Sélection Le Nouvel Observateur Les polars de l`été
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Sélection Le Nouvel Observateur Les polars de l`été
26 JUIN / 02 JUIL 14 Hebdomadaire OJD : 502348 10/12 PLACE DE LA BOURSE 75081 PARIS CEDEX 02 - 01 44 88 34 34 Surface approx. (cm²) : 798 Visualiser l'article Page 1/3 POLARS L'été sera noir Le roman policier est devenu la lecture favorite des Français, qui en redemandent pendant les vacances estivales. Voici une sélection idéale Dans les six mètres cubes de polars que les libraires proposent pour l'été, il a fallu faire un choix. L'éventail est large des meilleures lectures pour la plage, la montagne ou la maison du Crotoy. Toujours dominé par les AngloSaxons, le genre s'implante désormais au Danemark (Inger Wolf) et en Inde (Kishwar Desai). Que voulez-vous, le sang est universel, la saloperie aussi. Par ailleurs, le polar est pratique: on peut en lire partout, en congé comme en prison. Voici nos coups de coeur. Deux incontournables Ceux qui tombent, par Michael Connelly, traduit par Robert Pépin, Calmann-Lévy, 396 p., 21,50 euros. Notre inspecteur favori, Harry Bosch, vieilli et fatigue, revient aux affaires (forcément) non résolues. Il hérite de deux dossiers: l'ADN d'un suspect de 29 ans correspond à un viol suivi d'un meurtre de 1989. Le coupable avait donc 8 ans? Impossible. Et puis voilà que le fils d'un conseiller municipal fait le grand saut par la fenêtre d'un hôtelBosch découvre qu'un salaud tue des gens depuis trente ans, et qu'une intrigue politique a pourri la police... Du Connelly sur mesure: ça se lit comme du petit-lait (image audacieuse, j'en conviens) et c'est impossible à lâcher. On comprend pourquoi Connelly a vendu SO millions de Uvres dans le monde, Bretagne et Transylvanie comprises. Brève rencontre avec l'auteur: ll y a quèlques années, vous sembliez fatigue de votre héros, Hieronymus - dit Harry - Bosch. Pourtant, line cesse de revenir. En 2000, j'étais en train d'écrire « Wonderland Avenue », Bosch était en fi n de carrière, et j'avais l'impression que j'en avais fi ni avec lui. J'ai alors écrit sur d'autres personnages, l'avocat Mickey Haller, puis les agents du EBI Rachel Walling et Terry McCaleb, mais Bosch insistait pour revenir. Je l'ai laissé faire. Je trouvais qu'un vieux cheval de retour face à la technologie moderne, c'était intéressant. Je crois qu'il est heureux d'être aux affaires non résolues. Il n'est pas prêt à prendre sa retraite. C'est l'héritier de Philip Marlowe, le héros de Raymond Chandler? n a le même code moral. Je relis sans cesse les livres de Chandler, je les étudie depuis trente ans, et, oui, Bosch est issu de cette lignée, n a ses défauts, mais, au fond, c'est ce chevalier des temps modernes qu'a décrit Chandler: un homme honorable et incorruptible. Ce qui est intéressant, pour moi, c'est que Bosch a plusieurs aspects, et je peux toujours tremper ma plume dans son âme pour y trouver du nouveau. Comment définiriez-vous le genre « noir »? Le « noir », c'est un univers où vous devez sans cesse regarder par-dessus votre épaule. Toutes les autres définitions, sur le destin, le fatum, la critique sociale, je les comprends, mais elles ne m'intéressent pas. Requiem pour une révolution, par Robert littell, traduit par Julien Deleuze, Baker Street, 336 p., 21 euros. Ce n'est pas un polar à proprement parler, mais que diable? Robert Littell est des nôtres. Ce roman passionnant est une réédition (il date de 1989), mais une réédition nettoyée, ajustée. L'auteur de « la Compagnie », de « Légendes » et de « Philby. Portrait de l'espion en jeune homme » imagine un bolchevique, Alexander Tii, qui revient de New York, plein d'espoir devant le Grand Soir qui s'annonce en 1917 à Saint-Pétersbourg. Passent Lénine, Trotski, Staline, l'espoir emporte tout, et, pas de doute, c'est la lu-tteu-finaleu. Erreur, camarade: des flots de sang vont bientôt couler. L'Histoire, la fiction, quelle différence? On adore Littell, et sa manière de conclure, absolument machiavélique. C'est un grand. Deux classiques Fantômas, tome 3, par Pierre Souvestre et Marcel Allain, Robert Laffont, « Bouquins », I 248 p., 30 euros. Quatre titres: « le Fiacre de nuit », « la Main coupée », « l'Arrestation de Fantômas », « le Magistrat cambrioleur », rassemblés et restaurés par Loïc Artiaga et Matthieu Letourneux. On ne connaissait jusqu'alors que la version tronquée (de 30%) de ces romans échevelés, qui t'rent les beaux jours des années d'avant guerre (celle de 14-18, évidemment). Je cite, au hasard: «L'heure de la vengeance sonne! hurlait Fantômas [ ...]. Brusquement, un vacarme épouvantable retentissait, cependant que, le plancher se dérobant sous eux, Juve et Fandor étaient jetés l'un contre l'autre... » Si vous voulez connaître pourquoi le plancher se dérobe, lisez ce tome 3 (encore cinq à paraître): c'est aussi vif qu'une gifle. 227B458759F0650282EA42B4DE01A54411C79068A1A043D78F29A66 MIROBOLE 9979360400502/XTO/OTO/2 Tous droits réservés à l'éditeur 26 JUIN / 02 JUIL 14 Hebdomadaire OJD : 502348 10/12 PLACE DE LA BOURSE 75081 PARIS CEDEX 02 - 01 44 88 34 34 Surface approx. (cm²) : 798 Visualiser l'article Page 2/3 Angoisses, par Margaret Millar, Omnibus, 1056 p, 29 euros L'oubliée du polar. Margaret Millar, épouse de Ross Macdonald (qui signa la serie Lew Archer), a pourtant éte l'un dcs auteurs les plus lus du polar « classique », tendance Hitchcock. Ses livres, aujourd'hui, sont introuvables aux Etats-Unis. Bonne idée, donc, de rééditer quatre de ses titres. « la Femme de sa mort » (1952), « Un étranger dans ma tombe » (1960), « Au violeur1 » (1966), et « le Territoire des monstres » (1970, le plus réussi du lot) avec, en prime, six nouvelles. Personnages tourmentés, paranoïaques et inadaptés: Millar ne donne jamais dans la mythologie du privé, du fie ou du sériai killer. Elle se promène résolument en dehors des sentiers battus, dans le domaine de l'inquiétude anglaise (bien qu'elle soit née au Canada). Disparue en 1994, elle s'est fondue dans cette brume qu'elle décrit si bien dans ses romans Trois confirmés Dernière recolte, par Attica Locke, traduit par Clément Baude, Gallimard, Séné noire, 416 p., 22,50 euros Une auteure black en Série noire7 C'est nouveau, et c'est réussi Tout se passe dans une plantation en Louisiane, transformée en parc d'attractions avec reconstitution de la bonne époque de l'esclavage L'endroit est nommé, ironiquement, Belle Vie. Belle vie' Pas tout à fait' une femme est retrouvée égorgée. Caren Oray, qui dirige l'endroit, soupçonne que la police s'égare Immigrants clandestins, passé trouble, saloperies du racisme, relents de mort, il y a quelque chose de très humain, de dense dans l'écriture d'Attica Locke qui, l'année dernière, avait signé « Marée noire ». Le ton est volontiers méditatif, c'est ce qui fait la beauté du livre. Creole belle, par James Lee Burke, traduit par Christophe Mercier, Rivages Thriller, 624 p , 22 euros. La manchette, sur la couverture, annonce. «Le Faulkner de Louisiane», et ce n'est pas totalement faux. Plus les années passent (Burke a 77 ans) et plus son style gagne en profondeur: l'intrigue est presque (j'ai dit: presque, maîs pas tout a fait) secondaire. Davc Robicheaux, le fie favori de James Lee, couché dans le lit d'une clinique à La Nouvelle-Orléans, reçoit la visite d'une femme qui lm laisse l'enregistrement d'un blues. La musique est obsédante, Robicheaux est sous morphine, l'ambiance est envapée. La visiteuse disparaît, et sa soeur est retrouvée morteDé livre en livre, on se perd avec bonheur dans le monde de Burke, poisseux, envoûtant, menaçant. Du polar cajun, tenace comme un air de bottleneck guitar, où chaque chose cache autre chose- Mauvaises eaux, par Inger Wolf, traduit par Alex Fouillet, Mrrobole Editions, 352 p., 21 euros. Il y a embouteillage dans le polar Scandinave. Maîs Inger Wolf, la Danoise, révélée l'année dernière par « Nid de guêpes », sort du lot Foin de la mélancolie alcoohsée des romans du Nord: ici, le commissaire Trokic se penche sur le cas de deux femmes assassinées. L'une porte des marques étranges, l'autre est parsemée de fleurs américaines. L'horreur trouve ses racines dans un passe familial barbare Tout est dans les révélations au gouttea-goutte: peu à peu, on déchiffre les raisons de ces assassinats, avec, en bonus, une description de ce que Dinobdella ferox peut faire Qui7 La sangsue banale C'est franchement ab]ect ET ENCORE... Donnybrook, par Frank Bill (Série noire, 17,50 euros). Boxe à mains nues chez les bouseux de l'Indiana. Bien gras. These sur un homicide, par Diego Paszkowski (La Derniere Goutte, 18 euros). Duel feutre entre un prof de droit et un étudiant probablement assassin. Belles fausses pistes a Buenos Aires Les origines de l'amour, par Kishwar Desai (L'Aube, 21,90 euros) Le business de la gestation pour autrui à Delhi' très Get Up' Stand Up i par Perry HenzeU (Sonatine, 21 euros). Retour d'une star du reggae a la Jamaique, face à la guerre des gangs. Les Passagers de la foudre, par Erik Larson (Le Cherche Midi, 22 euros). Meurtre d'une chanteuse d'opéra en 1910 L'invention de Marconi permettra-t-elle d'arrêter l'assassin7 Deux découvertes 911, par Shannon Burke, traduit par Drmz Galhos, Sonatine, 208 p., 16 euros Jamais vu un truc pareil' les états d'âme d'un ambulancier à New York. On pense être dans le monde de Scorsese (« A tombeau ouvert », 1999), et puis pas du tout. Ollie Cross, le personnage principal, raconte tout: les blessures par baùe, la drogue qui ravage les têtes et les âmes, la misère absolue, le besoin d'une main fraternelle. Dans cette nuit gangrenée par la violence, par la monstruosité naturelle dcs hommes, par la rouille de l'existence, tout est dégueulasse. Maîs Ollie tente, malgré tout, de se comporter en homme. Mal lui en prend: l'enfer - et quand je dis l'enfer, c'est encore optimiste - l'attend. Scénariste de « Syriana », Shannon Burke pioche là-dedans au coupe-coupe. Rêche, brutal, crasseux: malgré la minceur du livre, on en sort exténué. Mais que c'est bon, nom de nom' La preuve avec cet extrait de la première page: «J'ai travaillé à Harlem, et Harlem a fmi par me sortir par les yeux: f...I J'avais horreur des saloperies auxquelles j'assistais, de celles dont je me souvenais, qui formaient toutes une boule en travers de ma gorge: les intestins bleugns sur un volant rouge, des bouches mortes emplies de blattes vivantes, la chaussette souillée d'une diabétique 227B458759F0650282EA42B4DE01A54411C79068A1A043D78F29A66 MIROBOLE 9979360400502/XTO/OTO/2 Tous droits réservés à l'éditeur 26 JUIN / 02 JUIL 14 Hebdomadaire OJD : 502348 10/12 PLACE DE LA BOURSE 75081 PARIS CEDEX 02 - 01 44 88 34 34 Surface approx. (cm²) : 798 Visualiser l'article Page 3/3 obèse, les orteils noirs qui en tombent pour rouler par terre comme des calots, jusque sous la télévision, et elle nous demande si c'est grave, c'est pas grave, hein, c'est pas la peine d'aller à l'hôpital? [...] Lorsque plus rien n'a de sens, y compris la vie ou la mort d'autrui, vous n'êtes plus qu'à un pas du mal. Et ce putain de pas est terriblement facile à franchir. » Trafiquante, par Eva Maria Staal, traduit par Yvonne Pétrequin, Le Masque, 288 p., 19,50 euros. On en a les jambes coupées, mieux vaut s'asseoir. Eva Maria Staal décrit, sans faire de chichis (mais sur le mode de la fiction), les quinze années de sa vie pendant lesquelles elle a été trafiquante d'armes. Tonnerre de Brest! Elle a vendu des kalachs à New Delhi, des missiles à New York, des guides laser à Karachi... La description de la guerre en Tchétchénie est hallucinante. Quant à ce qui se passe derrière le décor, quelles révélations! Réseaux, influence, politique, tout se mêle et rien n'est d'aplomb. Chemin faisant, on révise quèlques notions géopolitiques de base: il n'y a que le pognon qui compte. Si j'osais, je dirais que c'est du polar au lance-flammes. J'ose. Un hors-série Le Revenant, par Michael Punke, traduit par Jacques Martinache, Presses de la Cité, 360 p., 22 euros. Aux dernières nouvelles, Michael Punke, l'auteur de ce roman, est ambassadeur auprès de l'OMC en Suisse, après avoir été directeur des Affaires économiques internationales à la Maison-Blanche, et haut fonctionnaire un peu partout à Washington. Comment a-t-il trouvé le temps de se documenter sur l'aventure de Hugh Glass, trappeur abandonné par ses compagnons alors qu'il avait été grièvement blessé par un grizzly? L'histoire est authentique, et s'est déroulée en 1823. Glass a survécu et, en bon héros de polar, s'est consacré à la vengeance. C'est « Jeremiah Johnson » et « le Comte de Monte-Cristo » ensemble, dans les forêts enneigées du Missouri. Ca se termine mal pour les salauds, Dieu merci. FORESTIER FRANCOIS 227B458759F0650282EA42B4DE01A54411C79068A1A043D78F29A66 MIROBOLE 9979360400502/XTO/OTO/2 Tous droits réservés à l'éditeur