Diane Lavallée Les femmes et le sport véritable course à obstacles

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Diane Lavallée Les femmes et le sport véritable course à obstacles
ALLOCUTION PRONONCÉE PAR Mme DIANE LAVALLÉE, PRÉSIDENTE « LES FEMMES ET LE SPORT : VÉRITABLE COURSE À OBSTACLES » LORS DE LA SOIRÉE ORGANISÉE PAR L’INSTITUT NATIONAL DE FORMATION DES ENTRAÎNEURES AVEC LA COLLABORATION DE L’ASSOCIATION QUÉBÉCOISE POUR L’AVANCEMENT DES
FEMMES DANS LE SPORT SOUS LE THÈME « RÉUSSIR EN SPORT DE HAUT NIVEAU : DES SUCCÈS AU FÉMININ » 2 décembre 2003 Salon des dignitaires - Complexe sportif Claude-Robillard Montréal Discours de Mme Diane Lavallée à l'occasion de la soirée organisée sous le
thème Les femmes et le sport véritable course à obstacles
Allocution Diane Lavallée à la soirée sous le thème Les femmes et le sport véritable course à
obstacles. Décembre 2003.
Date de publication : 2003-12-02
Auteur : Conseil du statut de la femme
Bonsoir,
Ma présence à l’ouverture de cette soirée revêt un caractère particulier, celui de m’adresser, en
2003, à des pionnières. Des femmes entraîneures, gestionnaires et athlètes qui cherchent
inlassablement à ouvrir de nouvelles voies pour donner aux filles et aux femmes toute la place
qui leur revient dans le monde du sport et de l’activité physique.
C’est aussi un très agréable moment qui me rappelle mes années passées à titre de sous-ministre
adjointe au Loisir et au Sport. J’ai coordonné les travaux menant à l’adoption du nouveau cadre
de référence du gouvernement du Québec dans ce secteur en 1997. Je remercie tout spécialement
Guylaine Demers pour son aimable invitation.
En plongeant dans la littérature traitant de la problématique « femmes et sport », j’ai été frappée
par les recoupements possibles avec la situation des femmes en général. Cette constatation m’a
incitée à revoir mon plan de match et à élargir le terrain de ma présentation.
Elle se divisera donc en quatre périodes (manches) : la première portera sur le contexte
historique, la deuxième brossera un portrait de la situation, assorti de comparaisons avec les
conditions de vie et de travail des femmes, la troisième délimitera le traitement du sport féminin
par les médias, la quatrième période confrontera le rôle clé des entraîneures. En supplémentaire,
je compte nous lancer un défi pour l’année 2005.
Je débuterai donc par une brève incursion dans l’histoire. Ne jamais oublier l’échauffement!
Mais aussi parce que je partage totalement les propos de Rose Mercier (experte conseil) qui
affirme « qu’un des meilleurs moyens de comprendre le présent consiste à comprendre le
passé ».
Première période : les femmes et le sport, une histoire aux épisodes épiques
Longtemps et toujours, les vieilles coutumes, les stéréotypes sexuels et les mythes ont constitué
des obstacles pour les femmes qui voulaient faire du sport, participer aux compétitions ou
assumer un rôle de leadership dans ce domaine. Une situation qui s’inscrit dans la longue marche
des femmes vers l’égalité.
Malgré ces contraintes, de tous les temps les femmes ont pratiqué des activités physiques, mais
l’histoire en fait peu état. Les tableaux de la Renaissance ne montrent-il pas des baigneuses et
des femmes faisant de l’aviron? Cette invisibilité et cette absence d’intérêt pour la vie des
femmes ne sont pas propres au sport : elles traversent toutes les époques de l’histoire de l’activité
humaine des femmes. Demandez aux historiennes féministes qui ont revisité l’histoire avec un
grand « H »!
Dans la Grèce antique, les femmes n’avaient pas le droit d’assister, comme spectatrices, aux Jeux
Olympiques et encore moins de prendre part aux épreuves. Celles qui ont osé entrer dans le stade
déguisées (en homme) se sont fait prendre et ont été exécutées. En 2003, des femmes sont encore
assassinées uniquement parce qu’elles sont nées femmes.
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Le 18e siècle ouvre certaines portes aux jeunes filles, mais à des fins instrumentales. Le
philosophe Jean-Jacques Rousseau encourage la jeune fille à pratiquer des activités physiques
« afin de devenir une conjointe vaillante et une mère forte ».
Enfermées dans leurs corsets, crinolines, jupes volumineuses, contraintes par les mythes de
l’époque victorienne (jusqu’en 1901) et figées dans leur supposée fragilité physique et mentale,
les femmes avaient accès à très peu d’activités physiques. Durant la première vague du
féminisme (1860-1870), les femmes s’imposent dans le sport et l’activité physique, comme dans
d’autres domaines, malgré les oppositions qui s’élèvent.
Tout en luttant pour le droit de vote, les femmes s’emploient à créer des parcs et des programmes
récréatifs pour les enfants. La bicyclette révolutionne la mode féminine en introduisant la culotte
bouffante et offre aux femmes de tous les milieux un nouveau moyen de transport qui leur
permet d’affirmer leur indépendance.
L’ouverture des femmes à la pratique d’activités physiques est sans aucun doute une composante
majeure de la libéralisation des femmes, un aspect malheureusement ignoré et relégué aux
oubliettes, même par le mouvement des femmes.
À la même époque, les médecins découragent les femmes de la pratique sportive car elles
deviendraient trop musclées, ce qui pourrait nuire à l’enfantement, déplaire aux maris et, au bout
du compte, menacer la nation! En 1896, lors des premiers Jeux Olympiques, le baron Pierre de
Coubertin considère que les femmes devraient se limiter à applaudir les athlètes masculins. Ce à
quoi elles ont dû s’astreindre, puisqu’elles sont interdites à ces premiers jeux. Elles seront
invitées à y participer en 1900, mais uniquement aux épreuves de tennis, de croquet, de golf et de
voile.
Souvent appelées « l’âge d’or du sport féminin », les années 1920 marquent une période
prolifique pour le sport féminin. Toutefois, la décennie suivante voit une condamnation
croissante de la participation des femmes aux sports d’équipe et de compétition. S’installe alors
la ségrégation sexuelle dans le sport, tout comme celle qui s’installera sur le marché du travail et
dans le milieu de l’éducation. Il est courant d’entendre les médecins dissuader les femmes de
faire du vélo, leur conseillant plutôt de rester à la maison où elles peuvent pédaler, mais sur leur
moulin à coudre et battre les tapis pour se renforcer les bras.
Au début des années 1970, le mouvement d’émancipation des femmes est réellement enclenché.
Le Rapport de la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada rend
visibles les inégalités vécues par les femmes dans tous les domaines et oblige le législateur à
corriger les discriminations qu’elles subissent.
Ce rapport contient deux recommandations concernant les inégalités des chances offertes aux
filles dans les programmes sportifs qui se traduiront par des modifications majeures dans les
divers programmes sportifs et d’activités physiques. La course aux discriminations s’amorce.
Les années 1990 ont apporté d’intéressants changements, notamment la valorisation et le
développement remarquables des sports d’équipe pour les filles et les femmes et une meilleure
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couverture médiatique de leurs performances. Malgré ces avancées, des améliorations restent
nécessaires. Aux Jeux Olympiques d’Atlanta, en 1996, 26 nations ont envoyé des délégations
entièrement masculines.
À ceux de Sydney, en 2000, des 199 pays participants, 27 % des délégations présentent au moins
50 % d’athlètes féminines, mais neuf étaient composées uniquement d’hommes.
En dépit de ces changements positifs, les femmes ont encore de nombreux défis à relever dans le
domaine du sport, et pas tous dans les gymnases ou sur les terrains de soccer. Ils ne se joueront
ni se règleront uniquement lors des compétitions sportives…
En principe, les femmes sont libres de pratiquer le sport de leur choix, tout comme elles ont le
choix de leur orientation professionnelle. Elles ne sont plus jugées comme inconvenantes ou
incapables, mais les pratiques sportives restent des territoires sexués. Aujourd’hui encore, on ne
peut laisser les attributs de son sexe au vestiaire. Les notions de « féminité » et de
« masculinité » liées à la pratique des sports demeurent encore très figées.
Les modes d’engagement sportif des femmes et des hommes traduisent la façon dont ils
investissent l’espace et le monde. Les représentations « permises » dans le sport sont les mêmes
que dans les professions et les métiers « autorisés » aux femmes. Comme les écrivaines et les
artistes d’autrefois, dès que les femmes sortent des espaces et des rôles qui leur sont strictement
assignés, elles rompent avec le rôle qui leur est dévolu. Peut-être plus que dans d’autres secteurs,
le sport se pose à la fois en conservatoire d’une excellence féminine stéréotypée et en
conservatoire des vertus viriles; il réclame de « vraies » femmes et de « vrais » hommes au sens
le plus classique.
Bien que nous puissions être très fières des progrès accomplis, il reste encore beaucoup
d’obstacles à franchir avant la ligne d’arrivée. Les traditions ont la vie dure.
Deuxième période : les femmes dans le monde sportif, une compétition truquée
Malgré les innombrables victoires remportées par les athlètes féminines, leurs homologues
masculins continuent à obtenir les meilleures installations, les heures privilégiées pour leur
entraînement et leurs joutes, une meilleure couverture médiatique et des prix en argent plus
généreux. Au tournoi de tennis de Wimbledon, en 2002, le vainqueur du simple messieurs a reçu
525 000 $ contre 486 000 $ pour la gagnante du simple dames.
Les salaires des femmes entraîneures varient entre 40 000 $ et 49 000 $ tandis que ceux des
hommes dépassent les 80 000 $. Un écart salarial plus grand que la moyenne observée chez les
femmes qui s’établissait à 71 % de celui des hommes, en 2000. Se retrouve-t-on devant une
dérogation au principe de « salaire égal pour un travail égal » et non du principe d’équité
salariale « un salaire égal pour un travail équivalent »? Ce constat ne mériterait-il pas d’être
examiné de plus près? Les femmes entraîneures ne devraient-elles pas déposer un protêt pour
contester cet écart non justifié?
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Cette discrimination salariale est omniprésente dans le monde des médias. Katia Gagnon,
journaliste au journal La Presse, affirmait tout récemment : « Bienvenue dans le merveilleux
monde de Macho-Canada, où les femmes sont (presque) systématiquement moins payées que les
hommes. Une iniquité d’une telle ampleur n’a pu se propager que parce qu’une philosophie
machiste imprégnait l’ensemble de la pyramide hiérarchique. Concrètement, la prime moyenne
accordée à un présentateur de nouvelles s’élève à 72 000 $ par an. Celle qu’on concède à une
présentatrice de nouvelles s’élève à 51 000 $. Pour le même boulot, plus de 20 000 $ de
différence. » Un constat qui vous est sans doute familier…
Comme dans tous les secteurs d’activité, celui du sport ne fait pas exception. Les femmes se
retrouvent en infériorité numérique à tous les niveaux des organisations oeuvrant dans ce milieu.
Au sein des conseils d’administration des fédérations sportives du Québec, seulement 24 % sont
des femmes et seulement 3 % occupent la présidence. Sur les 48 fédérations analysées par
Sports-Québec (2000) dans l’étude intitulée La place des femmes dans le sport au Québec et la
participation des jeunes dans les sports fédérés, seulement six ont une femme à leur tête et 17 %
n’ont aucune femme qui siège au conseil d’administration.
On observe une situation similaire au sein du personnel permanent oeuvrant dans les fédérations
sportives : 56 % des postes recensés sont occupés par des femmes. Cette légère prédominance
s’explique par le fait que les femmes occupent des portes de soutien dans une proportion de
92 %. À noter que 18 fédérations n’ont aucun personnel féminin.
Quant aux postes voués au développement des disciplines sportives, 74 % sont occupés par des
hommes, tout comme les postes de directeur général ou directeur de services qui affichent une
prédominance masculine atteignant 83 %.
Dans les fédérations où le membership est en majorité féminin, les postes de direction sont
occupés par des femmes : fédérations de gymnastique, de nage synchronisée, de patinage
artistique et ringuette. Un revirement de situation aurait été un exploit!
Au niveau de l’entraînement, les femmes sont majoritaires (56 %) au sein du personnel
permanent des commissions sportives et des unités régionales de loisir et de sport. Cette légère
prédominance s’explique aussi du fait que les femmes occupent 96 % des fonctions de soutien,
pendant que les hommes occupent 88 % des postes de directeur général. Enfin, sur les 22 932
officielles/officiels, les femmes ne représentent que 29 % au total.
Un portrait qui s’apparente étrangement à celui de la place des femmes dans les instances de
pouvoir. En 2003, à l’Assemblée nationale, 30 % de la députation est composée de femmes; huit
d’entre elles sur 25 sont ministres (32 %). Dans les municipalités, près de 11 % des postes de
maire sont occupés par des femmes, tandis que 1 659 siègent à titre de conseillères (24 %).
Quant à la présence des femmes dans les lieux de pouvoir régionaux, elle oscille entre 27 % aux
conseils d’administration des conseils régionaux de concertation et de développement et 60 % au
sein des forums jeunesse (2002).
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Avant de sonner le coup d’envoi de la troisième période, je demande un temps mort pour évaluer
la situation des jeunes filles.
Sortir les filles des gradins : une tâche de longue haleine
Les jeunes d’aujourd’hui sont 40 % moins actifs que ceux d’il y a 30 ans. Le bilan se révèle
encore pire pour les filles que pour les garçons. Et le facteur biologique ne serait pas en cause…
Le sport et l’exercice physique se pratiqueraient sous le sceau de l’inégalité. Les observateurs et
les études sont unanimes. Les filles obtiennent les meilleurs scores à l’école, mais côté sport,
elles restent loin derrière les garçons. Au banc des pénalités : l’apprentissage social et non les
facteurs biologiques.
La société n’encourage pas de la même façon et avec autant d’ardeur les filles et les femmes à
être actives. Les filles ont moins de modèles qui les incitent à faire du sport et elles reçoivent
moins d’appui de la part de leurs parents et de leur entourage.
L’abandon des sports par les filles s’explique principalement par le fait qu’elles n’ont pas la
chance de développer le plein potentiel de leurs habiletés motrices dès leur plus jeune âge et
d’acquérir un sentiment de compétence leur permettant de se réaliser dans la pratique d’activités
physiques. De plus, à l’âge où elles construisent leur identité, les adolescentes sont promptes à
abandonner toute occupation dans laquelle elles n’excellent pas. Enfermées dans cette attitude,
elles désertent la pratique sportive.
S’ajoute à ces difficultés, un environnement où s’exerce, dès l’école primaire, une conduite
discriminatoire observée de la part de certains enseignants et enseignantes. En effet, dès la
première année du primaire, le lien entre les garçons et le sport est solidement ancré, alors que la
délicatesse demeure l’apanage des filles.
Il est malheureux de constater que sur les terrains de jeux, on entend encore des phrases
archaïques du genre « tu lances comme une fille » ou encore, « tu as l’air d’un garçon manqué ».
Toutes les conditions sont réunies pour renforcer les stéréotypes de vitalité et de force
masculines et de fragilité de la gente féminine.
Quant aux parents, leur influence auprès des adolescents prend surtout une tournure pratique
comme les permissions spéciales pour les rencontres sportives et pour les fêtes qui suivent
parfois une joute. Or, ces permissions sont plus difficilement accordées aux filles. Sans compter
la programmation sportive des municipalités qui s’adresse en priorité aux garçons. Les patinoires
extérieures sont réservées en premier lieu pour le hockey.
Aucun temps de glace pour le patinage libre en famille ou entre filles. Les gars monopolisent la
patinoire… tout le temps.
Trop de filles intéressées finissent par être rebutées par leurs expériences sportives. Au niveau
secondaire, il y a six fois plus de filles que de garçons qui renoncent au sport. Les activités
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sportives après l’école sont en voie de disparition. Il devient difficile de trouver des programmes
communautaires à prix abordable destinés aux filles.
Un autre motif qui en fera décrocher plus d’une : la peur d’avoir des gros mollets ou des épaules
trop musclées. Cette hantise des muscles repose sur l’importance maladive que les adolescentes
accordent à l’image corporelle. En réalité, elles répondent aux canons traditionnels de la
séduction. Malheureusement, un trop grand nombre de filles subissent les tyrannies d’un idéal de
minceur. Le culte de l’image corporelle met en échec la pratique du sport et de l’activité
physique des filles, comme des femmes.
Les médias les bombardent constamment d’images du corps féminin : les corps sont jeunes,
minces, parfaits et irréels, comme s’ils étaient tous clonés.
L’Institut de la recherche sur la condition physique et le mode de vie a observé que maigrir est
perçu par un grand nombre de filles comme le moyen d’améliorer leur estime de soi. En
publicité, le règne de la minceur s’accentue : il y a 20 ans, la plupart des mannequins pesaient
8 % de moins que la femme moyenne. Aujourd’hui, on parle de 23 % de moins. Ces normes ne
font que confirmer une prescription de féminité à tout prix, comme le sont les troubles
alimentaires, l’anorexie, un phénomène qui prend de l’ampleur chez nos filles. N’observe-t-on
pas la même tendance dans certaines disciplines pratiquées majoritairement par les filles, comme
la gymnastique, la danse et le ballet?
Quel rôle jouent les médias dans l’univers sportif?
Troisième période : le traitement des athlètes par les médias, une disqualification assurée
Les sportives professionnelles ne sont guère mieux représentées dans les médias. Comme le
mentionnait Guylaine Demers, lors de sa conférence dans le cadre de l’Université féministe
d’été, à l’Université Laval, (2003), « non seulement la couverture du sport féminin est-elle
rachitique, mais en plus, elle est tendancieuse. On s’attarde davantage au look des athlètes
féminines qu’à leurs performances. Consciente de l’importance de l’image du corps féminin
comme argument de vente auprès des médias, la Fédération internationale de volley-ball a même
adopté un règlement obligeant le port du short moulant pour les femmes. Lors de certaines
compétitions de volley-ball de plage, on oblige même les gagnantes à monter sur le podium sans
leur survêtement lors de la remise des médailles. De telles exigences ne sont pas imposées aux
hommes. »
De plus, les commentateurs sportifs (97 % d’hommes) utilisent un langage différent quand ils
parlent des hommes et des femmes. Les hommes sont généralement décrits comme « grands »,
« forts », « brillants », « courageux », « agressifs », alors que les femmes sont souvent « lasses »,
« fatiguées », « frustrées », « affolées », « vulnérables » ou « à bout de souffle ». Ils appellent
aussi deux fois plus souvent les hommes par leur seul nom de famille et trois fois plus les
femmes par leur prénom. Cette attitude réduit les athlètes féminines au statut d’enfant et réserve
l’image d’adulte aux athlètes masculins (Margaret Carlisle Duncan, Université du Wisconsin).
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La manière dont les femmes sont représentées dans les reportages sportifs est aussi très différente
de celle réservée aux hommes. Ceux-ci sont généralement saisis en pleine action alors que l’on
photographie de plus en plus les sportives dans des poses hypersexualisées. Les athlètes
féminines doivent maintenant être belles et afficher un look sexy pour espérer intéresser les
médias à leurs performances et recueillir l’appui de commanditaires.
Selon un sondage mené par l’Association canadienne pour l’avancement des femmes, du sport et
de l’activité physique, les femmes récoltent un maigre 3 % de la couverture sportive dans les
plus importants journaux et celle-ci est souvent teintée de sexisme.
Les Jeux Olympiques offraient une occasion de rompre avec le déséquilibre traditionnel des
sexes à la télévision. Comme on y présentait en parallèle des épreuves féminines et masculines,
on aurait pu en profiter pour traiter les femmes et les hommes sur un pied d’égalité. Or, la perche
n’a pas été saisie.
La durée de la couverture accordée aux épreuves féminines et masculines est une mesure cruciale
de la représentation hommes-femmes. Si la couverture télé reflétait la répartition des
compétitions donnant droit à une médaille, 41 % du temps d’antenne aurait dû être consacré aux
épreuves féminines, 56 %, aux épreuves masculines et 3 %, aux deux épreuves mixtes de
patinage. La couverture des Jeux Olympiques ne fait que reproduire le modèle macho.
Au total, 806 personnes (athlètes, spectateurs et autres) ont été interviewées, soit 32 % de
femmes et 68 % d’hommes. Les entrevues avec les femmes étaient plus brèves, soit d’une durée
moyenne de 39 secondes et celles avec les hommes, d’une durée moyenne de 50 secondes. Ainsi,
27 % de la durée globale des entrevues a été consacrée aux femmes, et 73 % aux hommes.
Sur les 148 heures de diffusion des Jeux qui ont été analysées, le personnel et les commentateurs
de CTV ont figuré dans plus de 1 800 tranches de programmes. Dans 70 % des cas, seuls des
hommes étaient présents, dans 9 % des cas, seules des femmes étaient présentes et dans 21 % des
cas, des femmes et des hommes étaient présents à la fois.
Le géant ESPN – qui diffuse en 21 langues dans 180 pays – consacre à peine 2 % de son temps
d’antenne aux sports qui mettent en vedette des femmes. Chez les télédiffuseurs canadiens,
moins de 10 % du temps occupé par les émissions sportives va au sport féminin.
Une analyse des journaux canadiens publiés entre 1999 et 2001 révèle que seulement 3 % du
cahier des sports traite des athlètes féminines. Enfin, un relevé des numéros récents de Sports
Illustrated révèle que ce magazine américain n’a placé des photos de femmes qu’à 11 reprises en
page couverture, sur une possibilité de 159 reportages, dont trois pour illustrer son numéro
spécial annuel sur les maillots de bain!
Le juste équilibre hommes-femmes dans la couverture des événements sportifs devrait refléter la
proportion de chaque sexe parmi les athlètes qui pratiquent une discipline donnée. S’il y a 50 %
de filles parmi les athlètes amateurs qui pratiquent le soccer, 50 % des reportages devraient leur
être consacrés. Je peux vous affirmer que cette fiche statistique idéale ne se retrouve dans aucun
secteur d’activité, même si les femmes forment la moitié de la population.
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La sous-représentation des femmes dans les médias et le traitement disproportionné accordé aux
hommes dans le domaine de l’information médiatique s’étendent au-delà du journalisme sportif.
Quelques exemples :
¾ les modèles de réussite sociale ou d’influence dans les domaines de la politique, de
l’économie et de la société sont toujours massivement masculins;
¾ le point de vue des femmes est sollicité surtout à titre de citoyennes et rarement en tant
qu’expertes;
¾ la proportion de politiciennes interviewées est nettement inférieure à leur représentation à la
Chambre des communes et à l’Assemblée nationale;
¾ les journalistes s’attardent souvent à des détails de la vie privée des femmes, le style de
vêtement ou leur restaurant préféré plutôt que d’exposer leurs opinions.
La valorisation des performances sportives des femmes autant que celles des hommes est en
déséquilibre. De la même façon que la visibilité médiatique de Tiger Woods a contribué à l’essor
du golf chez les jeunes Afro-Américains, l’existence de modèles féminins ne pourrait que
favoriser la pratique du sport chez les femmes, selon Guylaine Demers.
Le merveilleux monde du sport est loin d’atteindre cette performance.
Les réalités du système sportif : des revirements s’imposent
En 2003, des revirements s’imposent devant les constatations suivantes :
¾ 49 illustrations contenues dans le manuel de règlements de la Fédération internationale de
soccer ne montrent que des joueurs et des arbitres masculins malgré la présence d’un nombre
phénoménal de femmes sur le terrain;
¾ la Fédération internationale de volley-ball songe à instituer un nouveau règlement pour le
volley-ball en salle en vertu duquel les garçons utiliseraient un ballon bleu et les filles un
ballon rose;
¾ jamais des héroïnes dans le sport sont mises en avant-scène;
¾ les bicyclettes vendues pour les filles portent des noms comme « Mademoiselle gracieuse »
et elles ont un guidon rose décoré de pompons, tandis que les bicyclettes pour garçons
portent des noms comme « Le guerrier »;
¾ les petites filles reçoivent parfois un trophée arborant une figurine masculine;
¾ les enfants ont de la difficulté à nommer d’autres athlètes que les joueurs de hockey, de
baseball et de basket-ball lorsqu’on leur demande qui sont leurs héros sportifs;
¾ les temples de la renommée du Canada, qui constituent le patrimoine sportif et qui jouent un
rôle stratégique dans la mémoire du public, demeurent une chasse-gradée masculine.
Comment ces attitudes et ces comportements teintent-ils la place et le rôle des femmes
entraîneures?
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Quatrième période : les femmes entraîneures, des championnes sans médailles
Dès la mise au jeu, je transmets aux femmes entraîneures toute mon admiration. Votre
implication au quotidien se vit dans un univers créé et dominé par la perspective masculine,
configuré à partir des caractéristiques et des expériences des hommes et orchestré selon la
manière de penser et d’agir du référent masculin. Je salue aussi l’engagement des entraîneurs
masculins qui s’investissent auprès des jeunes filles et des femmes, ces coéquipiers alliés sur
lesquels on doit compter pour changer ce milieu.
Vous pourriez faire équipe avec les hautes fonctionnaires du gouvernement, les femmes chefs
d’État, diplomates, scientifiques ou celles dans la haute direction des multinationales. La
présence des femmes est comme l’air en montagne, elle se raréfie au fur et à mesure que l’on
monte en altitude.
Le millénaire a apporté d’intéressants changements dans le domaine du sport féminin provoquant
automatiquement une augmentation de la demande d’entraîneures. Ce coup d’envoi n’a pas
permis une remontée de la représentation des femmes parmi le bassin d’entraîneurs. Qui plus est,
celles qui ont opté pour cette profession la quittent en moyenne après cinq ans, comparativement
à 12 dans le cas de leurs confrères.
Conséquence : on assiste à une perte de connaissances et d’expertises majeure, en plus de priver
le domaine de l’entraînement sportif de l’optique féminine. Elle se traduit aussi par une absence
de modèles pour les athlètes féminines et renforce la perception que les femmes manquent
d’intérêt pour des postes de leadership. Comment expliquer cet échappé?
Plusieurs études identifient les facteurs qui nuisent ou favorisent la présence de femmes
entraîneures. Parmi les facteurs nuisibles, notons :
¾ le contrôle du sport par les hommes;
¾ le succès des réseaux masculins;
¾ les stéréotypes et les idées préconçues sur les femmes dans le rôle d’entraînement;
¾ les contraintes de temps dues aux responsabilités familiales;
¾ la réticence des employeurs à prendre le risque d’embaucher une femme (grossesse possible).
Je crois visionner la cassette d’un vieux match, vu et revu! Ces facteurs ont un dénominateur
commun : celui d’être profondément ancré dans les mentalités et dans tous les secteurs d’activité.
Par contre, d’autres facteurs sont favorables à la présence des femmes :
¾ leurs compétences et leurs aptitudes;
¾ l’encouragement de la famille et des pairs;
¾ l’intérêt pour la profession;
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¾ les expériences antérieures positives;
¾ le célibat ou l’absence d’enfants.
Le monde du sport a un urgent besoin de femmes et d’hommes, comme vous, pour remettre en
question le système sportif.
Car c’est le système qu’il faut remettre en question davantage que les hommes qui le composent.
Les femmes ont la capacité d’insuffler de nouvelles valeurs, de changer les comportements,
d’instaurer une vision organisationnelle qui englobe les buts, les besoins et les intérêts des filles
et des garçons, des femmes et des hommes.
Une réserve toutefois. Les mots et les grandes réalisations d’une seule femme ne peuvent, à eux
seuls, changer des opinions solidement implantées dans la culture des organisations, tout comme
les solutions individuelles ne réussiront pas à remédier à l’andocentrisme qui les caractérise.
Des médailles, dans une grand nombre de disciplines, ça se gagne par l’effort individuel. Mais la
participation pleine et entière et la progression des femmes dans le sport et l’activité physique….
ça ce joue en équipe!
Votre formation sportive vous oriente vers la compétition les unes envers les autres. Alors,
comment bâtir de solides solidarités entre athlètes?
Pas d’avancement possible sans que les femmes de toutes les disciplines et à tous les niveaux du
système sportif participent au plan de match en usant de stratégies.
J’ai besoin d’une période supplémentaire pour nous lancer un défi.
Période supplémentaire : 2005, l’Année internationale du sport et de l’éducation physique
Le 5 novembre dernier, l’Assemblée générale des Nations Unies déclarait l’année 2005, Année
internationale du sport et de l’activité physique visant à promouvoir, partout dans le monde,
l’éducation, la santé, le développement et la paix.
2005 sera riche en rebondissements : la Cinquième Conférence des Nations Unies sur les femmes
devrait probablement se tenir en Finlande (reste à confirmer) et une deuxième édition de la
Marche mondiale des femmes, tenue en 2000, devrait se répéter.
Là, il faut marquer des points, ce qui exige une planification de notre entraînement. Comme je
suis en présence d’expertes en la matière, je me limiterai à lancer quelques suggestions.
Lors de la Conférence mondiale sur les femmes et le sport, en 2002, Angela E.V. King,
conseillère spéciale auprès du Secrétaire général des Nations Unies sur les enjeux et
l’avancement des femmes, résumait, en trois paragraphes, l’essentiel des enjeux pour les
femmes : « La discrimination contre les femmes et les jeunes filles dans les sports est peut-être
l’un des défis les plus persistants et le moins visible. Une telle discrimination est une violation
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des droits de la personne, car elle classe les femmes athlètes et les entraîneures en position
d’infériorité.
La discrimination prend diverses formes : les femmes se voient refuser l’égalité d’accès aux
installations sportives, au financement nécessaire pour les évènements sportifs et sont aussi
pénalisées par une couverture médiatique négligeable de leurs réussites. Les athlètes
professionnelles sont aussi souvent moins bien payées que leurs homologues masculins.
Une législation devrait confirmer les droits des femmes athlètes à l’égalité des salaires et de
l’emploi et prévoir un recours légal en cas de harcèlement, de la part des entraîneurs aussi. Il
serait également impératif d’élargir les occasions d’exercice physique dans l’environnement
éducationnel des jeunes femmes. Dans bien des cas, jouir d’une forme physique toute sa vie et
avoir une brillante carrière en sports compétitifs, ça commence par des cours réguliers de
gymnastique en bas âge. »
Mme King rappelait que : « Les gouvernements, les femmes activistes et les féministes, les
groupes de femmes, les universitaires et les organisations de la société civile ont tendance à sousévaluer les femmes et le sport, préférant mettre l’accent sur ce que les féministes et la
communauté internationale considèrent être des questions plus cruciales. Par exemple en 1995,
lors de la Quatrième Conférence mondiale des Nations Unies sur les femmes (Beijing, 1995), les
femmes et le sport ont reçu une attention limitée et examinée seulement sous l’angle de la
santé. »
En 2005, il faut s’assurer d’un lancer franc. Cette année doit fièrement porter l’étendard des
femmes et du sport au même titre que l’Année internationale des femmes a enclenché la plus
vaste mobilisation en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes. C’était en 1975.
Dans cette perspective, le Conseil du statut de la femme considère que cette thématique doit être
examinée pour maximiser le potentiel de l’année 2005 au bénéfice des femmes dans le sport et
l’activité physique. Pour y arriver, nous offrons de collaborer avec les gens du milieu sportif…
avec VOUS, hommes et femmes entraîneurs, gestionnaires et athlètes.
Les présentations qui se succéderont au cours de cette soirée sont autant de modèles de
détermination qui doivent nous inspirer pour alimenter la réflexion, et surtout l’action que nous
devons poursuivre.
Mesdames, pour tous les efforts fournis, ceux que vous déployez maintenant et l’endurance à
persévérer dont vous faites preuve… je vous décerne à toutes une médaille d’or!
Passez une agréable soirée. Je vous remercie.
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