Mise au point du Vice Doyen FSJP sur la Charte constitutionnelle

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Mise au point du Vice Doyen FSJP sur la Charte constitutionnelle
Alexis N’DUI-YABELA
Mise au point sur les interprétations fallacieuses de certaines dispositions de la Charte constitutionnelle de transition....
MISE AU POINT SUR LES INTERPRETATIONS FALLACIEUSES DE
CERTAINES DISPOSITIONS DE LA
CHARTE CONSTITUTIONNELLE DE TRANSITION EN CENTRAFRIQUE
Par Alexis N’DUI-YABELA
Vice-Doyen de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université de Bangui
Publiée le 18 juillet 2013, date anniversaire de l’auteur de ces lignes, la Charte
constitutionnelle de transition en Centrafrique a donné lieu aussi bien à de nombreuses analyses1
qu’à des interprétations2 qui, malheureusement n’ont pas fait l’objet de publication dans des
revues scientifiques. Pourtant riches en enseignements, la plupart de ces études n’alimentent que
les colonnes de la presse écrite. C’est le cas de la présente mise au point sur les interprétations
fallacieuses de certaines dispositions de la charte constitutionnelle.
Par interprétation, certains éminents juristes3 entendent l’opération qui
consiste à
expliquer ou à dégager le sens exact et le contenu de la règle de droit applicable dans une situation
donnée. Ainsi définie, l’interprétation peut être authentique, doctrinale ou scientifique.
L’interprétation est dite authentique lorsqu’elle résulte de la décision des autorités investies du
pouvoir d’appliquer le texte. Par exemple, l’article 76-tiret 9 de la charte constitutionnelle de la
République Centrafricaine (RCA) charge la Cour Constitutionnelle de Transition d’ « interpréter
la Charte constitutionnelle de Transition ». A l’inverse, l’interprétation est dite doctrinale ou
scientifique lorsqu’elle émane des commentateurs. A propos de commentateur, le Dictionnaire
Robert donne la définition suivante : « Celui qui est l’auteur d’un commentaire littéraire, historique,
juridique. » Quant au Dictionnaire Larousse Compact, il définit le commentateur comme une
« Personne qui commente une œuvre, un texte » ou « qui fait le commentaire d’un événement,
d’une information ». Ce fut le cas d’un commentateur de l’actualité politique4 centrafricaine qui,
1
Pour l’essentiel, on peut citer A.R. KONGBO, « Brève analyse juridique à chaud de la Charte constitutionnelle de
transition du 18 juillet 2013 », in La Nouvelle Centrafrique du 25 juillet 2013, 3 p ; D. DARLAN, « La charte
constitutionnelle de transition du 18 juillet 2013 : un compromis pour la paix en République Centrafricaine », in La
Nouvelle Centrafrique du 19 septembre 2013, 10 p.
2 Voir étude du Maître Wang-You SANDO, « La crise centrafricaine : caducité de la transition actuelle et perspective
d’une sortie », in La Nouvelle Centrafrique, 7 p.
3 Voir M. de VILLERS et A. LE DIVELLEC, Dictionnaire du droit constitutionnel, Paris, 9ème édition SIREY, 2013,
v° « Interprétation » ; P. AVRIL et J. GICQUEL, Lexique de droit constitutionnel, Paris, 3ème édition PUF, 2013. On
pourrait également lire avec intérêt l’étude du professeur Jean-Louis DE CORAIL intitulé, « Le Conseil d’Etat et
l’interprétation de la loi », in L’esprit des institutions, L’équilibre des pouvoirs, Mélanges en l’honneur de Pierre PACTET,
Dalloz, 2003, p.595.
4 Actualité politique dominée par la démission du Chef de l’Etat de transition et de son Premier ministre lors du
sommet extraordinaire de la CEEAC tenu à N’Djamena les 9 et 10 janvier 2014.
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en qualité de Conseillère juridique du media La Nouvelle Centrafrique (LNC), s’était livrée à une
interprétation de certaines dispositions de la Charte constitutionnelle dans une de ses livraisons
parue au courant du mois de janvier 2014 sous le titre : « LA DECLARATION DE GUERRE
FAITE PAR IDRISS DEBY5 A LA RCA ».
Bien qu’elle ait le mérite d’attirer globalement l’attention des acteurs politiques sur la
nécessité de respecter les dispositions de ladite charte, il n’en demeure pas moins que
l’interprétation des dispositions visées par cette Conseillère juridique comporte des
développements erronés. Bien entendu, nous ne nous attarderons guère sur l’utilisation
inappropriée de bon nombre d’expressions juridiques, telles « contrainte par corps »6, « ex situ »7
ou « NOUS NE FAISONS LA QUE DIRE LE DROIT »8 en lieu et place des juridictions.
Délaissant ces observations de pures formes, nous nous attacherons à démontrer les limites de
l’exercice auquel s’est livrée la spécialiste des questions juridiques du media LNC et ce, à partir de
deux questions fondamentales.
Primo, en invitant les membres du Conseil National de Transition (CNT) de la RCA à
prendre part au sommet extraordinaire de la Communauté Economique des Etats d’Afrique
Centrale (CEEAC), tenu à N’Djamena du 9 au 10 janvier 2014, le président en exercice de cette
institution sous-régionale avait-il effectivement porté atteinte aux dispositions de l’article 20 (et
non de « l’article 2 du chapitre Titre I » tel qu’il figure dans le texte de la Conseillère juridique) de
la Charte constitutionnelle centrafricaine? Secundo, au regard de la charte constitutionnelle du 18
juillet 2013, le Président du CNT, devenu Chef de l’Etat intérimaire ainsi que les autres membres
de parlement transitoire ne pouvaient-ils pas valablement faire acte de candidature en vue de
briguer le poste de Chef de l’Etat de transition ?
C’est essentiellement sur ces deux questions que la présente mise au point se focalisera.
Car, en parcourant attentivement l’article de la Conseillère juridique du media LNC, nous avons
5
C’est le nom du président actuel de la République du Tchad.
Voir Chapitre IV du Code pénal et Code de procédure pénale de la République Centrafricaine dont les articles 31 à 40 traitent
de la « Contrainte par corps ». L’article 31 par exemple dispose que « La condamnation définitive à l’amende, aux
dommages-intérêts et frais de justice sera poursuivie contre le condamné par la voie de la contrainte par corps. Cette
contrainte ne sera jamais exercée contre la partie civile et le civilement responsable ».
7 Ces deux expressions ne relèvent pas du Droit constitutionnel. Alors que le premier a trait au droit pénal, le second
concerne le droit de la biodiversité (cf. à ce propos N. de SADELEER et Ch.-H. BORN dans leur ouvrage intitulé,
Droit international et communautaire de la biodiversité, Paris, Dalloz, 2004, pp.106-108. Ces pages contiennent des
développements relatifs aux « Mesures de conservation in situ et ex situ »).
8 Sauf incompréhension de notre part, il nous semble qu’il appartient à une juridiction et non à un individu, fut-il
Conseillère juridique de « dire le droit ». Du latin « juridictio » qui signifie « droit de rendre justice », le mot juridiction
est défini par le Dictionnaire Larousse Compact comme le « Pouvoir de juger, de rendre justice ». Dans son ouvrage
sur le droit des Institutions judiciaire, Madame Michèle-Laure RASSAT, Professeur des Facultés de droit, précise à
cet égard que « Les institutions de justice sont des juridiction. Le terme de « juridiction » est un terme générique
désignant toutes les institutions que nous allons définir » (cf. M-L RASSAT, Institutions judiciaires, Paris, PUF, 1993, p.
109).
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eu l’impression d’avoir affaire à une juriste frappée d’une amnésie passagère : en effet, non
seulement l’interprétation qu’elle donne de l’article 20 de la Charte constitutionnelle de transition
reste superficielle (I), mais encore celle de l’article 106 (et non 107) laisse à désirer (II).
I.
UNE INTERPRETATION SUPERFICIELLE DE L’ARTICLE 20 DE LA
CHARTE CONSTITUTIONNELLE DE TRANSITION
Pour permettre aux lecteurs non-initiés de mieux suivre nos explications, il convient de
reproduire ici le dernier alinéa de l’article 20 de la Charte constitutionnelle de transition, source
d’inspiration du titre choisi par la Conseillère juridique du média LNC pour ses analyses. Traitant
en effet de la souveraineté nationale, le dernier alinéa dudit article dispose que : « L'usurpation de la
souveraineté par coup d'Etat ou par tout moyen constitue un crime imprescriptible contre le peuple centrafricain.
Toute personne ou tout Etat tiers qui accomplit de tels actes sera considéré comme ayant déclaré la guerre au peuple
centrafricain. » Affirmer que le président tchadien aurait violé les dispositions de cet article, c’est
oublier d’une part le bien-fondé de l’ « invitation » des membres du CNT à N’Djamena (A) et,
d’autre part, le double statut de ce président (B). Si l’un de ces oublis est excusable, l’autre, en
revanche, ne l’est point.
A) L’oubli excusable du bien-fondé de l’ « invitation » des membres du CNT à
N’Djamena
D’entrée de jeu, il convient de préciser que les membres du CNT n’avaient nullement été
« convoqués » 9 à N’Djamena, mais « invités » ou, pour reprendre un terme précis mentionné à
l’article 9 alinéa 1 du Protocole relatif au Conseil de paix de sécurité de l’Afrique Centrale
(COPAX), « sollicités » en vue d’apporter leur contribution à la prise des décisions au cours de la
session extraordinaire de la CEEAC des 9 et 10 janvier 2014. Pour s’en convaincre, il suffit non
seulement de se remémorer les propos tenus la veille de cette session par Secrétaire Général de
ladite institution, mais aussi de rapporter ici un passage du Communiqué final du 6ème Sommet
extraordinaire de la CEEAC.
9
Voir la chronique de la Rédactrice en chef du média LNC intitulée « La France entre le marteau et l’enclume », in
LNC du 16 janvier 2014. Dans cette chronique, cette Rédactrice en chef écrit ceci : « Pour que DJOTODIA dégage,
il aura fallu que la Centrafrique vende son âme au diable, toute honte bue.
Idriss DEBY le dictateur tchadien de convoquer à N’Djamena les Conseillers du CNT, comme s’ils étaient des
fonctionnaires d’une de ses provinces… ».
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En effet, répondant aux questions que lui posaient les journalistes de l’Agence France
Presse (AFP) la veille de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEEAC, le
Secrétaire général s’était exprimé en des termes ne prêtant à aucune confusion. Ce dernier avait
effectivement martelé ou précisé que le Sommet extraordinaire « a été convoqué » à cause de la
détérioration de la situation sécuritaire en Centrafrique. A partir de la déclaration de ce diplomate,
on se rend compte qu’il s’agit bel et bien d’un sommet qui avait été convoquée et non les
membres du CNT. A la fin des travaux dudit sommet, le Secrétaire général prendra soin d’écrire
dans un premier temps, « Sur invitation de son excellence, …, une session extraordinaire de la
Conférence des Chefs d’Etat de la CEEAC, s’est tenue à N’Djamena… » et, ensuite « La
Conférence invite le Conseil National de la Transition ainsi que les autres composantes de
la société centrafricaine à poursuivre leur délibération à Bangui sous les auspices de la Médiation
de la CEEAC élargie à l'Union Africaine et aux partenaires internationaux en vue de la résolution
sans délai de la crise centrafricaine au niveau politique dans le respect de la Charte Nationale de la
Transition. »
Comme chacun a pu le constater, à aucun moment, le Secrétaire général de la CEEAC n’a
fait allusion à une quelconque « convocation » ou « contrainte par corps » des membres du
Conseil National de Transition à N’Djamena! Au-delà de ces préoccupations d’ordre sémantique,
il importe de rappeler que la session extraordinaire de N’Djamena avait pour but de traiter de la
crise en République Centrafrique et de l’avenir de la transition dans cet Etat membre de la
Communauté. Manifestement, le bien-fondé de l’invitation des membres du CNT à N’Djamena
était donc de rechercher les voies et moyens pour le rétablissement d’une paix durable en
Centrafrique. Que les membres du CNT soient « convoqués » à N’Djamena, au Burundi, au
Bujumbura, à Malabo voire à Bangui intra-muros dans l’impérieuse obligation de ramener la paix
en Centrafrique, est-il nécessaire d’exciper de la souveraineté ou du « droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes »? Ne dit-on pas que « la paix n’a pas de prix » ?
Dans l’une de ses excellentes contributions, le Professeur Hervé Ascencio de l’Université
de Paris 1 (Panthéon-Sorbonne) se demandait même si le droit à la paix n’était pas
« justiciable »10. Une telle réflexion ne serait-elle pas de nature à inciter le Conseiller juridique du
locataire du Palais de la Renaissance11 en Centrafrique à assigner son homologue du media LNC
devant la Commission africaine des droits de l’homme et des Peuples non seulement pour
violation de l’article 23 de la Charte des droits de l’homme et des Peuples, mais aussi pour non
10
Voir H. ASCENCIO, « Le droit à la paix est-il justiciable ? Les leçons d’un modèle africain », in L’homme dans la
société internationale, Mélanges en hommage au Professeur Paul Tavernier, Bruxelles, Bruylant, 2013, pp. 505-523.
11 Le Palais de la Renaissance à Bangui (capitale de la RCA) est l’équivalent de l’Elysée à Paris.
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reconnaissance du président tchadien comme « Acteurs de paix »12 ? La Conseillère juridique du
media LNC ne pourrait-elle pas ainsi, par analogie, être poursuivie pour « révisionnisme ou
négationnisme »13 ? Car, si le président tchadien se laissait influencer par son article, il pourrait
prendre la décision de ne plus s’impliquer en faveur d’un apaisement des tensions en République
Centrafrique conformément aux dispositions des articles 814 et 9 du Protocole relatif au Conseil
de paix et de Sécurité de l’Afrique Centrale (COPAX).
Par ailleurs, étant donné que « la paix constitue un facteur décisif dans la réalisation des
objectifs de la CEEAC »15, la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement devait-elle
privilégier la souveraineté nationale du peuple centrafricain devant les violations massives des
droits l’homme et le risque de génocide auquel était exposée la République Centrafricaine ?
Répondant immédiatement à cette question par la négative, force est de souligner qu’au nom de
la « responsabilité de protéger »16, la Conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement se devait,
conformément aux dispositions de l’article 9 alinéa 2 b) du traité de la CEEAC de prendre
« toutes mesures en vue d’atteindre les objectifs de la Communauté ». De façon spécifique,
l’article 8b vi) du Protocole relatif au COPAX, l’invite à prendre « toutes les initiatives
conformes » à ses missions. Quant à l’article 9 du même Protocole, il indique clairement que « La
Conférence juge de l’opportunité de décider et de conduire toute initiative contribuant à la
consolidation ou au rétablissement de la paix et de la sécurité à l’intérieur de la Communauté ou à
12
Selon le manuel du Thème d’animation Paix et développement- Dossier 2002-2003 du Comité Catholique contre
la Faim et pour le Développement intitulé, « Garantir la paix ? Prévenir les conflits. Cahier1. Comprendre et agir », « nous
sommes tous acteurs de paix : sur le plan individuel, collectif et institutionnel. Chacun d’entre nous, partout dans le
monde, est membre de la société civile et, en ce sens, peut être facteur de paix », p 3.
13 Voir A. CHAFFEL, Institutions et vie politique en France depuis 1945, Paris, Ellipses Edition Marketing S.A, p.85. Dans
cet ouvrage ce Professeur et Agrégé en Histoire définit ces termes comme « Courant de pensée qui nie ou minimise
le génocide des Juifs par les nazis et conteste l’existence des chambres à gaz ».
14 Traitant de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement, cet article 8 stipule que : « La Conférence est
l’instance Suprême de la COPAX.
b) Elle a la plénitude des compétences en de maintien, de consolidation, de promotion et de rétablissement de la paix
et de la sécurité en Afrique Centrale ; à ce titre, elle :
i) décide des mesures appropriées de prévention, de gestion et de règlement des conflits, et notamment de
l’opportunité d’une action militaire ;
vi) prend toutes les initiatives conformes aux missions du COPAX.
15 Voir le point (h) du Préambule du Protocole relatif au Conseil de paix et de sécurité de l’Afrique Centrale
(COPAX).
16 Voir à ce sujet l’intéressant article de M. A. PETERS, Professeur à la Faculté de droit de l’université de Bâle
(Suisse) intitulé, « Le droit d’ingérence et le devoir d’ingérence-Vers une responsabilité de protéger », in Revue de Droit
international et de Droit comparé, 2002, pp.290-308 ; ou encore le Rapport de la Commission internationale de
l’intervention et de la souveraineté des Etats (CIISE), publié en décembre 2001 et consultable sur le site :
http://www.iciss.gc.ca/pdfs/Rapport-de-la-Commission.pdf. Ce rapport est intitulé « La responsabilité de
protéger ». La Commission avait été mise en place par le Gouvernement canadien suite à l’appel de l’ancien Secrétaire
général de l’ONU, M. Koffi Annan à l’Assemblée générale des Nations Unies pour parvenir à un consensus sur la
conduite à tenir face à des violations massives des droits de la personne et du droit humanitaire. Composée de 10
personnes éminentes du monde entier et coprésidée par l’ancien ministre des Affaires étrangères de l’Australie,
Gareth Evans, et par Son Excellence Mohamend Sahnoun, d’Algérie, conseiller spécial du Secrétaire général de
l’ONU et ancien représentant spécial de ce dernier pour la Somalie, cette Commission avait pour mandat de susciter
un débat exhaustif et de favoriser un consensus politique mondial sur les problèmes mentionnés.
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ses frontières. A ce titre, elle peut décider de la constitution de comité ad hoc, solliciter l’apport de
personnalités indépendantes et définir le mandat confié à ceux-ci à cette occasion. »
A partir du moment où les articles évoqués précédemment ne dressent aucune liste de ce
qu’ils entendent par « toutes mesures » ou « toutes les initiatives », le fait d’inviter les membres du
CNT à N’Djamena pour qu’ils se prononcent sur la démission de ceux qui n’avaient « pu rien
faire » ou avaient même « laissé faire »17 rentre bel et bien dans la catégorie des « mesures » ou
« initiatives » à prendre. Par conséquent, il ne peut et ne doit être interprété comme une violation
de l’article 20 de la Charte constitutionnelle de transition. Comme les Professeur Eric CanalForgues et Patrick Rambaud le font clairement remarquer, « Lorsqu’un Etat faillit manifestement
à son devoir interne de protection, parce que ses autorités ne veulent pas ou ne sont pas en
mesure de porter secours aux populations civiles en situation de détresse extrême, la
responsabilité « subsidiaire » de la communauté internationale peut être activée. »18
L’invitation des membres du CNT à N’Djamena ou leur « sollicitation » s’inscrit
incontestablement dans la logique du principe de la responsabilité de protéger. La Conférence des
Chefs d’Etat et du Gouvernement de la CEEAC devait-elle rester indifférente face aux atrocités
dont nombre de Centrafricains étaient victimes sous les yeux mêmes du Chef de l’Etat de
transition et de son Premier ministre démissionnaires? Dès lors que l’article 9 alinéa 1 du
Protocole COPAX spécifie que la Conférence peut « …, solliciter l’apport de personnalités
indépendantes et définir le mandat confié à ceux-ci à cette occasion », ne peut-on pas considérer
les membres du CNT comme des « personnalités indépendantes » auxquelles cet article fait
allusion ? D’où vient que les chroniqueurs du media LNC s’en prennent gratuitement à une
personnalité19 centrafricaine en lui reprochant tantôt de ne pas « dénoncer » ou « contester »20 la
soi-disant déclaration de guerre d’Idriss DEBY à la RCA, tantôt de se « vitrifier dans la
médiocrité et la lâcheté politique »21 ?
En tant que Vice Doyen nous venons très respectueusement par la présente mise au point
porter à la connaissance de ces chroniqueurs qu’ayant assumé pendant plusieurs années le cours
de « Droit des organisations internationales » à l’ex- Faculté de Droit et des Sciences
Economiques de l’Université de Bangui et représenté jusqu’à une période récente la RCA auprès
17
Nous ne paraphrasons ici que les propos tenus par le président français, M. François Hollande, lors d’une
conférence de presse sur la situation en République Centrafricaine.
18 Voir E. Canal-Forgues et P. Rambaud, Droit international public, Paris, Editions Flammarion, p.459.
19 Il s’agit de M. Charles Armel DOUBANE, ancien ministre et ancien représentant de la RCA auprès de
l’Organisation des Nations Unies.
20 Voir article précité de la Conseillère juridique du journal LNC
21 Voir chronique de la Rédactrice en chef précitée.
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des Nations Unies la personnalité visée est très bien placée pour comprendre non seulement le
bien-fondé de l’invitation des membres du CNT à N’Djamena, mais aussi le dédoublement
fonctionnel du président tchadien. Cette personnalité avait même salué, pour paraphraser le
Professeur Danièle Darlan, « Le Droit international public au service du processus de paix »22 en
Centrafrique dans un communiqué de presse que le media LNC a pris le soin de publier dans ses
colonnes au lendemain du sommet extraordinaire de N’Djamena. Par conséquent, l’ancien
Ambassadeur de la RCA auprès des Nations Unies n’a point besoin d’une incitation à faire des
dénonciations : on ne dénonce pas pour le plaisir de dénoncer.
L’urgence « des urgences »23 de la session extraordinaire de N’Djamena consistait à
conjurer le mal du territoire centrafricain ou, pour reprendre l’heureuse expression du professeur
Christian Bidegaray, de « chasser le diable du confessionnal ». En d’autres termes, l’urgence du
sommet extraordinaire de N’Djamena était de « Faire la paix »24. Si le fait que le CNT ait siégé en
dehors de la RCA apparaît aux yeux de la spécialiste des questions juridiques du journal LNC
comme « Inouïe » ou « Du jamais vu », la procédure utilisée se révèle, à notre avis, plus
démocratique que ne le fût la décision unilatérale des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la
CEDEAO lors du sommet extraordinaire tenu à Abidjan le 26 avril 2012. Chacun se souviendra
que la CEDEAO avait motu proprio décidé non seulement du délai de transition au Mali, mais
aussi de la prorogation du mandat du président par intérim25. Entre la décision de la CEDEAO
d’avril 2012 et celle de la CEEAC de janvier 2014 laquelle est plus respectueuse ou usurpatrice de
la souveraineté du peuple ?
A partir du moment où la Conseillère juridique du media LNC ne fait allusion qu’à la
discipline du droit interne, telle le « droit commercial », on peut aisément comprendre qu’elle est
plus interniste qu’internationaliste. Par conséquent, il conviendra d’être quelque peu indulgent à
son égard. Car, comme l’écrivaient les Professeurs Henri Mazeau et Denis Mazeau « le droit et
l’économie sont des sciences trop vastes pour qu’un cerveau humain si prodigieux soit-il, puisse
les assimiler dans leur ensemble »26. Au demeurant, la Conseillère juridique du media LNC peut
22
Cf. D. DARLAN, « Le droit international public au service du processus de paix en République Centrafricaine »,
Bangui, février 2010, 28p.
23 Cf. « République Centrafricaine : les urgences de la transition », Rapport Afrique N°203 de International Crisis
Group/Working to prevent conflict worldwide, Nairobi/Bruxelles, 11 juin 2013, 35p.+ Annexes.
24 Voir Y. CONOIR et G. VERNA (dir.), Faire la paix. Concepts et pratiques de la consolidation de la paix, Québec
(Canada), Les Presses de l’Université Laval, 2005, 789p.
25 Cf. B. D. SEGBEDJI, Pr Younous Hamèye Dicho de l’ADR samedi face à la presse ! « La CEDEAO a usurpé la
souveraineté du peuple malien », in L’indépendant du 30 avril 2012 ; ou encore Mohamed D. DIAWARA, « Délai de
transition et prorogation du mandat de Dioucounda : usurpation de la souveraineté du Mali par la CEDEAO », in
Info Matin le quotidien malien des sans voix sur http//www.info.matin.info/…/2193-delai-de-transition-etprorogation-du-mandat…
26 Voir H. MAZEAU et D. MAZEAU, Méthode de travail DEUG DROIT, Paris, Editions Montchrestien, 1993, p.17.
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bénéficier d’une excuse pour non maîtrise non seulement du droit international public en général,
mais aussi des « nouveaux principes juridico-politiques »27 permettant en particulier de contourner
la souveraineté nationale en vue d’assurer la protection des droits de l’homme28. En revanche, une
telle mansuétude ou une telle magnanimité pourraient-elles s’étendre à l’oubli du double statut du
président tchadien par la Conseillère juridique du média LNC ?
B) L’oubli impardonnable du double statut du président tchadien
Dans le Communiqué final du 10 janvier 2014, le double statut du président tchadien
avait été pourtant clairement mis en évidence par le Secrétaire général de la CEEAC. A deux
reprises, ce diplomate a pris soin de mentionner ce « dédoublement fonctionnel » jadis théorisé
par Georges Scelle en écrivant : « Son Excellence Monsieur Idriss DEBY ITNO, Président de la
République du Tchad, Président en exercice de la CEEAC ». La question qui se pose est de savoir
si la décision de faire déplacer les membres du CNT à N’Djamena fut une décision collégiale ou
une décision unilatérale du président tchadien. Les travaux de la Conférence extraordinaire des
Chefs d’Etat et de Gouvernant s’étant déroulés à « huis clos », nous ne savons comment la
Conseillère juridique du media LNC a pu s’infiltrer dans la salle de ces travaux pour affirmer
mordicus dans son article que le président tchadien avait « unilatéralement » décidé de faire
déplacer les membres du CNT à N’Djamena. A moins qu’elle ait le don d’ubiquité ou se soit
transformée subitement en une sorte de nouveau « paraclet » pour porter à la connaissance du
public des informations qui ne figurent nulle part dans le Communiqué final du Secrétaire général
de la CEEAC. Faisant partie du commun des mortels, elle ne possède à nos yeux ainsi qu’à ceux
de ses collaborateurs aucune de ces qualités. Dénuées donc de tout fondement, ses affirmations
concernant la décision unilatérale du président Idriss DEBY ne constituent à notre avis que des
« rêveries de promeneur solitaire ».
En se fondant sur la jurisprudence dégagée par l’arrêt Stoll c. Suisse rendu le 10 décembre
2007 par la Cour européenne des droits de l’homme, pourquoi le Conseiller juridique du
président tchadien n’assignerait-il pas la Conseillère juridique du media LNC devant la Cour
africaine des droits de l’homme et des peuples pour diffamation ou divulgation de fausses
27
Pour des renseignements détaillés sur ces principes, se reporter à l’ouvrage de J-C ZARCA, Relations internationales,
Paris, 3ème édition mise à jour, Ellipses Marketing S.A, Coll. « Mise au point », 2007, pp. 43-47.
28 La plupart des auteurs distingue « trois générations » des droits de l’homme : la paix fait partie de la troisième
génération des droits de l’homme.
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informations ? Comme le rapporte Madame Sandrine TURGIS29, Maître de Conférence à
l’Université de Reims Champagne-Ardenne, l’affaire Stoll c. Suisse avait pour origine la
condamnation du requérant pour publication « de débats officiels secrets » à la suite de la
publication d’articles traitant d’opinions exprimées par l’ambassadeur de Suisse aux Etats-Unis
dans un rapport confidentiel. Identifiant des carences dans les publications incriminées, la Cour a
considéré qu’il aurait été loisible de joindre aux articles le texte intégral du rapport en cause, voire
de mettre ce texte à disposition des lecteurs sur le site internet du journal afin de permettre à ces
derniers de prendre la connaissance exacte de la teneur de ce document. En l’absence de
reproduction du rapport, la Cour a estimé que la forme tronquée et réductrices des articles,
laquelle était de nature à induire en erreur les lecteurs au sujet de la personnalité et des aptitudes
de l’ambassadeur, a considérablement réduit l’importance de leur contribution au débat public
protégé par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et conclut à l’absence
de violation de cet article 10. Les médias traditionnels ont donc tout intérêt à utiliser les
nombreuses opportunités offertes par internet pour compléter et étayer les informations qu’ils
diffusent.
Cependant, à supposer que les informations fournies par la Conseillère juridique du média
LNC soient vraies, une autre question qui n’est pas des moindres est de savoir si son excellence
Monsieur Idriss DEBY ITNO, avait agi en qualité de président tchadien ou de président en
exercice de la CEEAC. La réponse ne fait aucun doute : jusqu’à preuve de contraire, le président
tchadien reste le président en exercice de la CEEAC. Même si sa décision unilatérale a été prise
en violation de l’article 20 alinéa 5 de la Charte constitutionnelle de Centrafrique, il n’en demeure
pas moins que la finalité de sa décision a été approuvée par le peuple centrafricain. En
témoignent les scènes de liesse observées sur toute l’étendue du territoire à la suite de l’annonce
de la démission du Chef de l’Etat de transition et de son Premier ministre sur les ondes nationales
et internationales. Même si comparaison n’est pas raison, cette stratégie du président en exercice
de la CEEAC nous semble analogue à celle du général de Gaulle. On se souviendra en effet qu’en
1962 et 1969 le général de Gaulle avait usé d’une procédure différente de celle de l’article 89 pour
réviser la Constitution française de 1958. Dans le premier cas qui fut un succès, le Président
souhaitait que l’élection du Chef de l’Etat ne soit plus réalisée par un collège électoral restreint,
mais au suffrage universel direct. Dans le second cas, qui fut un échec, la réforme avait deux
29
Voir son article intitulé « La coexistence d’internet et des médias traditionnels sous l’angle de la Convention
européenne des droits de l’homme », in Revue trimestrielle des droits de l’homme (93/2013), notamment, pp. 34-35.
L’essentiel des informations contenues dans ce paragraphe est tiré de cet article.
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objets : transformer le Sénat en assemblée consultative représentant les intérêts socioéconomiques et donner une organisation régionalisée à la France.
Dans les deux cas, le général de Gaulle était confronté à l’opposition résolue du Sénat. Le
recours à la procédure normale de révision apparaissant dès lors improbable, il décida de
contourner l’obstacle parlementaire en utilisant l’article 11 de la Constitution. Celui-ci permet au
Chef de l’Etat d’organiser un référendum sur la base d’une simple proposition du Premier
ministre. La question qui se posait alors était de savoir si le recours à l’article 11 pour réviser la
Constitution était conforme ou pas à la Constitution. Comme le fait excellemment remarquer
Madame Séverine NICOT30, Maître de Conférences à l’Université Pierre-Mendès-France
(Grenoble II), « ce détournement de l’article 11 avait provoqué l’une des batailles politiques les
plus animées de l’histoire de la Vè République française. »
En particulier, la thèse de l’inconstitutionnalité, presque unanimement soutenue par les
formations politiques, a donné lieu à l’accusation de « forfaiture » que le président du Sénat,
Gaston Monnerville, porta contre le général de Gaulle au prétexte que l’utilisation détournée de
l’article 11 constitue une « violation délibérée, voulue, réfléchie, outrageante de la Constitution ».
Quant à François Mitterrand, alors qu’il n’était, encore, que député, il s’était fortement opposé à
cette utilisation de l’article 11 et n’avait pas hésité à qualifier cette attitude de « coup d’Etat
permanent » Il est difficile de développer ici tous les aspects de ce débat. Pour étayer nos propos
analogiques, nous nous limiterons aux arguments avancés par le Doyen Georges Vedel.
En effet, le Doyen Vedel justifia la constitutionnalité du recours à l’article 11 en
invoquant l’apparition d’une coutume. Il estima que le succès du référendum de 1962 avait effacé
l’inconstitutionnalité de la démarche du général de Gaulle : l’approbation populaire aurait eu pour
effet d’ériger l’article 11 en un nouveau procédé de révision de la Constitution.
Par analogie, l’exaltation du peuple centrafricain suite à la démission assistée du chef
d’Etat de transition et son Premier ministre était une approbation populaire de la démarche du
président Idriss DEBY. On avait même écouté et vu sur les médias audiovisuels une partie de la
population banguissoise, encore campée sur les sites de fortune aux abords de l’Aéroport Bangui
M’POKO, scander la phrase : « Merci au Président de la CEEAC ! ». Au regard de ce qui précède,
comment imaginer une population remerciant en un temps record le Président de la République
30
Voir le Corrigé de son sujet de dissertation in M. VERPEAUX (dir.) Annales Droit constitutionnel 2009. Méthodologie et
sujets corrigés, Paris, Dalloz, 2008, p. 231.
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d’un Etat voisin qui, la veille, lui aurait déclaré la guerre ? Ces observations prouvent à suffisance
que le titre choisi par la Conseillère juridique du média LNC ne correspond nullement à la réalité.
En dehors de l’interprétation superficielle de l’article 20 de la Charte constitutionnelle de
Transition en Centrafrique, celle de l’article 106 de ladite Charte laisse à désirer.
II.-
UNE
INTERPRETATION
DE
L’ARTICLE
106
DE
LA
CHARTE
CONSTITUTIONNELLE DE TRANSITION LAISSANT A DESIRER
Faisant partie des dispositions transitoires, cet article s’énonce de la manière suivante :
« Le Chef de l’Etat de la Transition, le Premier Ministre de Transition, les membres du Gouvernement de
Transition et les membres du Bureau du Conseil National de Transition sont inéligibles aux élections
présidentielles et législatives organisées à l’issue la transition ».
Ainsi libellé, cet article exclut-il le Président et les membres du CNT de candidater au
poste de Chef de l’Etat de transition ? Au regard de la Charte constitutionnelle, la réponse à cette
question se fait par la négative (A). Car aucune disposition de la Charte constitutionnelle de
transition ne les y empêchait. C’est à l’occasion de l’élaboration des critères d’éligibilité du
nouveau chef de l’Etat de transition que les Conseillers Nationaux s’étaient eux-mêmes exclus de
la compétition (B).
A) La non-exclusion des membres du CNT à l’élection du Chef de l’Etat de
transition
La plus grosse bourde ayant induit une interprétation erronée de l’article 106 de la Charte
constitutionnelle par la Conseillère juridique du media LNC provenait du fait qu’elle avait travaillé
sur la base du texte de la Charte téléchargé sur Internet. Certes, tous les meilleurs auteurs31
s’accordent à dire qu’Internet constitue une véritable révolution en matière de transmission
d’information. Comme l’explique une juriste et, de surcroît, Rédactrice en chef de la revue
Médias32, « le réseau offre en effet un accès plus facile et bien plus rapide à une grande somme
d’informations que les moyens traditionnels de communication. Pourtant, Internet n’étant soumis
à aucun contrôle, on y trouve des informations sérieuses, mais aussi d’autres qui sont farfelues,
fausses et dangereuses. »
31
Cf. F-J PANSIER, Méthodologie du droit, Paris, 6è édition LexisNexis, 2013, 59-77 ; ou encore J. BONNARD,
Méthode de travail de l’étudiant en droit, Paris, 4è édition Hachette Supérieur, 2008, pp.37-55.
32 Cf. E. DUVERGER, Les droits de l’homme, Toulouse, Editions Milan, Coll. « Les essentiels Milan », 2008, p.27.
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Au regard de ce qui précède, il y a franchement lieu de se demander si la Conseillère
juridique du média LNC n’a manifestement pas oublié le sage conseil prodigué par le Professeur
Marie-Anne COHENDET, conseil selon lequel il faudra, en matière d’internet, « veiller à utiliser
des sites sérieux »33. En effet, le texte de la Charte constitutionnelle de transition publié sur
Internet non seulement ne revêt pas la signature du Chef de l’Etat de transition, et donc non
authentique, mais encore la rédaction de certaines dispositions ne correspond pas à celle publiée
dans le Journal officiel de la République Centrafricaine. Ainsi, alors que dans le texte publié au
journal officiel, l’article 106 se termine par l’expression « à l’issue de la transition », la version
Internet publiée en « pdf » sur un site douteux se termine par « durant la transition ». Internet ne
véhiculant pas toujours des informations authentiques, on comprend pourquoi la Conseillère
juridique de LNC s’était fourvoyé dans l’interprétation de l’article 106 de la charte
constitutionnelle de la République Centrafricaine. En effet, la locution prépositive « à l’issue
de » et la préposition « durant » n’ont pas une signification équivalente. Alors que l’une comporte
une dimension téléologique, l’autre marque, selon un agrégé de grammaire « une valeur
d’insistance »34. Placées dans un texte juridique, il va de soi qu’elles peuvent donner lieu à des
interprétations divergentes, voire erronées.
Contrairement donc aux allégations péremptoires de la Conseillère juridique du media
LNC, allégations selon lesquelles les membres du CNT ne pouvaient prétendre à la présidence,
même de transition, le président du CNT, en l’occurrence M. Ferdinand Alexandre
NGUENDET, n’était pas juridiquement exclu de la course au poste de Chef de l’Etat de
transition. Personnellement, après les alternances chaotiques observées depuis 1981, le retour à la
tête du pays d’un jeune de moins de 45 ans et pourquoi pas d’une jeune femme de la même
tranche d’âge permettrait mutatis mutandis tantôt de nous départir d’une classe politique
oubanguienne, c’est-à-dire cette classe politique dont la plupart est née avant la proclamation de
l’indépendance de la République Centrafricaine, tantôt de faire une application du concept genre.
Etant donné que « chaque génération a son expérience à faire pour pousser l’humanité de
l’avant »35, pourquoi ne pas accorder la chance à un ou une jeune centrafricain de conduire la
période de transition ? Les jeunes n’en sont pas incapables ! L’exemple de Madagascar est encore
d’une brulante actualité où un jeune a bel et bien fait ses preuves de 2009 à 2014.
Installé en effet au pouvoir à la tête de la Haute Autorité de Transition à l’âge de 34 ans et
ce, depuis 2009, le jeune Andry Nirina Rajoelina, ancien maire destitué d’Antananarive et « ex33
Voir A-M COHENDET, Droit constitutionnel. Cours. Travaux dirigés. Conseils de méthode. Exercices. Sujets d’examen.
Corrigés, Paris, LGDJ/Lextenso éditions, Coll. « COURS », 2013, p. 25.
34 Cf. R. LAGANE, Difficultés grammaticales, Paris, Larousse, 1995, p. 55.
35 Voir B. NANGA, Les chauves-souris, Paris, Présence africaine, p. 161.
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disc-jockey »36, a pu conduire la transition jusqu’à l’élection d’un nouveau président de la
République. Tout le problème de la candidature du président du CNT découle de son soutien
indéfectible à l’alliance SELEKA. N’eut été cette proximité ou mieux encore, cette coloration
« sélékiste », il aurait été un candidat de « la nouvelle génération montante » à laquelle un
journaliste de la radio France internationale (RFI) faisait allusion. Qu’à cela ne tienne ! Compte
tenu du « contexte assez sensible »37, pour reprendre les propos même du président du
Mouvement de libération du peuple centrafricain (MLPC), l’intéressé avait fait montre de sagesse
en annonçant officiellement qu’il ne déposera pas sa candidature pour l’élection du nouveau Chef
de l’Etat de transition.
Bref, pour en revenir à l’interprétation de notre fameux article 106, force est de relever
que nonobstant les expressions divergentes évoquées ci-dessus, les dispositions de l’article 106
ne visent que les « élections présidentielles et législatives ». Sans aucun doute, l’élection en cause
ne concernait que le « Chef de l’Etat de transition ». Et donc, à proprement parler, il ne s’agissait
pas d’une « élection présidentielle », mais de « l’élection d’un chef de l’Etat de transition ». A cet
égard, plusieurs dispositions de la Charte constitutionnelle militent en faveur de notre
interprétation. Pour s’en tenir à l’essentiel, on peut citer les articles 104 et 76 (tiret 9).
Aux termes de l’article 104, il est en effet fait mention d’une interdiction capitale que
nombre d’acteurs politiques, voire les Centrafricains tout court ne respectent pas en pratique,
notamment l’interdiction selon laquelle : « Le Chef de l’Etat de la Transition ne porte pas le titre
de Président de la République ». La Conseillère juridique du media LNC n’a-t-elle lu ou vu cette
disposition ? Si elle a pu interpréter certaines dispositions de la Charte constitutionnelle, on
suppose qu’elle n’est pas illettrée.
Quant à l’article 76 (tiret 9) qui traite de la Cour Constitutionnelle de Transition, celui-ci
établit la distinction selon laquelle ladite Cour « est chargé de recevoir le serment du Chef de
l’Etat de Transition et celui du président de la République élu ». On retrouve la même distinction
dans la suite de l’article 104 précité, lequel précise que le Chef de l’Etat de Transition « reste en
place jusqu’à la prise de fonction effective du Président de la République, Chef de l’Etat
démocratiquement élu ».
Sans trahir la pensée des rédacteurs de la Charte, il nous semble que c’est le mode de
dévolution ou d’accession au pouvoir qui sous-tend la distinction établie entre le Chef de l’Etat
de Transition et le Président de la République. Ne procédant pas d’une élection au suffrage
36
37
Voir B. YAMAHA NDJAMBOU, Précis de l’histoire d’Afrique, Collection bertyx 2001, p.47.
Propos tenus la semaine dernière lors d’une interview sur RFI.
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universel direct, le Chef de l’Etat de Transition ne bénéficie pas de l’onction populaire et par voie
de conséquence ne peut être élevé à la dignité de Président de la République.
En définitive, loin de les exclure, l’article 106 de la Charte constitutionnelle autorisait les
membres du CNT ainsi que le président de ce parlement provisoire à présenter leur candidature
en vue de succéder au Chef de l’Etat de transition démissionnaire. Il faudra attendre la session
extraordinaire du CNT convoquée du 13 au 28 janvier 2014 pour que les Conseillers Nationaux
s’auto-excluent de la course vers le Palais de la Renaissance.
B) L’auto-exclusion des membres du CNT de la course au poste vacant du Chef de
l’Etat de transition
Dans le souci de continuer la transition d’une manière apaisée et consensuelle, les
membres du CNT s’étaient attelés à définir des critères d’éligibilité du nouveau Chef de l’Etat de
Transition. Au nombre de ces critères figure bien évidemment l’exclusion de leur candidature à
ce poste. Ce faisant, il y a lieu de le faire remarquer, les membres du CNT ont pu ainsi témoigner
de leur volonté de promouvoir au sein de la classe politique centrafricaine une véritable « culture
constitutionnelle »38. Juridiquement, ils n’étaient pas exclus de candidater au poste vacant du Chef
de l’Etat de transition, mais pour respecter l’esprit des dispositions de l’article 106 de la Charte
constitutionnelle, ils avaient unanimement décidé de s’exclure de ladite compétition.
Cependant, au moment où notre mise au point sur l’interprétation fallacieuse de certaines
dispositions de la Charte constitutionnelle tirait vers sa fin, un Avocat39 à la Cour d’Appel de
Paris était venu relancer un autre débat sur l’inconstitutionnalité ou illégalité des « Critères
d’éligibilité » du nouveau Chef de l’Etat de Transition élaborés par le CNT. En parcourant de
bout en bout son article intitulé « Les critères d’éligibilité à la Présidence de transition fixés par le
Conseil National de Transition centrafricain : Acte dépourvu de valeur juridique et inopposable
erga omnes »40, nous nous étions immédiatement demandé si notre Cher Maître s’était interrogé un
instant sur la nature ou le caractère desdits critères. S’agissait-il des critères juridiques ou des
critères politiques ?
A notre avis et tout en sachant que le chef de l’Etat de transition est une personnalité
éminemment politique, les Conseillers nationaux ne pouvaient ou ne devaient pas se contenter
38
Cf. Jean DUBOIS DE GAUDUSSON, « Constitution sans culture constitutionnelle n’est que ruine du
constitutionnalisme. Poursuite d’un dialogue sur quinze années de « transition » en Afrique et en Europe », in
Démocratie et liberté : tension, dialogue, confrontation, Mélanges en l’honneur de Slobodan-Milacic, Bruylant, 2008, pp.333348.
39 Il s’agit de Maître Wang-You.
40 Cet article a été publié le 19 janvier 2014 in Centrafrique Presse Info.
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des critères juridiques pour son élection. Selon le Professeur Eric Oliva, de l’Université
d’Avignon et des Pays du Vaucluse, la « désignation des gouvernants rassemble les règles de
dévolution du pouvoir politique »41. Aussi, dans le souci de rassembler ou de sophistiquer les
règles de l’élection du nouveau Chef de l’Etat de transition, les membres du CNT ont préféré
surfer sur la mixité en cumulant les deux critères. Bien évidemment, et compte tenu du contexte
hyper sensible dans lequel se trouvait la République Centrafricaine, il était hors de propos que les
membres du CNT se limitassent ou s’enfermassent dans des critères juridiques fixés dans le Code
électoral de ce pays. Ne se seraient-ils pas, par hasard, inspirés de la pertinente étude du
Professeur Jean-Claude COLLIARD, intitulée « Etre présidentiable »42 ? Au cœur de la
préoccupation de cet éminent auteur figurait justement la question suivante : « à partir de quels
critères l’opinion, c’est-à-dire en fait le corps électoral futur, reconnaîtra-t-elle à un prétendant la
possession de ce véritable statut ? »
Au fil de son étude et en s’appuyant sur un échantillon ou « corpus exhaustifs » de
l’ensemble des candidatures effectives à chaque élection présidentielle organisée en France entre
1965 et 2002, le Professeur Jean-Claude COLLIARD a mis en exergue deux critères
indispensables pour avoir le statut de présidentiable. Pour lui, le statut de présidentiable suppose
en effet la double possession « d’un capital personnel »43 et « d’une capacité fédérative »44. A ces
deux critères, on peut ajouter également ceux de Jeremy Bentham45 dont Monsieur Guillaume
Tusseau nous donne un aperçu dans son étude46. En effet, l’ensemble du système constitutionnel
benthamien vise à garantir l’aptitude des agents publics. Elle comporte trois aspects : l’aptitude
morale, l’aptitude intellectuelle et l’aptitude active. L’aptitude morale consiste à poursuivre
l’intérêt du plus grand nombre. L’aptitude intellectuelle consiste d’une part à avoir les
41
Voir E. OLIVA, Droit constitutionnel, Paris, 3ème éditions DALLOZ, Coll. « Aide-mémoire », 2002, p.51.
Voir J-P COLLIARD, « Etre présidentiable », in L’Esprit des institutions, L’équilibre des pouvoirs, Mélanges en
l’honneur de Pierre PACTET, Paris, Dalloz, 2003, pp
43 Selon les explications qu’en donne professeur COLLIARD, le candidat doit posséder un certain nombre des
ressources qui, d’une part, l’établissent solidement à la tête d’un courant politique important et, d’autre part, atteste
de sa capacité à faire œuvre positive s’il arrivait à la tête de l’exécutif ; ce que le professeur appelle pour les premières
« les ressources d’ancrage » et pour les secondes « les ressources d’ouvrage ». Les « ressources d’ancrage » donnent la
possibilité d’appartenir de façon permanente comme l’un des principaux dirigeants politiques du pays : c’est la
détention d’un fief électoral et la maîtrise d’un parti politique. Quant aux ressources d’ouvrage, elles portent à la fois
sur le passé et sur l’avenir ou plus exactement sur la possibilité de mettre en avant une expérience solide, garante de
la compétence nécessaire pour exercer la plus haute charge du pays.
44 Il s’agit de comment attirer sur un même programme des segments différents de la population de manière à les
agréger dans une majorité. En fait ce qui est en cause c’est la capacité à faire bouger les lignes, à dépasser les
frontières de son camp et d’ailleurs les candidats prennent bien soin de préciser que, s’ils ont certes le soutien d’un ou
de plusieurs partis, ils ont vocation à rassembler au-delà, à montrer leur capacité fédérative.
45J. Bentham, First Principles Preparatory to Constitutional Code, P. Schofield (ed.), Oxford, Clarendon Press, 1989, Section
12 (N.d.T.)
46 Voir G. TUSSEAU, « Sur le panoptisme de Jeremy Bentham », in Revue française d’histoire des idées politiques, n°19,
pp.3-38.
42
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connaissances appropriées, et d’autre part à détenir une capacité de jugement. L’aptitude active
implique de se consacrer entièrement à sa fonction officielle.
Ce sont, à n’en point douter, ces éléments d’appréciation exposés ci-dessus qui figurent en
des termes pas similaires au critère n°5 et non à « l’article 5 »47 des « Critères d’éligibilité » du
nouveau Chef de l’Etat de Transition. Si les Conseillers nationaux centrafricains se sont
effectivement inspirés des travaux de ces auteurs, nous suggérons à Monsieur le Recteur de
l’Université de Bangui d’initier illico presto une note à l’attention du ministre de l’Enseignement
Supérieur et de la Recherche Scientifique en vue de décerner à tous les membres du CNT le titre
de « Docteur Honoris Causa ». Ils le méritent de façon collégiale pour tout le travail intellectuel
abattu et qui avait permis une élection crédible et transparente de Madame Catherine SAMBAPANZA comme nouveau Chef de l’Etat de transition.
Par ailleurs, nous nous permettons de rappeler à notre Cher Maître que depuis l’Accord
de Libreville du 11 janvier 2013, dont lui-même a singulièrement examiné la caducité et d’autres
le contour juridique48, les institutions politiques de la République Centrafricaine évoluent sous un
régime d’exception ; ce que le Professeur Luc SINDJOUN de l’Université de Yaoundé II
(Cameroun) appelle : « Gouvernement de transition »49. D’après les explications de ce Professeur,
explications auxquelles nous adhérons entièrement, le « gouvernement de transition permet de
réconcilier crise et institution ; c’est une institution de circonstances exceptionnelles chargée de la
diminution des tensions et de la sortie de la crise : c’est une solution institutionnelle fluide et
flexible en ce sens qu’elle est liée au passage à négocier »50. Autrement dit, en période de
transition où manifestement il existe, selon le Professeur Frédéric Joël AÏVO, de l’Université
d’Abomey-Calavi, une « crise de normativité de la Constitution »51, point n’est besoin de
s’enfermer dans un juridisme opiniâtre. Aussi ne nous appartient-il pas de rappeler à notre très
cher Maître Wang-You toute la jurisprudence relative à la théorie des circonstances
47
Les rédacteurs de ces critères ne les ont pas énuméré sous forme d’article, d’où vient que Maître Wang-You parle
d’ « article 5 » dans son article ?
48 Voir D. DARLAN, « Analyse juridique de l’accord politique de Libreville du 11 janvier 2013, Bangui, FSJP, 7p ; ou
C. LENGA, Accord politique de Libreville sur la résolution de la crise politico-sécuritaire en République
Centrafricaine signé le 11 janvier 2013, 7p.
49 Voir l’étude assez dense et documentée du Professeur L. SINDJOUN sur la question et qui s’intitule, « Le
gouvernement de transition : éléments pour une théorie politico-constitutionnelle de l’Etat en crise ou en
reconstruction », in Démocratie et liberté : tension, dialogue, confrontation, Mélanges offerts à Slobodan MILACIC, Bruxelles,
Bruylant, 2008, pp.967-1011. Dans une perspective de droit constitutionnel comparé, on pourra également se
reporter à la contribution de Ch. Chabrot intitulée, « La transition constitutionnelle en France », V° Séminaire
franco-japonais de Droit public, Colmar-Lyon, 4-10 septembre 2002, in La Constitution et le Temps, Ed. L’Hermès,
Lyon, 2003, pp.95-110 ; ou encore M. VERPEAUX, « Les transitions constitutionnelles sous la révolution
française », in Mélanges en l’honneur de Pierre PACTET précité, pp.937-956.
50 Voir L. Sindjoun, op.cit, pp.972-973.
51 Voir F-J AÏVO, « La crise de normativité de la Constitution en Afrique », in Revue de Droit public, 1/2012, pp.141186
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exceptionnelles, que ce soit en droit administratif ou en droit constitutionnel. Les arrêts Rubin de
Servens52 et Canal, Robin et Godot53 rendus en 1962 par Conseil d’Etat français en Assemblée
plénière font naturellement ses délices au moment de ses plaidoiries devant les différentes
juridictions parisiennes.
D’aucuns seraient tenter de nous objecter que les arrêts auxquels nous faisons allusion ne
règlent que la question des pouvoirs du Président de la République en période de circonstances
exceptionnelles et non ceux du CNT. La réplique à une telle objection ne saurait tarder : à partir
du moment où les démissions simultanée du Chef de l’Etat de transition et son Premier ministre
avaient créé un vide dans le fonctionnement des pouvoirs publics54, qui pouvait valablement
signer le décret de promulgation d’une loi relative aux critères d’éligibilité qu’aurait adopté le
CNT conformément à la procédure décrite par Maître Wang-You dans son article? Certainement
pas le Chef de l’Etat de transition intérimaire ! Car, aux termes de l’article 23 alinéa 2, celui-ci
n’avait qu’un seul décret à signer pendant ses quinze jours d’intérim, notamment : le décret de
convocation d’une session extraordinaire à l’effet d’élire un nouveau Chef de l’Etat de transition.
En dehors de cet unique décret, il devra se contenter d’assurer l’intérim.
Au-delà du débat soulevé par Maître Wang-You, nous pensons, pour notre part que le
travail de définition de critères ne doit pas se limiter à l’élection du nouveau Chef de l’Etat de
transition. Pour éviter des revendications politiciennes et catégorielles, il convient également que
le CNT élabore des critères se rapportant aussi bien à l’effectif qu’au profil des personnalités
devant composer le Gouvernement de transition. Dans le droit fil des préoccupations exprimées
par de nombreux observateurs de la vie politique centrafricaine, nous proposons à la Chef de
l’Etat de Transition ainsi qu’au Premier ministre qu’elle aura choisi, la mise en place d’un
gouvernement restreint, dénommé conformément à dynamique du rétablissement de la paix en
Centrafrique impulsée au cours du dernier sommet extraordinaire de la CEEAC et un idéal-clé de
la devise centrafricaine (Unité) : « Gouvernement d’action pour la paix et le renforcement de
l’unité entre Centrafricains », en abrégé GAPRUN.
Composé de technocrates, ce Gouvernement devra se limiter à seize (16) membres. Cet
effectif ne découle pas d’un choix hasardeux. Il correspond au découpage administratif de la
République Centrafrique en 16 préfectures. En vue d’éviter toute contestation et de réaliser
l’unité nationale, il serait judicieux de coopter un technocrate par préfecture. De la sorte, aucune
52
Voir M. LONG, P. WEIL et al., Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, Paris, 18ème édition Dalloz, 2011,
pp532-540.
53 Idem, pp. 541-547.
54 Cf. Décision de la Cour constitutionnelle de transition constatant la vacance de pouvoir du Chef de l’Etat de
Transition (Décision n°001/14/CCT du 12 janvier 2014).
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Mise au point sur les interprétations fallacieuses de certaines dispositions de la Charte constitutionnelle de transition....
préfecture ne se sentira exclue de la gestion de la chose publique. Dans notre commentaire sur le
Gouvernement TOUADERA III en 2011, cette proposition avait été suggérée aux autorités
politiques de l’époque. Mais comme la logique de ces dernières était de faire fi des suggestions
venant des universitaires, cette attitude avait évidemment conduit le pays non seulement au coup
d’Etat du 23 mars 2013, mais également vers un risque de génocide.
Comme le Professeur Robert Charvin se plaisait à le répéter à ses jeunes étudiants de
Master 1 « Majeur Droit et Science politique » de l’Université de Nice Sophia-Antipolis, le rôle
des universitaires est rendre intelligible ce qui ne l’est pas. Dans une contribution fort intéressante
consacrée à l’interprétation du Professeur de droit, il écrira ceci : « Son interprétation du droit
n’est pas une démarche d’intelligence indépendante visant à la connaissance, à rendre
compréhensible, à donner du sens ; elle est une participation à l’exercice du pouvoir dont elle
facilite la reproduction. »55
Parvenu aux termes de notre analyse, nous osons croire que les décideurs et surtout les
étudiants en droit sauront tirer pleinement profit de la présente mise au point. Quant aux
chroniqueurs du journal
LNC, ils prendront dorénavant le temps de réfléchir assez
profondément avant de foncer aveuglement « dans le désert de l’intellectualisme centrafricain »56.
Autrement, ils regretteront leur témérité. Car ils risqueront fort bien de rencontrer dans ce
« désert de l’intellectualisme centrafricain » tantôt une branche intellectuelle des SELEKA ainsi
que celle des Anti-Balaka qui n’hésiteront point à incendier, à décapiter, à détruire, voire à
« nettoyer au Karcher », et ce, avec une certaine élégance et pugnacité, leurs élucubrations
intellectuelles ; tantôt aussi, pour paraphraser un célèbre écrivain de la littérature africaine
d’expression anglophone, ils seront désagréablement aux prises avec des tigres qui ne proclament
jamais leur « tigritude »57, mais qui bondissent directement sur leur proie.
Dans la même veine, la Conseillère juridique du media LNC (Mme Sandra MartinWhite58) avait violemment fustigé l’analyse faite par le Professeur Danièle DARLAN dans un
55
Voir R. CHARVIN, « Le Professeur de droit et son interprétation de la réalité sociale », in Droit du pouvoir et pouvoir
du droit, Mélanges offerts à Jean SALMON, Bruxelles, Bruylant, 2007, pp.211-221.
56 Cf. sa chronique précitée.
57 On attribue ce néologisme au regretté Wole SOYINKA. Fustigeant les partisans du mouvement de la
« Négritude », il aurait prononcé à leur endroit le phrase suivante : « Le tigre ne proclame jamais sa tigritude, il bondit
sur sa proie ».
58 Ne connaissant pas le statut marital de notre Conseillère juridique, nous nous permettons par courtoisie et
galanterie qui caractérisent les Centrafricains et surtout pour le poste qu’elle occupe de faire précéder son nom de
« Madame ».
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Alexis N’DUI-YABELA
Mise au point sur les interprétations fallacieuses de certaines dispositions de la Charte constitutionnelle de transition....
autre article intitulé : « Les absurdités et oublis juridiques de Mme Danièle DARLAN »59.
Poussant, en quelque sorte, le bouchon très loin, cette spécialiste des questions juridiques du
média LNC a même eu le toupet de défier in fine les juristes centrafricains en ces termes : « Y AT-IL DES JURISTES COMPETENTS EN CENTRAFRIQUE ? »
A l’issue de la présente mise au point sur ses interprétations fallacieuses de certaines
dispositions de la Charte constitutionnelle, « une question nous brûle les lèvres »60 : entre Mme
Danièle DARLAN et Mme Sandra Martin-White, qui est la plus absurde ? Comme disent les
anglophones : « That is the question ! » ou encore pour reprendre La Fontaine dans Le Villageois et le
Serpent : « Voilà le point ! ».
Bangui, le 21 janvier 2014
Alexis N’DUI-YABELA,
Vice-Doyen de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques.
59
Voir LNC du 16 septembre 2013.
Nous empruntons cette expression à l’humoriste français Eric Massot, dans son sketch intitulé « Madame Moisie »,
professeur de français.
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