Sauvetage déblaiement en milieu radio contaminé FUKUSHIMA

Transcription

Sauvetage déblaiement en milieu radio contaminé FUKUSHIMA
Sauvetage déblaiement en
milieu radio contaminé
dioactivité sur le terrain, nous recevons l’ordre
de nous déplacer à 350 kilomètres au nord,
sur la base américaine de Misawa dans le but
de mettre le personnel en sécurité et à l’abri de
la contamination radioactive. Les 20, 21 et 22
mars, nous participons à des missions d’aides
aux populations et de nettoyage des plages à
Okuki sur la côte nord-est du Japon en collaboration avec les militaires américains.
Le mercredi 23 mars, nous partons en bus pour
Tokyo par la côte ouest pour
éviter la zone contaminée de
Sendaï et le passage à proximité
composées d’un médecin, un
des centrales de Fukushima. Le
infirmier, un auxiliaire sanitaire, et
jeudi et le vendredi 24 et 25 mars
de quatre experts en radioprotecnous réalisons trois missions. 15
tion. Nous décollons de Roissy
personnels font l’accueil de fret
dans la nuit du dimanche au lundi
humanitaire à l’aéroport de Na14 mars 2011.
rita à 50 kilomètres de Tokyo.
Les missions des équipes médica30 personnels déchargent du
les sont :
fret en provenance de l’Union
• La médicalisation du sauvetage
David Lignac
européenne à Ibaraki à 80 km de
déblaiement en milieu contamiTokyo. 24 personnels font du contrôle radioloné.
gique et reconditionnent le matériel en vue du
• Le soutien médical du détachement
• La mise au point de la stratégie de lutte contre retour en France. 1,5 mètre cube de matériel
la catastrophe nucléaire avant et pendant l’inter- est trouvé contaminé et doit être éliminé comvention dans l’urgence en accord avec la régle- me déchet radioactif. Le samedi 26 mars, une
mission humanitaire sur le site de Sendaï est enmentation en vigueur.
visagée. Au cours du déplacement entre Tokyo
et Sendaï, la radioactivité augmente et chaque
CHRONOLOGIE
personnel prend un comprimé d’iodure de poAprès une réunion à l’ambassade de France dans tassium sur l’ordre du chef de détachement. Arla nuit, une mission de sauvetage déblaiement rivé sur place, la mission est annulée car le taux
en milieu radio contaminé à Sendaï nous est de radioactivité est trop important.
donnée, à 80 kilomètres au nord des centrales
nucléaires endommagées de Fukushima.
Nous arrivons sur site le mardi 15 mars en fin LES LEÇONS DE FUKUSHIMA
d’après-midi et installons le bivouac sur un vaste Gestion de la dosimétrie :
parking. Une équipe médicale opère avec cha- Tout personnel du détachement doit détenir tout
que unité de sauvetage déblaiement. Aucun sur- au long de la mission une dosimétrie individuelle
vivant n’est retrouvé car nous sommes déjà au active et passive, nominativement affectée. Touquatrième jour après la catastrophe et la tempé- tefois, 7 agents du Service Départemental d’Inrature est très basse : de - 5 °C la nuit à + 8°C cendie et de Secours 77 ne peuvent en être dole jour. Seize morts sont extraits des décombres tés. Le choix est donc fait de ne jamais séparer
l’unité de sauvetage déblaiement du SDIS 77.
et évacués par les pompiers japonais.
Le mercredi 16 mars au soir, après le compte- Après concertation avec l’Institut de Radiorendu fait au Centre Opérationnel de Gestion protection et de Sûreté Nucléaire, le Service
Interministérielle des Crises des niveaux de ra- de Protection Radiologique des Armées et les
FUKUSHIMA - Mission au Japon du 13 au
27 mars 2011 dans le cadre de l’opération
Unit Search and Rescue
Situation : un séisme, un
tsunami, une catastrophe
nucléaire.
Un séisme d’une magnitude de 9 sur l’échelle
de Richter est survenu au nord-est du Japon le
vendredi 11 mars 2011 à 14 h 46 heure locale
(5h46 GMT). Il s’agit du plus fort tremblement
de terre qu’a connu l’archipel. Il a été suivi de
plusieurs secousses et d’un tsunami de 10 mètres de haut emportant tout sur son passage et
faisant 14 000 morts et 13 000 disparus. La secousse a eu lieu à cent kilomètres au large de
Myagi sur la côte pacifique et à 24 kilomètres de
profondeur et l’eau a pénétré jusqu’à 5 kilomètres à l’intérieur des terres. La centrale nucléaire
de Fukushima-Daïchi a été endommagée. La
gravité de la catastrophe nucléaire est à 7, soit la
même que l’accident de Tchernobyl. Trois réacteurs nucléaires sont en fusion et un est fissuré
suite à la destruction par le séisme et le tsunami
des quatre systèmes de refroidissement de chaque réacteur. Des substances radioactives d’iode
et de césium sont libérées dans l’atmosphère et
des taux de radioactivité préoccupants sont mesurés à Tokyo.
MISSIONS
Un détachement de 114 personnels est mis en
alerte dès le matin du vendredi 11 mars 2011.
Il se compose de sapeurs sauveteurs des forces
militaires de la sécurité civile, de sapeurs-pompiers civils et militaires de la brigade de sapeurspompiers de paris, de quatre équipes médicales
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Magazine du Service de Santé et de Secours Médical
3SM
conseillers techniques, la stratégie suivante est
définie :
- un objectif de dose maximale pour la durée
totale de la mission fixé à 10 milli Sieverts. Cette
dose correspond à la valeur de référence du
groupe 2 pour une intervention dans le cadre
d’une situation d’urgence radiologique.
- une dose plafond journalière de 1 milli Sievert
pour une mission qui comporterait 10 jours de
travail effectif.
- un débit de dose indicatif calculé de 100 micro
Sievert/h pour une durée de travail de 10 h par
jour.
Les valeurs de pré alarmes et alarmes sont les
suivantes :
- débit de dose : 30 µSv/h en pré-alarme.
100 µSv/h en alarme
- dose : 5 µSv en pré-alarme. 50 µSv en alarme.
Ces seuils seront programmés sur tous les dosimètres opérationnels affectés aux agents de la
mission. Ces valeurs de référence pourront être
revues en fonction de la situation rencontrée sur
le terrain.
Les chefs d’unité sont chargés d’affecter les
dosimètres opérationnels à chaque agent de
son unité et d’en transmettre une liste avec les
numéros d’appareils au conseiller technique de
l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire. A chaque fin de journée, le chef d’unité
fera remonter les résultats au conseiller technique présent au poste de commandement du
détachement.
Les appareils de mesure de la radioactivité utilisés :
Les matériels à utiliser sont : débitmètres de
type FH40 et radiagem ; contaminamètres de
type CAB et radiagem équipés de sondes X
ou béta mou. Le bruit de fond de tous les appareils employés doit être consigné sur la fiche
dédiée à cet effet à l’atterrissage et transmis aux
conseillers techniques.
Les équipements de protection individuelle
En l’absence de risque radiologique caractérisé et
confirmé :
La tenue arrêtée est la tenue de travail réglementaire des équipes sauvetage déblaiement. Le
chef d’unité tiendra à disposition de ses équipiers
une tenue de protection radiologique complète
dans les véhicules. Cette tenue comprendra :
une TLD (tenue légère de décontamination) ;
un masque avec une cartouche large spectre ;
des sur bottes et gants plastiques.
En présence de risques radiologiques : L’intervention ne sera réalisée que pour des sauvetages de vies humaines. La tenue sera définie
en fonction de l’évaluation des risques réalisée.
Aspect sanitaire
Le service médical du détachement dispose
d’antidotes spécifiques contre les risques radiologiques et nucléaires (comprimés d’iode stable
mis à disposition par le Service de santé des ar-
Mag
mées).
Néanmoins, chaque chef d’unité détiendra les
comprimés d’iode stable nécessaires pour son
unité. Ces comprimés ne seront pris par les personnels que sur ordre du chef de détachement.
Consignes opérationnelles
Organisation des équipes reconnaissance et sécurité radiologique :
Selon le nombre de chantiers, une ou plusieurs
équipes légères et mobiles seront constituées en
mesure de :
- Reconnaître les chantiers avant l’engagement
des USD [évaluer la pertinence d’un engagement sur le chantier (présence de victimes potentiellement vivantes), évaluer le risque radiologique sur le site].
- Assurer la surveillance radiologique sur les sites
de travail des USD.
Chaque équipe sera constituée au minimum
d’un chef de CMIR, d’un chef de section SD et
de 4 équipiers RAD.
Utilisation des appareils de mesure de la radioactivité :
Pour toute ouverture d’un chantier ou d’itinéraire inconnus, une reconnaissance radiologique
au moyen du débitmètre devra être effectuée.
Dès le dépassement du double du bruit de fond,
une attention particulière sera observée.
D’autre part, une mesure devra être prise au
moyen d’un contaminamètre avec sondes béta
mou ou X, à hauteur de hanche et au niveau
du sol, sur tous les chantiers non reconnus au
préalable.
Dès le dépassement de 3 fois le bruit de fond,
une étude approfondie du site devra être
conduite par la réalisation de frottis spécifiques.
Dès qu’un dosimètre opérationnel déclenche
une alarme en dose ou débit de dose, le réflexe
de tous les équipiers doit être de quitter la zone
et de se regrouper en zone sécurisée et de rendre compte immédiatement par la chaîne de
commandement.
Gestion du stress
Une telle situation génère un stress personnel et
collectif face à un risque accepté. Quels sont les
éléments qui nous ont permis concrètement de
lutter contre lui ?
- Des personnels compétents et équilibrés
C’est tout d’abord les compétences techniques
acquises à intervenir en zone contaminée. Le
détachement est constitué de personnels formés
spécifiquement au travail en zone contaminée.
Ils s’entraînent régulièrement pendant l’année.
Cette compétence rassure les intervenants
« j’interviens dans un contexte difficile, mais je
suis formé pour cela. Je sais réagir en cas de problème ».
La sélection des personnels sur le plan physique
et mental lors de la visite médicale annuelle et
l’importance de la stabilité psychique. Les personnels sélectionnés sont tous des volontaires
et le médecin doit déterminer l’aptitude à intervenir en milieu N.R.B.C. Il peut éventuellement
demander l’avis d’un psychologue ou d’un psychiatre. Un bon équilibre psychique aide à lutter
contre le stress.
- Une communication simple et directe
La communication régulière sur la mission, les
risques, les mesures prises pour assurer la sécurité du détachement, les perspectives. (Incertitude sur le devenir des centrales de Fukushima /
Contamination et irradiation des personnels).
Elle est réalisée par le chef de détachement, et
les médecins au cours des rassemblements du
matin, du midi et du soir. Cela limite la propagation de rumeurs et d’idées fausses. Elle permet
une réflexion personnelle à partir des éléments
de langage du chef de détachement.
- Un suivi médical permanent
Les médecins ont organisé des groupes de
parole après chaque intervention éprouvante.
Ceci permet de repérer les personnels en souffrance et de leur apporter une prise en charge
personnalisée.
Après la mission, un suivi médical des personnels
en souffrance : les personnels savent qu’en cas
de difficultés psychiques, ils seront pris en charge
par le corps médical. Une consultation avec un
psychiatre est prévue au retour de la mission
pour tous les personnels qui sont intervenus en
zone contaminée. Il s’agit d’une discussion sur la
mission avec évocation des points positifs, négatifs, les difficultés rencontrées, les souffrances
psychiques survenues, etc
Une mission très encadrée :
Le chef de détachement et les cadres sont
formés à la gestion des crises et des situations
de catastrophes. La présence d’experts du domaine radiologique et nucléaire sur le terrain qui
conseille le chef de détachement pour prendre
les décisions (engager le détachement dans une
zone contaminée ou ne pas le faire, etc..) permet une prise de décision éclairée et consensuelle.
Présence permanente et obligatoire de dosimètres actifs et passifs sur tous les personnels avec
présence d’une alarme en cas de dose reçue importante rassure les personnels. La dose reçue
par chaque personnel est notée chaque jour sur
un registre spécifique.
CONCLUSION
Une crise historique nucléaire et sismique sans
précédent a permis de mettre au point une stratégie de sauvetage et d’intervention en milieu
radio contaminé tout en respectant les impératifs de sécurité pour les sauveteurs et de qualité
de soins en mode dégradé pour les victimes, en
accord avec la réglementation en vigueur.
David LIGNAC
médecin en chef
Service médical, quartier Sully, UIISC 1
28400 NOGENT LE ROTROU.
[email protected]
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