Joseph Emile FRITSCH : La guerre, la Crimée…. et beaucoup de

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Joseph Emile FRITSCH : La guerre, la Crimée…. et beaucoup de
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Joseph Emile FRITSCH : La guerre, la Crimée…. et beaucoup
de chance !1
Mon état-civil et mon registre de baptême attestent bien que je suis né le 4
novembre 1921 à Wasselonne, canton de Molsheim (pour les Allemands, ce sera
« Wasselheim, Kreis Molsheim »).
Mes parents, Emile FRITSCH et Marie COLIN, appartenaient à une famille
d’ouvriers. J’ai décroché mon certificat d’études primaires en 1935, à l’âge de 12 ans,
avec la mention « Bien ». Le 1er octobre 1935, je suis entré en apprentissage pour une
durée de 3 ans chez un Maître peintre en bâtiment à Wasselonne, et j’ai réussi mon
examen de « compagnon » le 15 juillet 1938 avec la mention « Bonnes connaissances et
aptitudes dans son métier ». Je suis resté compagnon-peintre jusqu’au début de la
guerre, puis, privé de cet emploi, j’ai dû travailler au cours de l’hiver 1939-1941 dans
la filature du village, une usine où mon père était chargé de la réception et de l’envoi
des balles de coton transformées, et où ma mère était « concierge ». Il est à relever que
mon père avait déjà servi comme « Malgré-Nous » durant la Première Guerre mondiale
dans les armées du Kaiser, en Serbie puis en Russie. Il disait des Allemands : « Ne
donne jamais un couteau à un Allemand ou il en profitera pour te poignarder dans le
dos ». Un autre membre de ma famille a d’ailleurs servi dans la Garde Impériale en
raison de sa grande taille.
Mon père, en uniforme allemand, à gauche de la photographie
Wasselonne étant occupé par les Allemands en juin 1940, j’ai repris mon métier
de peintre à Strasbourg. Mais, tombé malade de Noël à Nouvel An, je me suis retrouvé
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Son témoignage a été recueilli par son fils Pascal Fristsch (2007).
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en congé maladie durant près de 7 mois durant l’année 1941. Par ce que l’on appelle
aujourd’hui l’A.N.P.E., j’ai été engagé par la N.S.V. (organisme allemand de charité)
comme employé de bureau. J’y suis resté jusqu’au 7 octobre 1942, période de 13 mois
au cours de laquelle j’ai été envoyé au « Umschulung » à Frauenhalb, près de Karlsruhe,
pour une dizaine de jours. A la fin de ce pensum, le maire de Strasbourg, un dénommé
ERNST, Alsacien ayant quitté l’Alsace après 1918 avec ses parents, m’a interpellé sur
mes origines. Je lui ai répondu « Kreis Molsheim ». Ernst me lança alors : « Noch sehr
Schwartz ! » (« Encore très noir ! » en allusion au caractère dévot de ses habitants) !
Mais je ne savais pas tenir ma langue et lui répliquai : « Es wird wieder heller
werden ! » (« Les choses s’éclairciront de nouveau dans l’avenir ! »).
Le 7 ou le 8 octobre 1942, j’ai été enrôlé au R.A.D. à Rothenburg ob den
Tauber. Je consacrai surtout les 7 mois de ma maladie à frotter le thermomètre pour
rester alité à l’infirmerie. Vers la mi-décembre, un « Partei Führer » (chef du parti) de
haut rang, venu en inspection, constatant le nombre de semaines figurant au dessus de
mon lit, a demandé à ses subordonnés : « Est-ce un Alsacien ? » En ayant reçu
confirmation, il déclara : « Son père a certainement dû lui dire comment faire ! » (ce qui
en dit long sur la confiance que les nazis accordaient aux « Volkdeusche », que leurs
théoriciens considéraient pourtant comme faisant partie intégrante de l’antique
Germanie)… Puis, ouvrant le tiroir de la table de la nuit, il a pris d’une main mon
rosaire et de l’autre un peigne partiellement édenté, et affirma à la ronde : « Il ferait
mieux de s’acheter un peigne neuf que cette autre chose ! » Dorénavant, surveillé de
près par un infirmier, il ne m’était plus possible de simuler ma maladie bien
longtemps…
Le lendemain même, rassemblement pour une séance de « Spatengriff ». Me
voyant intimé de sortir du rang, j’ai été accompagné par un gradé qui a trouvé quelques
croûtons de pains dans mon armoire, et j’eu droit à une nouvelle engueulade :
« Hunderte Tausende haben nichts zu essen, da muss Ich Sie bestraffen ! » (« Des
centaines de milliers n’ont rien à manger, je dois vous sanctionner ! »)…. ce qui me
valut 3 jours au « bunker » - et nous étions à 2 jours de Noël 1942.
J’ai été libéré entre Noël et Nouvel An, mais je savais déjà qu’au 15 janvier
1943, je serais enrôlé dans la Wehrmacht, à la date effectivement prévue. Après avoir dû
me rendre à Saverne, je fus dirigé à destination de Müllheim près Freiburg, au pays de
Bade, où j’y restais jusqu’au 1er avril avant d’être transféré à Ludwigsburg, au « Panzer
Grenadier Batalion 86 ». Puis, le 16 avril, je partis pour Constance (Batalion 238) puis
le 5 mai pour Karlsruhe et affecté à la « Marsch Kp Grenadier Erste Abteilung 238 ». A
l’origine, de faible constitution (1, 64 mètre pour 56 kilos, et considéré comme
« schwach » en tant que signe distinctif dans mon Soldbuch), je ne fus reconnu que
comme étant G.H.V pour devenir conducteur de « Poids lourds » (d’où la mention
« Kraft » dans mon livret). Le principal avantage que j’en tirai fut de ne pas passer
beaucoup de temps de « lapin » (manœuvres et entraînement au combat, avec une seule
épreuve de tir… guère concluante, d’ailleurs). Ce ne fut qu’à Konstanz que je fus enfin
reconnu K.V.F. (Kriegsverwändungsfähig).
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C’est à Konstanz, alors qu’un appel était prévu pour le matin du Dimanche des
Rameaux, que je décidai de me rendre à la cathédrale pour assister à l’office dominical
en compagnie d’un autre Alsacien, un dénommé ERNWEIN. A notre retour, nous
fûmes convoqués par l’Oberfeldwebel qui nous interpella : « Wo war Ihr denn ? » Je lui
répondis que nous étions catholiques et que nous ne pouvions pas manquer la messe. Il
se borna à grommeler laconiquement : « Haut ab ! »… Pour notre bonheur, tous les
Allemands n’étaient pas des nazis.
C’est vers le début du mois de juin 1943 que je fus affecté à la « 5. Kompanie
Marsch-Batalion 125/6 feldtruppenteil » pour partir par la voie ferrée dans un wagon à
bestiaux avec 8 chevaux et 40 hommes vers la Russie. A partir du port de Kertch en
Crimée, nous avons embarqué vers le Kouban. Débarqués au sud de la Mer d’Azov,
nous avons passé plusieurs semaines le long de la côte sans que rien de notable ne
mérite d’être rapporté. Le 7 juillet 1943, je fus affecté au « 14. Panzer-Jäger Grenadier
Regiment 426 », toujours au Kouban (la « Kuban Brückenkopf »).
Au Kouban, je fus de ceux qui devaient attaquer une colline occupée par des
partisans. Notre artillerie tira trop court et notre premier obus atteint notre groupe, et
plus spécialement un Oberfeldwebel. Dans le même temps, 5 Russes descendirent la
colline pour se rendre, les mains en l’air. Sur les injonctions du blessé, 4 d’entre eux
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l’ont évacué vers l’arrière dans une toile de tente, le cinquième marchant à leur coté, en
direction du P.C. du bataillon. Ce fut moi, le fusil Mauser Kar 98 à l’épaule, et un
pistolet en main dont je ne savais même pas me servir, qui fut chargé d’accompagner ce
cortège. Inutile de dire que je pris mon temps pour rejoindre ensuite mes « camarades
de combat », avec lesquels je n’ai jamais cherché à lier de sympathie quelconque, qui
avaient atteint le sommet de la butte. Dans les heures qui suivirent, nous n’eûmes à
subir aucune contre-attaque, bien que, sur notre droite, se trouvaient des Roumains qui
ne cessèrent de canarder durant toute la nuit – sur qui ou quoi, nul ne le saura jamais.
A l’appel au lendemain, nous eûmes affaire à une véritable bimbeloterie. Le
dernier, sur une douzaine de récipiendaires ne fut personne d’autre que moi, affublé de
la « Eiserne Kreuz II. Klasse » (croix de fer 2e classe), et promu « Gefreiter » (caporal).
Ce 11 août 1943 fut suivi du 20 novembre 1943, où je reçus encore le « Sturmabzeichen
im Silber » alors que je n’avais pourtant pas véritablement participé à l’assaut de la
colline. Je puis le dire : ces 5 prisonniers russes furent la seule fois où je vis un ennemi
de près. J’eu autrement plus peur le jour où un chasseur soviétique se mit en tête de
s’adonner à une séance de « straffing » (tir en rase-mottes avec mitrailleuses et canons)
alors que j’errai seul dans une plaine déserte et dénuée de tout abri. Mais comme disait
Napoléon Bonaparte au sujet de la Légion d’Honneur : « Ce ne sont que des colifichets,
mais c’est avec des colifichets que l’on manipule les hommes ! ». Je conservai cette
croix un certain temps avant de la confier sans regret bien plus tard à un soldat français
qui rentra probablement chez lui en racontant comment il avait arraché cette croix de
haute lutte à officier de la Waffen-SS ! Un fait reste sûr : si certains militaires ont
certainement mérité des médailles, il en fut aussi plus sûrement distribué pour conférer
une motivation à ceux qui n’en avaient pas. Et je crois que je faisais partie de la
deuxième catégorie…
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Par la suite, j’eu la chance avec mon unité de pouvoir évacuer le Kouban en
remontant vers le nord, au travers d’une trouée laissée ouverte par les Soviétiques entre
les villes d’Azov et de Rostov. Puis nous dûmes nous retirer vers l’ouest en longeant la
mer d’Azov jusqu’à Dniepropetrovsk. Après y avoir traversé le plus grand « Staudam »
de l’Europe sous le bombardement de l’ennemi, nous nous sommes installés sur la rive
droite du Dniepr à quelques kilomètres de ce barrage, dans ce que l’on a appelé le
« Kessel » (chaudron ou poche) de Nikopol. Je dois avouer que j’ai oublié bien des
noms de lieux que nous avons traversés, et c’est de mon fils que j’appris plus tard que
ma destinée relevait en partie du Feldmarschall Erich von Manstein, commandant du
« Heeresgruppe Süd » Car, en dehors des Actualités allemandes ou de ce j’ai vécu
autour de moi, je ne me souciais pas beaucoup du déroulement de la guerre.
L’Ukraine d’aujourd’hui : la péninsule de Kertch et Dniepropetrovsk
En dépit du nom glorieux que portait ma compagnie, je n’ai jamais eu le bonheur
– ou le malheur – de manipuler l’un de ces canons anti-chars dont nous étions dotés, à
fortiori de croiser le fer avec les redoutables T 34 soviétiques. L’affaire fut certainement
plus chaude dans le Caucase, à Karkhov ou à Léningrad, mais j’eu la chance de ne
jamais rien connaître de tel. Nous étions une unité - disons : « de surveillance côtière »,
même si ce qualificatif ne nous a probablement jamais été appliqué.
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Ce à quoi j’échappai : servant d’un canon anti-car (même s’il s’agit là en l’occurrence d’un
modeste pak36/37)
Le 12 février 1944, alors que nous étions installés près d’une ligne de chemin de
fer se résumant à une seule série de rails, nous nous sommes faits bombarder par les
Russes grâce à leurs formidables « Orgues de Staline ». Je reçus à cette occasion un
petit éclat dans le bras droit, très près de la main. L’officier m’a aussitôt ordonné de
rejoindre le « Verbandsplatz » (centre de soins) pour y recevoir une piqûre
antitétanique. C’est en vain que je cherchai ce fameux « Verbandsplatz » lorsque je fus
victime d’une autre attaque, cette fois-ci occasionnée par une dysenterie extrême. En
définitive, je suis parvenu à un terrain d’aviation dénué d’avions, mais où je trouvai un
énorme hall où officiaient des chirurgiens auprès de centaines de blessés. De là, j’ai été
acheminé par voie ferrée puis par camion, traversant Odessa, pour aboutir à un endroit
servant d’hôpital provisoire. Soigné par « soupe sucrée » et en prolongeant à plaisir ma
dysenterie en sentant les Russes de plus en plus proches, je pus quitter l’Ukraine pour
passer par la Tchécoslovaquie. Ma blessure n’étant devenue qu’à peine visible alors
qu’un médecin militaire l’examinait, j’ai été renvoyé à Strasbourg où se trouvait, sans
que je le sache, ma compagnie de départ du 15 janvier 1943, celle de l’ « Infanterie
Panzerjäger Erste Kompanie 35 ».
Les fameux lance-roquettes surnommés « Orgues de Staline », ou « Katyusha »
(correspondant au doux nom de Catherinette pour les Soviétiques).
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Spectacle impressionnant d’un lancer d’orgues de Staline…. Heureusement
pour moi, aussi imprécis dans leurs tirs que terrifiants par leur bruit !
Titulaire d’un congé de 15 jours pour blessure de guerre, ainsi que 15 autres
jours pour séjour sur le front, je suis rentré chez mes parents à Wasselonne. A l’avantdernier jour de mes congés, j’ai été saisi d’une fièvre dépassant les 40° centigrades.
S’étant avéré qu’il s’agissait d’une crise de malaria tertiana, je fus d’abord transféré à
l’hôpital de Saverne avant d’être transporté le 16 mai 1944 au Rezervelazarett
d’Oberbronn en Alsace, qui se tenait dans un couvent de sœurs catholiques. J’y suis
resté jusqu’au 11 août 1944, malgré l’absence de toute rechute, grâce à l’habileté de la
supérieure du couvent qui simula la prolongation de ma maladie, en me conseillant
même d’absorber en même temps un verre de vin rouge et un pot de moutarde ! Il est à
relever que la Wehrmacht prenait relativement soin de ses hommes, car nous avions tout
de même pris des pilules en Russie pour prévenir ce type de maladie. De même, nous
fûmes vaccinés contre le typhus et le choléra, fléaux plus fréquents en Crimée que de
risquer d’être victimes d’engelures ! Le Soldbuch en témoigne (le légendaire
« pointillisme » allemand qui ne laisse rien au hasard – jusqu’aux chaussettes, ou la
bouteille de champagne que nous reçûmes d’Hitler en 1944 comme
« Führergeschenck » !).
Ma maladie eut hélas néanmoins une fin et, à la mi-septembre 1944, après une
semaine de convalescence, je fus réaffecté à l’« Infanterie Panzerjäger Kp 1 » à Bade,
non loin de la frontière suisse où les Allemands redoutaient une possible attaque de la
1ère Armée française de De Lattre en direction de l’Alsace.
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Il est à relever que l’on essaya malgré tout de faire encore quelque chose de moi.
Comme j’avais le permis de poids lourds, on tenta d’éprouver mes capacités en me
faisant manier un semi-chenillé destiné à tracter un canon anti-char. Je confondis la
marche avant avec la marche arrière, et, pour ne pas risquer de me voir saboter plus de
matériel à l’armée allemande que les Soviétiques eux mêmes, l’expérience s’arrêta là.
J’allais à peine beaucoup mieux que la jaunisse fit son apparition, peut être liée à
une évidente mauvaise volonté de combattre pour une cause que je ne prisais guère.
Mais la jaunisse est une certitude. En tout les cas, elle suffit pour me faire transférer au
Reserve Lazarett de Lörrach- Teil Lazarett Herten, où j’y croupis du 19 octobre au 28
novembre 1944. Lorsque les premiers coups de canons à longue portée tonnèrent en
direction de Mulhouse, je pu me libérer du lit et me rendis au Frontleitstelle à Stuttgart.
Là bas, j’y retrouvai deux officiers qui voulaient m’envoyer dans une compagnie
cantonnée dans la Ruhr. J’ai au contraire insisté pour rejoindre ma compagnie d’origine,
qui devait alors se trouver en Alsace, en prétextant que je désirai rejoindre « mes
anciens camarades de combat ». Il semble que ces deux officiers ne se faisaient aucune
illusion quant à mes véritables intentions, mais l’un d’eux se borna néanmoins à me
lancer : « Essayez donc, et si vous ne pouvez pas traverser le Rhin, revenez nous
voir ! »… A l’évidence, plus d’un militaire allemand ne se faisait plus aucune illusion
sur la véritable issue de ce conflit.
Je repartis donc pour Freiburg im Breisgau, pour y passer la nuit dans un local
du « Parti ». Le lendemain, j’eu la permission de prendre la route en direction de
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Colmar dans un camion qui devait justement s’y rendre. Aux environs du pont à bateaux
du coté de Alt-Breisach, j’ai changé de camion pour un autre qui, lui aussi, se rendait à
Colmar. Mon espoir reposait sur le fait que Colmar serait probablement parmi les
premières villes libérées d’Alsace. Comme on le sait, ce fut tout le contraire.
En tout cas, une fois parvenu du coté de la France, le camion a embarqué 5
autres soldats allemands ainsi qu’un officier qui avait dû les rameuter avant de s’asseoir
dans la cabine aux cotés du chauffeur. Par chance pour moi, j’étais au contraire tout à
l’arrière du véhicule. Et, un certain 30 novembre 1944, vers les 17 heures, je précédai
l’exploit d’un futur soldat de l’Allemagne de l’Est en sautant du camion pour me perdre
dans la foule. Ne connaissant pas la ville, j’entrais dans un bistrot et abordai un ouvrier
attablé, lui apprenant que j’étais Alsacien et que je voulais déserter. Nouveau coup de
chance pour moi, celui là était un vrai Alsacien et il accepta de me guider vers le
presbytère le plus proche, en me précédant de quelques pas. C’est ainsi que j’aboutis à
la collégiale Saint Martin, avant que l’ouvrier, en tournant son regard sur sa droite, me
fit comprendre que j’avais trouvé ce que je cherchais.
J’y rencontrai d’abord une dame, fort surprise de voir un homme portant encore
l’uniforme allemand demandant de l’aide au presbytère. Un abbé prit heureusement la
relève et, après m’avoir entendu, fit appel à son collègue, M. l’abbé RIEFLE, qui
m’hébergea au deuxième étage de son appartement et me trouva un costume civil plus
discret.
Le 2 décembre 1944, je suivis un inconnu qui me conduisit au 20 rue du Ladhof,
demeure de la famille BRUN-BURCKLE. J’y fus nourri et hébergé de la meilleure
manière possible en dépit des dangers que pouvaient susciter la Gestapo et les
Feldgendarmen (gendarmes militaires), jusqu’à la libération de la ville le 2 février
1945. Ce jour là, un boulanger qui devait se rendre à Strasbourg accepta de me ramener
chez mes parents à Wasselonne.
Tout le monde n’eut pas cette chance. J’ai entendu parler d’un autre Alsacien qui
avait commis le malheur de vouloir se rendre à un G.I. américain au moment de la
libération de Colmar, alors qu’il portait toujours l’uniforme allemand sur lui : il fut
froidement abattu.
Ultérieurement, je pu me rendre auprès des nouvelles autorités françaises à
Strasbourg où l’on y reconnut ma qualité d’incorporé de force. Le témoignage de l’abbé
RIEFLE et celui de M. BRUN, en décembre 1945, m’ont peut être aussi évité de passer
un séjour de villégiature au Struthof nouvellement réoccupé à l’intention des
« collabos » durant ce que l’on a appelé « l’Epuration ». Car des femmes tondues parce
qu’elles étaient sensées s’être compromises avec des Allemands, le village de
Wasselonne en vit aussi.
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Aujourd’hui, je vais vers mes 86 ans au 4 novembre 2007. Je suis titulaire de la
carte du Combattant depuis mai 1959 et celle du Réfractaire depuis juillet 1962. Je ne
renie pas mon passé, mais il ne s’agit après tout que de mon passé. Tout ce que je puis
dire est que j’ai eu beaucoup de chance (et sans doute plus d’inconscience que de
courage, mais la frontière entre ces deux notions n’a jamais pu être clairement établie).
D’autres (Alsaciens, Mosellans, Luxembourgeois, Sudètes ou autres) n’ont pas eu cette
chance. Pourquoi moi ? Pourquoi pas eux ? Le destin a parfois de ces ironies…
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