Rencontrer un poète - La semaine de la poésie

Transcription

Rencontrer un poète - La semaine de la poésie
Rencontrer un poète : au delà du rituel des
questions, donner et recevoir (éléments de
réflexion issues d'une journée de formation
continue avec des enseignants et autres
médiateurs), mai 2011
Les rencontres entre élèves et poètes se traduisent parfois par des temps de questions
posées par les élèves aux poètes, ces questions étant parfois préparées à l'avance. Si cette
forme de travail n'est pas à exclure pour préparer une rencontre, s'en tenir uniquement à ces
questions et leur donner une place trop prépondérante peut ne pas favoriser une réelle rencontre.
Les questions trop préparées peuvent provoquer deux situations facilement constatées : les
élèves, préoccupés par le moment où ils vont devoir poser leur question, ne sont pas
suffisamment réceptifs ; les questions sont posées sans tenir compte de ce qui est échangé à ce
moment là et peuvent rompre la logique de la discussion au lieu de l'enrichir. La rencontre est à
considérer comme un échange où les différents acteurs (élèves et poètes) vont tour à tour donner
et recevoir dans une logique de don et de contre-don. Les questions ne sont qu'un des éléments
de cet échange.
Rencontrer un poète : don et contre-don
ce que donnent les élèves
(éléments constatés)
ce que donnent les poètes
(éléments constatés)
Des productions qui peuvent être (liste non
exhaustive) :
Une écoute attentive qui peut se traduire par (liste
non exhaustive) :
- un moyen de se présenter à l'auteur (la classe, les
élèves, la ville, le quartier...),
- une mise en relation des éléments donnés par les
élèves avec des éléments de son travail poétique,
ou des éléments personnels, ou des éléments liés à
la poésie. Cette mise en relation peut prendre la
forme de lecture de textes ou d'extraits,
- un moyen de présenter à l'auteur un ressenti vis à
vis de son oeuvre (écrits ou productions à partir des
textes, écrits à la manière de, écrits ou productions
sur des thèmes ou éléments apparemment
présents dans l'oeuvre du poète),
- un moyen de présenter à l'auteur, un ressenti une
vision de la poésie, un travail conduit en classe lié à
la poésie,
- des questions qui, ou spontanées ou préparées à
l'avance, s'inscrivent si possible dans la logique de
la discussion (ce qui nécessite, pour les élèves,
d'abandonner certaines questions).
- des éléments qui permettent aux élèves
d'appréhender comment le poète écrit (conditions,
lieux, et moments de l'écrit, sujets d'écriture,
supports d'écriture...),
- accepter d'avoir peut-être des questions
surprenantes que l'enseignant n'aura pas pu
anticiper,
- en amont de la rencontre, une prise en compte
des demandes des enseignants en lien avec leur
travail pour préparer la rencontre (certains
enseignants demandent des mots ou d'autres
éléments inducteurs d'écrits à travailler avec les
élèves).
- une prise en compte de la difficulté des
enseignants et élèves à se procurer certains livres
ou a appréhender la difficulté ou l'aspect inhabituel
des textes (envoi de textes inédits, et même
parfois, écrits « sur mesures ».
Mai 2011, Alain Delbos, d'après ses notes
A titre d’illustration, un exemple de travail réalisé avec des
4emes, pour préparer une rencontre avec le poète
Emmanuël Merle
Souvenir de l’intervention de Emmanuel Merle
au Collège de Verrière
à Issoire
en classe de 4ème 2
1- Jouer avec les mots à partir du titre d’un recueil de
poèmes d’Emmanuel Merle : Amère indienne (Poèmes,
Gallimard 2006)
Ah ! Mer indienne !
A mer indienne
Amérindienne
A mère indienne
A père avare
Fils prodigue
A mère indienne
Fils métisse
A mère indienne
Fils atlantique
A mère indienne
Fils poète
A mère indienne
Fils pâle
A mère indienne
Fils urbain
A mère indienne
Fils marin
A mère indienne
Fils acide
A mère indienne
Fils rêveur
2- Ecriture contrainte à partir d’un mot proposé par le poète :
Combiner Haïku + acrostiche.
Etincelle sur l’océan
Au-dessus de la mer
bleutée
Une libellule passe devant
le soleil
Johra
Entraînant le bonheur
Apaisant les douleurs
Une usine de pure
fraîcheur
Amandine
Eternel clapotis qui nous
berce
Arrivée d’une légère brise
Une sensation de fraîcheur
Eblouissement
bleu
translucide
Abri
de
vies
multicolores
Un clapotis sans fin
Corentin
Lauriane
Elle serpente dans les
champs
Arrose les arbres et les
plantes
Une rivière
Ecoulement dans la
gouttière
Attirant les escargots
Un beau jour de pluie
Lola
Enjambement brisé
A
Avignon
le
pont
s’enfonçait
Un
fleuve
calme
le
recouvrait
Hugues
Sophie
Espace fascinant, le
grand silence
Angoisse du marin
Une puissance
transparente
Solenne
3- Ecriture contrainte à partir d’un mot proposé par le poète : Reproduire la forme du
poème de Gustave YVON, La Marquise sortit à cinq heures, Losfeld, 1969
La marquise sortit à cinq heures.
La marquise montait.
La marquise montait une jument.
La marquise montait une splendide jument.
La marquise montait ce jour-là une splendide jument alezane.
La marquise montait ce jour-là une splendide jument alezane dont le blanc immaculé
seyait à son teint
La marquise montait ce jour-là une splendide jument alezane dont le blanc immaculé
seyait à son teint de pécheresse. L’arbre assombrissait.
L’arbre assombrissait un pré.
L’arbre assombrissait un minuscule pré.
L’arbre assombrissait ce matin-là un minuscule pré sec.
L’arbre assombrissait ce matin-là un minuscule pré sec dont la couleur annonçait.
L’arbre assombrissait ce matin-là un minuscule pré sec dont la couleur annonçait sa
coupe prochaine.
Sophie.
L’arbre cachait.
L’arbre cachait le soleil.
L’arbre cachait le soleil brillant.
L’arbre cachait dans le ciel le soleil brillant.
L’arbre cachait dans le ciel le soleil brillant qui illuminait l’image magnifique.
L’arbre cachait dans le ciel le soleil brillant qui illuminait l’image magnifique d’un accident de
voitures.
Joan.
L’arbre assombrissait.
L’arbre assombrissait une métisse.
L’arbre assombrissait une jeune métisse
L’arbre assombrissait dans son jardin une jeune métisse brune.
L’arbre assombrissait dans son jardin une jeune métisse brune au teint clair.
L’arbre assombrissait dans son jardin une jeune métisse brune au teint clair qui mettait en valeur.
L’arbre assombrissait dans son jardin une jeune métisse brune au teint clair qui mettait en valeur
ses yeux de sorcière.
Thomas.
4- Ecriture contrainte à partir d’un mot proposé par le poète : Reproduire la forme du
poème de Gérard-Félix Tchicaya U’Tamsi, (Largo, In Le Mauvais Sang,Editions Caractères,
1955
Largo
M’empoisonnent
Les romances rares
Les civilités entre citadins
Les filles aux seins beiges
Les noms des villes
M’empoisonnent
Me désole
Ce ciel si plat
La pluie qui tombe
Ma voix qui m’agace
Me désole
M’affole
Cette eau si pure
Ce dont je me souviens
Les couleurs du temps
L’oubli mal niché
Mes mains qui durcissent
M’affolent
M’étonne
Le jour qui tarde
Les paysages trop gris
Ma forme qui me déserte
La bûche qui fume
Mon destin qui ne vient
M’étonne.
Gérard-Félix Tchicaya U’Tamsi,
Largo, In Le Mauvais Sang,
Editions Caractères, 1955
Nous empoisonnent
Les chewing-gums collés sous les tables
Les embouteillages quand nous sommes pressés
Se lever tôt le matin
Les publicités à la télévision
Nous empoisonnent
Nous désolent
Les crottes de chien sur les trottoirs
Les divorces pour un non pour un oui
Les retours de vacances sous la pluie
Nous désolent
Nous affole
La craie qui grince sur le tableau
Voir partir notre train sous les yeux
Les filles à grosse poitrine
Les années qui passent
Nous affolent
Nous étonnent
Les gens qui flatulent en public
Les personnes qui parlent plus de sept langues
Avoir une seconde vie après la mort
Nous étonnent
Pour l’enseignant, la lecture au poète reçu de tout ou partie de ces productions permet aux élèves
de prendre la parole avec le poète, d’éviter des questions stéréotypées, d’être dans une situation
valorisante. Lire leurs textes au poète a placé les élèves dans une situation mêlée de fierté et
d'humilité. Le poète les a écoutés,les a félicités, a comparé leur travail avec le sien, a dit qu'il avait
aussi pratiqué ce type d'exercices... . Les élèves ont aussi découvert un autre paradoxe de
l'écriture poétique : la libération par les contraintes, ces dernières favorisant les audaces
d'associations de sons, d'images.
Pour le poète, la réception de ces productions en écho à ses propres textes est le signe que la
rencontre a déjà commencé entre les élèves et son travail d’écrivain, avant la rencontre physique.
Mars 2011, collège , classe de Jean-Louis Brugiroux, poète rencontré : Emmanuël Merle.