Directive cadre sur l`eau
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Directive cadre sur l’eau : De la restauration de l’optimum traditionnel à de nouvelles implications économiques Destandau François Levêque Olivier Rozan Anne* Version mai 2008 Abstract Water Framework Directive : From traditional optimum restoration to new economic implications The Water Framework Directive explicitly mobilizes economic theory for reducing excessive pollution in the aquatic environment: incentive based on EU penalty and tariff, cost-benefit analysis and cost-efficiency analysis. Tools proposed by the WFD aiming to encourage Member States to correct this under-optimality will impact the State Regulator's function. At this stage, Member States will consider sharing out pollution control efforts upstream and downstream, thus modifying the incentive instruments acting at the source. Keywords : WFD, EU penalty; pollution control effort, incentive tariff Laboratoire GSP, UMR Cemagref-Engees, ENGEES, 1 quai Koch, BP 61039 F67070 Strasbourg cedex. Tel : +33 (0) 388 248 223, Corresponding author : e-mail : [email protected]. Nous remercions chaleureusement Sophie Nicolaï de l’Agence de l’eau Rhin-Meuse (France) pour les discussions que nous avons eu avec elle. 1 1 Introduction La Directive Cadre sur l’Eau (Parlement européen et Conseil de l’Union Européenne, 2000) marque un tournant important dans la politique environnementale européenne en présentant un cadre juridique unifié et cohérent, dans le principal but de prévenir et réduire la pollution des eaux en Europe, jugée excessive. Elle mobilise explicitement les enseignements de la théorie économique pour corriger la politique des Etats membres qui semblent avoir échoué à amener la qualité des eaux vers un niveau conciliant harmonieusement intérêts économiques et intérêts écologiques. Plus concrètement, afin de trouver le bon arbitrage entre intérêts économiques et écologiques, la DCE fixe, a priori, une norme ambiante contraignante : le « bon état », qui pourra faire l’objet d’une dérogation si les Etats membres démontrent à l’aide d’une analyse coûts-bénéfices que les coûts de dépollution sont excessifs par rapport aux bénéfices environnementaux. Les coûts de dépollution sont calculés à partir d’un Programme de mesures choisies soigneusement selon leur coûtefficacité. Enfin, la DCE pousse les Etats membres à recourir aux instruments incitatifs pour atteindre l’objectif écologique. Toutefois, face à des textes qui semblent aller dans le bon sens, nous sommes en droit de nous demander si, dans la pratique, la Commission Européenne ne va pas subir les mêmes freins que les Etats membres auparavant. Ainsi, à mi-parcours du premier cycle censé mener les cours d’eau au « bon état » en 2015 (sauf dérogation), un premier bilan s’impose. Dans la section 2, nous rappellerons brièvement les différentes raisons que la théorie économique invoque pour expliquer l’échec des Etats dans leur rôle de régulateur de la pollution des milieux aquatiques. Dans la section 3, nous verrons comment la DCE prévoit d’intégrer les enseignements de la théorie économique pour internaliser la pollution de l’eau. La section 4 sera l’objet d’un premier bilan de l’application de la DCE, plutôt encourageant. L’objectif contraignant de «bon état» associé à la menace d’une amende ont poussé les Etats à explorer des techniques de dépollution in situ, faisant appel à des processus naturels, complémentaires à la dépollution à la source. La section 5 sera l’objet d’une prospective à l’aube de la finalisation de la procédure de dérogation qui s’achèvera à la fin de l’année 2009. Aujourd’hui, bien qu’ils représentent un dispositif majeur de la DCE, nul ne sait précisément comment les dossiers de demande de dérogation seront discutés au sein de la Commission européenne. Pourtant des contreexpertises trop laxistes pourront mener à des dérogations excessives et des objectifs écologiques revus à la baisse de façon non justifiée. Ainsi, un regard attentif devra être porté sur les méthodes d’estimation des 2 coûts et des bénéfices mis en œuvre par les Etats requérant des dérogations. Dans cette section, nous apportons des éléments de réponse à ce débat, en montrant que la répartition de l’effort de dépollution entre l’amont et l’aval aura un impact sur la fonction de coût et donc sur les Programmes de mesures qui devront servir de référence dans la procédure de dérogation. De plus, dans le cadre d’une tarification incitative, l’assiette de calcul d’une taxe sur les effluents sera modifiée. 2 Un constat : La pollution des milieux aquatiques est excessive dans les pays européens L’Economie de l’environnement s’intéresse particulièrement à l’une des missions de l’Etat qui est de concilier intérêts économiques et écologiques pour parvenir à une qualité des milieux naturels qui maximise le surplus total. En théorie, cette qualité est dite optimale. La reprise en main de cette mission par l’Union européenne, notamment par l’intermédiaire de la Directive Cadre sur l’Eau pour réduire la pollution des milieux, sonne comme un constat d’échec de la politique des Etats. Différentes raisons peuvent être avancées pour expliquer que la pollution des cours d’eau se maintienne à un niveau jugé trop élevé. La théorie économique souligne différentes catégories d’explications. Tout d’abord, la « bienveillance » du régulateur est remise en cause par les écoles de pensée de l’Economie Politique et du Choix Public1. Selon ces auteurs (par exemple Buchanan et Tullock, 1962), le régulateur poursuit des intérêts qui lui sont propres et subit l’influence de groupes de pressions. Il s’écarte ainsi de l’objectif de maximisation du surplus total. Toutefois, ces explications ne doivent pas occulter la difficulté d’obtention des informations nécessaires à la détermination des niveaux « optimaux » de qualité environnementale, même dans le cas de régulateur « bienveillants »2. Concernant les courbes de coûts de dépollution, l’asymétrie d’information entre régulé et régulateur, ainsi que la question de la discrimination des efforts de dépollution (Destandau et Nafi, 2008) ont été soulignées dans la littérature. L’estimation des courbes de bénéfices écologiques, quant à elle, est 1 Voir Marchand (1999) et Lévêque (2004) Cropper et Oates (1992) exposent les méthodes d’estimation des coûts et des bénéfices, ainsi que leurs limites. De plus, ils présentent des exemples empiriques, en l’occurrence des Programmes environnementaux où les normes écologiques ont été calculées à partir de ces méthodes. 2 3 problématique en raison de la multitude d’impacts physiques et du problème de conversion en unité monétaire. euros Coûts marginaux de dépollution sur-estimés (en valeur absolue) Bénéfices marginaux environnementaux réels Coûts marginaux de dépollution minimisés 0 Bénéfices marginaux environnementaux sous-estimés Qactuel Q* Concentration de pollution dans le milieu Figure 1: Pollution actuelle excessive Ainsi, l’ensemble de ces raisons : prédominance des intérêts économiques (opérations de lobbying, soucis de compétitivité, …) couplée à une méconnaissance des courbes de coût-bénéfices, amène à sous-estimer les bénéfices environnementaux et/ou sur-estimer les coûts de dépollution conduisant à une pollution des milieux naturels excessive (figure 1). 3 DCE : Une internalisation de la pollution de l’eau, dans les textes, conforme aux enseignements traditionnels de la théorie économique Tout en proposant un cadre réglementaire unifié de la politique de l’eau en Europe, la Directive Cadre sur l’Eau a pour ambition de mettre en place une internalisation de la pollution de l’eau au sens économique du terme. 3.1 Fixation a priori du « Bon Etat » : processus de négociation de type Coasien La détermination de l’objectif qualitatif du milieu fut, dans le cadre de la DCE, le fruit d’un processus « Coasien » de négociation entre représentants des associations de protection de l’environnement, des principaux émetteurs de pollution, et des entreprises de l’eau. Il en a résulté la fixation d’un objectif a priori de «bon état». Le «bon état» 4 correspond à la seconde classe de qualité sur cinq classes prédéfinies : le «très bon état», le «bon état», l’«état moyen», l’«état médiocre», et le «mauvais état». La classe de qualité dépend de considérations chimiques, biologiques (pour les eaux de surface) et quantitatives (pour les eaux souterraines). Plus précisément, le niveau de qualité reflète le degré de perturbation des milieux par les activités humaines, le «très bon état» définissant une eau ne subissant aucune perturbation anthropique. 3.2 Détermination des Programmes de mesures : Analyse Coût-efficacité La Directive Cadre prévoit deux étapes pour définir les « Programmes de mesures » à mettre en place. La première étape nommée : « Etat des lieux » ou « Caractérisation du district hydrographique », a pour objet de lister les masses d’eau risquant de ne pas atteindre le « bon état », et d’identifier les principales sources de pollution ainsi que leur importance relative dans le tissu économique du bassin versant. La seconde étape, le « Plan de gestion », définit la stratégie appropriée pour atteindre le bon état. Ce Plan se basera sur les informations fournies par l’état des lieux pour estimer le potentiel coût-efficacité des mesures afin d’en déduire la meilleure combinaison pour atteindre l’objectif. Ainsi, le « Programme de mesures » résultant de cette étape, aura pour but d’agir sur les mesures dans l’ordre décroissant de leur coût-efficacité, par conséquent, en privilégiant, en premier lieu, les sources qui permettent de réduire au maximum la pollution ambiante pour un même coût de dépollution, ou d’obtenir un même niveau de pollution du milieu au coût minimum. Cette approche coût-efficacité est bien cohérente avec ce que l’on trouve dans la théorie économique, puisque, comme l’ont montré Montgomery (1972) et Tietenberg (1974), lorsque l’impact des rejets polluants diffère selon le lieu d’émission, la répartition de l’effort la plus économique n’est pas celle qui mène à l’égalisation des coûts marginaux de dépollution mais à l’égalisation des coûts marginaux de réduction de la pollution ambiante de chaque pollueur3. 3.3 Procédure de dérogation : Analyse Coût-Bénéfice La DCE s’inscrivant dans une optique environnementaliste, nous pouvons nous attendre à ce que l’exigence environnementale de « bon 3 Dans le cas où une même concentration ambiante de polluant génère un dommage écologique différent selon le lieu, la répartition de l’effort de dépollution la plus économique est celle qui aboutit à l’égalisation des coûts marginaux de réduction du dommage écologique. 5 état » des eaux, puisse être économiquement trop contraignante, au moins pour certaines masses d’eau et certains types de pollution (plus contraignant que Q* sur la figure 1). Pour éviter ce risque de dérive environnementaliste, la Directive offre aux Etats membres la possibilité de retarder l’atteinte du « bon état », voire de fixer un objectif environnemental moins exigeant, lorsque les coûts de l’atteinte du « bon état » sont trop élevés par rapport aux bénéfices attendus. Plus précisément le report de délai peut être invoqué pour trois raisons, à savoir des raisons techniques : les technologies nécessaires ne sont pas encore disponibles, des raisons naturelles : les mesures mises en place mettent du temps à porter leurs fruits, ou bien lorsque les coûts sont disproportionnés dans ce délai. Les dérogations devront être motivées par une analyse coûts-bénéfices, afin de démontrer qu’effectivement le « bon état » se situe dans la zone où les coûts marginaux de dépollution excèdent les bénéfices marginaux environnementaux, ce qui tendrait à montrer que les dernières unités de pollution retirées du milieu ont davantage coûté qu’elles n’ont rapporté en bénéfice environnemental. L’analyse chiffrée qui met en évidence le caractère excessif des coûts d’atteinte du « bon état » est présentée à la Commission puis débattue, afin de valider ou non le bien-fondé de la dérogation, et, le cas échéant, de définir l’étendue de la dérogation. Si aucun accord n’est trouvé, il reviendra à la Cour de Justice de trancher en dernier ressort. Nous comprenons aisément que les méthodologies d’estimation des coûts et des bénéfices devront être à terme harmonisées au niveau communautaire. A ce titre, le rôle de la Commission et de la Cour de Justice sera essentiel. Le mécanisme de dérogations a pour vertu principale de produire de l’information sur les courbes de coût de dépollution4 et de bénéfice écologique, information initialement méconnue des Etats mais également, évidemment, de la Commission Européenne. 3.4 Tarification incitative L’article 9 de la DCE prévoit que les Etats membres « veillent à ce que la politique de tarification de l’eau incite les usagers à utiliser les ressources de façon efficace ». La Commission des Communautés Européennes précise, dans ses documents techniques (2000), qu’il s’agit de mettre en place un mécanisme de marché adéquat pour compenser les défaillances liées au fait que l’eau est une ressource commune et que sa pollution est une externalité négative. 4 Les Coûts de dépollution sont chiffrés lors de l’élaboration des Programmes de mesure. 6 4 Bilan à mi-parcours : des débuts prometteurs Si, dans les textes, la DCE semble aller dans le bon sens, pourquoi l’Europe ferait-elle mieux que les Etats membres dans l’application de cette politique ? Pourquoi ne subirait-elle pas les mêmes contraintes, les mêmes freins, les mêmes pressions ? Avant d’entamer la phase de procédures de dérogations essentielle pour la réussite de cette politique, un premier bilan s’impose. L’objectif initial de «bon état» est-il réellement contraignant ? Les Etats membres sont-ils réellement incités à rechercher de l’information sur les coûts et les bénéfices ? 4.1 Le cycle DCE Les étapes de la DCE décrites dans la section 3.2 font l’objet d’un calendrier précis que chaque Etat membre doit respecter. L’Etat des lieux avait pour échéance 2004 (étape 1 sur la figure 2). Pour 2009, échéance du Plan de Gestion, les Programmes de mesures, devront être finalisés et les demandes de dérogation déposées et débattues (étape 2, 3, 4 sur la figure 2). Les Programmes de mesures devront être mis en place en 2012 et les résultats observables en 2015. A l’heure actuelle, les Programmes de mesures sont en cours d’élaboration et les demandes de dérogation seront déposées dans les prochains mois. Figure 2: Le cycle de l’Analyse Economique dans la DCE (source AESN, 2003) 7 Le cycle s’achèvera pour une évaluation des impacts des programmes (étape 6 de la figure 2) qui donnera naissance à un nouveau cycle : Etats des lieux - Plan de Gestion – Objectifs atteints, avec respectivement des échéances en 2013-2015-2021 puis en 2019-20212027. 4.2 Le « bon état » : un objectif contraignant La réussite de la DCE repose, en premier lieu, sur la définition du « bon état », puisqu’un objectif initial insuffisamment contraignant ne pourra être corrigé par la suite. Or, selon Kaika et Page (2003), le processus de négociation, décrit dans la section 3.1, a bien abouti à un objectif de « bon état » écologiquement contraignant. Les auteurs justifient ce résultat par le fait que le processus de négociation ait été piloté par la DG Environnement et que le Traité d’Amsterdam de 1999 ait conféré au Parlement un droit de veto. Or, la DG Environnement de la Commission et le Parlement Européen sont proches des thèses environnementalistes contrairement au Conseil de l’Union Européenne, plus sensible aux intérêts industriels et agricoles. 4.3 Une réaction des Etats membres observable Pour inciter les Etats membres à jouer le jeu, l’Europe s’est dotée d’un instrument dissuasif : l’amende communautaire. Face à cette menace, de nouvelles techniques de dépollution des milieux aquatiques sont explorées : les techniques de dépollution in situ ou aval pour venir compléter la dépollution à la source ou amont. 4.3.1 Amende dissuasive Les faits montrent que les instances européennes ont besoin de se doter d’instruments dissuasifs pour pousser les Etats membres à respecter les règlements communautaires. En effet, le septième rapport annuel de la Commission européenne sur l’application des textes environnementaux (Commission des Communautés européennes, 2006) note que l’environnement représente 22,4% des procédures de manquement en cours en 2005. D’après Grimeaud (2004), les textes sur l’eau concernaient 15,4% de ces procédures en 2002 (avant les premières échéances fixées par la DCE). Depuis, de nombreux pays ont fait l’objet de procédures pour mauvaise transposition ou application de la DCE. Crettez et Deloche (2006) montrent que la menace des pénalités infligées par la Cour de justice des communautés (CJCE) discipline effectivement les Etats-membres. Prévue aux articles 226 à 228 du 8 Traité instituant la Communauté Européenne (TCE), la procédure de recours en manquement comporte deux phases. La première aboutit au constat, par la CJCE, que l’Etat membre viole une obligation communautaire, la deuxième phase, n’étant engagée par la Commission que si l’Etat persiste dans son manquement. Cette seconde phase peut aboutir à une amende et une astreinte fixée par la CJCE. Ainsi, dans le célèbre arrêt Merluchon (Cour de justice des Communautés européennes, 2005), la France a été condamnée au paiement d’une somme forfaitaire de vingt millions d’euros et d’une astreinte de plus de cinquante-sept millions d’euros supplémentaires par période de six mois de non respect des règles concernant la pêche au merlu. L’analyse économique des sanctions de comportements délictueux trouve son origine dans un article de Becker (1968), et a depuis été largement développée, notamment par Ehrlich (1996). Cette littérature s’intéresse essentiellement aux sanctions infligées à des personnes privées, le cas très particulier de l’Union Européenne où ce sont des Etats qui sont sanctionnés n’a pas fait l’objet, à notre connaissance, de discussions particulières. Dans le cas de la DCE, le montant de l’Amende doit, au minimum, correspondre aux coûts de Programmes de mesures, pour être dissuasif. 4.3.2 La dépollution aval L’idée selon laquelle la dépollution devrait toujours intervenir à la source est répandue dans les milieux de l’écologie scientifique. Si l’on souhaite réduire la pollution du milieu, la solution la plus évidente est de réduire les rejets dans le milieu, l’émission de produits polluants par le pollueur. Cette intuition a l’avantage d’être assez morale, puisque l’effort de dépollution est supporté par le pollueur, et est appuyée par des arguments, techniques, juridiques et économiques. Techniquement, il semble souvent plus facile d’intervenir à la source dans la mesure où l’on a, en général, un meilleur contrôle sur le polluant : en théorie, on sait à quel moment le polluant est formé et en quelles quantités. Il suffit alors d’adopter une technique réduisant l’émission ou permettant de récupérer l’intégralité du polluant avant qu’il ne soit déversé dans le milieu. Juridiquement, il existe dans l’ordre communautaire (art. 174 TCE) un principe de correction en priorité à la source des atteintes à l’environnement. Enfin, économiquement, il semble moins coûteux de réduire l’émission de pollution a priori plutôt que d’intervenir in situ. Pourtant, on remarque actuellement que sous l’impulsion de la DCE de nombreux travaux se développent sur de nouvelles techniques d’amélioration de l’état des eaux in situ, faisant appel à la recréation et à l’amélioration de processus naturels. Trois catégories de techniques font l’objet d’une attention particulière : la bioremédiation, la 9 phytoremédiation et l’hydromorphologie. La bioremédiation consiste à utiliser la capacité de certains microorganismes à dégrader ou fixer certains polluants. De façon analogue, la phytoremédiation désigne l’utilisation de végétaux pour extraire des polluants d’un milieu donné. Enfin, l’hydromorphologie regroupe les interventions sur la forme des cours d’eau (tracé du lit, connexion de bras morts, structure des berges). La DCE a rendu obligatoire l’intégration de mesures hydromorphologiques pour agir sur la dimension biologique du "bon état". Ce fut, ainsi, l’occasion de s’interroger sur d’autres facultés de ces mesures, relativement peu utilisées jusqu'ici. En particulier, l'amélioration des capacités auto-épuratrices des masses d'eau pourrait se substituer en partie à une dépollution à la source5. Si l’utilisation de ces mesures in situ ou mesures aval reste encore marginale, elles sont très prometteuses grâce à leur facilité de mise en place, leur bonne insertion paysagère et leur robustesse. Nous pouvons citer deux exemples de projets en cours sur la période 2006 – 2009, concomitants avec l’étape de « Plan de Gestion » de la DCE où les Etats membres prospectent pour définir les mesures de dépollution adéquates pour atteindre les objectifs environnementaux. Le projet ArtWET6 constitue une approche intégrée de la capacité de traitement des phytosanitaires par des zones humides artificielles, allant de la compréhension des phénomènes physiques, chimiques et biologiques aux implications économiques et juridiques de telles techniques. Le projet « forêt et eau »7, quant à lui, vise à estimer le rôle épurateur des forêts et à étudier des moyens de contractualisation de ce service naturel. 5 La dépollution aval : De nouvelles implications pour la suite Les débuts prometteurs de la DCE ne doivent pas faire oublier que l’étape des procédures de Dérogation sera fondamentale. Des programmes de mesures ou des bénéfices environnementaux mal calculés mèneront à des objectifs inefficients. Notre contribution porte sur l’impact de la répartition de l’effort de dépollution amont-aval sur le calcul des Programmes de mesure. 5 Concernant le lien entre hydromorphologie et auto-épuration, voir, par exemple, Namour (1999) 6 Projet LIFE 06 ENV/F/000133, www.artwet.fr. 7 Projet « Valorisation des services de production d’eau propre rendus par la forêt », Action conjointe INRA et IDF « forêt et eau ». 10 5.1 Un nouvel « Optimum » A l’instar des innovations sur les technologies propres qui déplacent la fonction de coût et donc l’optimum social, le développement de la dépollution aval va modifier l’équilibre traditionnel. Chaque unité de pollution produite pourra : soit être retirée à la source, soit être éliminée par une technique aval, soit générer une nuisance sur le milieu. Ces trois possibilités sont exclusives pour une unité de pollution produite donnée. euros Coûts marginaux de dépollution amont (en valeur absolue) Bénéfices marginaux environnementaux Coûts marginaux de dépollution aval 1 Coûts marginaux de dépollution aval 2 Coûts marginaux de dépollution aval 3 0 Q1 Q2 Q* Q3 Qmax Concentration de pollution dans le milieu Figure 3: Les coûts de dépollution aval : différents scenarii envisageables Sur la figure 3, nous imaginons trois formes possibles pour la fonction de coût marginal de dépollution aval, chacune d’elles étant croissante avec la quantité de polluant traitée. Dans le cas de coûts de dépollution aval très élevés (coût marginal de dépollution 1), les techniques aval ne seront pas mobilisées, la dépollution à la source réduira la pollution ambiante de Qmax à Q*, les unités de pollution résiduelles Q* généreront un dommage écologique. Dans l’autre cas extrême (coût marginal de dépollution 3), l’intégralité de la dépollution se fera à l’aval dans un souci de minimisation des coûts, tout en maintenant une quantité résiduelle Q1 dans le milieu. Ce dernier cas est peu crédible car les processus d’épuration naturelles sont moins intensifs que dans des installations traditionnelles. Toutefois, une dépollution à l’aval peut s’avérer, malgré tout, en partie moins coûteuse. Deux raisons peuvent être avancées. Premièrement, ces techniques nécessitent peu d’infrastructures et une intervention humaine limitée comparativement aux traditionnelles stations d’épuration. Nous pouvons également souligner que certaines mesures hydromorphologiques ayant des objectifs de recréation d’habitats et de passage de faune, peuvent également améliorer l’état chimique des eaux. En second lieu, aux coûts directs de dépollution en 11 capital et en travail, une dépollution à la source génère des coûts de « régulation » : coûts d’information, coûts d’acceptabilité, coûts de collecte des taxes environnementales, coûts de contrôle, coûts de sanction,..., pour inciter les producteurs de pollution à modifier leurs comportements. Dans des secteurs à fort lobbying, ces coûts peuvent être extrêmement élevés8. Par conséquent, sur la figure 3, le scénario « coût marginal de dépollution 2 » semble le plus crédible, ce qui explique l’engouement actuel pour ces techniques de dépollution alternatives. Dans ce cas, sera retirée en amont une quantité de pollution (Qmax-Q3), puis éliminée à l’aval les unités (Q3-Q2), Q2 étant la nouvelle quantité de pollution ambiante résiduelle optimale. 5.2 L’Europe face aux Etats membres Sur la figure 4, reprenant le cas 2 de la figure 3, nous voyons que la nouvelle courbe de coût marginal de dépollution non-monotone se compose d’un fragment de la courbe de coût marginal de dépollution amont ou de bénéfices marginaux économiques de Qmax à Q3, puis, d’un fragment de la courbe de coût marginal de dépollution aval, lorsque celle-ci devient moins élevée, entre Q3 et 0. Le coût de dépollution total minimum pour atteindre le « bon état » QBE est illustré par la surface hachurée. euros Bénéfices marginaux environnementaux Coûts marginaux de dépollution amont (en valeur absolue) Coûts marginaux de dépollution aval 0 Q2 QBE Q* Q3 Qmax Concentration de pollution dans le milieu Figure 4 : Programme de mesure de référence Dans le cadre d’une demande de dérogation de la DCE, nous voyons que le Programme de mesures qui sera choisi sera déterminant. En effet, pour des actions spécifiquement à la source, l’Etat pourra 8 De façon analogue, Vatn et Bromley (1997) ont envisagé que les mesures défensives prises par la victime d’une externalité pouvaient parfois être moins coûteuses qu’une réduction à la source de l’externalité. 12 bénéficier d’une dérogation en montrant que, pour une eau en « bon état » QBE, les coûts de dépollution excèdent les bénéfices environnementaux. Une nouvelle norme ambiante sera calculée en Q*. Cependant en tenant compte de la possibilité de dépolluer à l’aval, la dérogation ne pourra plus être accordée, la nouvelle qualité d’équilibre Q2 étant même plus contraignante que le « bon état ». A l’heure actuelle, ce type de Programme de mesure associant dépollution amont et aval est difficile à chiffrer, l’effet réel sur le milieu des techniques aval étant encore peu connu. Toutefois au regard de la multitude d’études actuelles visant à connaître ces effets, on réalise que d’ici peu la question du Programme de mesures qui doit servir de référence dans la procédure de dérogation va se poser. 5.3 Les Etats membres face à leur Pollueurs La dépollution aval n’est pas une alternative directement envisageable par le pollueur. En effet, il existe des arguments juridiques (domanialité des cours d’eau), mais aussi économiques expliquant que les mesures de dépollution aval ne sauraient être appliquées par des pollueurs privés. Par exemple, les techniques visant à améliorer le rendement de l’auto-épuration du milieu profitent à tous les pollueurs en amont, leur permettant de réduire leurs efforts sans porter préjudice à l’état du milieu. Ce caractère de bien public, implique qu’aucun pollueur ne voudra financer des passagers clandestins potentiels, qui peuvent, en outre, être des concurrents. euros Co ûts (en valeur absolue) T* T2 ma r Bénéfices marginaux de dépollution gin au xd ed ép oll uti on am on t Coûts marg inau x de Coûts marginaux de dépo llutio dépollution minimisés na T3 0 Q2 Q* Q3 val Qmax Figure 5 : DCE et Tarification incitative 13 Concentration de pollution dans le milieu Ainsi, en prenant l’exemple de Taxe pigouvienne9 (figure 5), le niveau de pollution Q2 recherché, ne pourra être atteint par une taxe sur les effluents traditionnelle impliquant que le taux unitaire doit correspondre à l’intersection de la courbe de coût de dépollution marginal et à la courbe de bénéfice marginal,T2. Le taux de la taxe sera moins élevé car l’effort de dépollution demandé aux « sources » est moins intensif. Ainsi un taux de taxe T3 incitera les activités polluantes, en amont, à réduire leurs effluents de façon à amener la pollution à un niveau Q3. Par la suite, des mesures aval seront entreprises dès qu’elles apparaîtront comme plus coût-efficace, par une autorité publique compétente, Etat ou autorité de bassin. Restera à déterminer le mode de financement de ces mesures, qui pourrait être la recette de la taxe. Sans développer cette question du financement de la taxe qui n’est pas l’objet de notre propos, nous voyons que la politique des autorités de bassin chargées de définir et de récolter les taxes sur les effluents, devra s’adapter à ce nouveau contexte découlant directement de la Directive Cadre sur l’Eau européenne. 6 Conclusion Alors qu’il est souvent reproché aux gouvernements de privilégier les intérêts économiques aux intérêts écologiques, il est désormais clair que la DCE provoque de profonds changements dans les politiques environnementales étatiques. La menace d’une amende infligée par les autorités communautaires est cruciale à cet égard, tandis que des mécanismes de dialogue et de dérogation permettent d’éviter de tomber dans l’excès inverse d’une protection absolue de l’environnement, quel qu’en soit le prix. L’amélioration de la qualité environnementale passe par un partage de l’effort de dépollution entre la dépollution in situ engagée par les autorités publiques, et la réduction des effluents à la source. Les frontières exactes de ce partage se dessineront dans les prochaines années, au fur et à mesure que les coûts et bénéfices des différentes techniques de dépollution seront connus. Notre article montre qu’un tel partage de l’effort de dépollution n’est pas sans incidence sur le chiffrage des Programmes de mesures, et donc 9 A travers cet exemple de la taxe Pigouvienne, il s’agit essentiellement de montrer que l’effort de dépollution sera moindre à la source, et qu’il faudra réfléchir à la façon de financer la dépollution in situ. La conclusion sera la même avec des instruments ou combinaison d’instruments plus adaptées dans le cas d’une information imparfaite (voir Xepapadeas, 1991 ou Thomas, 1995) 14 sur l’issue des procédures de demande de dérogation sur lesquelles repose en grande partie le succès de la Directive Cadre sur l’Eau. Ainsi, nous apportons une contribution à l’un des enjeux majeurs des prochaines années, à savoir harmoniser les méthodes d’évaluation des coûts de dépollution et des dommages écologiques qui devront servir de référence lors des procédures de dérogation afin de définir une quantité de pollution ambiante optimale. Références bibliographiques Agence de l’Eau Seine-Normandie (2003), L’Economie dans la directive Cadre : Résumé du guide de méthode européen « Wateco », rapport, juillet. Becker G. S. (1968), “Crime and punishment: An economic approach”, The Journal of Political Economy, University of Chicago, Chicago, n°2 vol.76, april, p. 169–217. Buchanan J.M., Tullock G. 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