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Amour virtuel, du fantasme à la réalité Article paru dans l'édition du 13.03.12 Les relations sentimentales sur Internet sont devenues courantes et les déceptions à la première rencontre aussi Peut-on s'aimer sans se voir ? Ou du moins commencer à nourrir un sentiment amoureux ? Les Français le croient. Près d'une personne sur quatre a déjà été inscrite sur un site de rencontres et 40 % des gens seraient prêts à le faire s'ils se retrouvaient célibataires. C'est ce qui ressort d'un sondage IFOP réalisé en ligne auprès de 2005 personnes du 4 au 19 janvier pour Femme actuelle. Depuis la création de Meetic en novembre 2001, les sites de rencontres, réseaux sociaux, forums de discussion se sont multipliés, offrant de nouvelles occasions de tisser des liens. Un appel à témoins lancé sur Lemonde.fr montre que les liaisons commencées sur le Net ont parfois des prolongements heureux dans la réalité. Comme Clothilde, qui s'était inscrite sur un site de rencontres argentin pour se faire des amis dans ce pays. « Un jour, j'ai reçu un message d'un utilisateur sans photo. Quelques lignes, dans un français digne d'Alexandre Dumas, d'un Argentin qui m'expliquait que j'étais la plus belle fleur du jardin du Luxembourg mais que lui malheureusement était plus un Cyrano qu'un Marius. » Cet homme a attisé sa curiosité. Il avait su trouver les bons mots. « J'ai eu droit à sa photo le lendemain. J'ai juste vu un très bel homme. La relation a ensuite évolué naturellement, un mail par jour, puis des lettres par la poste pour lire son écriture et... une déclaration d'amour ! » L'histoire de Clothilde a tout d'un conte de fées. Elle a quitté la France pour l'Argentine, s'est mariée et a maintenant deux enfants. Internet serait-il devenu un moyen de rencontre parmi d'autres ? En réalité, l'amour numérique ne répond pas aux mêmes règles que la rencontre dans une soirée ou au bureau, bref dans la vraie vie. Plus intense, il s'embrase vite avec les mots, mais le passage à la réalité peut être très décevant. « Il y a dans l'échange de mails amoureux une progression qui fait monter le désir, explique Pascal Couderc, psychanalyste et auteur d'un livre récent sur le sujet, L'Amour au coin de l'écran, (éd. Albin Michel, 240 p. 18 euros). Petit à petit, l'échange se charge d'une intensité érotique, les mots agissent comme des caresses mutuelles, dans une complicité et une écoute parfaites. » Sans frein pour la ramener au réel, l'imagination s'emballe. « Tous les amoureux numériques qui se sont trompés sur leurs propres sentiments autant que sur ceux de l'autre sont tombés dans les mêmes pièges », explique le psychanalyste. Car la relation amoureuse qui commence par de l'écrit est avant tout fantasme et projections. « Elle est faite de rêves induits par les propos de l'interlocuteur, déduits de ses réponses, poursuit-il. Plus on a le désir d'aimer, plus on perçoit positivement l'image de l'autre. » Parce qu'on souffre d'un manque, on va s'imaginer que celui ou celle qui est de l'autre côté de l'écran est le ou la partenaire que nous attendions, au risque d'arriver à une construction montée de toutes pièces. Daniel a rencontré son épouse sur un réseau social. « Mon premier désir était avant tout de la rencontrer physiquement et rapidement. Je n'ai ainsi pas pu trop développer de fantasmes », raconte-t-il. Auparavant, il s'était inscrit sur Meetic. « J'ai eu beaucoup de déceptions, c'est assez rare de rencontrer des femmes qui correspondent à ce qu'elles disent être. » Au physique comme au moral. « C'est une tromperie qui est plutôt inconsciente. Il est très facile d'avancer masqué. Moi-même j'ai pu mentir pour séduire certaines personnes. Et le fantasme marche à plein régime », avoue-t-il. Sortant d'une séparation récente, Daniel avait besoin de se rassurer sur sa séduction. Une seule fois, il a été amoureux, d'une professeure de lettres. « Notre relation épistolaire était très théâtrale, nous nous exprimions par tirades. Nous chattions des jours entiers », se rappelle-t-il. L'idéalisation, décrite par Stendhal, sous le terme de « cristallisation », est fortement majorée par Internet. « Sur un mot de l'autre, on peut broder un roman. L'objet du désir peut ainsi être investi d'attributs qui lui font tout à fait défaut », poursuit Pascal Couderc. Plus ou moins consciemment, on veut coller à l'image de l'autre : il aime tel peintre, on se précipite sur Internet pour le découvrir, il aime tel livre, on fonce l'acheter et faire un commentaire bien senti. On se découvre bientôt des points communs... imaginaires. Pablo, 33 ans, a rencontré sa compagne sur Facebook. Il partage avec elle passion de l'ethnopharmacie, c'est-à-dire l'étude des médecines traditionnelles. Comme Daniel, il a voulu la rencontrer rapidement. Le jeune homme avait déjà été trompé par des jeunes femmes qui disaient partager ses passions et qui, rendez-vous pris, n'y connaissaient rien. « Elle correspondait à ses écrits, J'ai compris que ça n'était pas une façade. Que nous avions beaucoup de choses en commun. » L'amour virtuel, et l'emballement qui va avec, correspond souvent à certains profils psychologiques. « Certaines personnes sont plus enclines à l'addiction : celles qui, chroniquement, ont faim d'amour », considère Pascal Couderc. Ceux qui ont manqué d'un étayage parental solide, ceux qui souffrent de solitude, sont plus susceptibles de foncer tête baissée et de s'aveugler. Comme Françoise, qui se sentait « très seule ». Divorcée depuis vingt ans, les enfants partis de la maison, elle est devenue amoureuse d'un homme beaucoup plus jeune rencontré sur Facebook. Elle l'a d'abord refusé comme ami et, devant son insistance, l'a finalement accepté. « Ce qui m'avait séduite, c'était sa gentillesse, son «honnêteté», tout ce qu'il me disait et qu'aucun homme ne m'avait jamais dit », raconte-t-elle. La relation virtuelle, très intense, a duré trois mois. « Lors de la première rencontre, il était exactement comme je l'avais imaginé », se souvient-elle. Françoise est partie vivre à l'étranger pour l'épouser, et il l'a abandonnée quinze jours après pour une autre, plus argentée. « Ce genre de pratiques, constate-t-elle, est de plus en plus présent sur le Net. » Car les rencontres durables se font souvent au prix d'un ajustement avec le réel. « Le moment-clé, c'est la rencontre, quand il faut combler le fossé entre l'imaginaire et le réel », explique Pascal Couderc. Il est rare que l'élu(e) soit en tout point comparable à l'idée qu'on s'en était faite. Adeline, 31 ans, a rencontré son compagnon sur Adopteunmec.com. Après une nuit effrénée de mails échangés, ils se sont retrouvés sur Facebook puis rapidement en chair et en os. « Il ne ressemblait pas vraiment à ce que je m'étais imaginé mais on a passé un super moment », se souvient-elle. Comme cette étudiante de 23 ans. Qui après avoir parlé par écran interposé pendant deux semaines avoue avoir « eu une mauvaise surprise » de visu. Malgré cette rencontre mitigée, le couple a décidé de se donner une chance. Trois ans plus tard, ils sont toujours ensemble... Martine Laronche