L`enfance et la famille au Viêt-Nam

Transcription

L`enfance et la famille au Viêt-Nam
ASSOCIATION POUR LE DEVELOPPEMENT
DE L'EDUCATION ET DE LA PSYCHOLOGIE
EN ASIE DU SUD-EST
Opérateur de la coopération professionnelle et universitaire
ADEPASE_____________________________________________________________________________
L’enfant et la famille dans le système philosophique du Vietnam
Odette LESCARRET, Professeur des Universités, laboratoire PSPS Toulouse
TRINH Thi Linh, Doctorante Université de Hanoi, laboratoire PDPS Toulouse
Introduction
La coopération universitaire et professionnelle
En tant que psychologues spécialisées dans le domaine de l’enfance nous sommes engagées
dans une coopération universitaire et professionnelle qui a commencé en 1995, à la demande des
responsables vietnamiens de la Santé et de l’Education, autour du pédiatre et philosophe vietnamien
le Dr Nguyen Khac Vien, prix de la Francophonie 1992 décerné par l’Académie Française. Il
souhaitait créer au Vietnam la profession de Psychologue clinicien car il soutenait l’idée que pour son
pays « la psychologie est un luxe mais un luxe nécessaire »…(Nguyen, K.V, 1997, 173)
Conceptions de l’enfance et « théories implicites »
Nous avons posé comme préalable à ce partenariat et à toute démarche éducative et
thérapeutique en direction des enfants et des familles, ainsi qu’à toute activité de recherche, de
repérer les conceptions de l’enfance dans nos deux cultures, ainsi que les « théories implicites »
relatives à l’enfant, et d’en tenir compte systématiquement pour nos pratiques (Lescarret, Tran,
T.M.D., et al, 2000 ; Van T.K.C, 2001).
Car derrière la représentation qu’une époque, ou qu’une culture, ou qu’un groupe social (fût-il
scientifique) se fait de l’enfance, il y a des valeurs, une philosophie, une idéologie, une politique
(Lescarret, 2000).
Et nous soulignons avec Laflaquière comment « le mythe moderne de l’enfance (occidentale)
(…) oriente nos regards et nos pratiques » (1996, 15) alors qu’opèrent, à l’insu de l’enfant, des
processus psychologiques qui sont à l'oeuvre dans le système historique, philosophique, idéologique
dans lequel il grandit, tant dans la famille qu’à l’école : en France par exemple pour comprendre les
difficultés d’apprentissage d’un enfant, il est important de tenir compte des effets psychologiques de
l’institution scolaire car y agissent depuis plusieurs siècles le poids historique de l'inégalité et de la
norme, du maintien de certains mythes, le rapport avec la production, la perversion de l'instruction
par l'éducation et tout récemment la marchandisation du savoir...
Qu’en est-il au Vietnam ? c’est ce que nous allons aborder tout à l’heure.
L’ethnocentrisme possible des sciences humaines
Ce qui prime dans cette coopération, c’est de s’inscrire de façon lucide dans l’incontournable
débat posé par la psychologie culturelle et interculturelle sur l’ethnocentrisme possible de la
psychologie (Jahoda, 1986 ; Dasen 1993) et qui d’ailleurs concerne bien d’autres sciences (Preiswerk
& Perrot, 1975) ; en ce sens la revue des travaux de Berry, Poortinga, Segall, et Dasen (1992), les
travaux de Camiliéri et Vinsonneau (1996), de Vinsonneau (2002) et nos propres travaux (Lescarret
et al, in Vinsonneau et Lalhou, 2001) incitent à l’analyse épistémologique critique.
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Alors les savoirs existants sur l’enfance, comme les pratiques d’éducation ou de soin le
concernant, sont à replacer dans ce préalable.
Sans pour autant prétendre avoir résolu ce problème, le laboratoire de Psychologie du
Développement et des Processus de Socialisation (PDPS) de Toulouse met justement au centre de ses
modélisations théoriques la question de l’interstructuration du sujet et des institutions (Baubion et
Tap, 1987 ; Lescarret, 2000) dans le prolongement des travaux de Wallon et de Vygotsky, mettant
l’accent sur l’aspect psychosocial du développement et sur l’idée que toute activité humaine est
« contextualisée ».
Aussi les effets organisateurs de la langue sont à prendre en compte dans la mesure où la
langue est le « véhicule » de la culture mais aussi son médiateur (Vygotsky, 1985 ; Tabouret-Keller,
1991 ; Abdallah-Pretceille, 1991).
Le lieu d’où l’on parle ; l’approche « émique- étique »
Tout en restant vigilant sur les risques possibles d’ethnocentrisme, il est important cependant
dans nos pratiques cliniques, et dans nos pratiques sociales de pouvoir dire de quelle place on parle :
l’une d’entre nous est psychologue et chercheure française, l’autre est psychologue et chercheure
vietnamienne, et l’important est de pouvoir communiquer depuis sa place et de pouvoir parler de
l’autre culture : en travaillant sa propre disponibilité respective, Trinh T. L. doit pouvoir parler de
l’enfant français, O. Lescarret doit pouvoir parler de l’enfant vietnamien.
Cela renvoie au débat entre approche '"émique" et approche "étique", distinction issue de la
linguistique et de l'anthropologie : une recherche "émique" étudie une culture en décrivant les
conduites avec des catégories propres à cette seule culture et en dernier ressort ne peut guère
communiquer avec d’autres cultures, alors que la méthode "étique" impose les catégories culturelles
du chercheur, ses théories et ses méthodes, en vue de comparaisons. Compte-tenu des travaux de
Berry et al (1992) et plus particulièrement de Dasen (1985, 1993) cherchant à dépasser cette
alternative réductrice, nous partageons la pertinence d'une articulation des approches que ces auteurs
qualifient de « émique-éthique » et nous soulignons l'intérêt de la dialectisation de ces deux extrêmes
: tout en recherchant les invariants et les universaux dans les différentes cultures, nous nous attachons
à démontrer qu'une théorie de l’enfant n'est pertinente que si elle intègre les éléments spécifiques à
chaque culture, pouvant aider ainsi à rendre compte des compétences locales.
C’est sur cette posture dialectique d’ouverture à l’autre que maintenant nous allons rappeler
brièvement des éléments de la pensée sociale sur l’enfance et la famille en France, et que nous
développerons ensuite ce qui nous rassemble aujourd’hui, à savoir des repères culturels forts pour
que se formalise ultérieurement une pensée sociale sur l’enfant et la famille au Vietnam, sachant
que le système philosophique y est très différent.
1 - L’enfant et la famille dans un système philosophique : le cas de la France
Une représentation récente en France
La représentation formalisée de l’enfant, en France, est relativement récente, elle daterait du
17ième siècle selon les historiens (Ariès, 1973), les sociologues (Meyer, 1977) et les philosophes
(Badinter, 1980) et elle n’est que partiellement explorée par les psychologues (Chombart de Lauwe et
al, 1979/1997 ; Feuerhahn, 1987 ; Anthian, Chanié et Lescarret, 2003).
Dans la société traditionnelle…,
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… on se représentait mal l’enfant, les peintres les dessinaient tout au plus comme des adultes
en miniature ou comme des anges mystiques, asexués et hors du monde des humains ; en fait la durée
de l’enfance se limitait à la période où le petit d’homme ne pouvait se suffire à lui-même (7ans
environ) et il se trouvait ensuite directement mêlé au monde des adultes, sans étape transitoire ; seul
semblait exister un sentiment, « le mignotage », apparu en famille : « quand l’enfant était une
petite chose drôle on s’amusait avec lui comme avec un animal, un petit singe impudique. S’il
mourait alors, comme cela arrivait souvent, quelques-uns pouvaient s’en désoler mais la règle alors
était qu’on n’y prît pas trop garde, un autre le remplacerait bientôt » (Ariès, 1973, 6).
Badinter (1980) nous montre que jusqu’à la fin du 18ième l’enfant était vécu comme une gêne,
un fardeau, la plupart du temps confié à une nourrice et quand vers 4 ans il faisait son entrée dans la
maison familiale, il était confié dans les classes bourgeoises et aristocratiques à une gouvernante.
L’intégration des valeurs et des savoirs, et la socialisation, n’étaient pas contrôlées par la
famille mais se faisaient par imprégnation directe dans le milieu, la communauté.
Un 2ième sentiment provenait des hommes d’église et des moralistes qui véhiculaient
l’image de l’enfant créature imparfaite, frappé du péché originel mais disciple potentiel, fragile, qu’il
faut protéger et assagir.
On retrouvera ces éléments plus tard à partir du 18ième siècle associés au souci de Santé
Publique
. A partir du 17ième siècle…,
… le concept d’enfant est devenu plus consistant mais ce n’est qu’à la fin du 18ième siècle
(autour de la Révolution) que commencera le règne de l’enfant-roi, associé au concept de famille sur
le modèle aristocratique et bourgeois qui s’est lentement diffusé dans l’ensemble de la société ; le
sociologue Meyer (1977) montre comment l’action des Pouvoirs Publics depuis les philanthropes
jusqu’aux services sociaux va sans cesse se traduire par l’élimination progressive de toute forme de
vie ne s’organisant pas autour du modèle familial. La période du « grand renfermement » a ainsi tenté
de mettre fin au vagabondage en créant un Hôpital Général dans chaque ville où étaient enfermés de
très nombreux enfants.
Mais ce n’est qu’après la Révolution de 1789 que se créeront des structures nouvelles qui vont
différencier et catégoriser de plus en plus les enfants : l’enfance coupable dans les maisons de
correction, l’enfance de l’assistance dans les orphelinats, l’enfance anormale dans les asiles.
Parallèlement les urbanistes ont transformé les villes, instaurant le partage entre espace public
et espace privé : la rue, ancien espace de socialité devient vouée à la circulation. « Le logis va se
substituer à la rue, il deviendra le nouveau centre de vie, la résidence des seuls membres de la
famille. Le champ des investissements affectifs et sociaux de l’enfant s’y réduit peu à peu à la famille
conjugale » (Meyer, 1977, 12).
L’amour des parents pour leurs enfants est contemporain de l’avènement de la famille moderne
et, nous explique Badinter (1980) c’est seulement à la fin du 18ième siècle que la notion d’amour
maternel fait figure de nouveau concept.
Origine idéologique des changements
Une des explications de ces changements serait d’ordre idéologique : à l’aube de la société
industrielle, il est apparu que la production d’êtres humains constituait une richesse pour l’Etat. La
survie des enfants fut donc un nouvel impératif. Aussi, on peut dire que « la décentration de la
famille a construit le stéréotype de l’enfant-dieu et lui a progressivement imposé la fragilité, la
complexité, le mystère » (Meyer, 1977, 12).
L’ambivalence de la société adulte
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Mais ce qui est intéressant à repérer c’est cette ambivalence insistante de la société française,
voire occidentale à l’égard de l’enfant, et qui se retrouve dans les analyses des caricatures et dessins
humoristiques actuels (Feuerhahn, 1987), des films et de la publicité (Chombart de Lauwe,
1989/1997).
Il est intéressant également de se demander avec l’historien Ariès si le règne de l’enfant-roi ne
serait en train de laisser la place à l’enfant martyr et victime ; on assiste en effet en France à une mise
en cause croissante de l’adulte, du parent, de la mère, il y a là comme un retour de l’idée de l’enfant
foncièrement innocent, et qui pourrait devenir un simple alibi médiatique pour mettre en cause
l’adulte de ce nouveau siècle… Cela « pourrait signifier que l’enfant est en train de perdre un
monopole tardif et exorbitant, qu’il revient à une place moins privilégiée, pour le meilleur et pour le
pire » (Ariès, ibid, 25).
Quelle place pour l’enfant actuel en France ? et au Vietnam ?
Le contexte social, économique et culturel change depuis une bonne trentaine d’année en
France : l’enfant en tant qu’ « investissement économique » a disparu, et dans cette société de
l’éphémère et du temporaire le mode de vie de la famille s’est profondément modifié. L’affectivité, la
liberté sexuelle, le droit au bien-être et au bonheur pour soi sont revendiqués par les adultes mais
également par les adolescents ; une fonction affective et symbolique est de plus en plus dévolue à
l’enfant et son épanouissement devient la préoccupation majeure des parents.
Dans la récente recherche que nous avons menée ensemble (Lescarret, Tran, T.M.D., et al,
2000), il est frappant d’épingler la représentation monocorde des parents français concernant l’enfant,
être en devenir qu’il faut protéger et aider, alors que celle des parents vietnamiens, intimement liée à
la vie familiale, au rapport aux institutions, aux valeurs philosophiques et à l’avenir fait ressortir une
dynamique très forte, où les inquiétudes vitales liées à la maladie et au handicap se tissent avec
l’espoir lié à la performance scolaire et au travail, dans un contexte de valeurs librement rappelées.
2 - L’enfant et la famille dans le système philosophique du Vietnam
2.1 - Concernant le rôle des croyances et des raisonnements parentaux,
… il nous semble important de souligner ici la spécificité psychologique de quelques
systèmes de croyances, que la pensée populaire désigne comme religions, existant dans la
philosophie de la société vietnamienne pour comprendre certaines pratiques éducatives des parents
vietnamiens auprès de leurs enfants, et pour comprendre également l’enfant.
Cela permet de commencer à formaliser la pensée sociale de l’enfant au Vietnam ainsi
qu’une véritable psychologie de l’enfant inscrite dans la culture vietnamienne (Trần Ngọc Thêm,
2001).
2.1.1 - Les trois religions
Se situant au Sud-Est asiatique, le Vietnam jusqu’à maintenant est encore un pays agricole.
De nombreuses religions existent au Vietnam issues de l’Orient et aussi de l’Occident. Toutefois,
les plus anciennes et faisant office des plus grands maîtres spirituels du Vietnam sont bien
connues, et se nomment « Tam giáo » (trois religions) en vietnamien : le Confucianisme, le
Taoïsme et le Bouddhisme (Phạm Tất Đắc, 1966, cité par Van Thi, K.-C, 2001, 60).
Ces religions existent toujours dans la société vietnamienne et ont des effets profonds sur
la vie spirituelle des Vietnamiens tant dans les pratiques que dans les croyances, non seulement
dans la société traditionnelle, mais aussi dans la société contemporaine.
Il importe pour nous de mieux cerner leur impact psychologique sur les personnes.
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- Le Taoïsme :
A l’origine, le Taoïsme a été un système philosophique attribué au philosophe Lao Tseu
(LãoTử) et complété par ses disciples Tchouang Tseu (Trang Tử) et Lie Tseu (Liệt Tử).
Le Taoïsme est donc dérivé d’un noyau philosophique chinois. Il a pénétré au Vietnam
vers les 5ième et 6ième siècles avant J.C (Nguyễn Văn Huyên, 1994). Il a connu une période prospère
sous le règne du roi Đinh Tiên Hoàng. Puis il a dû laisser la place au Bouddhisme et au
Confucianisme.
La divinité suprême du Taoïsme est l’Empereur Augustus de Jade, Ngọc Hoàng, résidant
au centre du Ciel, toujours accompagné par ses deux ministres le Nam Tào (constellation du Sud)
et le Bắc Đẩu (Constellation du Nord). Le premier est chargé de l’état des naissances des humains,
le second de l’état des décès.
Il surveille d’une manière générale les faits et gestes humains, reçoit à la fin de chaque
année le rapport du Génie du foyer, Táo Quân, et d’après ce rapport, tenant compte des mérites ou
des fautes des hommes, il prolonge ou abrège leur vie.
Des cultes apparaissent donc. Ils sont très compliqués. Avec le temps, ils perdent de plus
en plus leur pureté originelle. Les hommes en usent sous la forme d’une multitude de pratiques
magiques dans tous les événements importants de la vie comme la naissance, la mort, l’épidémie,
la sécheresse, l’innovation, ….
Mais ce que nous prenons en compte en tant que psychologues, c’est que les Taoïstes se
sentent encouragés et trouvent des soulagements en pratiquant ces cultes. C’est une croyance
inchangeable pour eux.
- Le Bouddhisme :
Jusqu’à maintenant, le jour où le Bouddhisme a pénétré au Vietnam est encore discuté.
Selon certains auteurs, le Bouddhisme a été introduit au début de notre ère par les bonzes indiens
(Trần Ngọc Thêm, 2001). Plus tard, aux 4ième et 5ième siècles, le Vietnam a reçu une nouvelle
influence bouddhique de la Chine (Trần Ngọc Thêm, op.cit).
Le Bouddhisme avait connu une très grande vitalité et une influence considérable à travers
les bonzes bouddhiques, qui étaient en même temps de grands Lettrés, auprès des dynasties des Lý
et Trần (1010-1400).
Le Bouddhisme se développe bien dans ce pays avec un nombre de bouddhistes de plus en
plus important. En général, le Bouddhisme conseille à tout le monde de mener une vie
miséricordieuse, avec de l’amour les uns envers les autres.
Ce faisant, les Bouddhistes vietnamiens se rattachent plus à l’Ecole Bouddhique chinoise
qu’à l’Ecole Bouddhique orthodoxe de l’Inde. Tandis que cette école orthodoxe nous indique
qu’un seul chemin peut surmonter les malheurs dans la vie réelle pour atteindre le nirvana (niết
bàn) - c’est de se mener une vie essentiellement religieuse -, l’Ecole Bouddhique chinoise affirme
la possibilité de l’atteindre même si on reste toujours chez soi.
L’essence de l’école chinoise se pose sur une succession d’états d’âme :
« Le premier stade constitue l’état d’attention ;
le deuxième est l’état de joie : on s’élève à une intuition directe ;
le troisième est le bonheur : on obtient après la joie un calme parfait ;
le quatrième est l’indifférence. C’est un acheminement progressif vers la béatidude
absolue » (Nguyễn Văn Huyên, 1994, 272, cité par Van Thi, K.-C, 2001), une absolue tranquillité
d’esprit.
Un point d’analyse psychologique s’impose ici : le Bouddhisme est-il là pour enseigner
l’homme à s’écarter le plus possible de ses désirs et se contenter de sa situation ? Est-il une façon
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d’éviter les conflits psychiques éventuels ? ou bien encore est-il une manière pour dépasser ces
conflits et peut-être même les transcender ?
- Le Confucianisme :
Nous mettons l’accent sur le confucianisme, enraciné encore profondément tant dans
l’esprit que dans la pratique des Vietnamiens. Plus qu’une religion au sens propre du terme, le
Confucianisme est un code de morale sociale et familiale. Il transmet essentiellement les valeurs
morales par ses principes de conduite.
Originaire aussi de Chine, la doctrine confucianiste règne au Vietnam depuis le 10ième
siècle. Elle était considérée comme une religion nationale sous la dynastie des Lê postérieurs. Si le
Bouddhisme orthodoxe ne s’occupe de l’être humain qu’en tant qu’individu, le Confucianisme le
considère tout d’abord comme être social ayant essentiellement des obligations sociales « servir
son roi, honorer ses parents, rester fidèle à son époux jusqu’à sa mort, gérer la famille, participer
à l’administration de son pays, contribuer à sauvegarder la paix du monde, tels étaient les devoirs
que la doctrine confucéenne assignait à tous » (Nguyễn Khắc Viện, 1962, 10).
→ Le « Quân tử »
L’essence du Confucianisme se résume à former tout d’abord le « Quân tử » « l’être
princier, le noble, le gentilhomme » (Đỗ Đình, 1958, 91). L’éducation du « Quân tử » comporte
« 5 règles » (Ngũ thường): Nhân (Humanité parfaite), Nghĩa (équité), Lễ (étiquette, rites), Trí
(sagesse, intelligence, prudence), Tín (fidélité, loyauté à la parole donnée).
Toutes ces exigences ont pour but de pousser l’homme à se comporter d’une façon
adéquate selon l’esprit confucéen. Ceci renvoie à la théorie de la légitimité appelant les hommes à
s’en tenir à leur position sociale dans tous leurs moindres actes.
→ Le « Juste milieu »
Le Confucianisme enseigne aussi la théorie du « Juste milieu » (Trung Dung) considérée
comme la vertu la plus belle et la plus noble, qui renvoie à un état d’équilibre et d’harmonie de
l’âme : « l’homme qui applique le principe du juste milieu ne commet pas d’excès. Mais surtout il
ne laissera pas l’expression incontrôlée de ses sentiments troubler sa pensée » (Đỗ Lâm Chi Lan,
1982, 71). Les cinq règles ci-dessus du Quân tử constituent la base pour atteindre l’état du « Juste
Milieu ».
→ Les trois Normes (Tam Cương)
A côté des cinq règles, les trois Normes (Tam Cương) consistent à définir les normes dans
les relations humaines de l’individu. Précisément, elles dictent les relations entre Roi-Sujet (QuânThần), Père-Fils (Phụ -Tử), Mari-Femme (Phu-Phụ) : la bienveillance du Roi et la loyauté du
Sujet, la mansuétude du père et la piété des enfants, la gratitude du mari et la soumission de la
femme.
Ici, nous voyons bien que ces cinq vertus, ces cinq fidélités fondamentales établies par la
doctrine confucéenne et que les gens doivent suivre, sont des règles morales en apparence, en
réalité elles étaient des moyens politiques des gouvernements du régime féodal et servaient à
faciliter le maintien d’un ordre social stable.
En effet, ces règles concernent tout le monde dans la société, et mettent en place une
hiérarchie stricte dans la famille. En suivant ces règles, les gens se comportent avec les autres en
référence à leur place familiale s’ils restent dans un cadre familial, et à leur position sociale s’ils se
trouvent en société.
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2.1.2 - Les Cultes
A côté de ces systèmes philosophiques et religieux, d’ordre individuel, privé, il existe au
Vietnam un deuxième groupe de religions d’ordre collectif : les Cultes. Parmi eux on peut citer :
le culte national du Ciel et de la Terre,
le culte communal (Génie du village : Thành Hoàng),
le culte des génies locaux (Génie de la rivière),
le culte des domestiques (Génie du Foyer), etc.
Le Culte est compris comme « l’ensemble des systèmes de significations propres à un
groupe ou à un sous-groupe, ensemble de significations prépondérantes qui apparaissent comme
valeurs et donnent naissance à des règles et des normes que le groupe conserve et s’efforce de
transmettre et par lesquelles il se particularise, se différencie des groupes voisins » (Clanet, 1990,
cité par Hoang, M.-K, 2005, 68-69).
Quoiqu’il y ait des différences entre ces trois systèmes philosophiques appelés
indifféremment religions, et également entre eux et les Cultes, ils coexistent ensemble jusqu’à
maintenant, au Vietnam.
2.2. La famille vietnamienne et l’éducation de l’enfant
D’une manière ou d’un autre, ces religions (d’ordre individuel, privé) et ces cultes (d’ordre
collectif) influencent évidemment la mentalité vietnamienne tant au plan social qu’au plan
familial. Précisément, ils ont un impact notamment le Confucianisme et le Bouddhisme, sur la
façon dont les parents éduquent leur enfant.
2.2.1 - L’accueil de l’enfant
Fondée sur ces croyances, la famille vietnamienne traditionnelle est de type patriarcal,
pluri générationnelle. Elle est caractérisée par son communautarisme, sa solidarité. Quand un
enfant vient au monde, il est accueilli avec une grande délicatesse et entouré de liens intimes avec
la mère particulièrement et avec d’autres membres de la famille :
« Porté comme on porte un œuf sur la main ouverte,
Recueilli comme on recueille une fleur. » (Nâng như nâng trứng, hứng như hứng hoa)
Auparavant, l’enfant vietnamien était rarement laissé seul. Bébé, il était souvent porté dans
les bras de sa mère, de sa grand-mère ou d’une femme de la famille qui l’allaitait, le berçait ou le
calmait. Plus solide, il était porté sur le dos, ou sur la hanche de ces femmes pour assister à toutes
leurs activités domestiques ainsi que champêtres ou à tous les jeux d’enfants dans le cas où la
personne chargée de sa garde était un enfant. Il était donc gardé très proche de l’adule et mêlé très
tôt à la vie des adultes.
1.2 - Une conscience éducative de la famille dès le plus jeune âge de l’enfant
« Eduquez votre enfant dès le premier âge » (Dạy con từ thuở còn thơ) dit la sagesse
populaire vietnamienne.
Dans la société traditionnelle, la famille occupait le rôle primordial dans l’éducation de
l’enfant. Aucune institution sociale n’existait pour seconder la famille dans cette tâche.
Nous constatons même qu’au Vietnam, l’éducation de la personnalité de l’enfant est
première, nous disons parfois que « l’éducation de la moralité est plus précoce que l’éducation du
niveau culturel et que l’éducation esthétique. D’une façon plus précise, très tôt après la naissance,
la famille, et tout d’abord la mère, éduque l’enfant à devenir un homme, lui donne les premières
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bases pour être un homme digne de ce nom » (Phạm Minh Hạc, 2000, 31, cité par Hoang, M.-K,
2005, 108).
En d’autres termes, les enfants sont éduqués avant tout de morale, de règles, de littérature
et de connaissances scientifiques (Nguyễn Khắc Viện, 1961, cité par Van Thi, K.-C, op.cit, 85)
afin qu’il devienne « un être humain accompli » (Nên người), un homme de la famille, du clan
familial, du village.
Parler de l’enfant, c’est parler de l’éducation, tout comme parler de l’éducation, c’est parler
de l’enfant (Phạm Minh Hạc, op.cit).
La transmission du sentiment de piété familiale
Les Vietnamiens intériorisaient l’enseignement du Confucianisme et le transmettaient de
génération en génération « tout d’abord apprendre les rites, puis, apprendre la littérature » (tiên
học lễ, hậu học văn).
Parmi les leçons à apprendre, celle de la piété familiale est la plus importante. Le plus
grand crime que puisse commettre un enfant, c’est de manquer de piété filiale qui, selon le
Confucianisme est le principe même de toute vertu. « L’enfant pieux manifeste sa piété filiale du
vivant des parents, s’occupe d’eux et veille à leur bien-être jusqu’à la fin de leurs jours » (Đỗ
Lâm Chi Lan, 1998, 232), voire après le décès de ses parents, et l’enfant doit prendre le deuil au
moins pendant un an. Pendant cette année, il n’y a pas de festivités, ni de mariage.
La transmission du sentiment de solidarité familiale
On enseigne également à l’enfant le sens de la solidarité familiale, l’esprit de
communauté : « une goutte de sang vaut mieux qu’un étang » (Một giọt máu đào hơn ao nước lã),
« quand le père n’est plus, il reste toujours l’oncle ; quand la mère vient de mourir, la tante vous
allaitera toujours » (Xảy cha theo chú, xảy mẹ bú dì).
En effet, il est habituel que dans la famille vietnamienne, on donne toujours davantage de
nourriture au plus jeune. Particulièrement, c’est le petit qui, ne pouvant pas finir sa part, vient réoffrir le reste à l’aîné. Par contre, l’aîné doit apprendre très tôt à se sacrifier, et à céder aux plus
jeunes.
La solidité de cette transmission
D’une façon générale, nous repérons que l’éducation parentale dans la famille
vietnamienne traditionnelle, demeure immuable d’une génération à l’autre. On l’enseigne aux
enfants à travers les dictons, les chansons populaires. La vie d’autrefois limitée derrière la haie de
bambou n’était pas confrontée aux mutations, aux révolutions (non au sens de révolte/révolution
contre les envahisseurs), les choses sont restées pareilles pendant des siècles, puisque tout ce qui a
été dit par les ancêtres est considéré vrai et valable en tout temps. Il faut les suivre, sans se soucier
de les remettre en question (Hoàng, M.-K, op.cit, 130).
Solidité mais souplesse évolutive également
Le côté immuable de cette transmission ne veut pas dire pour autant la rigidité absolue. Ces
pratiques éducatives continuent à se perpétuer, toutefois avec beaucoup de souplesse et sous des
formes différentes.
L’enfant va à l’école et là, c’est aussi « d’abord les rites et puis la littérature » car le
domaine des rites ne se limite pas aux relations familiales, ni aux relations sociales.
L’apprentissage de la littérature n’est plus celui de caractères chinois, mais de connaissances
scientifiques.
En ce qui concerne les styles éducatifs, si autrefois l’enfant devait absolument obéir aux
parents, actuellement, les parents veulent que leurs enfants les écoutent, cependant avec souplesse
(Van Thi, K.-C, 2001, 88).
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Vers où vont les changements ?
Aujourd’hui, des changements sont à noter même si l’enfant représente encore pour la
plupart des couples, le principal but de leur mariage.
La famille vietnamienne est à l’heure actuelle constituée des parents et des enfants avec
une tendance à la nucléarisation de la famille. L’enfant est de fait moins entouré qu’autrefois. Et
d’ailleurs il est, de plus en plus, considéré comme sujet indépendant. Il a le droit de parler et est
plus écouté par les parents. L’enfant a plus de possibilité de s’échapper de l’ombrage du clan
familial.
A partir de tout cela, il y a, bien sûr, des différences entre les pratiques éducatives
parentales dans la famille vietnamienne traditionnelle et celle d’aujourd’hui.
→ Les sociologues vietnamiens ont déjà posé un regard macroscopique sur ce phénomène :
dans la société contemporaine explique Trần Trọng Thuỷ, « l’accélération sociale est assez
manifeste. Tout d’abord il y a la croissance du niveau culturel général des parents. Le taux
d’analphabètes a de plus en plus diminué. (…). Au Vietnam, le taux d’analphabètes en 1979 était
de 15%, en 1989 : 12%, en 1993 : 7,5%, en 1998 : 6% » (Trần Trọng Thuỷ, 2000, 137).
Cela pourrait vouloir dire qu’aujourd’hui, les enfants reçoivent beaucoup plus
d’informations qu’avant. Quand ils vont à l’école, ils ont déjà un bagage assez riche de
connaissances et d’expériences, et cela crée des conditions nouvelles pour l’éducation.
Le point de vue de Lê Ngọc Văn précise par ailleurs qu’avec l’économie de marché, le
niveau de vie économique des familles a augmenté. Mais en même temps, elle « impose ses
demandes à propos de la compétence et de la qualité personnelle des individus. Le nouveau
système socioéconomique n’accepte pas l’égalitarisme où tout le monde est égal et semblable,
sans particularité, ni originalité. Les modèles d’homme de l’éducation traditionnelle ainsi que de
celles du socialisme ne peuvent pas s’adapter à ces demandes. Ainsi, l’éducation familiale et
sociale doit se modifier afin de former des individus autonomes, dynamiques, créatifs et
coopératifs » (Lê Ngọc Văn, 1998, 94).
→ En tant que psychologues nous pouvons affirmer, en résumé, qu’à travers tout ce que
nous venons d’aborder, les pratiques éducatives parentales vietnamiennes sont historiquement très
influencées par des croyances et des raisonnements parentaux profondément enracinés dans la
mentalité vietnamienne, bien sûr avec des différences entre l’aujourd’hui et l’autrefois. Ils
affectent clairement, et de façon diversifiée, les pratiques éducatives parentales auprès de l’enfant.
Les parents vietnamiens d’aujourd’hui semblent avoir un point de vue plus ouvert dans
l’éducation de leur enfant. Même si la sagesse reste toujours une des normes pour évaluer si un
enfant est bien élevé, les parents favorisent de plus en plus l’autonomie de leur enfant dans les
faits. Il ne s’agit plus pour ce dernier d’une obéissance absolue vis-à-vis du parent mais d’une
obéissance raisonnée et toujours inscrite dans les valeurs de solidarité familiale et de valorisation
des études.
2.3. Pratiques éducatives familiales, estime de soi et mobilisation scolaire dans la
population vietnamienne actuelle
Nous terminons cette réflexion par ce qui fait l’objet actuel de la thèse de Trinh Thi Linh
(2009), non pour développer ici le travail de thèse, mais pour mettre l’accent sur deux points :
2.3.1 - La tradition studieuse de la population vietnamienne
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Le Vietnam est un pays de 4 milliers d’années de civilisation. Il est connu dans le monde
non seulement pour sa lutte contre les calamités naturelles et les envahisseurs étrangers, mais aussi
pour la tradition studieuse de sa population.
Peu importe la situation dans laquelle ils se trouvent, les Vietnamiens prennent toujours en
compte la question de l’éducation et de la formation : « Nhân bất học bất tri lý » (sans
l’apprentissage, personne ne se forme), « ấu bất học, lão hà vi » (si on n’apprend pas dès notre
enfance, on tombe dans la dèche plus tard) … De nombreux récits témoignent de la valorisation
ancestrale des études dans tous les villages et les villes et depuis des décennies un grand
mouvement d’enseignement populaire est mis en route. Malgré la pluie de bombes qui leur sont
tombées sur la tête, les Vietnamiens ont assisté en nombre à ces classes d’enseignement existant
partout à l’époque.
L’exacerbation des attentes aujourd’hui
Les Vietnamiens d’aujourd’hui s’investissent beaucoup dans le développement de cette
tradition studieuse, mais s’y ajoute la notion moderne de rendement et d’efficacité.
Nous voyons émerger au Vietnam bon nombre de sociétés d’encouragement à l’étude (hội
khuyến học), regroupant des personnes dévouées à la scolarisation des enfants et incitant à être
reconnaissant à l’égard de ceux qui réussissent. Ces sociétés attribuent certains prix, certaines
bourses pour favoriser de beaux exemples d’apprentissage. Dans les grandes familles, on donne
aussi des petits prix collectifs à la personne qui a obtenu un bon résultat à l’école et qui est
l’honneur de la famille.
Les nouveaux élèves vietnamiens et la mobilisation scolaire
Alors, pour obtenir ces prix, les élèves vietnamiens doivent beaucoup s’investir dans leurs
activités scolaires. Nous remarquons qu’au Vietnam actuellement, les élèves consacrent beaucoup
de temps, même trop pour cette activité scolaire, et sont également inscrits aux cours
supplémentaires.
Ils mobilisent toutes leurs forces, psychologiques et aussi physiques, pour suivre ces cours.
Ils n’ont pas assez de temps pour effectuer d’autres activités comme le sport par exemple. Parmi
eux, il y en a certains qui ont vraiment envie de suivre ce rythme d’apprentissage pour « leur bienêtre plus tard » comme dit tout le monde. Mais qui peut affirmer que certains ne se sentent pas
obligés ? En réalité, certains élèves suivent des cours supplémentaires « juste pour faire plaisir à
leurs parents » ou pour ne pas « être ratés » par rapport à leurs camarades, ou encore pour être
comme les autres.
Alors, en tant que psychologue vietnamienne, nous avons considéré important d’étudier
cette notion de mobilisation scolaire auprès de la population vietnamienne actuelle, domaine très
sensible mais encore peu exploré et étudié dans ce pays.
2.3.2 - La conception vietnamienne du soi…
Pour analyser la dynamique de la mobilisation scolaire nous avons intégré une notion
psychologique relativement occidentale mais qui s’introduit au Vietnam, celle de l’estime de soi et
nous montrons dans notre thèse qu’il existe une particularité du soi vietnamien.
Le soi dans les cultures occidentales
En effet, les travaux montrent que les cultures occidentales voient le soi individuellement et
encouragent leurs membres à manifester leur individualité en s’engageant dans des stratégies
d’amélioration du soi, c’est-à-dire à présenter le soi comme étant indépendant, même supérieur à
d’autres.
Le soi dans la culture vietnamienne…
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Mais dans la culture vietnamienne et dans la famille traditionnelle du Vietnam, le soi n’est pas
facilement isolable mais est relié à un enchaînement des rapports humains et familiaux dans la
mesure où le pronom personnel n’est pas exprimé (Do Long, 2000) : les personnes sont
encouragées à maintenir les rapports interpersonnels par des stratégies d’effacement de soi, c’està-dire à ne pas présenter le soi comme supérieur aux autres. « Trên kính, dưới nhường » (respecter
les personnes les plus âgées, céder la meilleure part aux personnes moins âgées), « gọi dạ, bảo
vâng » (répondre d’une façon très gentille aux personnes plus âgées, écouter gentiment tout ce
qu’elles disent) sont depuis toujours des normes permettant d’évaluer ce qui est bien ou pas des
personnes.
… en particulier à travers le langage de l’enfant
Cette originalité du soi vietnamien a d’ailleurs sa marque linguistique dans la mesure où
l’enfant vietnamien ne commence pas par se servir du vocable « moi » ni « je » pour se désigner
mais de termes reflétant « sa place et son rôle d’enfant dans la famille et qui définissent en même
temps les comportements culturels correspondants » (Đỗ Long, 2000, 192). Ainsi il utilise une
chaîne des pronoms personnels pour se désigner soi-même dans les contextes familiaux différents
tels que con (enfant), cháu (petit-enfant), em (petit-frère), bố (papa), bà (grand-mère), anh (grandfrère), chị (grande-soeur).... Cette chaîne des pronoms personnels le conduit à se comporter
différemment à l’égard de chaque situation. Le soi individuel est donc traditionnellement caché.
Le soi des jeunes vietnamiens
Depuis quelques décennies, l’évolution socio-économique fulgurante du Vietnam entraîne
du même coup des changements importants dans la société et dans les familles, plus ou moins
influencés par la façon de se percevoir. De plus nous avons beaucoup entendu parler des « erreurs
collectives », avec bien sûr aucune personne concrètement responsable des conséquences, la
collectivité les prenant en charge. Ce fait de se protéger sous le chapeau « collectif » a été
fortement critiqué pendant ces dernières années, et il semble qu’aujourd’hui le soi « collectif » soit
de moins en moins prégnant, d’autant que la mondialisation des échanges a favorisé de son côté
l’émergence du soi « individuel ». Au lieu de dire « chúng tôi » (nous), par exemple, le « tôi » (je)
est de plus en plus utilisé dans les rapports sociaux.
Il n’en demeure pas moins que nos résultats de thèse, recueillis au sein d’une population
de jeunes vietnamiens de Hanoi, soulignent la part importante du rapport à la famille dans la
représentation de soi, indiquant par là un attachement fort de ces jeunes à leur ancrage identitaire
dans les liens familiaux.
Ce résultat est peut-être à entendre comme une véritable innovation culturelle de la
jeunesse actuelle du Vietnam, tissant les apports de la modernité aux acquis de la tradition ….
Pour interrompre plutôt que de conclure…
nous soulignons comment, tant en France qu’au Vietnam, il est important pour écouter,
comprendre, et accompagner l’enfant actuel, de connaître finement la construction historique et
philosophique de son contexte éducatif.
Nous soulignons aussi cette tendance créatrice et innovante que suscite toujours :
la rencontre entre les cultures,
la rencontre entre des philosophies traditionnelles et les injonctions de la modernité,
la rencontre de chacun avec l’autre différent.
C’est à nous, les psychologues et les professionnels travaillant avec la dimension humaine
des personnes, à entendre ces innovations psychologiques, ces tissages originaux, et à savoir
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repérer à tout moment, même dans les cas les plus angoissants ou les plus déroutants, cette
dynamique qui fait que l’homme, avant tout social, tient à la fois à sa liberté et à ses racines…
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