AYA Info 92 - AYA – Appui au Peuple Yanomami d`Amazonie
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AYA Info 92 - AYA – Appui au Peuple Yanomami d`Amazonie
AYA - Appui aux indiens Yanomami d'Amazonie 15, Chemin de la Vi-Longe - CH - 1213 Onex / Genève - CCP 17-55066-2 Quelques brèves concernant l'Amazonie et les Indigènes du Brésil AYA Info - No 92 Genève, le 30 avril 2014 "AYA Info" est en ligne sur trois sites Internet : Humanitaire.ws et MCI et SECOYA > AYA info Avril indigène 2014 Au Brésil, le mois d'avril est traditionnellement l'occasion de rappeler l'existence des peuples indigènes. Le 19 avril est même la "Journée de l'Indien" selon une décision prise en 1943 par un décret-loi du président Getúlio Vargas. Diverses manifestations ont lieu dans le pays. Pour sa part, la Fondation Nationale de l'Indien – FUNAI a lancé la campagne "Avril Indigène 2014" le 7 avril au Mémorial des Peuples indigènes de Brasilia sur le thème : "Les indiens sont la richesse du Brésil / Le Brésil de l'Urucum* – La différence est notre richesse". Une vidéo visible sur Youtube présente la campagne qui veut contribuer à la lutte contre la discrimination à l'égard des Indiens. Le slogan affirmant que les indiens sont la richesse du Brésil est loin de faire l'unanimité. En novembre et décembre 2013, deux députés fédéraux, Alceu Moreira et Luis Carlos Heinze ont publiquement manifesté leur hostilité à l'égard des indiens. Le premier a incité les producteurs ruraux à engager des sociétés privées de sécurité pour lutter contre les invasions de terres revendiquées par les peuples indigènes. Le second s'en est pris aux indiens, quilombolas, lesbiennes et gays les qualifiant de "tudo o que não presta", qui se traduit poliment en français par : "tout ce qui ne vaut rien". Une dizaine d'organisations ont demandé au Procureur général de la république d'enquêter afin de déterminer si ces propos constituent une infraction. Le 21 mars dernier, Journée internationale pour l'élimination de la discrimination, Survival International a décerné le prix du "Raciste de l'année" à Luis Carlos Heinze. Le 22 avril, pour marquer le 514e anniversaire de l'arrivée de Cabral sur les côtes brésiliennes, une vingtaine d'artistes brésiliens ont lancé la campagne "Tamuaté-Aki"** dont l'objectif est de demander aux politiciens et aux autorités plus de respect pour les droits acquis par les peuples les plus anciens du pays. Dans la video de lancement, l'actrice Leticia Sabatella pose la question : Pour vous, le Brésil a-t-il été découvert ou a-t-il été envahi ? Toni Garrido : Comment un indien répondrait-il à cette question ? * L'Urucum est un arbre dont la graine est utilisée pour les peintures corporelles de couleur rouge. ** Néologisme dont la traduction approchée en français signifie : "Nous en avons assez… ça suffit !" Il y a 50 ans : l'instauration de la dictature militaire au Brésil À Brasilia, le 1er avril, la confusion a dominé la séance de la Chambre des députés qui a dû être interrompue. À l'ordre du jour, le rappel du 50e anniversaire du coup d'état militaire de 1964 qui a instauré une dictature durant 21 ans. Le tumulte a commencé quand le député Jair Bolsonaro, un nostalgique du régime militaire, est monté à la tribune. Des députés et des invités ont alors tourné le dos à l'orateur et à la présidence de la Chambre en chantant l'hymne national et en brandissant les portraits de victimes du régime. En effet, ils ont été nombreux les exilés (dont Paulo Freire à Genève), les emprisonnés, torturés, assassinés ou disparus pendant ces "années de plomb". Après l'adoption de la loi d'amnistie de 1979, les recherches sur les exactions commises par les militaires ont été entreprises sous l'impulsion de l'avocate Eny Moreira, de Dom Paulo Evaristo Arns, cardinal de São Paulo, de Henry Sobel, rabbin de la Congrégation Israélite Pauliste et de Jaime Wright, pasteur presbytérien. Pendant six ans, de 1979 à 1985, un groupe d'une trentaine de personnes a photocopié les actes des procès intentés par les militaires à leurs opposants. Cette documentation, connue sous le nom de Projet "Brasil : Nunca Mais" (Brésil : Jamais Plus) a été sortie du Brésil, microfilmée, et conservée à Genève, au Conseil Œcuménique des Églises - COE. Rapatriée au Brésil en 2011, elle est consultable sur Internet depuis 2013. Déjà en 1985, sous le titre "Brasil : Nunca Mais", les éditions Vozes ont publié un ouvrage qui est le résumé de cette documentation. Ce travail est un premier bilan de la répression exercée par la dictature. En novembre 2011, une loi fédérale crée une "Commission Nationale de Vérité" – CNV installée en mai 2012. Elle est chargée d'enquêter sur les violations des droits humains commises entre 1946 et 1988. Elle doit rendre son rapport pour le 16 décembre 2014. En novembre 2012, dans le cadre de cette Commission, un Groupe de Travail a été institué pour enquêter sur les violations commises en relation avec la lutte pour la terre ou contre les peuples indigènes. Avant même 1964, de nombreuses communautés indigènes ont eu à souffrir des graves dévoiements de fonctionnaires du Service de Protection de l'Indien – SPI. Service créé en 1910, supprimé et remplacé en 1967 par la Fondation Nationale de l'Indien – FUNAI. Devant les plaintes relatives au SPI, des Commissions d'Enquête Parlementaires – CPI ont été instituées dès 1962. Le résultat le plus important des enquêtes conduites au cours des années 60 est certainement le "Rapport Figueiredo". Un document de plus de 7'000 pages que l'on croyait perdu dans un incendie, mais retrouvé et rendu public récemment. Au seul domaine traitant des "crimes contre la personne et la propriété de l'indien", les enquêteurs ont eu à connaître des cas d'assassinats individuels et collectifs, de prostitution d'indiennes, de sévices, de travail forcé, d'usurpation du travail de l'indien, d'appropriation, de détournement et de dilapidation du patrimoine indigène. Plus récemment, la 6e Chambre de Coordination et Révision - rattachée au Ministère Public Fédéral – spécialement chargée des questions relatives aux "Populations Indigènes et Communautés Traditionnelles" a, elle aussi créé, le 25 février 2014, un Groupe de travail sur la "Violation des droits des peuples indigènes et le régime militaire". Pour cette année, il concentre ses recherches sur quatre cas spécifiques : la violation des droits des Wamiri-Atroari dans l'État d'Amazonas; les violations des droits du peuple Guarani en raison de la construction de l'usine hydroélectrique d'Itaipu dans l'État du Paraná; les activités durant le fonctionnement du "Reformatório Krenak", centre de détention d'Indiens créé dans le Minas Gerais; et les activités de la Garde Rurale Indigène – GRIN, dans le Minas Gerais, une troupe composée d'indigènes entraînés à sévir contre d'autres indigènes. De ce qui est déjà connu de ces travaux, il apparaît que, parmi les groupes visés par la dictature, les morts au sein des peuples indigènes se comptent par milliers. Cela surtout en conséquence des "chocs microbiens" survenus à l'occasion de la construction des infrastructures comme la BR-174, cette route qui va de Manaus à Boa Vista ou la Transamazonienne. La "colonisation" de l'Amazonie est une préoccupation récurrente pour les gouvernements brésiliens. Pendant la dictature, il y a eu notamment l"Operação Amazônia" dès 1966 et, en 1970, le "Plan d'Intégration Nationale". Ce sont ces programmes qui ont causé des ravages au sein des communautés indigènes. Les Indiens ne sont pas restés passifs pendant la dictature. Leur résistance a commencé en avril 1974 quand une quinzaine d'entre eux se sont retrouvés une première fois à Diamantino, une localité du Mato Grosso. De leurs réunions ultérieures est née l'Union des Nations Indigènes – UNI. Cette organisation a joué un rôle important pour l'inscription des droits indigènes dans la Constitution de 1988. Des entités d'appui aux peuples indigènes sont également nées pendant la dictature, par exemple le Conseil Indigéniste Missionnaire – CIMI, rattaché à la Conférence des Evêques du Brésil – CNBB créé en 1972. Plusieurs observateurs, dont l'un des fondateurs du CIMI font un parallèle avec la situation présente quand les autorités "passent en force" pour la construction du barrage de Belo Monte par exemple. Les projets d'exploitation minière en Terres indigènes suscitent également l'inquiétude. Dans quelques mois, il devrait être possible d'avoir une meilleure connaissance des conséquences de la période dictatoriale. Se pose dès maintenant la question des réparations… Toujours la controverse sur le processus de démarcation des Terres indigènes Lors de la 9e réunion extraordinaire de la Commission Nationale de Politique Indigéniste – CNPI qui a eu lieu à Brasilia au début du mois d'avril, les organisations indigènes et indigénistes (la "bancada indígena") ont reproché aux représentants du gouvernement de ne pas avoir appliqué les décisions prises en décembre 2013 lors de la réunion de la 22e réunion ordinaire de la Commission. Il y avait été décidé que le processus de démarcation des Terres Indigènes ferait l'objet de séminaires régionaux préparant une Conférence Nationale de Politique Indigéniste. Le gouvernement propose seulement la tenue d'un séminaire national au cours duquel serait discuté un projet d'arrêté préparé par le ministère de la justice*. Ce texte a pour objet l'application du décret No 1775/96 relatif à la démarcation des terres Indigènes. La bancada indígena a rédigé un rapport juridique analysant la proposition ministérielle en conclusion duquel elle estime que la législation brésilienne est suffisante pour répondre aux droits des peuples indigènes (la démarcation de leurs terres) et aux droits des petits agriculteurs (leur indemnisation et leur réinstallation). Elle permet également l'indemnisation des détenteurs de titres concédés par les pouvoirs publics à des particuliers. Les premières organisations signataires demandent au gouvernement de renoncer à publier cet arrêté et de se concentrer sur la reprise de la démarcation des terres traditionnelles comme le prescrit la Constitution brésilienne. Pour ces organisations, la publication de cet arrêté serait la preuve que le gouvernement Dilma est anti-indigène; qu'il est l'allié des ruralistes, aligné aux intérêts du pouvoir économique national et transnational et qu'il s'obstine à vouloir un modèle de développement néo-colonisateur, usurpateur de territoires, ethnocide et écocide. L'Articulation des Peuples Indigènes du Brésil – APIB a lancé un appel pour que d'autres entités et personnes se joignent à la première dizaine d'organisations signataires du rapport. * Voir AYA Info No 89 Exploitation minière dans les TI de Roraima : Le CIR proteste. Le 11 avril, le Conseil Indigène de Roraima – CIR, a dénoncé l'autorisation préalable délivrée, le 24 février dernier, par le Conseil de Défense Nationale – CDN*, à l'entreprise Boa Vista Mineração Ltda de pouvoir faire des recherches d'exploitation d'or et de basalte sur quatorze aires distinctes dans l'État de Roraima. Cette autorisation est conditionnée par l'accompagnement de l'organe environnemental compétent. Les aires concernées, en partie sur des Terres Indigènes TI** couvrent une superficie totale de 1'105 km2. Pour le CIR, "le fait représente une fois de plus, que l'État brésilien continue d'être à la merci des pouvoirs politiques et économiques… Il ne respecte pas les droits constitutionnels – les articles 231 et 232 de la Constitution fédérale de 1988 et la Convention 169 de l'Organisation Internationale du Travail qui garantit aux peuples indigènes le droit à la consultation libre, préalable et informée sur les ouvrages et projets à être implantés dans les terres indigènes… nos droits indigènes et notre vie ne sont pas à vendre, encore moins sont l'objet de compensation par des royalties…" Le CIR rappelle l'existence du projet de loi No 1610/96 traitant de l'exploitation minière dans les terres indigènes en examen devant le Congrès national. L'auteur du projet est le sénateur du Roraima Romero Jucá. Selon divers organes de presse, la fille du sénateur est partie prenante dans le capital de l'entreprise bénéficiaire de l'autorisation. *Le CDN est rattaché à la Présidence de la république. C'est un organe consultatif pour les sujets relatifs à la souveraineté nationale et à la défense de l'État démocratique. ** Il y a 33 Terres Indigènes dans l'État de Roraima, dont l'emblématique TI Raposa Serra do Sol et une partie de la TI Yanomami. Le pape François informé des violations des droits des indigènes au Brésil Le 4 avril au Vatican, Dom Erwin Kräutler, président du Conseil Indigéniste Missionnaire – CIMI et évêque du Xingu, accompagné par Paulo Suess, conseiller théologique de l'entité, ont été reçus par le pape François. Objet de l'audience : les violations des droits des indigènes. Les représentants du CIMI ont remis une note au pape dans laquelle ils dénoncent "les groupes politiques et économiques liés avec l'agroindustrie, les compagnies minières et de travaux publics qui avec l'appui et la participation du gouvernement brésilien tentent de révoquer les droits des peuples indigènes." Sont également évoqués : la paralysie de la démarcation des Terres indigènes; l'augmentation de la violence contre les personnes; le confinement, sur des aires restreintes, des peuples indigènes dans le Mato Grosso do Sul; la précarité de l'assistance sanitaire dans la Vallée du Javari et les dégâts causés par l'hépatite B; l'impact environnemental des entreprises des compagnies de développement comme dans le cas de la construction de l'usine hydroélectrique de Belo Monte; le risque d'extermination des peuples isolés. La note rappelle également la rencontre avec un jeune indigène lors des Journées Mondiales de la Jeunesse à Rio de Janeiro en juillet 2013 et l'espoir exprimé par celui-ci de voir le pape les aider à protéger leurs terres. Selon une information de source vaticane, le pape François a demandé à l'évêque de collaborer à la rédaction d'une encyclique sur l'écologie. Le 17 avril, le CIMI a annoncé l'interdiction faite au leader Tupinambá, Rosivaldo Ferreira da Silva, connu sous le nom de Cacique Babau*, de quitter le pays alors qu'il avait reçu son passeport pour se rendre à Rome. Il était invité par la Conférence des Evêques du Brésil – CNBB à assister à une cérémonie liée à la récente canonisation - le 3 avril - du Père José de Anchieta, un jésuite qui a vécu au Brésil au 16e siècle. Il était prévu que le cacique rencontre le Pape François et lui remette un document sur la question indigène au Brésil. Le 24 avril, après une audience publique à la Chambre des députés, le Cacique s'est présenté à la police fédérale. Une campagne a été lancée pour demander sa libération. Dans une brochure, "Dix visages de la lutte pour les droits humains au Brésil" - éditée en décembre 2012 par l'ONU au Brésil, en partenariat avec diverses entités, parmi lesquelles le Secrétariat des Droits humains de la Présidence de la république, et consacrée à la protection des défenseurs des droits humains, le Cacique Babau a été présenté comme l'un de ces défenseurs. * Voir AYA Info No 91 Bernard Comoli Important : L'activation des liens hypertextes renvoie aux sources utilisées pour la rédaction de ce bulletin. Elles sont souvent en portugais, sauf quand il s'agit d'anciens "AYA Info". PS : Ces brèves sont souvent reprises, détaillées et parfois illustrées, dans un blog du quotidien "La Tribune de Genève" à l'adresse suivante : http://bcomoli.blog.tdg.ch