1 Les Religions des Ancêtres en Afrique Le document n. 11/ 2013

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1 Les Religions des Ancêtres en Afrique Le document n. 11/ 2013
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Les Religions des Ancêtres en Afrique
Le document n. 11/ 2013 de la Conférence des évêques de France, consacré aux «Religions
des Ancêtres en Afrique », vise à proposer des « orientations anthropologiques » ainsi que des «
réflexions théologiques » afin de contribuer à la compréhension des cultures et pratiques religieuses
africaines. Certes, il est difficile de comprendre les « religions traditionnelles africaines » ou «
religions des ancêtres ». Cette difficulté tient en partie au fait qu’il n’existe pas de sources écrites
des religions traditionnelles africaines; pas de « livre saint» de référence. Toutefois, comme le
souligne heureusement Mgr Michel Dubost dans sa préface, « chaque africain est un livre. Chaque
africain est l’expression vivante d’une culture orale qui n’est définie nulle part »1. C’est pourquoi,
l’objectif de ce document de l’épiscopat français est de nous faire entrer dans une manière de penser
diffférente, où le fait religieux est d’abord une manière d’être au monde, et non « un simple savoir
», ou « un corps d’énoncés doctrinaux ou une série de pratiques: elle est relation à Dieu… par la
médiation de l’autre dans la vie quotidienne » 2.
1. Les grands axes d’une tradition religieuse diversifiée.
L’Afrique concentre une grande diversité de mythes, de pratiques et de traditions
culturelles. Au sein d’un même peuple ou d’une même ethnie, on peut observer une multitude de
pratiques et de traditions. Toutefois, on doit noter dans cet ensemble complexe qu'un désir «
religieux » se trouve au cœur des cultures africaines. Ce sentiment religieux se traduit, entre autres,
par des invocations, des demandes, des offrandes, des sacrifices, des célébrations, des rites de
réconciliation et de communion, des actions de grâce qui concernent tous les aspects de la vie. D’un
peuple à l’autre, les pratiques religieuses sont différentes dans l’espace et le temps.
La religion comme relation à Dieu et aux autres est liée à l’organisation sociale: en effet, «
définir ce qu’est la religion revient généralement à considérer ce que l’activité sociale met en
évidence »3. Pour les peuples africains, la « voie » religieuse suivie apparaît d’abord comme un
facteur de cohésion sociale. L’expression d’une expérience religieuse n’est pas extérieure à
l’homme et à sa réalité sociale. Dans ce sens, les religions traditionnelles africaines englobent toute
la vie; de sorte qu’il est difficile de tracer une limite entre les emplois profanes et religieux de la
1
Mgr M. DUBOST, Préface à P. DIARRA, « Les religions des ancêtres en Afrique. Orientations anthroplogiques et
réflexions théologiques », dans Documents-Episcopat n. 11 (2013), p. 5.
2
Ibid., p. 6.
3
P. DIARRA, « Les religions des ancêtres en Afrique. Orientations anthroplogiques et réflexions théologiques », dans
Documents-Episcopat n. 11 (2013), p. 18.
2
parole. On associe aisément la pratique religieuse aux actes de la vie courante. On peut dire alors
que la prière est omniprésente en Afrique noire, de la même manière que la pratique religieuse
investit toute l’organisation sociale: « on prie pour obtenir la fécondité, la prospérité, pour expulser
le mal. On prie pour la paix, la réconciliation, la communion entre les membres d’une famille, d’un
clan; on prie pour les défunts, les malades, pour demander la pluie, etc »4. Cependant, parce que la
prière individuelle risque d’enfermer « sur soi », et ainsi enfouir celui qui prie dans son
environnement personnel, on développe alors la dimension collective de l’action religeuse. Ainsi,
toute démarche « pour soi » doit nécessairement renvoyer aux prières communautaires.
L’expression « nos ancêtres », au début de toute prière personnelle, montre que les descendants sont
concernés au même titre que les ancêtres. Dans la conscience collective, on pense qu’il convient de
diriger son cœur vers Dieu sans oublier les autres, car Dieu risque de ne pas écouter: Dieu est le «
Dieu de tout le monde ». C’est pourquoi la plupart des rites et des prières visent à mettre l’homme
en relation avec Dieu et avec les autres. La prière elle-même est au cœur de toutes les activités et
certaines prières font partie de la vie quotidienne: on prie aux moments importants de la vie, mais
on prie aussi à tous les instants de la vie quotidienne.
Cet ancrage social du fait religieux se vérifie aussi dans la culture de la tolérance et l’
ouverture d’esprit. En effet, les croyants des religions des ancêtres manifestent souvent une grande
tolérance et une ouverture d’esprit. Ils visent peut-être plus une certaine « efficacité religieuse, pour
résoudre les problèmes de la vie, accroître la communion au sein des groupes humains, qu’une
quête identitaire qui privilégie les distinctions et le cloisonnement des communautés religieuses » 5.
Cette ouverture des religions des ancêtres semble autoriser ou tolérer l’association de diverses
pratiques religieuses, notamment quand elles semblent efficaces. Dans ce sens, il n’est pas interdit
d’aller « voir ailleurs » surtout « quand les pratiques religieuses habituelles ne peuvent résoudre les
problèmes auxquels on est confronté » 6.
En définitive, la religion traditionnelle en Afrique est tout simplement une manière d’être au
monde: cette façon d’être au monde se traduit par le respect de l’ordre cosmique; il s’agit aussi de
vivre en concluant des alliances; en effet, l’homme qui veut vivre doit s’entourer de nombreux amis
et médiateurs. Appartenir à une communauté signifie être solidaire des membres de la famille, des
défunts, des amis, etc.
2. La religion comme une vie avec les ancêtres et un prolongement de la famille dans
l’invisible
4
Ibid., p. 35.
Ibid., p. 26.
6
Ibid.
5
3
A l’école des anciens, on apprend que le monde de « l’au-delà » est le terme du pèlerinage
de l’homme. Les ancêtres y sont et, tôt ou tard, l’homme les rejoint. C’est pourquoi, « l’homme doit
donc entretenir avec eux de bonnes relations, d’autant plus qu’ils peuvent l’aider à bien vivre icibas, dans le visible, en lui communiquant de bons conseils, des bienfaits, et parfois aussi des
avertissements et des punitions » 7. Dans cette ligne, « les ancêtres sont donc l’une des expressions
de l’étendue de la famille africaine. Les liens de sang continuent jusque dans l’au-delà »8. De façon
générale, les liens tissés entre vivants se poursuivent de telle sorte que même la mort ne les anéantit
pas. En effet, « en Afrique noire, la mort ne sonne pas l’heure de l’anéantissement de l’être humain;
au contraire, celui-ci devient plus puissant dès qu’il obtient un statut lui permettant d’intervenir
dans la vie des êtres humains, ou plus précisément sur les vivants visibles. Il doit auparavant mourir
dans de bonnes conditions, effectuer un bon voyage jusqu’auprès des Ancêtres » 9. D’où
l’importance des ancêtres: être ancêtre, c’est acquérir un statut social permettant d’être proche de
Dieu et des autres êtres spirituels ou invisibles. Ce statut est obtenu après une vie conforme aux
règles du peuple auquel on appartient10.
Dès lors, se tourner vers les ancêtres, pour divers motifs, est présenté comme une source de
bénédiction. C’est pourquoi tous les événements importants de la vie, tous les actes de la vie
quotidienne tendent à relier l’homme africain à ses ancêtres. La démarche religieuse en elle-même
consiste à entrer en relation avec les ancêtres et les différents esprits. En somme, « ce qui semble le
plus important pour les religions du terroir africain, c’est la relation qu’il faut tisser avec les
ancêtres, partout, en tout temps et en toutes circonstances. La relation que l’on peut entretenir avec
Dieu, dans ce contexte, n’est pas secondaire mais ne semble pas prioritaire par rapport à celle qu’il
faut entretenir avec les ancêtres. Ceux-ci, plus proches de Dieu, se chargent de faire le lien entre
Dieu et nous » 11. La place des ancêtres varie d’un peuple à un autre.
La finalité de la démarche religieuse consiste à être relié au Créateur et aux «médiateurs de
salut ». La conception de Dieu comme un Être suprême est présente au cœur des religions
traditionnelles africaines. Cet Être suprême est si éloigné qu’il est préférable de passer par des «
médiateurs de salut ». On a la conscience d’un Dieu Créateur, un peu éloigné, qui siège là-haut. Il
est l’Inaccessible. Entre un Dieu trop éloigné et les hommes, abondent les intermédiaires dont les
plus importants sont sans doute les ancêtres: médiateurs et protecteurs. Cependant, l’Être suprême
7
Ibid., p. 32.
Ibid., p. 33.
9
Ibid., p. 24.
10
Cf. ibid.
11
Ibid., p. 15.
8
4
apparaît comme une entité dont on parle au quotidien, en particulier lors des salutations, des
souhaits, des bénédictions… A longueur de journée, on l’invoquera en émettant des vœux.
A partir de ces éléments sur les religions traditionnelles africaines, on peut suggérer
quelques attitudes pastorales d’accueil et de dialogue :
D’abord, chercher à comprendre les autres: comprendre que les chrétiens africains ne
constituent pas une entité homogène, mais appartiennent souvent à des groupes divers: personnes
venant de la même région africaine, de la même ethnie, catholiques, protestants et parfois sans
distinctions religieuses. Chercher à comprendre comment ils vivent ces «appartenances multiples »
au sein de notre Eglise à culture occidentale, c’est ouvrir un chemin de dialogue.
Ensuite, entrer en dialogue avec les autres: « pour dialoguer avec l’autre, il faut d’abord
accepter de respecter l’altérité de l’interlocuteur; ensuite se definir soi-même, à partir notamment
d’une identité culturelle et religieuse ; enfin, accepter une égalité entre partenaires du dialogue,
même si cela peut paraître difficile. On peut alors espérer une réciprocité vivante et un souci
véritable de l’un pour l’autre et vice versa » 12.
Enfin, découvrir les autres: « les chrétiens et les musulmans d’origine africaine ont
généralement un fond culturel commun avec, la plupart du temps, un enracinement dans les
religions traditionnelles africaines » 13. En quoi ce fond culturel et religieux commun peut-il les
aider à engager un dialogue fructueux dans le rapport interreligieux?
En conclusion, il est à noter que la présence de personnes originaires d’Afrique subsaharienne constitue une part non négligeable de nos communautés chrétiennes. Il y a quelques
différences dans la démarche religieuse : quelques chants rythmés à l’occasion d’événements
particuliers peuvent-ils faire l’affaire? Il importe d’aller plus loin en cherchant à mieux connaître les
« soubassements religieux des cultures africaines » de ceux qui fréquentent nos communautés ou «
qui nous entourent » 14.
Jérémie POGOROWA
12
Ibid., p. 75.
Ibid.
14
Ibid.
13