontres stylistiques ou thématiques de hasard. On peut la définir par la note de
Robert Bresson sur le montage comme « l’art de rapprocher des choses qui ne sont pas
destinées à l’être. » Car Langlois portait le projet d’une histoire qui ne suivrait pas les
cristallisations maintenues dans un dispositif chronologique ou d’inventaire. Sa
programmation favorisait, sinon forçait, l’émergence inattendue de liens. Elle relevait de
l’association d’idées selon des principes qui rappellent l’écriture automatique surréaliste. Les
films se répondaient selon les lois d’une « hétérologie » cinéphilique pour reprendre le
néologisme de Georges Bataille pour définir une science des écarts dépendants.
Langlois s’est toujours arrêté au seuil de la théorie, pourtant la programmation a été pour lui
une véritable écriture, proche du Degré zéro de l’écriture dont parle Barthes, une écriture
indicative. Il ne justifiait jamais ses rapprochements, il ne révélait jamais la proximité des
films qu’il accrochait aux cimaises de l’écran. Idéalement le spectateur était invité à percevoir
une visée heuristique dans la programmation, brutaliser ainsi les films, enflammer leur
signification, autant de parti pris d’Henri Langlois.
On peut dire que, dès les années trente, il est déjà le Godard des Histoire(s) du cinéma,
construites sur le principe des films qui se croisent, défiant souvent les règles de la logique,
mais prouvant une grande ingéniosité dans l’élaboration historique. Grâce à la vidéo, Godard
et plus tard Georges Didi-Huberman compareront les films simultanément, et non plus tour à
tour comme le faisait Langlois. À partir de ce constat, plusieurs questions peuvent être posées
: Qu’est ce qui a inspiré la méthode Langlois ? De quelle manière a-t-elle été utilisée par les
historiens du cinéma comme Sadoul ? Quelles en sont les limites : une programmation au
service d’une œuvre personnelle ?
Ce projet de communication est issu de mes recherches doctorales en cours, « Langlois,
programmateur (1936-1977) », et de mon travail au commissariat de l’exposition « Langlois
et les Arts » qui célébrera, en 2014, à la Cinémathèque française, son centenaire.