Les enseignements de la campagne des Balkans

Transcription

Les enseignements de la campagne des Balkans
Appendice
Les enseignements de la campagne des Balkans
(19 février au 18 juillet 1941)
Extraits de l’ouvrage de Maurice Héninger « L’épreuve du feu – L’évolution des outils
militaires durant la Deuxième Guerre Mondiale » (Plon Ed., Paris, 1985), avec l’aimable
autorisation de l’auteur.
I – La bataille terrestre
A – Forces déployées [en dehors des forces terrestres italiennes et yougoslaves,
principalement ou uniquement mises en œuvre en Albanie et en Yougoslavie]
– L’armée grecque, commandée par le général Papagos, comptait 600 000 hommes, dont
plus de 400 000 dans des unités de combat (20 divisions) et pouvait se reposer dans le nord
sur le très efficace système de défense de la ligne Metaxas.
– Les forces du Commonwealth engagées dans cette campagne (British Expeditionary Force
In Greece, BEFIG, sous les ordres du Lieutenant-General Sir H. Maitland Wilson) furent
composées de cinq divisions d’infanterie (6e Division Australienne, 4e et 5e Divisions
Indiennes, 2e Division Néo-Zélandaise, 6e Division Britannique), une division blindée (7e
Armoured Division) et trois brigades ou régiments blindés (7e RTR et des éléments de la 2e
Armoured Division), plus diverses unités d’artillerie indépendantes 1.
– L’Armée française, réticente au départ, finit par envoyer en Grèce une division blindée
(1ère Division Cuirassée), une bonne partie d’une autre (3e Brigade de la 2e Division
Cuirassée) et trois divisions d’infanterie (86e et 191e Division d’Infanterie d’Afrique, 4e
Division Marocaine de Montagne) plus une quatrième dans le Dodécanèse (192e Division
d’Infanterie d’Afrique) et une cinquième déployée en grande partie en Crète (Brigade
Polonaise des Carpates), le tout sous l’appellation « Armée d’Orient », commandée par le
général d’armée Henri Giraud, assisté du général de corps d’armée Henri Dentz.
Les Alliés déployèrent donc en Grèce continentale l’équivalent de douze divisions, soit
220 000 hommes dont 180 000 combattants et 750 à 800 chars (au départ, le général Papagos,
commandant en chef grec, avait demandé neuf divisions).
Une partie de la BEFIG était sur le front ouest (en Albanie), permettant ainsi à l’armée
grecque de libérer des renforts pour la ligne Metaxas, à la frontière bulgare. La ligne Metaxas
était ainsi tenue par 120 000 hommes 2.
Les troupes françaises purent se porter au nord-est. Elles se trouvèrent ainsi en mesure de
s’opposer à une rapide avance allemande, évitant un enveloppement catastrophique de l’aile
droite et la reddition de la 2e Armée grecque.
………
Contre ces troupes, à la fin de la campagne, la Heer engageait treize divisions d’infanterie
(dont une légère) et huit Panzerdivisions (dont une légère) 3. Plusieurs d’entre elles (dont
trois Panzerdivisions) y ont subi des pertes très sévères. Trois autres Panzerdivisions n’ont été
engagées qu’en Yougoslavie. Deux des divisions engagées en Grèce (la 15. PzD et la
5. Leichte PzD) avait d’abord été déployées en Albanie pour aider les Italiens, sous le nom de
Skandenberg Korps.
B – Contraintes géographiques et logistiques
1
Historiquement, le général Wilson est venu au secours de la Grèce avec 57 000 hommes dont 35 000
combattants, tous arrivés tardivement et de façon très désorganisée alors que le front grec s’effondrait déjà,
surtout au nord-est.
2
Contre 70 000 historiquement.
3
Quatre PzDiv historiquement.
Si les Alliés devaient traverser la Méditerranée, les Allemands voyaient leur déploiement
sévèrement restreint par d’autres contraintes géographiques.
– Lancer davantage de divisions dans les Balkans ne se traduisait pas automatiquement par
une plus grande puissance de combat, parce que cela impliquait d’exiger davantage d’un
système de communications très médiocre. Les troupes fraîches faisaient concurrence aux
convois de ravitaillement sur des routes embouteillées et dans un état souvent abominable (au
bout de deux semaines, 35 % des camions du parc logistique allemand étaient en panne en
raison de l’état des routes 4).
De plus, la plupart des routes sinuaient au fond d’étroites vallées et pouvaient être bloquées
assez facilement. En ordonnant de lancer davantage d’unités dans la bataille, Hitler ne fit
qu’aggraver les problèmes de circulation, créant des embouteillages qui faisaient de bonnes
cibles pour les bombardiers anglais et français. De plus, les bombardiers lourds alliés basés en
Crète pilonnaient les gares de triage et d’embarquement, tandis que les unités du Génie
britannique accomplissaient un excellent travail de démolition 5.
– Par ailleurs, la question de l’essence d’aviation, qui devait se révéler critique durant la
bataille de Crète, commença à prendre de l’importance durant la campagne de Grèce, en
raison de la participation massive de la Luftwaffe aux opérations.
Le chemin de fer était la seule façon de transporter du carburant vers la Grèce par voie de
terre. Mais la Grèce est à l’extrémité d’un long réseau ferré venant du nord, et dont les
diverses branches confluent pour la plupart à Skoplje. Or, les lignes avaient été détruites en de
très nombreux endroits, en Yougoslavie et en Grèce, au sud de Skoplje et entre Salonique et
Athènes. La reconstruction complète du réseau ferré devait prendre plus de trois mois 6, en
commençant par une étape intermédiaire, la reconstruction de la voie Skoplje-Salonique,
permettant de transporter ensuite le carburant par bateau jusqu’à Athènes.
Avant la fin des travaux sur le réseau ferré, il fallait donc passer par la mer pour
approvisionner la Luftwaffe : soit de Constantza par le Bosphore, soit de Venise par
l’Adriatique et le canal de Corinthe. De ce fait, tant l’Adriatique que le nord de la mer Egée
devinrent essentielles pour la logistique allemande jusqu’en septembre 1941 (et d’autant plus
longtemps que les pistes de Rhodes, une fois prolongées, permirent aux Stirling et aux
Consolidated 32 alliés d’attaquer les voies et les gares avec leur charge de bombes maximale).
La campagne terrestre, puis aérienne, se doubla dès lors d’une campagne navale centrée sur
les efforts franco-britanniques pour interdire à l’Axe le transport de carburant par l’Adriatique
et le nord de la mer Egée, tout en contrôlant le sud de la mer Egée et la Méditerranée.
Dans les deux camps, la logistique imposa ainsi sa loi au déploiement, donc à la stratégie.
C – Aspects tactiques
En raison de la supériorité tactique de la Wehrmacht et de sa supériorité aérienne globale, la
campagne de Grèce s’acheva finalement par un succès allemand, mais à un coût énorme en
hommes, en matériel et en temps.
Le commandant en chef allemand, le Feld-Maréchal List, fut handicapé par le manque de
troupes de montagne (très durement éprouvées en février-mars 1941 lors de l’opération
“Merkur” en Corse et en Sardaigne). Les troupes de montagne auraient facilité à de
nombreuses reprises l’avance allemande à travers le terrain montagneux. De même, une
invasion de la Crète était pratiquement exclue du fait des lourdes pertes subies par les troupes
aéroportées, toujours lors de “Merkur”.
4
Comme historiquement.
Comme historiquement.
6
Trois mois historiquement, avec une plus faible priorité, mais moins de destructions et pas d’opposition
aérienne.
5
La lenteur de l’avance allemande permit ainsi aux forces alliées de construire plusieurs solides
lignes de défense. Incapable de les contourner, la Wehrmacht n’eut pas d’autre choix que de
livrer chaque fois une coûteuse bataille de percée, dans de très mauvaises conditions
topographiques. Le déploiement du Skandenberg Korps en Albanie aurait pu représenter un
atout maître si la marine italienne avait eu suffisamment de moyens pour lancer des attaques
amphibies successives sur la côte ouest afin de déborder la farouche résistance grecque. Mais
la Regia Marina avait subi depuis août 1940 de si lourdes pertes et la supériorité navale alliée
était si grande que la contribution du Skandenberg Korps fut limitée. De plus, à cette époque,
ni les Allemands ni les Italiens ne disposaient du moindre bâtiment de débarquement
spécialisé. De tels matériels furent mis au point par la suite (le MFP et d’autres bateaux de
débarquement de chars et d’infanterie), mais ils n’apparurent qu’en 1942.
………
De leur côté, les forces alliées étaient à un stade de transition. Certaines des leçons de la
Blitzkrieg avaient été apprises, mais pas toutes. Les tactiques défensives s’étaient
considérablement améliorées. Les troupes ne paniquaient plus à la vue (voire à la seule idée)
d’un blindé et les armes antichars étaient raisonnablement efficaces. D’un autre côté, les
tactiques offensives étaient encore très inférieures à celles des Allemands, la coopération
interarmes difficile à mettre en œuvre et la maîtrise en combat des grandes unités hésitante,
même si, sur le terrain, les hommes se battaient avec énergie. D’une façon générale, les succès
défensifs ne pouvaient être exploités en attaque à temps pour reprendre l’initiative. Les
contre-attaques manquaient du punch et du soutien nécessaires pour obtenir mieux que des
résultats locaux et limités.
………
Enfin, la prolongation des combats et les attaques de la Luftwaffe sur les cités grecques
consolidèrent le gouvernement grec en stimulant la volonté de se battre de la population. Une
rapide défaite militaire aurait très certainement provoqué un effondrement politique, facilité le
contrôle du pays par l’Axe et fait le lit d’une influence communiste susceptible de mener par
la suite à une situation de guerre civile.
D – Pertes [y compris celles des combats d’Albanie et de Yougoslavie]
Les pertes de cette campagne de cinq mois furent très élevées 7.
(i) Pertes alliées
– Les forces franco-britanniques laissèrent dans les Balkans près de 70 000 hommes (tués,
blessés graves et prisonniers).
Les pertes les plus lourdes furent subies dans les terribles combats sur la ligne Alyakmon puis
dans les combats en retraite qui suivirent, où les 86e DIA, 191e DIA, 4e DMM d’une part et
les 6th AIF et 2nd New Zealand d’autre part souffrirent beaucoup, tandis que le “coup du 1er
avril” coûta de nombreux prisonniers au XIIIe Corps et que le repli de l’Epire occasionna de
lourdes pertes à la 6th Infantry Division. Parmi les pertes, on comptait des officiers généraux,
avec la mort du général Welvert et la capture du major-général Evetts.
De plus, l’évacuation des troupes alliées se fit en abandonnant une grande quantité de
matériel, plus ou moins saboté. Au total, près de 900 chars (environ 550 britanniques et 350
français), 13 000 camions et autres véhicules (10 000 britanniques, 3 000 français) et
plusieurs centaines de pièces d’artillerie furent détruits ou capturés, sans compter des milliers
d’armes individuelles et des milliers de tonnes de matériels divers. Au-delà des pertes
humaines, les grandes unités alliées engagées en Grèce devaient être complètement
rééquipées et ne pourraient pas être à nouveau opérationnelles avant de longs mois.
7
Historiquement, 11 000 hommes pour les Britanniques, 11 000 morts et 4 000 blessés graves côté allemand. La
population a elle aussi souffert bien plus qu’historiquement.
– L’armée yougoslave fut en grande partie détruite, mais non anéantie, puisque 120 000
hommes furent évacués et purent être rééquipés.
– L’armée grecque perdit 270 000 hommes (120 000 tués et blessés, 150 000 prisonniers). Les
330 000 hommes évacués avaient perdu la plus grande partie de leur équipement lourd.
Les pertes dans la population civile grecque furent elles aussi très lourdes. Les
bombardements aériens systématiques de Salonique, Volos, Larissa, Lamia et Athènes-Le
Pirée firent environ 80 000 morts et blessés graves civils, provoquant la naissance d’un
violent sentiment anti-allemand en Grèce.
(ii) Pertes de l’Axe
Du côté de l’Axe, en raison de la succession de batailles de percée livrées dans de très
médiocres conditions tactiques, les pertes furent très lourdes malgré la victoire finale.
La Wehrmacht laissa dans les opérations “Marita” et “25” près de 120 000 hommes, dont
26 000 tués et disparus et 94 000 blessés graves. La PanzerWaffe perdit 600 chars, dont 300
irréparables.
Les pertes du Regio Esercito, principalement subies en Albanie, peuvent être estimées à
45 000 hommes (tués, disparus, blessés graves et prisonniers).
E – Conséquences
Après la Bataille de France, celle de Grèce apprit aux armées alliées quelques utiles leçons de
guerre mobile. Néanmoins, pour des raisons de système et de culture, l’armée française
assimila ces leçons plus facilement que l’armée britannique, selon un mécanisme déjà
apparent durant la Première Guerre Mondiale.
– Dans l’Armée française, la « Division Cuirassée » évolua vers la Division Blindée : une
unité totalement mécanisée et dotée d’une infanterie mécanisée et d’une artillerie pleinement
intégrées, rattachées de façon organique aux brigades, conformément à l’organisation décrite
par les ouvrages de De Gaulle. Les divisions d’infanterie devinrent des unités pleinement
motorisées, capable de soutenir les unités blindées en mouvement et dotées de leurs propres
formations blindées et antichars.
– Chez les Britanniques, le processus d’adaptation fut plus lent. Leurs divisions blindées
évoluèrent 8 vers des unités puissantes mais déséquilibrées du fait d’une trop forte proportion
de chars. Les artilleurs résistèrent, sous le poids des habitudes, à l’introduction des canons
automoteurs. Engager des tanks lors d’actions de nuit continua de paraître inimaginable 9. Au
contraire, les unités françaises, peut-être en raison de leur engagement quasi continuel depuis
mai 1940, s’adaptèrent avec beaucoup plus de souplesse, n’hésitant pas à mener des attaques
de nuit en soutien de l’infanterie 10.
………
– Du côté allemand, seuls de rares enseignements furent tirés de cette campagne, car le succès
final favorisa une certaine complaisance. Les difficultés furent attribuées en bloc à la situation
géographique. Dans une certaine mesure, c’était exact, mais la très difficile topographie
balkanique n’avait eu un tel impact que parce que la logistique avait été délibérément négligée
dans l’armée allemande au profit de la puissance de feu. Ce déséquilibre entre « les dents et la
queue » (teeth and tail) existait déjà auparavant, mais n’était pas apparu en pleine lumière
parce que la campagne de Pologne avait été trop brève et parce que, lors de la campagne de
8
Comme historiquement.
Historiquement, en 1944, lors de la bataille pour la colline 112 près de Caen, les brigades blindées
abandonnèrent l’infanterie après le coucher du soleil.
10
Comme historiquement.
9
France, la supériorité tactique et l’ampleur du succès final avaient fait négliger les problèmes
rencontrés à plusieurs reprises 11.
L’arme blindée allemande (Panzerwaffe) n’ayant rencontré en Grèce que des chars alliés
assez légèrement armés (les tanks britanniques engagés utilisaient le 2 livres et les chars
français made in USA étaient dotés du M6, de 37 mm), les leçons parfois infligées en France
par le B1bis, voire par le Matilda, ont été oubliées.
En fait, le principal facteur responsable de l’évolution technique des blindés allemands devait
être le choc ressenti en Russie devant la supériorité technique du T-34 et du KV-1. Améliorer
l’armement du Pz-IV, cesser la production du Pz-III et du Pz-38(t) tchèque, développer des
chasseurs de chars Marder sur châssis de Pz-38 (t) et de Pz-II 12, pousser le développement du
Panzer VI Tiger puis lancer celui du Panzer VII Panther seront des décisions étroitement liées
au “choc du T-34” (voir annexe C Y6).
Mais après la campagne de Grèce, la production de chars se poursuivit au même rythme qu’au
début de 1941 et les modifications techniques furent peu nombreuses. Les seuls nouveaux
modèles à apparaître entre la campagne des Balkans et l’invasion de l’URSS furent de
nouveaux types de Panzer IV et les premiers Panzer V Leopard. L’amélioration de
l’armement du Pz-III avec le canon de 50 mm/L60, décidée au début de 1942, le fut surtout en
raison des données sur le Sav-41 obtenues grâce aux Japonais (qui les avaient chèrement
payées !).
II – La bataille aérienne
L’aspect aérien de la campagne des Balkans prit une ampleur inattendue, avec de très
importantes conséquences, d’autant plus que les trois semaines de la bataille de Crète (du 20
juillet au 13 août) ne firent qu’accentuer les phénomènes observés au-dessus de la Grèce.
A – Les forces alliées
1) Déploiement tactique
Les Alliés acceptèrent le défi allemand et déployèrent un contingent aérien important, malgré
des conditions difficiles.
* La RAF (British Air Force in Greece, BAFG, commandée par l’Air Commodore D’Albiac)
déploya 19 squadrons :
– 9 squadrons de chasse (4 sur Hurricane, 3 sur Tomahawk et deux sur Blenheim)
– 7 de bombardement léger (sur Blenheim)
– 1 de bombardement moyen (sur Wellington)
– 2 de coopération avec l’armée (sur Lysander et Hurricane).
Il faut ajouter les unités basées en Crète, ainsi que celles qui opèrent d’Egypte et de Libye, en
particulier trois autres squadrons sur Wellington.
* L’Armée de l’Air déploya 21 groupes dans la région, sous les ordres du général Bouscat :
– 2 Escadres de chasse (soit 6 groupes) sur Hawk-81 A2
– 3 Groupes de chasse indépendants (2 sur D-520M/523 dans le Dodécanèse et un sur
Maryland modifiés en chasseurs à long rayon d’action)
– 2 Escadres de bombardement moyen (soit 4 groupes, tous basés en Crète) sur LeO-451
– 6 Groupes de bombardement léger basés en Grèce continentale sur Martin-167 Maryland
– 2 Groupes de bombardement léger basés dans le Dodécanèse, l’un sur Martin-167 Maryland
et l’autre sur Potez 63/11.
11
Historiquement, ce déséquilibre n’apparut qu’en hiver 1941-1942, lorsque la Wehrmacht fut pour la première
fois confrontée à un ennemi puissant lors d’une campagne prolongée.
12
Historiquement, les chasseurs de chars allemands furent surtout équipés de canons soviétiques de 76 mm
capturés… qui vont manquer dans cette trame historique.
Le total théorique franco-britannique était de 360 chasseurs (dont 40 dans le Dodécanèse),
320 bombardiers légers (dont 40 dans le Dodécanèse), 100 bombardiers moyens (dont 80 en
Crète) et environ 40 appareils de coopération. Soit 820 avions de combat (dont 80 dans le
Dodécanèse et 80 en Crète).
Les unités engagées reçurent pendant la campagne un certain nombre de renforts, du fait que
Malte n’était pas gravement menacée et que toute lutte avait cessé en Afrique.
– La RAF put transférer en Grèce de fin mai à fin juin 50 Hurricane, 15 Tomahawk, 40
Blenheim (dont 10 IVF), 10 Wellington et 15 Stirling, soit 130 avions de combat.
– L’Armée de l’Air put transférer 100 Hawk 81-A2 et 40 Maryland, soit 140 avions de
combat.
* Il faut ajouter à ces forces la force aérienne grecque, dont la chasse fut rééquipée au début
de la campagne avec 36 Grumman G36A (F4F3), qui remplacèrent ou s’ajoutèrent à ses PZL24 et ses quelques Bloch MB-151/155 et Gladiator. Les Grecs mirent aussi en ligne des Potez
63 (9 livrés en 1939 et quelques autres, provenant des surplus français, en mars-avril 1941),
des Fairey Battle et des Bristol Blenheim.
* Enfin, les restes de la force aérienne yougoslave (quelques chasseurs Bf 109 E et Hurricane
I, et des bombardiers Blenheim I et Do 17) rejoignirent l’aviation alliée mi-mai 1941.
* Le total général des forces aériennes tactiques alliées engagées fut ainsi d’environ 1 150
appareils.
………
2) Déploiement stratégique – Opération Coronation/Couronnement (en Crète)
– 2 squadrons renforcés de la RAF sur bombardiers lourds Short Stirling (60 avions)
– une Escadre de Bombardement lourd de l’Armée de l’Air (3 groupes) avec 60 Consolidated
Model-32 (ou B-24 Liberator).
Cette force avait pour objectif l’attaque des champs pétrolifères de Ploesti et du réseau ferré
roumain. Devant la rapide détérioration de la situation, les bombardiers lourds furent utilisés
contre les centres logistiques comme la gare de triage de Plovdiv et contre d’autres objectifs
d’opportunité.
………
3) Déploiement aéronaval
Les groupes aériens des HMS Formidable et Eagle, qui intervinrent dans certains épisodes de
la campagne, avaient gagné en équilibre et en efficacité grâce à l’apport des flottilles de
chasseurs et de bombardiers en piqué de l’Aéronavale, veuves de leur Béarn. De plus, deux
squadrons d’hydravions lourds de la RAF et deux flottilles françaises d’hydravions furent
déployées à partir de la Crète et du Dodécanèse.
Avec ces appareils, le total général des forces aériennes alliées engagées atteignit près de
1 300 avions de combat 13.
………
4) Soutien logistique
Aucune comptabilité précise n’a pu être effectuée. Une estimation grossière donne un total de
200 avions de la RAF et de l’Armée de l’Air : transport (DC3, DC2, Lockheed Mod.14 et
Mod.18, Bristol Bombay, Vickers Valentia, Dewoitine 338 ex-Air France et Bloch MB-220
ex-bombardiers) et avions de liaison (dont quelques très anciens Potez 25 TOE et Hawker
biplans tels que des Hart).
B – Les forces aériennes de l’Axe
13
Historiquement, la RAF n’avait pu déployer que 200 avions de combat. La différence s’explique par la
participation française à la guerre : directe (620 avions de combat en tout) ou indirecte (la disparition de la
présence italienne en Afrique permettant à la RAF de libérer de nombreux squadrons).
La Luftwaffe finit par déployer dans les Balkans l’équivalent de quatre FliegerKorps (II., IV.,
V. et VIII.FK), auxquels il faut ajouter le X.FK opérant d’Italie et la plupart des avions de la
Regia Aeronautica. Les contraintes principales qu’elle rencontra furent le nombre et la
capacité des aérodromes disponibles, ainsi que le manque de carburant, que nous avons déjà
évoqué. Seul le contrôle du canal de Corinthe put permettre d’acheminer suffisamment
d’essence pour lancer contre la Crète l’opération Ikarus.
Au total, l’Axe engagea 1 500 avions de combat allemands (47 % de l’effectif total de la
Luftwaffe en juin 1941) et 550 italiens, soit 2 050 appareils. Cependant, un FliegerKorps ne
fut déployé que début juin.
Il était beaucoup plus facile à l’Axe qu’aux Alliés de recevoir des renforts : en première ligne,
l’équilibre des forces pencha donc avec le temps de plus en plus en faveur de l’Axe. En tenant
compte des pertes, le rapport de forces aérien, qui était un peu inférieur à 2 contre 1 en faveur
de l’Axe au début de la campagne, augmenta peu à peu pour dépasser 2 contre 1 à la fin 14. Ce
déséquilibre relativement modéré favorisa la prolongation de la campagne au sol.
C – Pertes
A la fin de la campagne de Grèce, le 18 juillet, les pertes alliées étaient de 695 avions pour les
forces tactiques et de 40 pour les stratégiques (la force “Couronnement”). Une partie notable
de ces pertes étaient dues à la flak. Par ailleurs, 25 chasseurs et 10 bombardiers navals avaient
aussi été détruits.
A la veille de l’opération Ikarus, les Alliés possédaient en Crète 320 avions de combat, dont
environ 140 chasseurs, auxquels il fallait ajouter 60 avions déployés dans le Dodécanèse et 95
bombardiers de “Couronnement” (pour la plupart redéployés à Rhodes). Cependant,
jusqu’aux premiers jours d’août, le taux d’appareils en état de vol ne dépassa guère 50 % en
raison des problèmes liés à l’évacuation du continent. 15
………
A cette même date, les pertes en combat subies par l’Axe étaient de 990 avions, dont 760 pour
la seule Luftwaffe, plus 640 avions endommagés, dont 480 appartenaient à la Luftwaffe. Le
déséquilibre en faveur des Alliés était évidemment lié à la posture offensive adoptée par les
forces de l’Axe contre des forces bien organisées en défense. Plus grave encore : la plupart
des pertes de l’Axe étaient survenues au-dessus de territoires tenus par l’ennemi ou au-dessus
de la mer. Les pertes en équipages avaient donc été très nettement plus lourdes que chez les
Alliés.
D – Conséquences
1) Pour la Luftwaffe
Survenant après les pertes subies lors des batailles de France et d’Angleterre en 1940 (4 897
appareils 16), du Blitz Malte-Tunis et de l’opération Merkur de janvier à mars 1941 (1 256
avions de combat, dont 775 allemands et 481 italiens, plus 198 transports), les pertes de la
Luftwaffe lors de la campagne de Grèce furent particulièrement difficiles à supporter.
Pour les six premiers mois de 1941, si l’on ajoute aux pertes subies en Méditerranée celles
liées aux combats contre la RAF au-dessus de l’Europe continentale, les pertes aériennes en
combat de la Luftwaffe s’élevaient à près de 2 900 avions de combat. Durant cette même
période, elle avait perdu 1 987 avions en dehors des combats (entraînement, convoyage…).
Ce chiffre élevé s’explique par la désorganisation de l’entraînement provoquée par le
14
Bien loin du 5 contre 1 historique.
Historiquement, les chiffres étaient de 40 avions dont 24 chasseurs (y compris les 8 Fulmar du Formidable), et
la moitié n’étaient pas en état de vol.
16
Soit 30 % de plus que les 3 745 historiques.
15
lancement de l’offensive des Balkans juste après l’opération Merkur, ce qui avait exigé de
faire monter en première ligne des pilotes instructeurs.
Au total, les pertes de la Luftwaffe de janvier à juin (avions endommagés ou détruits)
atteignirent 4 873 appareils 17, dont 900 environ purent être réparés. Et la bataille de Crète
allait encore nettement alourdir ces chiffres !
Certes, la production aéronautique pouvait compenser ces pertes. Durant la même période, les
usines allemandes fabriquèrent 3 500 avions de chasse, bombardement, reconnaissance et
appui au sol. Cependant, les conséquences les plus graves touchaient les équipages.
Il est beaucoup plus difficile de remplacer des équipages entraînés que des avions. La
Luftwaffe était une arme relativement jeune, qui avait déjà dû faire face à une expansion
massive entre 1935 et 1940. La “vieille génération”, dont les équipages de la Légion Condor,
avait beaucoup souffert : ses pertes de septembre 1939 à fin juin 1941 atteignaient 24 200
hommes, tués, blessés graves, disparus ou prisonniers 18. La nouvelle génération, entraînée en
1940-1941 et arrivant en unité opérationnelle au printemps 1942, devait souffrir d’un cycle
d’entraînement abrégé et de la disparition d’un nombre important des “anciens” capables de
guider ses premiers pas en combat. Dès le courant de 1942 apparut une dichotomie entre les
“bleus” et les Experten 19.
Par ailleurs, sur le plan tactique, la confiance accordée au Ju 87 Stuka avait été détruite par la
grande vulnérabilité de ce bombardier en piqué dès lors qu’une opposition sérieuse de la
chasse adverse se manifestait. Mais son remplacement était long à venir. Le Ju 87 F/Ju 187 ne
quitta jamais la planche à dessin et le projet fut annulé en 1943 en raison de performances
insuffisantes et d’une trop grande complexité, laissant présager une maintenance ardue en
opérations. Le Ju 87D fut la seule solution, mais ce n’était qu’un palliatif. La production de
cette variante fut cependant accrue pour compenser les pertes du premier semestre 1941.
………
2) Pour la Regia Aeronautica
La situation de la Regia Aeronautica était bien pire que celle de la Luftwaffe. L’industrie
aéronautique italienne était incapable de compenser les pertes subies. Le goulot
d’étranglement des moteurs était d’autant plus catastrophique que, malgré les promesses
d’Hitler à Mussolini, les livraisons allemandes furent très limitées en raison des besoins de la
Luftwaffe !
A la fin de l’été 1941, la Regia Aeronautica était sérieusement affaiblie. La livraison
d’appareils plus modernes que ceux qui l’équipaient au début de l’année, tels que le Re.2001
et le MC.202, ne put être accélérée : le chasseur de Reggiane n’entra en unité qu’à la fin de
1941 et celui de Macchi qu’au printemps 1942.
………
3) Pour la RAF et l’Armée de l’Air
Les pertes de la RAF et de l’Armée de l’Air avaient été élevées. Néanmoins, la proportion
d’équipages récupérés avait été plus forte que pour la Luftwaffe et la Regia Aeronautica et la
production aéronautique britannique et américaine pouvait sans difficulté compenser les
pertes en matériel.
Tactiquement, l’expérience opérationnelle avait conduit à des évolutions rapides en raison de
l’intensité des opérations. L’Armée de l’Air s’adaptait déjà aux nouvelles tactiques à la fin de
la Bataille de France : en juin 1940, la patrouille double de deux éléments de trois avions avait
cédé la place à trois éléments de deux avions. Moins efficace que le système allemand, cette
organisation était bien supérieure à la vieille formation en V utilisée par les Français en 1939,
17
Contre 3 150 historiquement.
Contre 18 533 historiquement, au 22 juin 1941.
19
Qui ne se manifesta historiquement qu’à partir de fin 1943.
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et encore conservée durant l’été 1940 par la RAF. Après une période transitoire durant
Merkur, l’Armée de l’Air passa en Grèce à la formation dite “des quatre doigts”. La RAF
suivit, en Méditerranée puis en Angleterre, avec la Finger Four.
Le guidage radar de la chasse embarquée était entré dans les mœurs et, avec de meilleurs
avions et de plus nombreux pilotes, les groupes aériens des porte-avions gagnèrent
considérablement en efficacité. La disponibilité en assez grand nombre de Grumman G36A
(F4F3), achetés par la France dès le début de 1940, augmenta énormément le potentiel de la
chasse des porte-avions.
En résumé, si le déclin en qualité de la Luftwaffe ne se voyait pas encore, il était dès cette
date inéluctable en face de forces aériennes alliées de mieux en mieux équipées et organisées.
………
4) Et pour les Américains…
La diffusion de l’expérience du combat acquise par les Franco-Britanniques vers les unités de
l’USAAC/USAAF (et de l’US Navy et des Marines) fut considérablement accélérée par le
système de l’infiltration dans les unités françaises, au grand bénéfice des Américains.
Chaque Groupe de chasse français engagé en Grèce abritait au moins trois pilotes américains.
Durant la campagne, 20 de ces pilotes acquirent l’expérience du combat. Trois d’entre eux y
furent tués et deux gravement blessés, mais trois devinrent des “as”. Les équipages de
bombardiers acquirent une expérience du même ordre.
Les leçons apprises de mai à juillet 1941 donnèrent naissance à de nouvelles instructions
tactiques, diffusées par l’USAAC en septembre-octobre 1941. L’article capital de Reade
Tilley « Hints on Hun Hunting » (titre qu’on pourrait traduire par « Sachez Chasser le
Boche ») fut publié en septembre 1941 20. La participation de pilotes et d’équipages
américains aux activités des centres d’entraînement opérationnel français en Afrique du Nord
constitua un noyau de personnel entraîné apte à diffuser les nouvelles tactiques de combat
parmi les unités américaines nouvellement formées lors de la spectaculaire montée en
puissance de l’aviation américaine en 1942.
III – Le commandement interallié
L’organisation du commandement interallié est une préoccupation qui a marqué tous les
comptes-rendus rédigés à la fin des opérations par les commandants alliés. Les cas des trois
armes étaient assez différents, mais la nécessité de l’évolution des structures de
commandement était une constante.
1) Pour les forces terrestres
L’organisation mise en place en Grèce était saluée dans la mesure où elle avait permis de
mener les opérations de façon satisfaisante : un commandant en chef interallié désigné (le
général grec Papagos) auquel rendaient compte les commandants des corps expéditionnaires,
respectivement le général Wilson (pour le BEFIG) et le général Giraud (pour l’Armée
d’Orient). Cette organisation touchait cependant ses limites dans la mesure où deux chefs
reconnus devaient accepter l’autorité d’un général à peine aussi gradé et nettement moins
expérimenté qu’eux, mais la plupart des décisions furent prises en concertation entre les trois
hommes et la conduite des opérations n’en souffrit pas.
Au niveau stratégique cependant, le dispositif allié était trop lourd et inefficace. Pour des
demandes de renforts ou des décisions majeures (comme le repli dans le Péloponnèse ou le
rembarquement), Wilson et Giraud ne dépendaient pas du même chef (un hypothétique
commandant interallié de théâtre d’opération) mais de leurs commandants de théâtre
nationaux, respectivement Wavell et Frère. D’où des circuits complexes responsables de
20
Au lieu de fin 1942 historiquement.
nombreux échanges téléphoniques et radio entre Athènes, Alexandrie et Beyrouth, ainsi que
plusieurs déplacements de Wavell et Frère sur le terrain. Cependant, si cette complexité fut
une gêne pour les états-majors, elle ne fut pas perçue par les échelons inférieurs et, la
campagne ayant été relativement brève, n’eut pas d’effets concrets sur son issue.
Après l’évacuation de la Grèce, l’organisation interalliée redevint proche de celle en place fin
1940, avec des commandements « nationaux » par zone : le lieutenant-général O’Connor,
resté organiser la défense de la Crète, était confirmé comme « Crete and Aegan,
Commanding », tandis que les troupes françaises restaient sous les ordres du général Beynet,
chef du Détachement d’Armée Dodécanèse. O’Connor et Beynet étaient chacun en charge
d’une zone géographique distincte et rendaient compte à un chef distinct, respectivement
Wavell (puis Auchinleck) et Frère.
Il était évident que de futures opérations exigeraient une simplification de la structure du
commandement – cette exigence ne ferait qu’apparaître plus crûment avec l’arrivée des forces
américaines.
2) Pour les forces aériennes
L’organisation mise en place pour les forces aériennes fut sans doute le point le plus critiqué
dans les rapports de fin de campagne. Aucune organisation interalliée n’avait été mise en
place. La coordination entre la BAFG de D’Albiac, l’Armée aérienne de Mer Egée de Bouscat
et les Forces Aériennes Royales Grecques (placées sous contrôle opérationnel de l’armée de
terre après mobilisation) restait basée sur le travail des officiers de liaison et les rencontres
entre officiers.
Dans un premier temps, alors que la RAF opérait au-dessus de l’Albanie et que les seules
forces françaises se concentraient en Crète, avec des missions et des zones d’opérations
séparées, cette organisation ne posa pas de problèmes. De même, l’opération
Coronation/Couronnement, gérée à part, se déroula de façon tout à fait satisfaisante.
Cependant, à partir de juin, quand les trois forces aériennes intervinrent ensemble au-dessus
de la Grèce continentale, la coordination fut plus difficile, malgré la bonne volonté des uns et
des autres, et D’Albiac comme Bouscat firent état de ces difficultés dans leurs rapports.
3) Pour les forces navales
Le rapport de Cunningham, par contraste, eut peut-être le plus de poids. En effet, depuis les
accords de 1939, le commandement opérationnel des flottes alliées en Méditerranée Orientale
était dévolu à la Royal Navy. Dans la suite de ces accords et avec l’entraînement que
donnaient presque dix-huit mois de pratique marqués par des opérations combinées majeures
(Cordite et Accolade), Cunningham put organiser ses forces en mêlant harmonieusement,
selon leurs qualités, les navires (et divisions) français et britanniques, et mettre en œuvre ses
opérations en pilotant directement tous ces moyens.
Il se félicita dans son rapport des bons résultats obtenus avec cette organisation. C’est tout
juste s’il consentit à mentionner la seule question qui se posait : la place d’un commandant en
chef de forces navales interalliées aussi importantes, sur un théâtre d’opérations aussi vaste et
varié, devait-elle être à la mer ou dans un QG à terre ?