Claude Gros de Boze

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Claude Gros de Boze
Claude Gros de Boze
M
Estampe gravée par N. Dupuis, Coste13993
(Bibliothèque municipale de Lyon)
embre de l’Académie française, Gros de Boze,
historien antiquaire
lyonnais de renom1,
figure aujourd’hui
parmi les auteurs
oubliés. La postérité
est parfois cruelle
avec les immortels.
Né à Lyon (28 janvier
1680), Claude Gros
de Boze n’a été baptisé que le 12 novembre 1687. En effet,
le nouveau-né était
ondoyé à cause de
son état de santé critique2. La mortalité
infantile était importante sous l’Ancien
Régime.
Document inédit, conservé aux Archives municipales de
Lyon (paroisse de Sainte-Croix, cote 1GG402, folio 20-21),
l’acte de baptême de Claude Gros de Boze contient des
informations concernant sa filiation ainsi que sa famille :
Claude fils de Mons.[eigneur] Jacques Gros, notaire royal
citoyen de Lyon et de dam[ois]elle Marie de Boze, né le vin[g]t
huitième janvier mil six cent quatre-vin[g]t, et ondoyé le lendemain par Mons.[ieur] Roche vicaire en cette église suivant le
certificat qu’il en a donné, a été baptisé ce jourd’hui [sic]
douzième novembre mil six cent quatre-vin[g]t et sept. Son
parrain a été Claude de Boze écuyer conseiller du Roy receveur-g[énér]al de la Chambre des Comtes de Normandie,
oncle dudit enfant et marraine dam[oise]lle Daumerge, née de
noble // François de Boze docteur en médecine à Lyon, tante dudit enfant, fait par moy vicaire en l’église paroissiale S[ain]teCroix de Lyon, en présence de Messire Jean-Claude de Boze3,
bachelier en théologie, curé prieur de Saint-Étienne de S[ain]tGeoirs4 en Dauphiné, et Thomas de Boze, recteur et adminisrateur de l’Aumosne G[éné]ralle de Lyon, François Despezet,
écuyer seig[neu]r de S[ain]t-Cierge-[la-Serre]5, capitaine au régiment de S[ain]t-Sylvestre, tous oncles et cousins germain dudit enfant et s[ieu]r Jean-Claude Dru, citoyen dudit Lyon aussi,
soussigné avec ledit Gros père, Claude son fils et autres. Ainsy
signé Claude Gros, Antoinette Daumerge, de Boze, Saint-Cierge[la-Serre], de Boze, Marie de Boze, de Boze et Dru, Gros et
A. Mauteuille vic.[aire] susdit.
Claude Gros de Boze porte à la fois le patronyme de son
père, Jacques Gros et celui de son oncle maternel, François
de Boze, « Trésorier de France, [qui] lui fit prendre son nom
en lui destinant dès lors sa charge et tous ses biens, dont il l’a
depuis nommé l’unique héritier par son testament »6. Gros
1 - Voir P.-A. Barral, Dictionnaire historique, littéraire et critique, contenant une idée
abrégée de la vie et des ouvrages des hommes illustres, sans lieu, 1759, art. « Boze
(Claude Gros) » ; J.-F. Dreux du Radier, L’Europe illustre, Paris, Le Breton, 1757, t. IV,
p. [378-380], art. « Gros de Boze » (une estampe et une notice de deux pages) ; Liste
générale et alphabétique des portraits gravés des Français et Françaises illustres
jusqu’en l’année 1775, Paris, De Bure, 1809, art. : « Boze (Claude Gros de) » ;
M. Audin, Bibliographie iconologique du Lyonnais, Lyon, A. Rey, 1909, art. « Gros de
Boze ».
2 - Voir Le Dictionnaire universel d’Antoine Furetière, Paris, SNL-Le Robert, 1978, art.
« Ondoyer » : « Jeter de l’eau sur la tête d’un enfant au nom du Père, du Fils et du
Saint-Esprit, en attendant les cérémonies du baptême » ; Dictionnaire de théologie
catholique, sous la dir. d’A. Vacant et al., Paris, Letouzey, 1931, t. XI, col. 998.
3 - Voir L. Morel de Voleine, « Familles de Lyon », Revue du Lyonnais, 1887, série
5, n° 4, p. 452 : « On trouve aussi J.-C. de Boze, prêtre en 1686 ».
4 - Voir Jean-Claude Bouvier, Noms de lieux du Dauphiné, Paris, Bonneton, 2002,
p. 98.
5 - Voir Pierre Charrié, Dictionnaire topographique du Département de l’Ardèche,
Paris, Librairie Guénégaud, 1979, art. « Saint-Cierge-la-Serre ».
6 - J.-P. de Bougainville, « Éloge de M. de Boze », Éloges des académiciens de
l’Académie des Belles-Lettres, Paris, Imp. Royale, 1759, p. 101.
de Boze avait un frère, Jean Gros de Saint-Joire et une sœur,
Anne Gros épouse de César-Pierre de Teissier ; ils résidaient
à Lyon.
Claude Gros de Boze
avait fait ses humanités à Lyon au Collège de la Trinité. Il fut
un élève précoce et
doué car il avait soutenu ses thèses de
philosophie à l’âge
de quinze ans. Ce fut
un événement marquant7. Le jeune lyonnais achèvera ses
études tambour battant à l’Université de
Paris avec l’obtention d’une licence en
droit. Il débute ensuite, à l’âge de dixhuit ans (1698), sa
Estampe gravée par A. Bouys, Coste 13394
carrière d’avocat.
(Bibliothèque municipale de Lyon)
Mais Gros de Boze
n’avait pas abandonné
pour autant ses travaux historiques. Il possédait « un jugement
solide et des idées nettes, il avait l’imagination vive, l’expression facile »8. Après avoir excellé en philosophie, le jeune
lyonnais s’était illustré dans l’art oratoire. Aussi, il avait
prononcé en 1699 une harangue solennelle en présence des
échevins de Lyon9. « Son discours a des beautés ; et les
défauts en appartiennent plus à l’âge de l’orateur qu’à son
esprit. Ils sont de l’espèce de ceux dans lesquels on tombe
presque toujours à dix-neuf ans, quand on doit bien écrire
à trente »10.
Claude Gros de Boze était un « fanatique au travail »11 dans
toutes ses activités académiques ou éditoriales : Bibliothèque
du Roi, Académie des Inscriptions, Librairie, Journal des
savants, etc. L’académicien lyonnais s’intéressait aussi aux
médailles, beaux-arts, inscriptions, histoire ancienne, sans
oublier la bibliophilie. Cependant, « l’étude de la numismatique eut toutes ses préférences ; en 1704, il [Gros de Boze]
publia trois dissertations sur les médailles de Janus et sur le
fameux taurobole découvert à Lyon, Fourvière, dans le jardin
de M. Bourgeat »12. Par ailleurs, Gros de Boze avait collaboré
à un ouvrage collectif, intitulé les Médailles sur les principaux
événements du règne de Louis le Grand (Imp. Royale, 1702).
7 - Voir ibid., p. 101 : « La réputation qu’il [Gros de Boze] a laissée [Collège de la
Trinité] rend inutile un détail que l’étendue de notre sujet nous interdit ».
8 - Ibid., p. 102.
9 - Voir les Nouvelles de la République des Lettres, février 1705, p. 223 : « On sait
qu’à 19 ans, il [Gros de Boze] fit à Lyon publiquement au mois de décembre 1700
[date erronée], ce qu’on appelle une harangue consulaire. En 1702, il publia un traité
historique sur le jubilé des juifs, qui fut applaudi ».
10 - J.-P. de Bougainville, « Éloge de M. de Boze », Éloges des académiciens de
l’Académie des Belles-Lettres, op. cit., p. 102-103.
11 - Simone Balayé, La Bibliothèque Nationale des origines à 1800, Genève, Droz,
1988, p. 165.
12 - L. Niepce, « Les chambres des merveilles ou cabinets d’antiquités à Lyon
depuis la Renaissance », Revue Lyonnaise, 1883, n° 5, p. 84. Ces études ont été
publiées en 1705 : Dissertation sur le culte que les Anciens ont rendu à la déesse
de la santé. On y a joint les médailles et quelques autres monuments antiques qui
ont rapport à cette matière ; Dissertation sur le Janus des Anciens et sur quelques
médailles qui y ont rapport ; Explication d’une inscription antique trouvée depuis
peu à Lyon. Publiés en 1705 chez Pierre Cot « imprimeur-libraire ordinaire de l’Académie Royale des Inscriptions et Médailles », ces livres sont recensés dans le
Journal des savants, les Mémoires de Trévoux et les Nouvelles de la République
des Lettres. Voir P. Conlon, Prélude au siècle des Lumières, Genève, Droz, 1972,
t. III, p. 409.
Registres paroissiaux et d’état civil, 1GG402, folio 20.
(Archives municipales de Lyon)
Il est rédigé par une pléiade de savants philologues :
E. Renaudot, N. Boileau-Despréaux, A. Dacier, J. de Tourreil,
J. Racine, abbé J.-P. Bignon, F. Charpentier, abbé P. Tallemant, É. Pavillon. L’association de Gros de Boze, « l’ingénieux
antiquaire »13, à ce prestigieux projet en dit long sur la qualité
de ses compétences en matière de médailles. Gros de Boze
fut aussi l’auteur, la même année, d’un Traité historique du
jubilé des juifs. Les premiers travaux de Claude Gros de
Boze, remarqués par les savants français et européens, lui
avaient valu une fulgurante ascension au sein de l’Académie
des Inscriptions et Belles-Lettres. Nommé élève en 1704, le
jeune lyonnais deviendra pensionnaire l’année suivante, puis
Secrétaire perpétuel en 1706. Gros de Boze occupera cette
fonction pendant plusieurs décennies jusqu’à 1742. « Les
liaisons de M. de Boze, et quelques ouvrages ingénieux
composés sur des médailles ou sur d’autres monuments,
l’annoncèrent à l’Académie des Belles-Lettres, qui venaient
de recevoir une forme nouvelle et d’étendre le ressort de ses
travaux »14. La même année (1706), le jeune académicien
succède à l’abbé Tallemant, il devient intendant des Devises
et Inscriptions des édifices royaux.
En outre, Gros de Boze avait prononcé en 1708 l’éloge de
Dom Jean Mabillon († 27 décembre 1707), un discours publié
quelques mois plus tard : « Cet éloge n’aurait dû être
imprimé qu’avec les mémoires de l’année 1708 ; mais on
l’a demandé de tant d’endroits, que l’Académie a cru ne
pouvoir se dispenser de répondre à l’empressement du
public », note le libraire Pierre Cot dans son Avertissement
au discours de Gros de Boze15. Ce fut également le cas pour
l’éloge du P. La Chaize († 20 janvier 1709), confesseur de
Louis XIV, prononcé à l’Académie des Inscriptions, le 9 avril
1709. Si l’énumération des fonctions de Gros de Boze,
pensionné par Louis XIV16, est fastidieuse, celle de censeur
royal17, à partir du 29 juillet 1709, figure parmi les plus
importantes. Neuf ans après son admission à l’Académie
des Inscriptions, Gros de Boze est élu à l’Académie française,
le 28 février 1715. Il succède à l’âge de trente-cinq ans à
Fénelon. Gros de Boze « était juste qu’un homme qui
avait si bien mérité des lettres, réunit un grand nombre de
titres littéraires, et que les académies les plus distinguées
13 - Mémoires de Trévoux, janvier 1706, art. VII, p. 107.
14 - Journal des savants, février 1754, p. 69.
15 - Voir les Mémoires de Trévoux, août 1708, p. 1478 : « L’Académie des Inscriptions a obligé M. de Boze son secrétaire à faire imprimer l’Éloge historique du feu
P. Mabillon ».
16 - Voir Blandine Kriegel, L’Histoire à l’Âge classique, 3 Les Académies de l’histoire,
Paris, Quadrige/PUF, 1996, p. 196-198.
17 - Voir W. Hanley, A biographical dictionary of French censors, 1742-1789, FerneyVoltaire, Centre International d’Étude du XVIIIe siècle, 2008, p. 283-292 ; une
enquête d’une qualité exceptionnelle.
se fissent un honneur de l’adopter »18. L’Académie royale
de peinture et de sculpture (1727), de la Société royale
de Londres (1749), de l’Académie de Berlin (1751) offrent
une éloquente illustration. Gros de Boze jouissait d’une
grande notoriété au sein de la République des Lettres
européennes. Ainsi, lors de son voyage en 1720 au PaysBas, Gros de Boze avait rencontré les savants hollandais19 :
Des raisons imprévues rompirent ce voyage et retinrent M. de
Boze en Hollande. Il y vit les savants les plus distingués, dont la
plupart saisissent cette occasion de se lier avec lui. L’un d’entre
eux lui donna, par une méprise singulière, le témoignage le
moins suspect de son estime […]. Comme M. de Boze n’avait ni
l’air de son âge, ni l’âge de son mérite, Gronovius, en le voyant crut
parler au fils du Secrétaire de l’Académie des Belles-Lettres de
Paris et du Garde des médailles du roi.
Fin bibliophile20, Gros de Boze, garde du Cabinet des médailles
(1719), « avait fourni un énorme travail »21. Il avait réalisé
plusieurs inventaires et acquisitions (médailles, estampes,
manuscrits et imprimés). Éditeur de l’Histoire de l’Académie
Royale des Inscriptions et Belles-Lettres depuis 1717, une
publication dont il avait offert des exemplaires au Collège
de la Trinité22, Gros de Boze fut aussi journaliste recenseur
des nouveautés du livre : « Il y a aussi quantité d’extraits et
d’autres pièces de lui [Gros de Boze], dans le Journal des
savants, auquel il a travaillé longtemps et travaille toujours
par intervalles », précise le P. Colonia dans son Histoire
littéraire de la Ville de Lyon23. Aucun inventaire, ni étude
concernant son œuvre de journaliste. Gros de Boze s’est
éteint au milieu du siècle des Lumières : « Le sieur Claude
Gros de Boze, Président Trésorier de France au Bureau des
Finances de la Généralité de Lyon, Garde des Médailles
du Cabinet du Roi, et l’un des Quarante de l’Académie
française […] est mort à Paris le 10 [septembre], dans sa
soixante-quatorzième année de son âge »24 ; devenu depuis
un illustre inconnu.
Samy Ben Messaoud
18 - J.-P. de Bougainville, « Éloge de M. de Boze », Éloges des académiciens de
l’Académie des Belles-Lettres, op. cit., p. 116. Voir aussi L. Maynard, Dictionnaire
des Lyonnaiseries, Lyon, J. Honoré, 1982, art. « Gros de Boze ».
19 - Journal des savants, février 1754, p. 72.
20 - W. Poidebard et al., Armorial des bibliophiles du Lyonnais, Forez, Beaujolais et
Dombes, Lyon, Société des bibliophiles lyonnais, 1907, p. 285.
21 - S. Balayé, La Bibliothèque Nationale des origines à 1800, op. cit., p. 270.
22 - La Bibliothèque Municipale de Lyon conserve un exemplaire de cette publication (cote 373 988, 1740, t. I) portant la mention de l’ex-dono de Gros de Boze.
23 - Genève, Slatkine reprints [réimpression de l’éd. de Lyon, 1728-1730], t. II,
p. 829.
24 - Gazette de France du 15 septembre 1753. Voir aussi le Mercure de France, novembre 1753, p. 207 ; A. Péricaud, Tablettes chronologiques pour servir à l’histoire
de Lyon 1751-1789, Lyon, P. Rusand, 1832, p. 4.