La religion enferme-elle ou libère-t-elle ?
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La religion enferme-elle ou libère-t-elle ?
Café philo La religion enferme-elle ou libère-t-elle ? Médiathèque section adulte 20 mars 2015 Si la religion libère, que ou qui libère-t-elle ? L’âme ? L’individu ? Le peuple ? Mais est-elle au contraire une force d’enfermement ? L’ "opium du peuple" selon Marx ? Au sortir d'un XXème siècle matérialiste, le XXIème siècle témoigne d'un renouveau spirituel hélas marqué par le renforcement des extrémismes, des réflexes identitaires, des sectes, des intégrismes et des fondamentalismes. Programmé en juin 2014, ce sujet n'a pas voulu faire écho à l'actualité. Selon notre habitude, nous réfléchissons d'abord au sens des mots. L'étymologie du terme religion n'est pas claire. Odon Vallet nous avertit, dans sa préface à l'Atlas des religions : « Il n’existe aucune acception universelle du mot religion sur les cinq continents, pas plus qu’il n’y a de distinction claire entre religion et er secte. » Cicéron (1 siècle av J.C.) fait dériver le mot latin religio du verbe relego, is, ere : recueillir, conserver avec soin. Ainsi comprise, la religion c’est d'abord un état d'esprit : le sentiment de respect qui nous fait garder les croyances et traditions transmises par nos aïeux, le "saint dépôt de la foi". Mais pour Tertullien et Lactance ème ème (2 et 3 siècle ap J.C.) religio vient de religo, as, are : relier. La religion, c'est alors l'ensemble des rites qui relient d'une part les hommes entre eux, et d'autre part les hommes à la divinité. En fait on a là les deux aspects indissociables de toute religion : des pratiques communes créatrices de lien sous-tendues par une foi partagée par tous. Le mot secte admet lui aussi deux origines : de sequor, eris : suivre (le même gourou), ou de seco, is, ere : couper (être sectaire c'est exclure les autres, adhérer à une secte c'est se mettre à l'écart et rompre avec les autres). La discussion s'engage en fait sur l'athéisme, position rationnelle et légitime, mais qui vaudrait la peine de mort à ses adeptes dans certains pays. Y aurait-il une sorte de" racisme" des croyants, très majoritaires à l'échelle du globe, à l'égard des athées ? Aux USA aujourd'hui, on commence à avoir le droit de se déclarer athée, mais on est mal vu. Pourtant l'athéisme existe depuis l'Antiquité (Démocrite, Epicure), et la religion devrait être avant tout une histoire de conviction intime et personnelle. On serait tenté d'opposer religion et secte comme l'aspiration à l'universalité (toute religion a vocation à gagner le monde entier) au repli sur soi identitaire. Toutefois, comme le fait remarquer quelqu'un, toutes les religions n'ont-elles pas commencé par une secte ? La seule différence ne serait-elle pas dans le nombre des adhérents ? La religion serait-elle une secte qui a réussi ? Les premiers monothéismes (les Hébreux, ou la religion nouvelle du pharaon Akhénaton) n'étaient-ils pas des sectes ? On ne peut pas non plus caractériser les religions comme pacifiques et les sectes comme violentes : toutes les religions ont massacré, chercher à déterminer la plus violente serait vain (pour le Christianisme, on songe aux croisades, aux guerres de religion, à la traite des Noirs avec la bénédiction de l'église catholique, à la conquête de l'Amérique – au moins 40 millions de morts). L'actualité nous rattrape ensuite lorsque s'installe un long débat sur l'Islam que l'on sent tendu, et que certains vivront mal. Une musulmane rappelle la parole du prophète : « Il n’a pas atteint la plénitude de sa foi, celui qui n’aime pas pour son frère ce qu’il aime pour lui-même. ». En même temps à Istanbul, dans la mosquée Sainte-Sophie, des piliers d’où pendent trois chaînes qui se rejoignent en haut symbolisent les trois monothéismes : plus on s’élève dans leur connaissance, plus on les découvre proches. Le terrorisme n’est pas le fait de l’Islam ni des musulmans, mais d’une secte de "fous de Dieu" qui cherchent à s'assurer leur salut en exterminant ceux qui ne pensent pas comme eux, telle qu'il en a existé dans toutes les religions. On peut alors s'interroger sur l'imbrication du religieux et du politique, et sur un pseudo devoir de faire triompher la vérité par tous les moyens qui peut obnubiler des esprits faibles et ignorants. Mais il faut aussi reconnaître avec Malek CHEBEL que l'Islam aujourd'hui est confronté à la nécessité de son aggiornamento. L'écrivain allemand d'origine turque Zafer SENOCAK écrivait ceci dans Le Monde du 20 janvier : « le public ne perçoit pratiquement plus l’Islam que comme terrorisme. C’est l’élite musulmane (…) qui en porte la responsabilité. Elle n’est pas parvenue à concilier les sources traditionnelles de la foi islamique et le monde contemporain (…) Un islam du pamphlet s’est imposé : il emploie une langue réduite à sa plus simple expression (…) Que sont devenus les théologiens islamiques de l’université d’Ankara ? (…) Là où le discours universitaire est faible, la puissance supérieure du langage des réseaux sociaux devient le véritable foyer du conflit, et les terroristes ne cessent d’y recruter ». L’influence des médias d’ailleurs est partout sensible sur le vécu des croyants, et la question des caricatures de Mahomet n’en est qu’un aspect. Une musulmane rappelle à ce propos que les musulmans n’acceptent pas davantage les caricatures de Jésus ou de Moïse. Par-delà le nécessaire rappel du droit d’expression, et de la longue tradition culturelle française de la caricature, il convient tout de même de remarquer avec le pape François que toute liberté a comme limite celle des autres et leur propre droit au respect, notamment celui de leur foi. L’opinion publique française est d’ailleurs très partagée sur la question des caricatures de Mahomet : le 18 janvier, en plein cœur des événements tragiques de Charlie Hebdo et de leurs suites, alors qu’il était particulièrement difficile de marquer sa différence dans le consensus ambiant, un sondage IPSOS révélait que 42% des Français, toutes religions confondues, se déclaraient contre les caricatures (57% se disant pour). Quand on parle de religion, les stéréotypes fusent, tous plus faux les uns que les autres. Pour beaucoup de gens, les musulmans sont des Arabes : l’Islam est pourtant la religion, outre la péninsule arabique, du Maghreb, de l’Afrique sub-saharienne et de la Somalie, de l’Iran, de l’Irak, de la Turquie, de tout le MoyenOrient à l’exception d’Israël, du Pakistan, de l’Afghanistan, du Turkménistan, de l’Ouzbékistan… et de 250 millions d’Indonésiens ! Pour les athées et les agnostiques, les croyants satisfont un besoin de la faiblesse (la religion est une "béquille"), quand tous les croyants récusent cette interprétation : la foi est un fait ou n’est pas, ce n’est pas une façon de satisfaire un besoin. C’est d’ailleurs un fait que l’on peut découvrir avec surprise sur soi-même dans certaines circonstances, et dont le critère pratique le plus fiable est la prière : on se sait croyant (avec les doutes continuels que cela implique) lorsqu’on se surprend à prier. La fin de notre échange souvent confus et bruyant malgré les consignes données au début (mais nous étions plus de 60 personnes !) nous ramène à des considérations plus fondamentales et à un autre visage de la religion : celui de Gandhi, de Martin Luther King, de Sœur Emmanuelle et Mère Thérésa… N’est-il pas évident alors, le pouvoir libérateur de la religion ? A la fin de sa vie, Gandhi disait : « je suis sikh, je suis hindou, je suis chrétien, je suis musulman, je suis juif… » Sur l’essentiel - le pouvoir libérateur de la foi, précisément, quand elle est esprit de totale dépossession et d’abandon à Dieu ("Islam" signifie soumission) - les croyants se retrouvent toujours, par-delà les questions de dogme. Ainsi la question est-elle peut-être avant tout de ne pas confondre les vrais croyants et les fanatiques. Odon Vallet le dit bien : « Le schématisme des lieux communs n’a d’égal que le simplisme des paradoxes (…) Aucune religion ou confession n’est, par nature, violente ou non violente. (…) Les religions prêchent la perfection à des hommes imparfaits. Enseignant une vérité unique, elles dénoncent des idées fausses qui peuvent être à moitié vraies. Il faut donc garder le sens des nuances dans un monde complexe en reprenant l’interrogation de Pilate au procès de Jésus : qu’est-ce que la vérité ? » Le premier devoir de tout croyant à une époque menacée à la fois par l’exclusive et le fanatisme, c’est de savoir qu’il croit, et de ne pas croire qu’il sait. Catherine et Alain Vallée, Béatrice Scola (notes)